10. Fonds marins

Fallout : New Vegas

Jamais tué personne

J’ai joué au méchant parce que je croyais jouer jusqu’ici au gentil. Mais la quête d’une rigoureuse éthique malfaisante m’a mené à relativiser : ce gentil habituel a une morale assez élastique, qui s’adapte aux circonstances et à l’univers sauvage de Fallout. Déjà j’adore, pardon, il adore descendre les Tox, plus encore que de tirer sur ces stupides geckos. Est-ce que c’est gentil, ça ? Pas vraiment, alors j’ai tout repris à zéro pour être un vrai gentil. Tiens, déjà je ne vais tirer sur personne. Jamais. Gentil et non violent. Par contre je vais vite me chercher des amis moins pacifistes que moi, ce sera bien utile.

Le jeu dans la tête

On ne se promène pas de la même façon selon qu’on soit une brute sanguinaire ou un méchant sournois, mais il s’agit encore d’autre chose quand on joue un héros non violent et encore solitaire. Observer les alentours en se tenant prêt à décamper est finalement presque aussi ludique et plus dépaysant que l’esprit agressif et dominateur d’une partie classique. Cela permet aussi de voir que parfois les petits geckos s’enfuient eux-mêmes, effrayés. On ne peut pas le savoir quand on descend préventivement tout ce qui peut représenter une menace alentours. Le plaisir du joueur se niche parfois dans des aspects marginaux du jeu : porter des vêtements citadins anachroniques dans le désert, le corps offert à la rigueur de rencontres dangereuses. Curieusement - et ce malgré la logique de puissance constamment croissante des jeux de rôle - lorsqu’on s’est fixé une ligne de conduite jouer la vulnérabilité est assez excitant.

S’il s’agit là d’une expérience cosmétique, certains choix appartiennent au joueur et ne sont pas sanctionnés par le jeu. Peut-on jouer un personnage vraiment bon et revendre de la drogue ? La réponse semble évidente, et pourtant il y a fort à parier que l’écrasante majorité des joueurs "bons" le font. C’est toute l’ambiguïté du jeu de rôle sur ordinateur, le joueur demande a être confronté à des choix moraux, à tracer son chemin à travers des règles rigoureuses, mais il est comme un enfant : sitôt que le jeu n’évalue pas moralement un comportement donné, l’appât du gain se montre plus fort que tout. Etre libre d’agir mais être aussi contraint par le jeu qui fixe le cadre, contourner les règles souhaitées dès que possible : les attentes et l’attitude du joueur ne sont pas toujours en parfaite cohérence. Ajoutons à ce désordre psychologique le fait que les règles ne soient pas évidentes à saisir : par exemple la propriété et le vol sont gérés de façon étrange. Des objets dans des lieux habités semblent curieusement n’appartenir à personne, tandis ceux de personnes décédées ou disparues restent "possédés".

La non-violence comme dopant dramatique

Le principe de non-violence est assez intéressant en dehors même des phases de dialogue. L’appliquer face à des monstres donne parfois un relief remarquable à la partie. Dans un jeu plutôt peu exigeant en difficulté moyenne, le fameux abri 34 peuplé de goules (qui est l’un des pires endroits du jeu) se révèle encore plus stressant avec une dynamique d’équipe renversée : ce ne sont plus les équipiers qui suivent le personnage joueur mais ce dernier qui tente de ne pas se trouver isolé sous peine de mourir, victime de son inaptitude volontaire au combat.

Les PNJ accompagnants, habituellement accessoires, deviennent essentiels, et les retrouver au détour d’un couloir après les avoir brièvement perdus de vue provoque un sentiment de réconfort inconnu jusqu’alors. Ne pas se battre, c’est compter vraiment sur les autres, et connaître parfois des sentiments d’impuissance et de panique nouveaux dans le jeu. Dépendant d’eux, on perçoit alors vraiment ses compagnons d’aventure sous un jour nouveau...

Bloqué dans le pacifisme

Le joueur bon est parfois placé dans des situations qui ne lui proposent que des résolutions insatisfaisantes. Le cas de Jeannie May Crawford est caractéristique : on a le choix entre ignorer son acte criminel ou la livrer à la vengeance mortelle de Boone, sans autre possibilité. Où est le bien entre l’absence de sanction et un châtiment brutal et expéditif ? Jeannie doit couler des jours paisibles ou mourir, il n’y a pas de demi-mesure. Quand aucun choix n’est bon, on peut au moins faire celui de l’action.

Adopter une attitude rigoureusement pacifique rend la résolution de certaines quêtes impossible, comme celle du Nocturne qui mitraille nuitamment le troupeau des Mac Bride à Novac : si le joueur ne tire pas lui-même, rien ne se passe finalement... On assiste au massacre, mais ni le mitrailleur ni les membres de l’équipe ne se décident à un affrontement, et le Nocturne s’en va comme il est arrivé. Cottonwood Cove propose une séquence comparable, alors même qu’on a des relations exécrables avec la Légion. Poursuivi même par des assassins de Caesar il semble que les légionnaires ne se décident pas à attaquer. La mission de massacre de la RNC n’est donc pas réalisable, à moins de tirer le premier. Les défauts de réaction de la Légion sont d’ailleurs fréquents et probablement involontaires de la part des concepteurs : certains sbires de Caesar resteront de marbre sitôt franchi une porte alors qu’on vient d’en tuer une dizaine de l’autre côté du seuil...

De la relativité du bien et du mal

Le monde de Fallout : New Vegas, habité par la violence, la drogue et les coups tordus propose une vision du bien très relative. Ainsi engager des prostitué-e-s pour l’Atomic Wrangler est présenté comme un acte positif dans le jeu, puisque tout le monde en semble heureux. Le camp du moindre mal, celui de la RNC, garde des traces honteuses d’un passé guerrier peu reluisant. Finalement les Disciples de l’Apocalypse sont les seuls interlocuteurs réellement bons et encore, ils enfantent parfois des monstres comme Caesar...

En dehors des factions qui sont plus ou moins positives dans leurs agissements, le système de karma qui se superpose offre quelques incongruités amusantes au joueur. Ainsi il est bon de tuer un Poudrier (c’est pas moi qui ai tiré), mais il est mal de lui voler quelque chose. Au-delà même de l’absurdité de la coexistence de ces deux propositions, est-ce que tuer un délinquant voire un criminel est vraiment bien ? Lui prendre un objet est-il vraiment mal ?

House

Hormis quelques vols nécessaires, de rares mensonges utiles, je n’ai finalement rien fait de bien mal malgré les multiples pièges d’un monde corrompu. Evidemment c’est un peu facile de laisser ses copains dézinguer les méchants et de garder les mains propres, je sais bien, mais je ne pouvais pas jouer une partie entière à fuir sans cesse sous les coups de feu. Quoique cela soit certainement possible.

La seule chose vraiment cruelle que j’ai du faire c’est de régler le cas de M. House. Je ne voulais pas le tuer, mais il fallait le mettre hors d’état de nuire, c’était lui ou la RNC. Et le voyant si désemparé d’être coupé de ses puissants jouets du Strip pour toujours je n’ai pas eu le cœur de le laisser comme ça, abandonné et inutile. Alors, comme il me l’a demandé dans un souffle exsangue, je l’ai débranché. La vraie punition de Monsieur House était de toute façon l’impuissance, bien plus que la mort.

Il y a 6 Messages de forum pour "Jamais tué personne"
  • raton-laveur Le 1er août 2014 à 14:06

    Je regrette que cet article ne présente ni les quêtes ni les personnages. N’ayant pas joué à ce titre (qu’a fait ce monsieur House ? Qu’est-ce que la RNC ?), je ne comprends pas les enjeux évoqués.

  • Jérôme Izard Le 1er août 2014 à 14:16

    Ah oui, forcément. Je dois avouer que je m’adresse surtout à ceux qui y ont joué, parce que si je dois tout expliquer la longueur de l’article va être multipliée par 10 (et en plus je raconte mal).
    Donc je te conseille d’y jouer, comme ça tu comprendras l’article. Et accessoirement tu auras tâté d’un bon jeu ;)

    Sinon lis une soluce :D

  • 4Fallout Le 1er août 2014 à 14:22

    Excellent billet doublé d’une excellente analyse.

    En tentant un "no kill run", on réalise que même si c’est quelque chose d’envisageable si on prend l’image d’un réel RPG, l’équipe d’Obsidian n’a vraisemblablement pas eu assez de temps pour rendre la chose réellement réfléchie. (tout comme à l’inverse, un "full kill run", consistant à tuer absolument toute forme de vie que l’on croise ; qui pose lui aussi des problématiques de fond et de mécaniques de jeu).

    Pour faire un parallèle, il est possible de finir Fallout 3 dans un no-kill-run, à l’exception de quelques créatures dans quelques quêtes ou sous-quêtes ( http://fallout.wikia.com/wiki/Forum... ).

    Un thread de quelques années sur un joueur ayant terminé New Vegas sans tuer personne : http://www.neogaf.com/forum/showpos...
    C’est effectivement possible, mais il faut abuser du sneak et certaines quêtes doivent être volontairement abandonnées en cours de route.

    Bonne route dans le Mojave :)
    Clem de http://www.4fallout.fr

  • DrNoze Le 28 août 2014 à 19:56

    Excellent papier, vraiment. J’adore lire ce genre d’experiences.
    Ça me fait penser à ce papier qui pourrait t’interresser, de Awesome Ex Machina où il roleplay hardcore dans New Vegas. Il décrit ça très bien : http://www.destructoid.com/no-clip-...
    et également celui où il essaie de jouer un Niko Belic nice guy dans GTA IV : http://www.destructoid.com/blogs/Aw...

  • Resh Le 30 août 2014 à 19:12

    A noter que c’était déjà possible de ne tuer personne dans Fallout 1 et 2, à l’exception de Frank Horrigan (pas frank qui) si je me souviens bien. Mais c’était également possible de tuer tout le monde ! Pas de PNJ immortels, c’est aussi un challenge de game design pour du RPG.

  • Atog Le 9 septembre 2014 à 19:35

    Mais tuer tout le monde c’est quand même plus rigolo.

    http://kotaku.com/meet-the-guy-who-...

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