12. Poisson frais

Aliens : Colonial Marines

J’ai passé l’âge de ces conneries

En 2013, il ne fait pas bon être vieux, ni nostalgique. Pour avoir été reconnu coupable des deux crimes, simultanément qui plus est, le jeu de SEGA l’a payé très cher.

Le vilain petit Xeno

Aliens : Colonial Marines revient de loin. Massacré par la presse spécialisée, brûlé sur le bûcher de l’hérésie sur la plupart des forums jeux vidéo de la planète par une majorité de joueurs n’y ayant souvent même pas joué, le jeu a tout du petit agneau sacrificiel bêlant son innocence. Pourtant, avec ses problèmes évidents de finition, son développement pour le moins chaotique, et sa licence SF culte, toutes les raisons sont réunies pour l’aborder avec le sourcil froncé, de la méfiance et la mâchoire serrée de colère. Mérite-t-il vraiment un tel sort ?

Si on l’envisage sous l’angle purement produit, on ne peut y répondre que par l’affirmative. Après tout, le jeu, commandé par SEGA, est estampillé Gearbox, un développeur bénéficiant d’un capital sympathie important auprès de la communauté notamment grâce à la série Borderlands. Dans le cas présent ils n’ont pourtant été que les (mauvais) superviseurs d’un projet sous-traité. En soi, l’acte n’est pas constitutif d’un manque de qualité, mais on se demande quelles étaient les attentes et les espoirs du studio considérant qu’il n’avait "pas le temps" de se consacrer pleinement à Aliens : Colonial Marines ? Difficile de ne pas y voir une forme de tromperie sur la marchandise.

Au-delà de ces considérations, il convient de le juger pour ce qu’il est aujourd’hui, à savoir un titre bradé (30€ sur PS3 et Xbox 360) et copieusement mis à jour. Les problèmes de finition grossiers étant oubliés, Aliens : Colonial Marines peut donc enfin être joué pour ce qu’il est : une petite production de série B sans prétention et suite directe de l’Aliens de James Cameron.

Direct to video

Une troupe de marines coloniaux débarque sur LV426 afin d’enquêter sur les événements qui s’y sont déroulés. Bien entendu, rien se passe comme prévu et nos bidasses sont au cœur d’un sinistre complot imaginé par Umb... Pardon, Weyland-Yutani. Inutile de chercher une quelconque cohérence, puisque l’on ne prend même pas la peine de nous expliquer pourquoi la colonie humaine n’a pas été vaporisée par l’explosion qui conclue le film de Cameron, ni même d’espérer quoi que ce soit d’intéressant sur le plan narratif. Aliens : Colonial Marines n’a aucune ambition sur ces points. Le seul parti-pris assumé, c’est la volonté de nous faire revivre les situations typiquement associées à Aliens : un couloir de maintenance sombre et humide avec les bips stressants du tracker pour seul accompagnement.

Dans son niveau de difficulté le plus élevé — tout à fait praticable en réalité —, le jeu nous prive à la fois du HUD et du réticule de visée, tandis que le tracker n’émet de son que lorsqu’il est directement utilisé. Conceptuellement, c’est très proche du "shotgun ou la lampe torche" de la version originale de Doom 3, et ça fonctionne à plein régime dans le contexte d’Aliens. Obliger le joueur à abaisser son arme pour étudier l’écran de son tracker le met en prise avec ce que Stephen King appelle "le point de pression phobique". C’est à dire une terreur inhérente à notre nature, que des couches successives de civilisation ont enfermée dans une boîte, avec l’espoir de la faire disparaître. Toute la première partie du jeu, de l’introduction jusqu’à l’exploration de la colonie d’Hadley’s Hope, joue d’ailleurs constamment sur ce rapport aux ténèbres. S’il n’est jamais vraiment un survival horror, Aliens : Colonial Marines arrive épisodiquement à générer une terreur psychologique, la phobie du monstre tapit dans l’ombre attendant patiemment de nous éviscérer et se repaître. De ce point de vue, le xénomorphe en tant que prédateur parfait est forcément beaucoup plus anxiogène que nos traditionnels zombies. A vrai dire, la peur nous guette bien avant notre première rencontre avec la créature, la saga Alien faisant partie de notre ADN culturel geek. On connaît bien la bête, on sait de quoi elle est capable.

Ce rapport reptilien à la peur se retrouve dans un gameplay primal, rappelant les vieux FPS et leurs armes aux sensations brutes. Aliens : Colonial Marines rate beaucoup de choses, c’est vrai. Ce qui ne l’empêche pas de s’émailler ponctuellement de vrais bons moments et de la promesse de ce qu’il aurait pu être. Certaines séquences sont captivantes et, malgré ses incohérences scénaristiques, le jeu est sauvé par le soin apporté à l’ambiance. Si la technique pédale, audio et direction artistique sont de bonnes tenues rendant du même coup l’exploration de certains lieux emblématiques des deux premiers films (le Sulaco, Hadley’s Hope ou le derelict space ship) hautement immersive. Ce n’est peut-être pas suffisant pour le réhabiliter, mais sa saveur so 90’s est une consolation tout à fait indiquée quand on est nostalgique d’une certaine idée du jeu vidéo. Tout bien considéré, Aliens : Colonial Marines n’est donc pas honteux, il n’est simplement pas de son temps.

Il y a 10 Messages de forum pour "J’ai passé l’âge de ces conneries"
  • Etretats Le 20 avril 2013 à 15:01

    Au final, on se retrouve avec une touche rétro "90’s" sur un jeu qui à l’initial n’en avait pas la vocation. Les mystère de la production vidéo ludique peuvent amener à de sacrées situations.

  • Cold Hand Le 22 avril 2013 à 10:58

    Etrange indulgence de la part d’un site qui m’avait jusque là habitué à des articles au vitriol, soulignant les failles scénaristiques ou les hasardeuses directions artistiques des jeux portées aux nues par le reste de la critique. De là à penser que le but, consciemment recherché ou pas, est de jouer régulièrement le contre-pieds, il n’y a qu’un pas... Intéressant, cela dit !

  • JiPé Le 22 avril 2013 à 12:24

    @Cold Hand : honnêtement avec ce que s’est pris le jeu dans la tronche, je vois pas trop ce qu’on gagnerait à lire quelque chose sur un jeu jugé unanimement indigne. Donc oui, le contre-pied est plutôt bienvenue.
    D’autant plus que le jeu a des qualités (notamment son multi et en particulier son premier DLC) qui ont été totalement éclipsées par la majorité de la presse.

  • Martin Lefebvre Le 22 avril 2013 à 12:57

    @Cold Hand : on ne cherche pas forcément à jouer les contre-pieds, il se trouve qu’Emmanuel, habitué de notre forum et membre de notre communauté depuis, ouhla plus longtemps que moi, a trouvé que le traitement infligé à Aliens était un rien injuste. C’est vrai qu’on aime bien faire s’exprimer une diversité d’avis, mais pas pour troller, plutôt pour rompre un peu la monotonie des critiques qui vont toutes dans le même sens. Cela dit si on nous avait proposé une descente d’AMC intéressante à lire, nous l’aurions publiée.

    Je n’ai pas joué à AMC, je le prendrai ptête un jour à 5 euros en soldes, je ne peux pas garantir que je serais du même avis que le camarade Touchais... mais je suis certain que j’estime ses avis sur les jeux même quand je suis en désaccord avec lui.

    Comme garantie de ma bonne foi, pour le peu que j’aie eu le temps d’y jouer, je suis parfaitement ok avec le 90+ que se prend sur Metacritic le dernier Fire Emblem. :D

  • Emmanuel Touchais Le 23 avril 2013 à 15:57

    @Cold Hand : Je n’ai pas vraiment le sentiment d’avoir signé un article particulièrement enthousiaste sur ACM, mais clairement je ne trouve pas le jeu aussi mauvais que ce qui été dit un peu partout.

  • Cold Hand Le 23 avril 2013 à 17:06

    Loin de moi l’idée de vous accuser de troller... Peut-être que cette impression "d’enthousiasme" dont tu parles (même si je me contente de parler pour ma part d’indulgence) vient du fait que les autres sites ont TELLEMENT craché sur ACM qu’un "bah, il est pas bon, mais il est pas si mauvais non plus" passe pour une demande en mariage exaltée.

    En fait, mon point était plus global : BioShock Infinite (93+ sur Metacritic) a fait l’objet d’un récent article plus que "mitigé", quelques semaines/mois plus tôt, c’était au tour de Dishonored (88+), de même que Far Cry 3 (88+) ou la série des Assassin’s Creed (80+, pour le dernier en date) sont durement jugés (avec d’autres). D’où le contre-pied régulier que je mentionne.

    Mais une fois encore, si la critique est légitime et détonne dans une forêt de louanges, c’est pas nécessairement un mal. Faut juste pas que ça soit pas un postulat automatique, ça serait bien dommage.

    Salutations à vous !

  • Martin Lefebvre Le 23 avril 2013 à 17:50

    La critique jeu vidéo mainstream a des goûts souvent très discutables, et elle se caractérise par une absence quasi totale de déviation : pour la majorité des gros titres, il y a un consensus un peu assommant. Qui s’explique sans doute par la sélection des journalistes et leur professionnalisme... Ils en reviennent souvent à valider ou à anticiper ce qui sera populaire plutôt qu’à proposer une vision critique plus riche en subjectivité ou en analyse (les deux n’étant pas incompatibles en terme de critique culturelle).

  • Ialda Le 24 avril 2013 à 11:35

    Il est toujours possible de réduire le débat à sa plus simple expression, ie suivre l’avis du hivemind et être accusé de bêler avec les autres moutons versus tenir un avis contradictoire au risque de psser pour un poseur... Personnellement, je préfère penser qu’il revient aussi au lecteur d’avoir un minimum d’approche critique par rapport au flot d’articles qu’il ingurgite et de ne pas les prendre pour argent comptant.

    Cet article propose un avis différent sur le cas ACM permettant de relativiser ce qu’exprime la doxa sur ce titre, et c’est pour cette honnêteté intellectuelle que j’apprécie MF. Mais je ne compte toujours pas acheter le jeu :)

  • Antonin CONGY Le 11 mai 2013 à 13:02

    Fan de la licence et intrigué par cet article j’ai fini par acheter le jeu que l’on trouve déjà à pas cher. Et très sincèrement pour l’instant je ne regrette pas. Je souscris totalement à l’analyse de cette critique. on a l’impression de se retrouver à jouer un Aliens dans l’esprit et l’ambiance des années 90, avec son charme désuet, ces doublages débiles... En son temps j’avais adoré le Alien Trilogy sur Saturn et c’est avec plaisir que je retrouve les mêmes sensations.

  • azerty Le 6 août 2013 à 22:40

    Finalement, seuls la direction artistique, les sons et la musique sont bons. Autrement dit, les seules choses vraiment réussies dans le jeu, ce sont celles sur lesquelles les développeurs n’ont pas eu à bosser.

    Source : Nofrag

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