Indie Sports, it’s in the game
En 2009, les jeux de sport occupaient 19,9% du marché du jeu vidéo français (source : afjv). Les Français n’étant pas connus pour être plus ou moins sportifs que les autres, on peut supposer sans grand risque que cet ordre de grandeur se retrouve à l’échelle mondiale. Il est pourtant une niche dans laquelle Lionel Messi, Tony Parker et Rafael Nadal ont bien du mal à percer, c’est celle du jeu indé. Pourquoi un tel mépris de l’activité physique, fut-elle virtuelle ? Tentative de réponse par l’observation des rares exceptions.
Si le milieu du jeu indépendant brille par la diversité de ses genres, allant du platformer au puzzle en passant par le puzzle-platformer, le jeu de sport n’y est que très rarement représenté. Ce constat pourra surprendre pour deux raisons majeures :
D’une part, le développeur indé chérissant le rétro en rendant hommage à des époques de plus en plus lointaines avec des pixels de plus en plus gros, on aurait pu s’imaginer qu’il finisse par ériger Pong, jeu de sport s’il en est, au rang de modèle absolu.
D’autre part, ce même développeur étant toujours en quête d’originalité, on s’étonnera qu’il ne soit pas tombé dans la facilité en réalisant « le premier jeu de foot indé », « le premier jeu de curling indé », etc. etc.
Pour expliquer ce désintérêt collectif, on pourrait prêter aux développeurs des réflexions stratégiques : « Le jeu de sport est le genre qui vieillit le plus mal, en témoigne son omniprésence dans les boutiques d’occasions, si je veux créer un jeu qui propulse mon nom dans les annales du game-development, j’ai tout intérêt à éviter cette catégorie. ». Mais soyons sérieux une minute : si le développeur indé souhaitait vraiment accéder à l’immortalité, continuerait-il vraiment à créer des jeux en résolution 800x600 ?
Non, les véritables raisons de la quasi-absence des jeux de sport dans le jeu vidéo indé remontent à beaucoup plus loin, à des traumatismes enfouis de l’enfance, c’est en tout cas ce qu’illustrent les rares productions sportives à avoir vu le jour.
« Oh non, pas Notch, il va encore faire perdre l’équipe ! »
Comment se fait-il que des hommes et des femmes qui pour certains n’ont même pas encore 30 ans parviennent à créer seuls des jeux originaux et de qualité qui récoltent même parfois du succès ? La réponse est simple : alors que leurs camarades profitaient de leurs mercredis après midi et de leurs week-ends pour rejoindre des clubs de sports, les développeurs indés préféraient s’enfermer pour jouer aux jeux vidéo, alors que les autres élèves partaient taquiner le ballon pendant les récrés, eux restaient en classe et codaient leurs premiers programmes sur des calculatrices scientifiques. En résulte que le développeur indé était nul en sport (et a fortiori l’est toujours). Toujours choisi en dernier lorsque l’école lui imposait une discipline sportive, il se ridiculisait par sa maladresse et devenait l’attraction principale des cours d’EPS.
Cette maladresse, on la retrouve plus tard dans certains de ses jeux, QWOP de Bennett Foddy en est peut-être l’exemple le plus marquant. Dans celui-ci, le joueur est amené à faire courir 100 mètres à un athlète au niveau pathétique. La difficulté des commandes (deux touches pour bouger les cuisses, deux autres pour les mollets) oblige le joueur, dans ses 50 premiers essais du moins, à se vautrer mollement sur le synthétique. Le développeur indé qui est ainsi parvenu à surmonter ses traumatismes d’enfant obtient enfin sa revanche sur les sportifs. Il humilie le coureur, provoquant ainsi l’hilarité générale des joueurs, il le fait se traîner au sol, rouler cul par dessus tête, et même dans les meilleurs essai, lui confère une démarche digne du Ministère des marches ridicules des Monthy Python.
QWOP n’est évidemment pas le seul exemple. On pourrait aussi nommer GIRP, du même auteur, qui s’attaque à l’escalade ou Hockey ? de Cryptic Sea qui s’en prend...au hockey. Un autre exemple intéressant est celui de Narcoleptic Soccer Rush (Gazillon), un jeu de football dans lequel tous les joueurs sont narcoleptiques. Son gameplay est en tout point semblable à celui d’un FIFA ou d’un PES à un détail près : parfois, sans prévenir, les joueurs s’allongent sur le gazon et se mettent à rêver de tout sauf de sport. Si le titre, et donc le sujet de ce jeu, était dicté par le Video Game Name Generator [1], on peut tout de même y voir cette même idée de vengeance, d’exorcisme, sur ces sportifs qui ont fait tant de mal au développeur indé.
« Comment ça hors-jeu ? Vous appelez ça un jeu, vous ? »
Un autre complexe que révèle la frêle production sportive indé est celui du refus des règles. A regarder l’intelligence et l’originalité des jeux indépendants, il est aisé de conclure que le développeur indé était un enfant à l’imagination débordante, un de ces gamins qui passait son temps à inventer des nouveaux jeux sur des feuilles de papier et à détourner de manière ludique les objets de son quotidien. Et vous voudriez obliger ce gamin à pratiquer un sport dont les règles n’ont pas évolué depuis des décennies, voire des siècles ? Il n’est pas étonnant que plus tard, le développeur indé se refuse à reprendre ces règles dans un jeu vidéo. S’il doit créer un jeu de sport, il le fera à sa façon, en inventant de nouveaux protocoles.
Ainsi, Jetpack Basketball (Mark Essen) revisitera les règles du basket en opposant deux joueurs munis de jetpacks (tout est plus amusant avec un jetpack). La notion de sport d’équipe y est complètement abandonnée ainsi que, sacrilège, les paniers à 3 points. On ne parcourt plus le terrain en dribblant, on s’élève dans les airs en gardant un œil sur sa jauge de fuel...Ballon et panier sont à vrai dire les dernières choses qui rappellent encore le basket. De la même manière, le récent PoleRiders (Bennett Foddy) s’amuse à mélanger deux disciplines qui jamais n’auraient du se rencontrer, saut à la perche et polo, pour donner naissance à une joute absurde, mais quel sport ne l’est pas ? Ces transgressions et détournements pourront évoquer le célèbre Bloodbowl, mais ils rappelleront plus encore le « Calvinball », ce sport qui consiste à ne jamais jouer deux fois de la même manière. Comme le héros de Bill Watterson, le développeur indépendant préfère la solitude au travail en équipe, et comme lui, il finira toujours par transformer n’importe quel sport en grand n’importe quoi.
« La princesse est sur un autre terrain. »
Le dernier blocage du développeur indé vis à vis du sport est l’absence de quête, de grande cause à défendre. Il faut le comprendre aussi : lui qui a passé son enfance devant un écran à secourir des princesses ou carrément à sauver le monde a bien du mal à imaginer qu’on puisse se démener à ce point pour le simple plaisir de la victoire. « Et qu’est-ce qui se passe si on perd ? - Eh bien on prend notre revanche. - Et si on gagne ? - Ils prendront leur revanche. ». Certes, il y a bien la cause patriotique défendue lors des grands matchs, mais le développeur indépendant se fiche de patriotisme, les Suédois sont au dessus de tout ça.
S’il doit s’atteler à un jeu de sport, le développeur indé aura par conséquent bien du mal à se retenir d’y mettre un enjeu. Il imagine sans doute que les joueurs indés sont comme lui, et il n’a peut-être pas tort. Une fois encore, les exemples sont multiples : si le batteur de Zombie Home Run (Christian Ibarra) accepte de jouer au baseball, c’est uniquement pour repousser des hordes de zombies, si le patineur de Rogue Hockey (Block0man) daigne frapper le palet, c’est dans le seul but d’empocher les 10.000$ de récompense pour éponger les dettes de Mamie Mildred, enfin, on ne sait pas encore pourquoi joue le basketteur de Basket Belle (Bean !), mais il semble bien qu’une invasion extra-terrestre ait quelque chose à voir là dedans.
Nous comprenons donc maintenant pourquoi le développeur indé rechigne de manière générale à confectionner des jeux de sport et par conséquent pourquoi ceux-là sont si rares. Mais doit-on pour autant le déplorer ? Après tout, ce qui est rare et précieux. Ce proverbe s’applique particulièrement bien ici, car en contrepartie de leur petit nombre, il n’est pas un de ces jeux de sport qui ne se démarque par son originalité. Peut-être qu’au final le traumatisme a du bon. Mens insana in ludum sano.
Notes
[1] Générateur aléatoire de titres de jeux vidéo http://videogamena.me/
Vos commentaires
Ouaicestpasfaux # Le 18 novembre 2011 à 13:55
Sympas ces tentatives d’explication !
Personnellement, je crois beaucoup à la frontières des règles. Qu’est-ce qu’un sport sinon un ensemble de règles ? A partir de là, un jeu qui chercherait à changer une règle ne ferait plus un jeu de sport puisqu’il toucherait à l’essence même du sport en question (ou alors, il faudrait admettre qu’il crée un nouveau sport).
La meilleure preuve reste le jeu de course automobile.
A partir du moment où on sort de la simulation ou de la simple course, on cesse de considérer le jeu comme un jeu de sport : Mario kart, Wipe Out etc. Même les jeux de course d’arcade (Daytona USA, Ridge Racer etc), parce qu’ils changent simplement la gestion du freinage et dérapage - qui confèrent au sport automobile toute sa difficulté - ne sont pas vraiment de jeux de sport, même si le but reste de franchir la ligne le premier.
Tiens sinon, il manque un s à "connu" dans le paragraphe d’intro, et c’est pas très joli.
Pierre Corbinais # Le 18 novembre 2011 à 15:17
J’avais évité la mention des jeux de course automobile parce que je trouvais sa frontière avec le jeu de sport assez floue. Je suis content pour le coup de lire la distinction que tu fais, car elle me semble tout à fait juste. D’ailleurs, les développeurs indépendants ne manquent pas de réaliser toutes sortes de jeux de course, chose que cette absence de règles strictes peut justifier.
Je pense aussi que ces règles du sport jount pour beaucoup dans la rareté du genre côté indé, mais si j’ai donné des raisons un peu farfelues dans l’articles, il y en a une autre beaucoup plus évidente : si le dev indé cherche à créer un pur jeu de sport qui obéit stictement aux règles du genre, il met son jeu en concurrence directe avec ceux des gros studios, et à armes égales, le jeu indé n’a aucune chance.
Par ailleurs, je pense quand même que la première explication donnée dans l’article a un grand fond de vérité. Les dev indés ne sont pas de grands sportifs, et on peut supposer qu’il ne manifestent pas par conséquent un grand intérêt pour ce genre de jeux.
(Merci pour la coquille, c’est corrigé)
Martin Lefebvre # Le 18 novembre 2011 à 17:39
Un jeu de simu indé dont j’azi entendu parler il y a peu sans avoir jamais essayé, c’est Sick As A Parrot : http://www.machoward.com/
Apparemment c’est une version allégée de Football Manager, qui se concentre sur des descriptions et des discussions en lieu et place de chiffres. Ca a l’air pas mal, mais il n’y a pas l’air d’avoir de démo... et comme c’est pas donné, ça donne moyen envie d’essayer.
Une image : http://www.machoward.com/wsmatch.jpg
BlackLabel # Le 18 novembre 2011 à 18:03
Les jeux de sport débiles me manquent. Aujourd’hui le sport est très axé simulation, faut appuyer sur 30 boutons en même temps pour réaliser des trucs normalement simples parce que le jeu cherche à couvrir tout le spectre des possibilités réelles, sorte de Gran Turismo du basket ball ou de l’Ultimate Fighting, et au final je trouve ça chiant et je dois réfléchir pour savoir sur quoi appuyer. L’aspect simu se fait au détriment de l’instinct et de l’immédiateté, pourtant indispensables à ces jeux-là...
J’aimais bien les Windjammers, ou encore le jeu de foot sur Nes où on bastonnait les adversaires et on faisait des supers tirs façon Shaolin Soccer. Ça n’existe plus sur PS360. Même Tony Hawk est devenu Skate est le plaisir est pas du tout au rdv pour moi.
C’est là où l’indé pourrait trouver sa voie. Ces jeux-là vieillissent pas rapidement, justement.
Pierre Corbinais # Le 18 novembre 2011 à 20:11
J’ai pour ma part l’impression que ces jeux de sports débiles comme tu les appelle n’ont pas complètement disparus, ils se sont juste transformés et ne traitent plus du tout de sport : ce sont les party games. Quand je joue à certains de ces jeux, j’ai tout simplement l’impression de me retrouver devant Nagano Winters Olympics sur 64. Après il est vrai que ce dernier est peut-être un mauvais exemple (j’ai surtout le souvenir d’un très mauvais jeu, même si j’ai pu m’y amuser)
Pour ce qui est de Sick as a parrot...j’avoue qu’il ne me fait pas beaucoup envie quant à moi...toutes ces photographies e football...brrr...bon, il faut dire que les traumatismes décrits dans l’articles sont aussi un peu les miens.
Grand Master Boloss # Le 19 novembre 2011 à 02:01
Il n’ y aucune référence à elastomania (x-moto pour les linuxien) dans cet article, c’est un scandale !!
Sinon plus simplement, je pense surtout que c’est lié à une absence de moyen, c’est quand même difficile de créer des jeux avec plein de personnages qui court dans tous les sens, une IA et tous le tintouin ? non ?
Mais en cherchant bien ou on trouve des simulateurs de sport rare comme du trampollin, ou de la corrida, si si !
C’est la que les indés ont quelque chose à jouer je pense, en tant que défricheurs.
Pierre Corbinais # Le 19 novembre 2011 à 12:23
J’ai volontairement omis les jeux de racing pour me concentrer sur le sport pur, celui avec des muscles et de la transpiration ! :
Je suis d’accord avec toi quand tu dis que le jeu indé peut se positionner sur les simulations de sport rares, mais je crois aussi qu’il y aurait encore beaucoup à faire avec les sports plus classiques, et ce, sans même en altérer les règles : pourquoi pas un jeu de football MMO, ou chaque joueur incarnerait un joueur (ouais bon, dit comme ça c’est peu clair) ? Pourquoi pas un autre jeu dans lequel on incarnerait un unique joueur, en vue à la troisième personne ? Pourquoi pas un troisième où on ne serait pas une équipe, mais l’arbitre, et où l’on serait chargé de ne pas manquer les fautes et de distribuer les cartons à bon escient ? Pourquoi pas un dernier où l’on incarnerait une masse de supporter chargée de bien réussi ses holas et de mettre au ban les hooligans ? Si je ne suis pas friand du jeu de foot, je crois que je jetterais volontiers un œil à ceux-là.
Par contre, je doute que l’absence de moyen soit un vrai problème. C’est un peu toute la philosophie du jeu indé, et ça n’a pas freiné la production pour ce qui est de tous les autres genres. Il y a toujours une façon de ruser.
roger # Le 19 novembre 2011 à 13:08
Les gens qui jouent aux jeux de sports "réels" cherchent souvent à voir une simulation de la réalité sur laquelle ils peuvent avoir une influence. Or simuler la réalité demande beaucoup, beaucoup de travail. Ne serait-ce que pour avoir une bonne base de données (voir Football manager). L’aspect graphique est aussi très important, le joueur de sport est souvent un spectateur de télévision (ceux qui jouent à Fifa ou Football manager regardent probablement des matches, de même que ceux qui jouent à Cycling manager aiment probablement regarder le Tour de france voire plus). Il a envie de voir quelque chose qui ressemble à un double de la réalité retranscrite via la télé (ou le stade), mais un double interactif évidemment. D’ailleurs on rajoute des commentaires dans ce type de jeu alors que ça n’a aucun intérêt au final sinon celui de faire "comme en vrai" (comme si le commentaire faisait partie du match ou de la course :D).
Pour moi le jeu de sport "réel" est donc un peu naturellement le territoire de grosses structures, du fait de ses contraintes importantes envers les attentes des joueurs.
Par contre il me semble davantage possible de s’exprimer en indépendant à travers la parodie (comme on le voit avec l’article) ou des sports inventés pour lesquels il n’y a pas de modèle à copier (Speedball pourrait être aujourd’hui un excellent jeu de sport indépendant). Bref là le but n’est plus le parallèle avec la "réalité" mais el fun, et ceux qui s’éclataient sur Speedball n’avaient parfois aucun goût pour le "vrai" sport, qu’il soit pratiqué ou vu en tant que spectateur.
Pierre Corbinais # Le 19 novembre 2011 à 18:12
En effet, n’ayant aucun goût pour le "vrai sport" je me suis éclaté sur Speedball.
Le créneau du développeur indé serait-alors de réaliser des jeux de sports pour ceux qui n’aiment pas le sport ?
Raoul # Le 21 novembre 2011 à 12:43
Au milieu des années 90 Football manager était un jeu indépendant, confidentielle. C’était vraiment un truc nouveau et frais. Un truc dans la ligné des jeux de gestions sur PC.
Football Manager est lui un jeu confidentiel devenue un blockbuster.
Pierre Corbinais # Le 21 novembre 2011 à 18:06
Le truc, c’est que si Football Manager (qui s’appelait alors Championship Manager semble-t-il) était au départ développé par deux mecs dans un garage (ou dans une chambre peu importe), il était tout de même édité par Eidos, ce qui lui donnait une certaine visibilité.
Après, c’est en effet un super contre-exemple de jeu de sport "traditionnel" qui n’est pas développé par un gros studio.
Pierre Corbinais # Le 22 novembre 2011 à 19:54
Hop, dans le même genre, un autre contre-exemple fourni par Cyrille Champrond : Basketball Pro Management, développé par le studio français C2C Games. http://www.basketball-pro-managemen...
Chris212 # Le 15 avril 2014 à 16:36
Je pense aussi que ces règles du sport jount pour beaucoup dans la rareté du genre côté indé, mais si j’ai donné des raisons un peu farfelues dans l’articles, il y en a une autre beaucoup plus évidente.
Chris212 pour http://www.parisfoot.net
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