Crasseux, suintant, désespérant, l’univers de Soma, dernier né de Frictional Games, place le joueur seul face à l’hostilité froide des grands fonds sous marin. Mais pourtant...
...Soma ne fait pas peur.
Voilà, c’est dit. Des géniteurs d’Amnesia : The Dark Descent, sorti en 2010 sur PC et Mac, on s’attendait peut-être à une longue montagne russe horrifique, multipliant les tours afin de nous faire lâcher la manette et rallumer la lumière. Il n’en est rien. De son sadique héritage, Soma n’aura conservé que quelques stigmates, une poignée de jumpscares, quatre ou cinq poursuites paraissant désormais archaïques, et bien sûr l’impossibilité totale pour le joueur de se défendre ou de combattre. Pourtant, le studio suédois aurait tranquillement pu surfer sur le sous-genre qu’il a lui même créé. Dans la foulée d’Amnesia et de son manoir lovecraftien dans lequel on ne vous entendait pas crier, une profusion de titres plus ou moins inspirés ont fait la joie des amateurs de survival horror et autres youtubeurs : Outlast, Slender, Amnesia : a Machine for Pigs (signé The Chinese Room et non Frictional), et l’exceptionnel Alien Isolation. Mais les joyeux drilles de Frictional Games ont préféré laisser de côté les expérimentations horrifiques pour se consacrer pleinement à la narration, principal point fort de Soma.
Soma n’est même pas un bon jeu.
Autant tout de suite exclure ce qui ne fonctionne pas. Soma s’appuie sur une poignée de mécanismes simplets et pourtant assez mal exécutés. Le parcours de notre héros, Simon Jarett, parachuté à un endroit qu’il ne connait pas et dont il ne comprend pas le fonctionnement, sera semé d’énigmes dignes d’un point’n click de seconde zone. Le gameplay de Soma peut se résumer à ouvrir des portes et rétablir le courant pour… ouvrir des portes. Heureusement, pour varier entre quelques ouvertures de portes, un croque-mitaine à l’apparence approximative fera son apparition histoire de sortir le joueur de sa léthargie ludique. Aussi inintéressantes qu’imprécises, ces scènes de cache-cache héritées d’Amnesia ont le mérite d’être rares, laissant place à ce que le jeu a de meilleur à proposer : sa narration.
Traumatisé par un récent accident de voiture qui a coûté la vie à son amie, Simon Jarett souffre de lésions cérébrales qui pourraient mettre sa propre existence en danger. Il accepte de participer à un programme scientifique expérimental visant à scanner son cerveau afin d’en isoler et soigner les cellules malades. Quelques secondes après le scan, Simon se réveille dans un vaste complexe sous-marin abandonné, pourrissant et inquiétant… C’est sa rencontre avec les autochtones, un robot malade hurlant à la mort, une IA féminine particulièrement éloquente ou encore des abominations bio-mécaniques mues par une étrange matière noire, qui permettront petit à petit, énigme après énigme, à Simon de découvrir ce qu’il se passe véritablement sur PATHOS-II.
Qu’est ce qu’un être humain ?
Avertissement : de légers spoilers rôdent dans cette partie.
On aurait pu deviner au titre du jeu (Soma : en grec, le Corps dans sa dimension physique par opposition à sa dimension psychique) que Mikael Hedberg et sa bande allaient jouer avec la crise identitaire du héros pour mieux matérialiser les grands concepts du transhumanisme. Et force est de constater que grâce à son scénario intelligent et sa mise en scène réussie, Soma montre à quel point le jeu vidéo est efficace pour s’interroger sur l’homme-machine. Frictional a calculé que les interrogations du joueur rencontreraient celles de Simon : « Qu’est-ce qu’un être humain ? » En dix petites heures, Soma prend tout son temps pour nous faire découvrir les aspects les plus nébuleux de cette question : l’âme et la machine, la crise identitaire, et même un spectaculaire simulacre pour tuer le « moi » de Simon. Autant de paradoxes mêlant science et fiction que n’auraient pas reniés Mamoru Oshii (Ghost in the Shell) ou les frères Wachowski (Matrix). Mais le jeu vidéo possède ceci d’extraordinaire que, combinées à une narration environnementale efficace, les actions du joueursen font le principal acteur de l’histoire.
C’est que Frictional Games a réussi là où Ken Levine (Bioshock Infinite) se noyait dans un méli-mélo complexe et incompréhensible. Tout dans Soma se met au profit de l’histoire. Des traditionnels logs audio à l’utilisation exceptionnelle d’un décorcauchemardesque, du remarquable travail sonore jusque dans l’architecture de PATHOS-II qui symbolise de manière troublante un acte dévotionnel. A travers les différentes stations du complexe sous-marin, le parcours de Simon est un étrange chemin de croix pendant lequel le joueur devra mourir puis ressusciter pour être reconnu comme le sauveur littéral de l’humanité. Alors certes, le concept est peut être un peu trop martelé 10 heures durant, certes cela manque parfois de finesse, certes le scénario fait très « jeu vidéo », et Simon accepte sa mission sans sourciller comme Atlas doit se résoudre à supporter le monde, mais l’efficacité du récit et son final renversant justifient ces artifices.
Contre toute attente, Frictional Games vient de se trouver une place confortable et solide parmi les studios capable d’écrire et de mettre en scène une grande histoire. Si Soma souffre atrocement de son gameplay, il crée néanmoins la surprise et prouve si besoin est que le jeu vidéo est un médium fantastique pour matérialiser de manière simple des concepts complexes.
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