Final Fantasy XV fait débat chez Merlanfrit. Un second avis par Anthony Jauneaud, grand défenseur du XIII devant l’éternel, pour qui un grand jeu est avant tout un jeu malade. Attention, quelques très légers spoilers.
Une décennie que l’on attend Final Fantasy XV. Une décennie de silences gênés, de promesses balancées à l’E3, de reports discrets, et puis finalement un changement de nom et de statut, le spin off devenant une entrée dans la série principale. Une décennie qui pourtant ne se sent pas dans le jeu, comme si au lieu de pourrir, il avait eu le temps de mûrir.
Une décennie donc, entre l’annonce de l’épisode « frère » (ou plutôt rival vu le titre et le ton), Versus XIII et la sortie de FFXV. Difficile de savoir ce qu’il reste exactement du projet de Nomura (créateur de Kingdom Hearts et character designer sur Final Fantasy depuis le VII) : un concept de jeu de combat en temps réel, quelques personnages, une poignée d’idées, et surtout l’envie de faire un anti-FFXIII.
Épisode décrié, aux systèmes, aux héros et à la structure mathématique et froide, XIII est vécu à sa sortie comme une déception. La modernisation du genre par Square Enix est mal comprise, ou mal reçue. Pas de villages, pas de personnages non-joueurs ou presque, pas de quêtes… la première moitié du jeu ennuie ou repousse ; peu de joueurs verront la seconde partie de l’aventure, plus ouverte, plus chaleureuse, remplie d’objectifs secondaires et de défis à relever. Le mal est fait ; malgré des tentatives de rétropédalage sur certains points, les épisodes XIII-2 et XIII-3 peinent à convaincre et se vendent chacun moitié moins que le précédent [1].
Entre routine et recyclage
Alors, les retards de Versus XIII et la lente agonie de la technologie chez Square Enix poussent l’éditeur à s’ouvrir davantage. Il y a le rachat d’Eidos en 2009. Il y a l’échec cuisant de la première version de FFXIV, puis A Realm Reborn, sa renaissance pensée par et pour les fans. Il y a l’arrivée au sein des équipes japonaises de développeurs européens, dans une entreprise gérée depuis toujours par les artistes. On l’aura sans doute oublié, mais entre 1999 et 2003, Squaresoft, puis Square Enix sortent cinq épisodes de Final Fantasy—un exploit.
Les moteurs et les équipes sont rodés. Les systèmes sont repris et modifiés entre chaque jeu. Par la suite, pour tenir la cadence, il faut ouvrir la série avec des « nouveaux » (Matsuno et son monde d’Ivalice sur FFXII), des spin-offs (XII Revenant Wings), de nouvelles séries (Crystal Chronicles, Dissidia, Theatrhythm), ou bien encore des portages. Et quelque part, alors que la trilogie FFXIII recycle modèles et environnements, il était nécessaire pour tout le monde, joueurs comme développeurs, de briser la routine. De choquer. De « disrupter » comme ils disent à la Silicon Valley.
Autant le dire ici et maintenant, la plupart des choix de ce Final Fantasy XV semblent au premier abord factices, commandés par une sorte de complot marketingo-maçonnique. Tous les « trucs cool » de ces cinq dernières années se retrouvent pêle-mêle dans une soupe à première vue repoussante. The Witcher, Skyrim, Uncharted, God of War, les jeux Bioware… les plus grands succès occidentaux sont aspirés et (mal) digérés, reproduits avec toujours cette nécessité toute japonaise d’ancrer les systèmes dans un réalisme plombant. Un exemple frappant ici : la voiture du héros Noctis peut tomber en panne ; il faudra alors la pousser jusqu’à une station-service. Dans Xenoblade Chronicles X — autre « gros » JRPG occidentalisé —, une assurance protège nos robots avec son lot de malus en cas d’accidents.
Cette artificialité saute encore plus aux yeux lorsque l’on découvre les villes et les environnements de cet opus : une sorte de Havane montagneuse, une énième Venise cristalline, un marécage kaki, des mines, du béton et des bases militaires en veux-tu en voilà. On affronte un bestiaire bien classique, saupoudré de méchas et de snipers bien génériques ; des soldats d’un empire forcément maléfique, tout droit sorti de FFII. Ou VI. Ou IX. Ou XII.
Quelque chose de terriblement lourd accroche le joueur, surtout lorsque l’histoire tente de se construire un enjeu en ressortant du tiroir une pauvre fan fiction de Shin Megami Tensei où des démons envahissent (quasi) Tokyo. Mention toute spéciale au chapitre 13 [2], et ses deux interminables heures bourrées à craquer de mauvaises idées repiquées sans vergogne à Resident Evil 6 et Batman Arkham City (édité par Eidos au départ, la boucle est bouclée). Une purge sans pareille.
Perdu de vue
Sans doute parce qu’après une décennie de patience, plus personne n’attendait rien de ce Final Fantasy, ni les joueurs, pressés d’en finir pour passer à autre chose, ni Square Enix. À mesure que le développement s’enlisait, on se doute bien que plus personne ne trouvait rien à redire, l’urgence étant de sortir quelque chose à tout prix. L’histoire, plutôt émouvante une fois mise à plat et comprise, est massacrée par un rythme catastrophique et des ellipses abrutissantes. L’univers étendu vu dans le magnifique mais nul Kingsglaive, ou encore la série Brotherhood est sous-exploité.
Les personnages féminins, d’habitude l’un des points forts de Final Fantasy, ne sont ici que de vulgaires clichés, quand elles ne semblent pas sorties du sexisme le plus laid. Et enfin, le système de combat explosif, presque épileptique, est fait avant tout pour vendre et faire joli ; manette en mains on reste, disons-le poliment, perplexe.
Là où XII et XIII se focalisaient sur le pouvoir par les mécaniques, transformant les joueurs en programmeurs et en chorégraphes, XV concentre sur son attention sur les particules, les déchaînements et les effets. On bloque une attaque avec une QTE, on sauve le monde avec trois pressions de rond et un petit coup de triangle. Même après dix ans, XV reste un Versus XIII, un contraire chaud et bouillonnant nécessaire pour contrebalancer la froideur mathématique.
Final Fantasy Y
La preuve, s’il en fallait encore une, se trouve dans les tests et les notes. Rarement on a vu un jeu aussi cassé et bordélique recevoir une aussi bonne presse. Car, au fond, XV est dans l’air du temps tout comme VII en 1997. C’est un produit de son époque, dans la démesure et la frime, qui cherche le plaisir immédiat. Faisons un rapide inventaire…
Rempli de vrais secrets et de donjons mystérieux, il fera parler de lui pour quelque temps. Il met en scène une « bromance » avec comme personnages principaux des « jeunes de la génération Y », qui jouent sur leurs smartphones, qui partagent leurs photos sur Twitter et qui ne ratent pas une occasion de se vanner (sans doute la meilleure chose de tout le jeu d’ailleurs). Il consacre une attention presque ridicule au foodporn avec des modèles 3D ultra-détaillés. Il offre ce qu’il faut de nostalgie avec ses compils’ Final Fantasy pour la voiture quand ce n’est pas Prompto qui se met à siffler le mémorable thème de victoire.
En réalité, les bonnes notes et le plaisir chaleureux que nous offre XV tient à un point : il nous fait jouer nous-mêmes, fans de Final Fantasy dans un monde pour fans de Final Fantasy. Les héros adorent les chocobos, les prennent en photo, les soignent. Leurs soirées au coin du feu sont l’occasion de confidences et de chambrages en règle. Les valeurs partagées sont réelles, proches de nous. Peut-être malgré lui, Final Fantasy XV aborde des concepts qui frappent notre génération : responsabilités, normalité, appartenance. La présence dérangeante de publicité dans le jeu — Cup Noodles, Vivienne Westwood et American Express entre autres — nous rappelle notre quotidien bombardé d’annonces commerciales.
Et c’est là que XV étonne. Tant pis si ses mécaniques sont brouillonnes et s’il est bourré d’erreurs quasi inadmissibles en 2016 ; il parle directement à sa cible, presque sans filtre… une première dans cette série « fantasy. » Et cette modernité, volontaire ou non, fait écho à Uncharted 4, dont l’enjeu consiste à faire — enfin — sortir Nathan Drake de l’adolescence. Celui de Final Fantasy XV, adulte immature et irresponsable, découvre sa place dans le monde et l’embrasse pleinement au terme d’une éprouvante aventure. Deux générations, deux publics, mais un seul message adressé aux joueurs : « on vous a compris. »
Les screenshots sont fait maison.
Pour continuer la lecture : un article passionnant de FFWorld sur le développement du jeu.
Vos commentaires
# Le 10 décembre 2016 à 18:05
Nicolas à gagné le premier round, car malheureusement cet article est moins réussi. Le spoil semble mal employé en plus, n’est même pas nécessaire dans le corps de l’argumentation, dommage. Surtout que j’aime beaucoup Anthony d’habitude <3
Grm # Le 12 décembre 2016 à 21:04
J’ai bien failli acheter le jeu, sur un coup de tête. Simplement pour offrir à rêver à mon âme d’enfant, et en espérant que le voyage pourrait en valoir la peine. Mais l’adulte raisonnable que j’essaye d’être a vite mis un sceau d’eau dans son vin. Alors voilà. Le voyage en vaut-il la peine ?
Je ne suis pas l’heureux possesseur d’une console de génération actuelle donc je vais me tâter encore un peu... Pour le même prix, je pourrais m’offrir un vrai voyage. Peut-être pas aussi loin ceci dit ^^
Merci pour vos articles en tout cas. C’est toujours un plaisir de vous lire.
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