S.T.A.L.K.E.R. : Shadow of Chernobyl, Metro Exodus

From Novossibirsk with love

Je t’écris de Novossibirsk. Le temps est pourri, vraiment, de quoi me faire regretter nos dernières vacances boueuses dans le grand nord, tu vois le délire. Et puis il y a les radiations, qui ont grillé ma lampe torche avec l’ensemble de mon matos. Ça doit te sembler anecdotique, mais j’aimerais bien t’y voir, à avancer à tâtons dans ces souterrains remplis d’araignées géantes. Heureusement qu’il me reste la flamme de mon briquet, à la lumière de laquelle je prends ma plus belle plume pour t’écrire que Novossibirsk, avec son blizzard toxique, c’est aussi un peu le paradis.

Je sais pas pour toi mais moi, je retiens surtout de la sortie de Metro Exodus une controverse futile sur fond d’exclusivité, tu sais, parce qu’Epic avait décidé de tailler des croupières à Steam. Puis plus grand chose, à peine sorti, vite oublié. Pas qu’il s’agisse d’un mauvais jeu, loin de là : la critique l’avait apprécié, louant son immersion, et les joueurs semblaient conquis. On aurait pu parler de beau succès si quelques mois plus tard n’avait déferlé ce truc de cow-boys que tout le monde attendait comme le messie parce qu’un stagiaire sous-payé avait modélisé la rétractation des couilles des chevaux, et hop, Exit Exodus.

Après les deux mois qu’on vient de passer, t’imagines que j’avais bien besoin de dépaysement. Mais va savoir pourquoi mon regard s’est arrêté sur lui... De qui je me moque, j’imagine ta tronche d’ici, on sait très bien pourquoi : depuis toutes ces années je suis hanté par le souvenir d’un autre voyage et je te bassine avec mes histoires d’excursions solitaires dans les environs de Pripyat. Il faut dire que je n’ai jamais rien vécu de tel depuis : Metro 2033 et Last Light tentaient certes de relever le gant, mais entre leurs couloirs étroits aux monstres scriptés et les zones ouvertes finement ouvragées de S.T.A.L.K.E.R., il n’y avait pas photo. Sans parler de cette vilaine habitude qu’ils avaient de te coller un compagnon bavard dans les pattes à chaque excursion. Tu vois de quoi je parle : difficile de se prendre pour un vieux briscard solitaire quand un type te raconte son repas de la veille tout en te bloquant le passage vers la sortie.

Exodus avait naturellement attisé ma curiosité dès ses premières images, avec sa promesse de nous faire enfin quitter le métro pour arpenter des paysages russes, de Moscou à la Sibérie. Mes premières impressions de jeu m’ont pourtant fait peur, tant elles ressemblaient aux opus précédents : couloirs sombres, gros monstres et types intarissables. Me croyant victime d’une arnaque marketing, j’ai bien failli lâcher l’affaire, et puis c’est lui qui m’a planté sans prévenir au milieu de la Volga avec ma carte, ma boussole, mon masque à gaz et ma kalach. Tout seul.

Le Fils Prodigue

Ça m’a fait tout bizarre, tiens, de retrouver ce frisson d’adrénaline en partant à l’assaut d’un camp de bandits, ce picotement dans la nuque lorsque je suis allé chercher des puces à un gros mutant au fond de son terrier, cette impression d’être profondément, désespérément seul. Toutes ces sensations datant de S.T.A.L.K.E.R. me sont revenues en arpentant la Volga, c’était magique, comme de retrouver un vieil ami trop longtemps perdu de vue.

Tu sais que je n’en peux plus des AAA modernes, parcs d’attractions remplis d’objets à collecter, d’arbres de compétence superflus et de quêtes Fed-ex. La Volga dans Metro Exodus, c’est tout l’inverse : un monde pas bien grand, ramassé et et organique, où tu ne sais jamais où tu vas mettre les pieds. C’est un jeu sans gras, qui a bien compris que tout le monde n’a pas trois cent heures à consacrer à chaque voyage. Je m’emmerde devant les blockbusters récents parce qu’ils n’ont aucun rythme, et de ce côté là, Exodus est le digne rejeton de S.T.A.L.K.E.R.. Il a le même tempo sec, un instant de repos entre deux moments de tension, pas d’allers-retours, pas de temps mort.

Et puis Exodus déploie une science du petit espace : ses donjons ne sont jamais immenses mais se déplient en accordéon, regorgeant de belles surprises. Je t’invite comme moi à te perdre dans les ruines industrielles de la Volga pour apprécier l’art maîtrisé du level design labyrinthique. J’ai erré avant de trouver mon chemin sur des passerelles vaseuses, guidé imperceptiblement par des effets de lumière ou de cadre. Exodus ne s’embarrasse pas d’un marqueur de quête ou d’une vision « 6e sens », sa carte est famélique et c’est tant mieux : tu as l’impression de retrouver ton chemin seul, sans qu’on te prenne par la main. Bien sûr c’est une illusion, mais ça marche. Dis-moi, quand est-ce qu’un jeu t’as fait ressentir ça pour la dernière fois ?

Tu l’auras compris, je me suis régalé de la finesse du travail des développeurs d’Exodus en arpentant la Volga. Forcés d’adapter la formule de S.T.A.L.K.E.R. aux standards de 2020, ils sont parvenus à produire un jeu bien moins austère et hermétique, sans rien sacrifier des sensations de leur modèle. Il y a donc des systèmes de craft  [1], et l’inventaire ou la barre de vie ont disparu. Et alors ? On meurt toujours aussi souvent, et il arrive bien un moment où l’on fouille le fond de ses poches à la recherche de son dernier chargeur face à un mutant un peu trop coriace. Les puristes pourront certes pinailler que ce n’est pas pareil, mais personnellement j’en ai fini avec ma période hardcore gamer, et je me dis que si Exodus parvient ainsi à séduire des joueurs que la rudesse de S.T.A.L.K.E.R. aurait découragés, c’est toujours ça de pris.

Voyage organisé

Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Alors nous avons quitté la Volga pour s’enfermer dans un bunker situé sous l’Oural, une belle idée de merde si tu veux mon avis, qui signait le retour en fanfare des couloirs et des compagnons qui jactent. Après être tombés sur des tarés cannibales, on est partis passer l’été du côté de la Caspienne, devenue un désert rempli d’esclavagistes et de puits de pétrole. J’en ai gardé quelques beaux coups de soleil. Deux-trois étapes de plus et puis voilà déjà la fin de la ligne : l’hiver glacé de Novossibirsk.

Un bien joli périple me diras-tu. C’est l’avantage d’assembler de petits espaces plutôt que de parier sur un grand monde soi-disant ouvert : tu peux profiter de l’ellipse, varier les destinations et les saisons, et c’est comme ça que j’ai pu traverser la Russie sur une année en moins d’une vingtaine d’heures. Mais tu remarqueras cependant que tout ce programme sent un peu trop le déjà-vu post-apocalyptique. Je sais pas pour toi mais je commence à en avoir ma claque de l’humanité devenue folle, et puis en 2020 il aurait été bien de nous proposer autre chose qu’une resucée de Mad Max. C’est un peu le grand drame d’Exodus  : s’il parvient à mettre à jour avec brio les mécaniques d’un jeu datant des années 2000, du côté du propos et de la narration ça ne suit pas.

Alors son protagoniste mutique – un cliché comme on ose plus en faire – est entouré de Spetsnaz aux grand cœur et d’un seul personnage féminin qui n’en finit pas d’être demoiselle en détresse. Tout ce lourd casting n’a aucune ambiguïté, aucune originalité et ne raconte presque rien : on est les gentils, tu vois, et même si on massacre pas mal de monde en cours de route, ça nous arrive de les assommer d’une tape sur la tête alors tout va bien.

Ce ne serait pas si grave si, une fois passé la Caspienne, Exodus ne se transformait pas dans le même temps en voyage organisé. La frontière qui sépare le jeu de survie sous pression du tir au pigeon est fine, tu le sais : il suffit de comparer les deux premiers Far Cry au troisième. Lorsque je me suis rendu compte que les sentinelles me tournaient un peu trop opportunément le dos lors des phases d’infiltration, et que mon Tikhar – un fusil à air comprimé silencieux et mortel comme un vieux pet – me permettait de me sortir de la plupart des situations, la tension s’en est trouvée sacrément dissipée.

Je te laisse imaginer ma déception, qui fut à la hauteur des espoirs suscités par mon passage sur la Volga. La nostalgie a encore gagné, et Exodus n’est pas parvenu à égaler le souvenir que je garde de S.T.A.L.K.E.R.. Il y a quelque chose de rageant à le voir échouer si près du but, et j’imagine que c’est toute la différence entre un bon jeu d’une œuvre majeure. Mais je ne voudrais pas paraître aigri : honnête travail d’artisan, Exodus a ses moments de grâce, pendant lesquels il tient la dragée haute à son prédécesseur.

C’est le cas de la fin de mon voyage. Les couloirs glacés du centre de recherche de Novossibirsk, d’où je t’écris ces quelques lignes, n’ont rien à envier à la plongée anxiogène dans le laboratoire X-18. Je suis seul, entouré de cadavres et je crois que je commence à halluciner. C’est le froid, ou peut-être les radiations. Les cartouches qui me restent se comptent sur les doigts d’une main, car je viens de vider plusieurs chargeurs sur un mutant énorme. Tu devrais voir la carrure de ce truc... Je peux entendre ses potes tourner dans le coin, et ils n’ont pas l’air contents. Ils approchent, ils cognent contre la porte. Il ne leur faudra pas longtemps pour la défoncer, alors j’espère que cette lettre te trouvera en bonne santé et je te souhaite de...

Notes

[1] implantés avec intelligence : si le jeu te permet de coller deux bouts de métal pour fabriquer une grenade ou des cartouches de fusil, il ne te laisse le faire qu’à certains endroits – sur un établi plus précisément. Tu devineras bien ceux-ci sont assez rares, et que vient un moment dans chaque souterrain où tu te mets à prier pour en trouver un.

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