« Friendly in Cherno ? »
DayZ, l’équilibre non-coopératif et la morale
On meurt beaucoup dans le mod DayZ pour ARMA2...et le plus souvent sous les balles des autres joueurs. Paradoxal, pour un jeu a priori coopératif ? Si la problématique du PvP (attaque d’un joueur par un autre) ne semble pas nouvelle dans l’histoire des MMO [1], la brutalité des rencontres fortuites et de la mort semble y être la règle sur les serveurs, ce qui en fait selon moi une expérience individuelle et collective singulière, qui peut être éclairée par les apports de la théorie économique... et même de la philosophie morale.
Depuis la sortie du mod DayZ pour ARMA2 et l’engouement rapide qui a suivi, de nombreux papiers ont été publiés, un blog comme RockPaperShotgun ayant produit une véritable rafale d’articles au sujet de ce jeu, révélatrice de la frénésie passionnée qu’il suscite. Et il faut bien reconnaître qu’il offre une expérience unique par son ambiance, mais aussi sur le plan de l’expérimentation sociale en temps réel, dont n’importe quel sociologue, économiste ou anthropologue adepte de méthodes expérimentales a toujours rêvé.
Il ne s’agit pas ici de livrer une critique ou de simples impressions de jeu, comme on peut en lire ici ou là. Je voudrais focaliser ici l’attention sur la gigantesque expérience socio-politique en temps réel que constitue cette simulation multijoueurs de survie post-apocalyptique où l’on meurt beaucoup, principalement sous les coups des autres joueurs.
DayZ n’est pas un jeu de zombies
La première chose qui saute aux yeux rapidement est que, sous couvert d’une mécanique de survival horror à base de zombies agressifs et nombreux, la principale cause de « mortalité », pour des joueurs ayant suffisamment d’expérience pour s’être habitué aux patterns des zombies (il suffit de ramper), ne provient pas des hordes de zombies pilotés par l’IA, mais principalement des autres joueurs. C’est ce qui fait la singularité et de ce mod, et ce qui rend l’expérience vraiment troublante.
Si ce mod est classé comme un jeu coopératif, et que le fait de jouer avec des joueurs que l’on connaît est un des ressorts excitants du jeu, les serveurs sont néanmoins peuplés de joueurs connectés en solo, et cherchant à survivre le plus longtemps possible. Or, le paradoxe et non des moindres est le suivant : basé sur le principe de la coopération pour se défendre collectivement contre une menace envahissante et mortelle - les zombies - le mod est devenu en quelques semaines le prototype du jeu non-coopératif, où (presque) tout le monde finit par tuer (presque) tout le monde, ce qui finit par inspirer un certain fatalisme et une certaine incrédulité face à l’émergence du pire ordre possible, celui du massacre généralisé, dès lors que la « moralité » est laissé à l’initiative des joueurs.
Ce que le jeu nous apprend sur le jeu en réseau, et non sur l’existence réelle
Bien entendu il ne s’agit pas de déplorer d’une quelconque façon cette attitude ni de se plaindre de l’éternelle impéritie de la « nature humaine », mais bien plutôt de déjouer les mécanismes proto-politiques de l’émergence du désordre et du meurtre systématique comme règlement rationnel des rencontres fortuites. Car c’est le résultat objectif d’une telle expérience, ouverte a priori à toutes formes d’équilibres alternatifs.
Le scénario de survie justifie bien sûr le côté pseudo-réaliste de la stratégie non-coopérative : on joue bien à sauver sa peau et à survivre (trouver de quoi manger, boire ainsi que des munitions), et dans ce cadre, le meurtre et le pillage constituent bel et bien une option réaliste – ce qui est observable dans tout conflit, catastrophe naturelle ou guerre civile réelle – à partir du moment où il n’existe plus d’institution régalienne (une police). Mais la comparaison s’arrête là, car il s’agit d’un jeu, d’autant plus où, dans la version alpha actuelle, la survie n’implique aucunement le meurtre. Il ne s’agit donc absolument pas d’inférer de la résolution systématiquement paranoïaque et violente émergeant spotanément à l’issue des rencontres se produisant dans le jeu quoi que ce soit de réaliste concernant la vie réelle dans une telle situation : il s’agit bien de s’interroger sur un processus de coordination – ou de non-coordination – émergeant dans un mod de jeu FPS multijoueur, où il est possible de simuler le meurtre d’inconnus, et rien de plus.
Car on peut légitimement se poser la question d’une telle mécanique dans un jeu, où l’on peut revivre (respawner) à l’infini sur la plage, et où il n’est évidemment pas question de survie réelle, même si la nature même du jeu fait que chacun prend au minimum au sérieux le fait de gagner ou perdre (ici mourir en se faisant piller le résultat d’une accumulation patiente de nombreux loots). Cependant, dans un tel cadre ludique, on pourrait imaginer que la pression de la « survie » - et donc du mobile éventuel du crime et du pillage - n’étant que simulée, les joueurs aient envie de tenter autre chose que l’expérience lassante et peu variée où celui qui tire le premier l’emporte – temporairement jusqu’à ce qu’il soit éliminé à son tour, variante sophistiquée du jeu du « chat », ou dans une version plus adulte, celle du « chat-bite »...
Or, tout porte à croire que ce n’est pas ce qui se passe : les stratégies hostiles semblent l’emporter encore plus que dans une situation réelle de survie dans un monde de rareté, rendant le jeu plutôt ennuyeux dans la durée. Pourquoi ?
Stratégie cynique vs stratégie pacifique ?
Le concepteur du mod, en intégrant la possibilité du « PVP » (attaque d’un joueur par un autre) a en effet sciemment introduit cette feature (ce ressort ludique) dans le mod, comme étant une option, idée en soi lumineuse car elle ajoute indéniablement du stress et donc du plaisir dans un jeu déjà angoissant en lui-même. Comme tout processus émergent, ce qui est intéressant est que la dynamique sociale qui en découle, à l’intérieur du jeu, échappe plus ou moins totalement à son créateur.
Le mod étant une version alpha, le développeur lui-même, conscient de l’importance de cette mécanique et de ses conséquences sur le « gameplay », a tenté différentes variations par tâtonnements successifs pour trouver un équilibre. Une des premières options consistait en la possibilité d’identifier chaque joueur en pointant son arme sur lui, en affichant son gamertag, ce qui a un impact considérable sur la possibilité d’un cheminement vers un équilibre coopératif ou non : a moins de changer de nom ou de serveur incessamment, cette option laisse la possibilité de mémoriser et d’identifier les comportements passés de tel ou tel joueur – et donc d’agir en conséquence de façon différenciée en fonction des autres joueurs. Nous verrons que cette mémorisation a un impact considérable en théorie des jeux, sur l’émergence ou non d’un équilibre coopératif.
Un autre mécanisme implémenté dans les premières versions était le fait d’appliquer une apparence spécifique aux criminels patentés – ceux qui tirent sans sommation les premiers - le fameux « bandit skin », permettant là-aussi de stigmatiser et de repérer immédiatement l’histoire morale des personnages par leur apparence visuelle. Cette mécanique a elle aussi été supprimée par l’auteur, ce qui fait que la version actuelle du jeu ne laisse absolument aucun indice visible du comportement passé du joueur, et laisse le « crime » largement impuni.
« Friendly in Cherno ? »
Inutile de dire qu’une telle mécanique ne laisse absolument aucune chance au joueur pacifique, particulièrement s’il joue en solo : c’est la prime systématique au cynique et au tueur sans concession. Certains arguments ont tenté de justifier l’abandon de ce « bandit skin » au nom du réalisme : en effet, aucun criminel, en dehors des Rapetou ou des Dalton, ne se balade avec un costume affichant ouvertement sa moralité défaillante. Cependant, l’argument ne tient pas une seconde, parce que, comme tout jeu, le mod DayZ est basé sur des conventions, par sur la réalité. Ainsi, le fait de pouvoir dialoguer avec n’importe quel joueur à n’importe quel endroit sur la carte n’est en rien réaliste et ne dérange personne pour autant. Cette feature donne ainsi lieu à ces questions incessantes et surréalistes sur les intentions supposées des uns et des autres dès lors qu’on entend des coups de feu ou qu’on distingue un autre personnage dans sa ligne de mire : « Friendly in Cherno ? ». Ces dialogues de sourds sont parfaitement absurdes, au delà du fait qu’on ne sait jamais qui parle à qui, parce que le joueur « non-friendly », quoiqu’il réponde à la question verbalement, y répondra de toutes façons par un tir bien placé.
Ces questions incessantes sur l’intentionnalité des autres joueurs montrent toutefois que certains joueurs aimeraient bien éviter le massacre systématique. On aboutit à ce curieux paradoxe d’une expérience ludique où l’on aura jamais entendu autant d’appels au pacifisme et à l’ « amicalité » que dans ce jeu où tout le monde ou presque passe son temps à s’entretuer ! Il ne s’agit pas ici de discuter des choix du concepteur du mod, mais plutôt de comprendre quels comportements collectifs ces choix induisent. Il ne s’agit pas non plus d’en tirer des enseignements hasardeux sur la « morale » du joueur moyen de JV en ligne, mais de comprendre en quoi ces comportements s’appuient sur une base individuellement rationnelle (survivre dans un contexte de rareté), bien que collectivement désastreuse (la guerre de tous contre tous), à la manière du capitalisme contemporain. Un petit détour par la « théorie des jeux » peut permettre d’y voir plus clair.
Le dilemme du prisonnier : la coordination supérieure à l’absence de coordination
La théorie économique néoclassique prédit que l’agrégation non coordonnée au niveau central de comportements basés sur la poursuite rationnelle de fins quelconques conduit à un optimum (la meilleur situation possible) : cela justifie l’absence d’intervention d’une quelconque puissance publique (un Etat) ou d’une coordination politique centralisée (des élections ou une concertation par exemple). Mais ce résultat résulte de l’hypothèse non réaliste d’information parfaite sur les actions des autres agents. Le courant de la théorie des jeux, né dans les années 1940, est venu apporter une contradiction majeure à cette théorie, en démontrant que, dans certaines conditions, en particulier dans un univers d’information imparfaite, la coordination aboutit à des résultats supérieurs aux simples décisions individuelles non coordonnées.
L’exemple fameux du « dilemme du prisonnier » illustre ce cas où deux condamnés risquent moins en se disculpant simultanément l’un l’autre qu’en s’accusant chacun de son côté : la non coopération entraîne ici un équilibre sous-optimal (l’accroissement de l’utilité des uns ne peut s’exercer sans la dégradation de celles des autres). Ce processus vient d’une règle fondamentale en théorie économique dans un univers d’information imparfaite, où les actions des uns sont basées sur les anticipations des autres, et vice-versa : il y a circulation circulaire des anticipations, donc a priori formation d’une boucle d’indécision infinie, mais qui doit forcément aboutir à une règle rationnelle de comportement. Or, dans un processus de jeux répétés, l’impossibilité d’anticiper parfaitement l’action de l’autre conduit à l’adoption de stratégies procédurales, par le tâtonnement et des séquences essai-erreur : les agents finissent par adopter des stratégies liées à l’habitude de "ce qui marche" ou "ce qui ne marche pas", en fonction des actions des autres, ce qui finit par stabiliser les comportements, et donc rendre les anticipations de plus en plus réalistes.
Un tel processus peut conduire parfois à des divergences indéfinies, comme dans le cas du jeu pierre-ciseau-papier-puits où la seule règle minimisant les pertes consiste à adopter une stratégie également changeante (et où les probabilités de chaque type d’action sont égales). En effet, dans des jeux répétés de ce type, l’adoption d’une stratégie unique - annoncer la pierre à chaque fois par exemple - est systématiquement perdante : l’adversaire chosira systématiquement le puits. Dans le cas du dilemme du prisonnier, le fait que chaque agent est empêché de coordonner son action avec l’autre, entraîne chacun d’entre eux spontanément à préférer une décision non coopérative vis-à-vis de son partenaire lié dans le processus : chacun dénonce l’autre ce qui conduit à la plus lourde peine pour les deux.
Or la rencontre inopinée de deux joueurs dans DayZ, conduit presque systématiquement au tir hostile, qui correspond justement à ce cas de figure sous-optimal, dans le sens où le gain de l’un (la survie) ne peut se réaliser que par une perte pour l’autre (ici la mort), ce qu’on appelle un jeu à somme nulle, alors même que la coordination conduirait à un jeu à somme positive : tout d’abord la survie des deux joueurs, et éventuellement la possibilité de s’entraider temporairement pour atteindre tel ou tel objectif (rejoindre une ville peuplée de zombies et pleine de loot).
Les comportements se stabilisent donc peu à peu vers la situation qui assure finalement le taux de survie individuelle le plus élevé à un instant donné, et simultanément l’espérance de vie la plus courte au niveau collectif à long terme. La généralisation de ces comportements confortent dans le même temps les anticipations d’une rencontre hostile, qui deviennent vérifiées rationellement a posteriori, ce qui conduit à un cercle vicieux...exactement à la manière de l’éclatement d’un bulle spéculative sur un marché financier (les anticipations à la baisse se renforçant mutuellement, et étant validées a posteriori par le comportement des autres).
Cette tendance systématique de la convergence vers la plus mauvaise situation sur le plan collectif repose sur des causes parfaitement rationnelles qui tiennent à la séquence décisionnelle suivante :
l’absence totale d’information sur les intentions de l’autre agent, avec la disparition des « noms » et des « skins » repérables, fait de chaque rencontre un événement hautement dangereux.
la létalité d’un seul coup de feu dans le jeu donne nécessairement une prime quasi gagnante au premier qui tire, si jamais un joueur anticipe l’hostilité de l’autre (ce qu’il a tendance à faire compte tenu de l’aspect cumulatif des anticipations croisées).
la nécessité d’être le plus rapide - une fois que l’hypothèse d’hostilité réciproque est établie – implique de réagir par réflexe, et donc empêche d’envisager toute autre forme de réponse. La maximisation des probabilités de survie implique donc, dans ce cadre non-coopératif, de tirer sur tout ce qui bouge en étant le premier, ce qui ne laisse aucune chance au dialogue ou à la coopération où à quelque autre forme de résolution.
la confrontation par un joueur novice à des situations où il se fait systématiquement buter sans sommation en cas de rencontre – pour les raisons précitées - constitue une sorte d’apprentissage, appelée « rationalité procédurale » en théorie des organisations, et lui fait peu à peu adopter ce comportement hostile a priori, qui est dans ce cadre le plus rationnel.
l’équilibre qui s’établit spontanément est donc de nature non coopérative, puisque le comportement le plus rationnel consiste systématiquement à tirer le premier sur l’autre.
cet équilibre est non optimal, car il conduit à une hausse considérable de la mortalité au plan collectif, et cet équilibre se renforce spontanément du fait qu’il stabilise les anticipations des agents vers l’hypothèse la plus défavorable collectivement, celle de l’intentionnalité hostile a priori : c’est un cercle vicieux typique.
Hypothèses pour l’établissement d’un équilibre coopératif
Cet équilibre non coopératif est paradoxalement peu représentatif des équilibres observés dans la réalité sociale. Bien au contraire, la plupart des sociétés, y compris dans des situations extrêmes, on assiste au développent spontané de règles destinées à favoriser la coopération : délibération, mise en place de règles juridiques, démocratie, négociation etc... Même la guerre, situation pourtant hautement violente, entre dans le cadre de conventions internationales (celles de Genève).
Le caractère essentiel qui manque finalement au réalisme de DayZ, non pas au sens d’une description fidèle de la réalité, ce qui n’a aucun sens pour un JV, mais d’une représentation conforme du processus de coordination entre les sujets est l’absence de « mémoire » du jeu, du fait des choix de gameplay évoqués plus haut. Dans la réalité économique et sociale, la plupart des équilibres de Nash convergent vers une coopération consentie par tous, liée à la mémorisation des comportements passés des autres sujets, du seul fait qu’ « on ne se fait pas avoir deux fois ».
Or, dans Dayz, il n’y a aucune trace mémorielle des rencontres passées, l’équilibre correspond à un « jeu simultané » : les deux agents prennent leur décision en même temps, sans aucune connaissance du passé de l’autre. A l’inverse, la vie économique, politique et sociale – et même guerrière - présente la plupart du temps des situations de « jeux répétés » ou « jeux séquentiels », où chacun dispose d’une connaissance, même partielle, des stratégies passées de l’autre agent. Dans l’expérience courante, une forme triviale de cette rationalité est la « réputation », et ce n’est pas un hasard que ce principe soit présent dans de nombreux jeux en ligne : le fonctionnement même de la consommation en régime concurrentiel est basé sur ce principe, c’est pour cela que les marques existent, ce qui simplifie considérablement la décision du consommateur. La même chose s’applique au dilemme du prisonnier : le fait de jouer plusieurs séquences avec tel ou tel profil de joueur finit par faire émerger un équilibre adapté - chacun adopte de façon procédurale, par tâtonnement la stratégie gagnante qui diffèrera selon qu’on rencontre un joueur coopératif ou un joueur adepte des solutions non-coopératives.
Il est intéressant que le créateur de DayZ ait eu l’intuition de ce mécanisme en introduisant les « bandit skins » et la visualisation des identités « ingame » à l’origine : de façon évidente, un joueur systématiquement hostile sait à quoi il s’engage s’il se lance dans une carrière de « bandit », sa probabilité de survie se trouvant potentiellement considérablement dégradée (tout le monde lui tire dessus), ce qui est forcément dissuasif. L’équilibre qui s’instaure est alors moins systématiquement favorable à l’incitation généralisée au meurtre, même si le challenge lié à un tel choix laisse cette stratégie possible pour les joueurs aimant vivre dangereusement, ce qui explique la permanence certes marginale des comportements délinquants dans la société réelle. Je trouve curieux que le développeur ait fait le choix du « jeu simultané » sans mémoire au détriment de la solution du « jeu répété », bien plus réaliste sur le plan des interactions humaines, même si le gameplay définitif n’est pas encore stabilisé dans la version alpha du mod.
DayZ, Kant et l’éthique
Les mécaniques de DayZ illustrent aussi un des grands principes de la philosophie morale kantienne, et tendrait même à démontrer la fragilité d’une telle morale reposant sur les seules décisions individuelles des sujets. La maxime éthique bien connue de la philosophie de Kant s’énonce à travers l’ « impératif catégorique » suivant : « agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir que cette maxime devienne une loi universelle . » L’argument de Kant consiste à démontrer l’irrationalité d’une posture amorale ou immorale qui conduirait en dernière instance à la négation de ce que chaque sujet désirerait pour lui même en agissant de telle ou telle façon : toute action individuelle doit être vue au regard des conséquences nécessaires de son application universelle.
Ainsi, si j’agis de façon à frauder le fisc en me dérobant systématiquement aux impôts, dans le but d’accroître ma satisfaction personnelle à travers une consommation accrue, le fait même que tout le monde fasse la même chose tarit les ressources publiques et conduit à la destruction de l’appareil d’Etat, ce qui en dernière instance fait décroître mes possibilités d’existence, et conduit ainsi à une contradiction intrinsèque. Le même raisonnement peut s’appliquer au meurtre, au vol, au viol etc...
Or, les mécaniques de DayZ conduisent systématiquement à la violation de l’ « impératif catégorique kantien ». Si l’on suppose en effet que le but du jeu est la maximisation de son espérance de vie dans le jeu – qui est l’objectif affiché sur la page d’accueil du mod – alors le choix systématique d’un principe d’action consistant à tirer sur tout le monde dans l’objectif de survivre conduit au résultat inverse : la réduction généralisée de l’espérance de vie de tous, et donc de la sienne propre. On voit cependant dans un processus émergeant qu’est ce mod, que cet impératif soi-disant « catégorique » a peu de chances de devenir une maxime universelle, bien au contraire. La morale kantienne n’est absolument d’aucun secours dans le monde de DayZ...
Autres enseignements d’une expérience singulière
Il peut paraître bien inutile de faire des détours par la « Théorie des jeux » ou par la philosophie de Kant pour décrypter les mécaniques d’un mod pour une simulation militaire, et l’on peut effectivement examiner des arguments plus prosaïques expliquant la dérive très rapide du jeu vers une sorte de « tir aux pigeons » amélioré.
D’une part, comme cela a été souligné, l’affect prédateur n’a pas pris entièrement le pas sur l’affect coopératif dans le jeu. J’ai pu en quelques semaines de jeu en solo faire l’expérience de rencontres inopinées ne conduisant pas systématiquement à l’ »instant headshot ». Les appels répétés au « Friendly in... ? », mais aussi la rencontre pacifique, voire altruiste existent : je me suis fais une fois transfuser sans avoir rien demandé par un joueur. Il semble qu’une tentative de formation d’une « croix-rouge » constituée de « docteurs » se spécialisant dans l’aide humanitaire ait été proposée par un groupe de joueurs. Initiative pathétique mais néanmoins intéressante au sein d’une telle expérimentation collective ouverte et gratuite (au sens de l’absence d’enjeux réels).
Une autre évolution possible du mod est l’émergence spontanée de clans. L’insécurité généralisée conduit en effet spontanément à la formation de bandes ou de clans, et j’ai pu voir sur certains serveurs la formation de telles bandes, suivant la plupart du temps une solidarité linguistique (méfiez-vous des serveurs peuplés de joueurs parlant le russe, en général, ça sent mauvais). Mais le créateur a l’air décidé à bannir une telle dérive : en effet, une évolution logique du jeu est la constitutions de solidarités sélectives, impliquant fidélité absolue au clan et hostilité générale vis-à-vis des non membres, ce qui ressemble furieusement aux mécaniques classiques des FPS multi. De ce que j’ai compris de la réticence de l’auteur, une telle évolution enlèverait en effet tout ce qui fait la singularité du mod DayZ : on se retrouverait avec alors avec la bonne vieille mécanique du FPS multi, où la « team » bleue doit écraser la rouge...sans intérêt, ça existe partout ailleurs.
Un autre argument consiste à expliquer la guerre de tous contre tous par la pénurie généralisée de biens, qui justifierait le meurtre à des fins de pillage. Or, cet argument ne tient pas, car pour qui a joué au jeu, la génération des « loots » est suffisamment équilibrée pour fournir largement de quoi survivre avec des intrusions espacées dans les villes. Une fois qu’on a de quoi découper et faire rôtir de la viande (allumettes, hachette et couteau), nul besoin d’étriper son prochain pour piller son cadavre en quête de « beans ». Il n’est pas difficile de survivre dans ce mod sans avoir à tuer personne par nécessité, car encore une fois, ce sont les autres joueurs qui constituent la principale menace, pas les zombies une fois qu’on maîtrise le jeu, ni la faim, ni la soif, ni la pénurie de munitions.
C’est bien la doctrine émergente du massacre généralisé qui est la première cause de mortalité et par voie de conséquence de comportements meurtriers : quel que soit la durée de vie du joueur, il y a toujours un bon argument pour dégommer son prochain. Ainsi, le joueur qui vient de réapparaître après s’être fait tuer dix fois près de la côte, n’a rien à perdre à tuer son prochain pour accélérer sa progression : au pire, il redémarre à 50 mètres s’il se fait tuer, et au mieux il progresse un peu plus rapidement en fouillant sa victime. Symétriquement, un joueur ayant accumulé des biens supérieurs à tout à perdre à se faire tuer, et plus il progresse plus il répugne à cette idée : raison de plus pour éliminer sans sommation toute forme de menace potentielle.
Une dernière hypothèse évidente à propos de la dérive de DayZ vers l’équilibre non coopératif réside dans son succès même : en attirant une audience plus large, le mod attire des joueurs bourrins et plus jeunes pour qui le seul objectif du jeu consiste dès le départ à tuer tout le monde. On peut les comprendre, si eux-mêmes se sont fait descendre en série à peine débarqués. Il se peut qu’à court terme, l’écrasante majorité des joueurs qui débarquent ne voient dans ce mod qu’un jeu où le seul objectif soit de tuer tout le monde, ce qui constituerait une sorte de contresens collectif vis-à-vis d’un mod conçu au départ comme un jeu coopératif.
C’est ainsi qu’on peut voir sur youtube des video supposées décrire le gameplay de DayZ, et relatant simplement un assaut nocturne par plusieurs joueurs d’une soi-disant "position" occupée par d’autres joueurs...ce qui revient strictement à la mécanique originale d’ARMA2 ! Un papier de RPS décrit même une tactique à la limite de la tricherie, jouant abusivement sur la persistance du monde sur des serveurs différents, consistant pour un joueur hostile qui vous a repéré, à se déconnecter, puis à se connecter sur un autre serveur pour se déplacer à l’arrière de votre position, pour se reconnecter ensuite pour respawner et vous prendre à revers ! Si ces mécaniques de shooting à vue se généralisent pour devenir la norme dans ce mod, ce qui est probable, il y a longtemps alors que je m’en serai définitivement déconnecté.
Vos commentaires
FatMat # Le 2 juillet 2012 à 09:28
Excellent papier avec un angle original sur l’un des jeux les plus intrigants de ces dernières années. L’une des caractéristiques étonnantes de Day Z est qu’on ne peut que rêver en y jouant à ce que le jeu pourrait être ; à ces équilibres alternatifs qu’évoque le papier.
2 remarques :
je n’ai quasiment pratiqué que le jeu en bande ou en clan ; ce qui me semble un débouché naturel et qui produit des situations émergentes encore plus riches que le solo. A ce moment là, le jeu bascule vers autre chose que la pure et simple survie : la collecte, l’entretien et le stockage des véhicules essentiellement ; ce qui change tout l’équilibre du jeu, à commencer par le rapport à l’espace.
Jouant de cette manière, je trouve dommage que le jeu ne favorise pas ce travail d’appropriation de l’espace : se fabriquer un territoire un petit peu à soi. Un des éléments les plus impressionnants de Day Z tient à la taille de la carte, à la nécessité (le plus souvent) de se référer à une carte externe, à la possibilité de se perdre et d’errer sans but. La fabrique d’espaces familiers au sein d’un espace dangereux serait une mécanique très forte qui ne peut qu’être effleurée (avoir son campement bien dissimulé dans un coin où on stocke véhicules et vivres).
la question de la mémoire, de la rémanence des choix est centrale et c’est ce qui fait l’équilibre précaire de ce jeu. Tout Day Z repose sur une forme de permadeath : on perd tout à la mort (sauf à revenir looter son propre cadavre dans des cas exceptionnels). Ce qui fixe un premier objectif au jeu : survivre le plus longtemps. Evidemment dans ma logique de campements, on se prend à rêver d’une forme de permanence (un petit fortin à la minecraft). Mais on rebasculerait à ce moment là à un système à la Eve Online où le ticket d’entrée pour les nouveaux arrivants est extrêmement élevé. De même un système de marque morale (le bandit skin) rendrait problématique la variation des styles de jeu.
En bref, cette question de la mémoire et de la rémanence, des actes, des loots, est sans doute la grande limite de Day Z, celle qui interdit au jeu de se développer au-delà d’un certain point ; mais dont je ne vois pas comment elle pourrait être modifiée sans tout foutre en l’air.
Erwan # Le 2 juillet 2012 à 16:03
Très bon papier ! La suite du dev de DayZ peut devenir vraiment passionnante, en observant par exemple comment quelques changements mineurs de game design, s’ils arrivent, vont influer sur les comportements des joueurs.
Sinon, juste pour être un poil chieur, la référence à pierre-ciseau-papier-puits est un peu gênante, puisqu’il s’agit d’une version au game design déséquilibré du classique pierre-papier-ciseau. Le puits rend les probabilités de victoires/défaites différentes selon les choix (au détriment de la pierre et des ciseaux). A la limite, on peut faire du pierre-papier-ciseaux-lézard-Spock si on veut vraiment se compliquer la vie. :)
Simon # Le 2 juillet 2012 à 17:26
Très cool cette petite analyse et en plus ça donne bien envie de s’essayer à ce mod... Dommage que l’auteur ne soit pas tellement attiré par l’émergence. EVE online est un bon exemple également de comportements émergents et je trouve dommage que les créateurs ne se soucient pas plus de la liberté de leurs joueurs que de leur volonté d’auteur. Bref.
Au début de l’article vous mentionnez le fait que les jeux fonctionnent par conventions, rendant l’utilisation du "bandit skin" tout à fait plausible. Or, il me semble, que l’aspect très réaliste d’Arma 2 autant du point de vue visuelle que gameplay limite de fait les conventions à une certaine forme de réalisme, le "bandit skin" ne se trouve donc plus dans les conventions définis à priori. En revanche, il serait intéressant de venir rajouter un "bandit skin" subtil et réaliste, telles que des tâches de sangs multiples, des cicatrices, un sac de loot trop gros pour être honnête, etc. obligeant ainsi les joueurs à se rapprocher pour pouvoir détecter l’hostilité du joueur ou non. Un joueur ne voulant pas être vu de trop près deviendrait un hostile très potentiel. Tout ça pour dire qu’il faudrait rendre la stratégie du "je tire sur tout ce qui bouge" un peu moins puissante et pourquoi pas permettre aux hostiles de se regrouper... L’idée que des groupes de médecins, de polices, de chasseurs, de soldats se créent de façon complètement émergente est simplement grisante.
Sinon je ne pense pas que ce mod soit un jeu à somme nulle puisque comme vous le dites la victoire de l’un peut aussi signifier la victoire de l’autre s’ils coopèrent. Un jeu à somme nulle ne permet pas ce genre de choses. S’il est un jeu à somme nulle alors c’est qu’il est tellement mal équilibré que l’option coopération est simplement inenvisageable.
Anyway, good read, thanks.
Simon
Meteor # Le 2 juillet 2012 à 18:30
Intéressant, mais il me semble y avoir une faille dans votre comparaison des comportements sociaux dans la vraie vie et dans le jeu : dans la vraie vie, on n’en a qu’une, ce qui pousse à coopérer. Dans ce jeu, on renaît instantanément et indéfiniment. Si nous avions cette réincarnation infinie dans la vraie vie, m’est avis que nous aurions la même stratégie de dézinguer tout le monde...
Neilunik # Le 3 juillet 2012 à 00:56
Dommage de passer à côté de la problématique hobbesienne de souveraineté. La team rouge contre la team bleue ce n’est qu’un problème de souveraineté. La finitude de la chose étendue (ici disons le loot) pousse au conflit. A désire assurer sa subsistance, B aussi. Ils ne peuvent se mettre d’accord, ils rentrent en conflit. La création de team ou de clan de facon embryonnaire et relevant du jeu-video est un pur mécanisme de souveraineté. Mise en État pour lutter contre la nature (ici représentée par les zombies pour sa dangerosité) et pour exploiter la finitude de l’étendue. Ce qui est fascinant, plus encore que les problématiques économiques, c’est que DayZ soulève des problématiques politiques fondamentales qui sont encore ouvertes aujourd’hui et il souligne comment l’homme se pense radicalement extérieur à la nature (les zombies again). Le bandit n’est qu’un homme réduit à sa naturalité (dangerosité par le meurtre, s’anime par ses désirs) alors que le moderne s’organise et coopère contre la nature pour assurer sa subsistance. En effaçant le skin de bandit, l’auteur du mode efface ce qui avait pris 500 ans : la creation d’un régime d’historicité de l’homme. Et c’est intéressant. Plus de primitifs et de modernes. Ça déboussole non ?
Shinji # Le 3 juillet 2012 à 10:21
Très bon article, le premier que je lis en entier ici !
Je me permets de citer deux petites coquilles ;)
"d’un boucle d’indécision infinie"
"où l’on chacun dispose d’une connaissance"
Mwarf # Le 3 juillet 2012 à 17:57
Excellent article.
Je suis tout à fait d’accord avec Meteor : l’un des éléments favorisant le comportement agressif est sans nul doute le peu de contraintes liées à la mort. Je n’ai pas joué au jeu, mais je crois comprendre qu’en dehors du loot on n’a pas grand chose à perdre. Or celui qui aborde le jeu comme un jeu de tir pour asseoir sa propre puissance n’est pas tant intéressé par le loot que par le fait d’enchaîner les victimes. Supposons que la mort empêche de rejouer une partie avant que 24h se soient écoulées (par exemple), et tout de suite je pense qu’on y réfléchirait à deux fois avant de la prendre à la légère.
Reste que c’est intéressant de voir que ce gameplay émergent met en avant ce qu’avancent bon nombre de productions un tant soit peu réfléchies sur les zombies : l’homme reste le plus grand danger pour l’homme (c’est souvent le cas chez Romero et c’est par ailleurs l’idée centrale de l’épisode 2 des Walking Dead sorti récemment). Comme si, effectivement, ce mod n’était qu’une expérience sociale.
Tony # Le 4 juillet 2012 à 17:01
Excellent article... Ce qui serait intéressant maintenant, ce serait de saisir comment l’espace de jeu est perçu par les joueurs. Est-il défini comme un FPS ? un vaste espace de liberté ? le territoire du capitalisme dérégulé ?
Je ne sais pas si c’est vraiment exact de voir dans ce mode une certaine "transparence humaine". Je pense surtout qu’il est préférable de regarder comment la culture du jeu vidéo est construite. Si les joueurs tuent, ce n’est en effet pas forcément parce qu’ils perçoivent le jeu comme un reflet spontané de la réalité, mais peut-être plus parce qu(il est vu comme un FPS, ou un executoire. C’est donc la grammaire du jeu qui doit être interrogée, déconstruite.
Pelletire # Le 4 juillet 2012 à 18:14
Très intéressant texte, merci de partager vos réflexions.
Je me permets de poursuivre la réflexion dans une autre direction : je crois que la théorie des relations internationales a aussi beaucoup à dire sur le sujet, et rejoindra éventuellement le propos del’auteur sur l’absence de mémoire (et sur l’avantage du premier qui tire !).
Ce qui se passe dans DayZ colle parfaitement à la vision du monde du courant réaliste, si l’on considère chaque individu comme étant une nation. Les Réalistes croient qu’en l’absence d’une autorité supérieure au niveau internationale, le système international se trouve dans un état d’anarchie, tout comme l’univers de zombies de DayZ. Dans de telles conditions, chaque État ou individu ne peut compter que sur lui-même pour assurer sa propre sécurité. Puisque rien ne peut lui garantir que les autres États/individus ne lui seront pas hostiles dans le futur, il s’arme et se méfie systématiquement des autres à l’intérieur du système. Cette méfiance mène à ce que l’on appelle le dilemme de la sécurité : en s’armant, un État assure sa propre sécurité, mais puisque ses voisins ne peuvent savoir si ses intentions sont et seront toujours pacifiques, il s’arme aussi et se méfie d’autant plus, ce qui crée un cercle vicieux de course à l’armement et de méfiance mutuelle qui rend la coopération presque impossible. L’État/individu qui refuse de s’embarquer dans cette spirale risque l’anéantissement via une guerre soit-disant préventive qu’on mènera contre lui au nom de la sécurité (ou par une balle dans la tête dans le jeu).
Comme l’indique l’auteur dans l’article, ce cercle peut être brisé en apprenant l’historique des actions passées des acteurs dans le système et en apprenant à reconnaître ceux qui sont hostiles à ceux qui ne le sont pas. Dans la théorie des relations internationales, Alexander Wendt résume cette idée dans "Anarchy is what states make of it" : selon lui, deux individus qui se rencontrent pour la première fois dans un état d’anarchie ne s’attaqueront pas immédiattement, mais s’observeront pour déterminer s’il y a un danger. Dans DayZ, l’instantanéité de la mort au moment où le lien de confiance est brisé empêche cependant ce phénomène de se produire dans la plupart des cas.
Guillaume # Le 5 juillet 2012 à 12:35
J’aurai pour ma part tendance a croire que le postulat "les humains sont les vrais ennemis, pas les zombies" est un postulat central au thème Zombie : cf notamment, les films de Romero. Et qu’a ce titre la, DayZ respecte parfaitement son inspiration.
BlackLabel # Le 5 juillet 2012 à 14:34
Je trouve cet article plutôt alambiqué pour au final ne pas dire grand-chose ; que les modifications apportées réduise le jeu à un DeathMatch.
Tout est parfaitement résumé dans ce commentaire :"dans la vraie vie, on n’en a qu’une, ce qui pousse à coopérer. Dans ce jeu, on renaît instantanément et indéfiniment."
Steph # Le 9 juillet 2012 à 23:41
Heureux de voir quelque chose sur ce mod que je n’arrive pas à installer sur ma bécane...
Une remarque, je ne comprends pas le passage sur l’impératif catégorique. En quoi le fait que les actions des joueurs ne se conforment pas à l’impératif kantien invaliderait celui-ci ? N’y aurait-il pas une confusion entre ce qui est rationnel et ce qui est raisonnable ? Dans le contexte il apparait clairement que tirer sur tout ce qui bouge peut apparaitre comme un bon calcul (rationnel) mais relève clairement d’une infraction au code de moralité du FPS (raisonnable) ;) ... n’est pas irrationnel ce qui est immoral quoi. Tu me diras si je me trompe.
Enfin, Etienne tu m’as donné envie d’y jouer plus que jamais. Les comportements émergents de clan, groupe, ont l’air de relever d’une insociable sociabilité d’un autre genre. Basé sur le jeu et non sur la crainte de la mort.
j’ai hâte d’expérimenter ça, dès que j’aurais trouvé comment gagner une partie via la diplomatie dans Endless Space...
CthulHu # Le 17 septembre 2012 à 16:11
Un bien gros pavé pleins de jolis mots qui parle de tout et n’importe quoi, sauf l’essentiel... Surtout que tu es le 1er à dire qu’on ne peut comparer ceci à la vie réelle, mais tu te sers de lois et d’exemples de cette vie réelle pour illustrer ta philosophie sur le sujet...
Donc pour revenir au "pourquoi tout le monde tue tout le monde" :
DayZ ne comporte pas de contenu "end game" : des choses à faire une fois que la majeur partie du contenu est explorée.
C’est à dire, qu’une fois la map visitée(et connue par coeur ou presque !), le meilleur équipement possible looté, les paterns de zombies connus et gérés, etc(ce qui arrive très très vite : quelques heures de jeu), et bien y’a plus grand chose à faire .... de manière INSTINCTIVE !!!
Vous me direz, "mais c’est nul ce jeu alors, y’a rien à faire !"... et bien ... "oui et non" :
Dayz est un Sandbox (bac à sable). Le principe du sandbox, est que chacun peut y faire ce qu’il veut. Et contrairement à certains sandbox, dans DayZ, il n’y a pas de quête, mission,... C’est au joueur de fabriquer son contenu, c’est à dire de se connecter au jeu et de se dire "Bon, qu’est ce que je vais bien pouvoir faire durant cette session de jeu ?"
Et sur un serveur multijoueur PvP et pleins de belles armes quelle est la 1ère idée qui va venir à la tête du joueur lambda pour occupé sa vie à Chernarus ? Tuer les autres ! en voilà un défi (et pas des plus simple) dans un moteur comme Arma II, qui je le rappelle est une simulation de guerre.
Des joueurs un peu plus constructifs, vont eux, partir sur des missions un peu plus complexe. Il suffit de voir les vidéos qui trainent, pour se rendre compte que nous sommes bel et bien dans un sandbox et qu’ avec de l’imagination, on peut faire de grandes choses !
Totu ça pour dire que la seul raison à "tout le monde tue tout le monde", c’est uniquement parceque ce jeu est un sandbox, et que la 1ère chose qui vient à l’esprit pour relever le défi épuisé après quelques heures de jeu est de tuer son prochain.
Tonton # Le 2 octobre 2012 à 13:59
Votre article est sans doute intéressant et l’analogie que vous tâchez d’établir n’est pas tout à fait vide de sens. Mais pourquoi diable ne donner aucune référence bibliographique précise, qui permettrait au lecteur, d’une part, de ne pas avoir à vous croire sur parole et de vérifier votre propos (il s’avère que vous mobilisez beaucoup de choses très différentes et parfois particulièrement techniques) et qui, d’autre part, permettrait au lecteur de s’instruire ?! (Je passe sur la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à utiliser le travail d’autrui sans y faire référence puis de récupérer, sous forme de commentaires laissés sous l’article, des louanges que l’on ne mérite pas complètement ; si je me laissais aller, je dirais que c’est peut-être précisément à cette malhonnêteté que l’on reconnaît aujourd’hui un bon journaliste …).
Je me permets de donner un exemple à propos duquel je ne suis pas tout à fait dupe (ce qui n’implique pas que j’ai sur ce point parole d’évangile, mais bien plutôt que je suis en mesure de discuter au moins un peu votre propos) : l’exemple en question repose sur l’utilisation qui est faite dans votre article de la philosophie morale de Kant.
Grosso modo, ce que vous dites à propos de la philosophie morale de Kant n’est pas complètement faux : oui, il existe bel et bien quelque chose comme un « impératif catégorique » et oui il existe bel et bien un critère de démarcation entre ce qui est moral et ce qui est immoral (on ne comprend pas bien pourquoi ce qui est amoral devrait également tomber sous le coup de l’impératif catégorique, mais c’est là un autre problème…), critère bel et bien dérivé des concepts d’ « universalisation » et de « contradiction ». En des termes aussi généraux, ce que vous dites paraît correct.
Cependant, si l’on regarde de plus près – et l’absence de références précises fait directement obstacle à ce genre de comportement : votre lecteur ne peut précisément pas « regarder de plus près » – il y a dans la philosophie morale de Kant plusieurs formulations de l’impératif catégorique auxquelles sont corrélées différentes voies d’ « universalisation » ainsi que plusieurs significations de ce que c’est qu’être une « contradiction ». Votre article, lu à la lumière d’informations plus précises, contient des confusions qui rendent inintelligibles, voire fausses, certaines de vos assertions, tout au moins celles de vos assertions qui ont pour objet la philosophie morale de Kant.
C’est que vous confondez deux formulations de l’impératif catégorique – « Agis uniquement d’après la maxime […] une loi universelle » (IC1) et « Agis uniquement d’après la maxime […] une loi universelle de la nature
» (IC2) - et corrélativement vous confondez deux procédures d’ « universalisation » ainsi que deux sens de « contradiction ». Pour ne s’en tenir qu’à la confusion attachée au terme de « contradiction », vous confondez d’une part une contradiction purement logique (C1), faisant référence à ce qui est « nécessairement valide » ou « nécessairement contradictoire » (pour ainsi dire, valide ou contradictoire dans tous les mondes possibles), contradiction qui n’est rattachée qu’à (IC1) ; d’autre part une contradiction qui renvoie à des implications absurdes dans le monde possible dans lequel nous vivons effectivement (C2), qui n’est qu’un monde possible parmi tant d’autres, monde possible caractérisé selon Kant par la présence de lois universelles de la nature. Ce type de contradiction est prioritairement, mais non exclusivement, rattachée à (IC2).
Or, ce qui est contradictoire dans tous les mondes possibles (et qui renvoie au concept logique de « tautologie » : une contradiction de ce genre n’est rien d’autre que la négation d’une tautologie) l’est aussi nécessairement dans tel monde possible singulier. Cependant, la réciproque n’est pas vraie : ce qui est contradictoire dans tel monde possible singulier, en ce sens que ce qu’impliquent les règles universelles de la nature qui gouvernent un tel monde possible est contredit (on a alors affaire à une implication : « si … alors ... ») ne l’est pas nécessairement dans tous les mondes possibles. Cette confusion entre (C1) et (C2) engendre le contre-sens suivant : dans votre article, vous rappelez la formulation (IC1), mais donnez ensuite une explication ne valant que pour (IC2). De même, l’exemple que vous mobilisez afin d’illustrer (IC1) ne vaut que comme illustration de (IC2).
Par conséquent : 1) sans plus de précisions, on ne sait pas ce que vous voulez dire lorsque vous affirmez « Or, les mécaniques de DayZ conduisent systématiquement à la violation de l’ « impératif catégorique kantien » 2) sans plus de précisions, votre conclusion « Les mécaniques de DayZ illustrent aussi un des grands principes de la philosophie morale kantienne, et tendrait même à démontrer la fragilité d’une telle morale reposant sur les seules décisions individuelles des sujets » n’est tout simplement pas correcte, car elle ne dérive pas de vos prémisses (vous commettez ici, soit dit en passant, un sophisme de la caricature) 3) votre affirmation « Le même raisonnement peut s’appliquer au meurtre, au vol, au viol, etc... » est inintelligible sans plus de précisions.
Votre article, comme bon nombre des articles qu’héberge ce site, pose un problème de division du travail intellectuel : le travail de production d’articles journalistiques consiste à rendre accessible au lecteur de « bonnes références scientifiques », mais sûrement pas de produire de « bonnes références scientifiques », c’est-à-dire de prendre la place d’experts qui sont formés et payés pour produire de « bonnes références scientifiques ». Deux des conditions nécessaires du « bon » article journalistique, me semble-t-il, sont de « rendre accessibles aux lecteurs de « bonnes références scientifiques » » et « d’inciter le lecteur à lire ces « bonnes références scientifiques » puis d’en discuter par le biais du forum ».
S’il y a quelque chose d’extrêmement préjudiciable dans le fait de ne pas donner à son lecteur les bonnes références scientifiques qui rendent possible tel ou tel article journalistique (il suffit de jeter un œil à la plupart des commentaires laissés sous la plupart des articles hébergéspar ce site pour se rendre compte que, plus souvent qu’autrement, on verse dans la louange plutôt que dans la discussion (cela n’est peut-être pas le cas au sein du forum privé du site)) ce n’est pas seulement pour des raisons éthiques mais aussi et peut-être surtout parce que, comme le rappelle à s’en casser la voix Steph ou Eidolon, mon compagnon d’infortune sur interface, l’on finit par perdre de vue l’objectif principal qui représente souvent, mais non pas toujours, la fin des travaux journalistiques et scientifiques, à savoir : obtenir une compréhension vraie de tel objet, en l’occurrence ici du jeu vidéo.
La ligne de conduite adoptée par Merlanfrites (lorsque se trouvent engagé ce genre d’articles plein de références savantes) est sans doute louable, mais elle ne va pas sans poser nombre de problèmes qu’il serait et qu’il est trop facile de passer sous silence ou de considérer comme réglés parce que l’on reçoit quelques louanges de la part de ses lecteurs.
Cordialement,
Tonton
Martin Lefebvre # Le 2 octobre 2012 à 18:31
Ouais je sais pas Tonton, je pense que tu es trop rigide sur la distinction journaliste / scientifique, enfin c’est ta manière de penser la rigidité, ce n’est pas un scoop... Je pense que nous ne sommes ni l’un, ni l’autre : nous sommes critiques de jeu vidéo, comme on peut être critique d’art ou de cinéma. Il me semble que la critique se place dans un autre registre, qui dépend plutôt de la création que de l’exactitude.
Pour ma part je ne fais pas secret d’avoir une approche littéraire, analogique et métaphorique, qui vaut ce qu’elle vaut, qui ne se veut ni plus ni moins que ça. Il me semble que cette méthode a au moins pour elle la tradition et des résultats certains quand elle est employée par des esprits un peu mieux dégrossis que le mien.
Tes remarques concernant Kant sont sans doute très pertinentes, et je dois avouer que je m’étais interrogé sur le fait de publier un papier qui posait ce genre de difficultés, notamment parce que je ne maîtrise pas tous les concepts en question : j’ai tout de même décidé de le faire, parce que le papier me paraît intéressant, moins pour son approche kantienne qui à vrai dire me laisse de marbre que pour sa réflexion sur l’émergence d’une communauté.
Est-ce que tu pourrais préciser "Je passe sur la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à utiliser le travail d’autrui sans y faire référence" ? Tu donnes des leçons de référence, mais tu n’es pas d’une grande clarté toi-même.
Tonton # Le 2 octobre 2012 à 18:59
Martin,
Je n’ai dit nulle part que cette distinction était définitive, absolument valable, suffisamment fine ou je ne sais quoi d’autre. J’ai écrit clairement dans mon précédent commentaire que la distinction "travail journalistique / travail scientifique" s’applique aux articles qui mobilisent des références savantes et qui prétendent élaborer une connaissance au moyen de ses références. Mais à côté de ce genre d’articles, il y a place, bien entendu, pour d’autres types d’articles qui peuvent échapper à cette distribution des rôles dans la division du travail intellectuel, comme les articles purement esthétiques auxquels vous faites références.
Je trouve tout à fait pertinents les doutes que vous avez eus concernant la publication de cet article, qui est loin d’être inintéressant. Je lui reproche seulement de commettre, un peu comme à chaque fois dans ce genre d’exercices, quelques entorses préjudiciables qui font obstacles et à la discussion et à la compréhension du jeu vidéo, prétention principale cependant affichée et visée ... Quant à savoir s’il s’agit d’une raison suffisante pour en rejeter la publication, je ne saurai dire ...
Quant à votre dernière remarque, qui consiste à dire que je suis inconséquent, eh bien je dirai que : 1) ce n’est pas mon rôle de citer les références qui n’ont pas été citées dans l’article 2) si l’on reprend l’exemple de Kant, aucune référence précise n’est donnée (à part un lien vers un article wikipédia, mais ceci est autre chose), bien que la philosophie morale de Kant soit manipulée et caricaturée. Si cela ne vous pose aucun problème, alors je ne sais plus quoi dire ...
Martin Lefebvre # Le 2 octobre 2012 à 19:55
Je ne pense pas que ce soit de la malhonnêteté, au pire, et je ne dis pas que c’est le cas, c’est de la maladresse ; parler de malhonnêteté quant aux sources à mon sens c’est valable en cas de plagiat. Kant n’a pas nécessairement besoin de rétro-link pour son blog.
Pour ce qui est d’élaborer une connaissance en partant d’une référence savante... Je pense que je ne suis pas non plus d’accord avec ta vision des choses : la stricte hiérarchisation des clercs aux passeurs que tu sembles préconiser, ça donne la messe en latin et les méandres de la scolastique...
Je sais qu’il m’arrive, assez fréquemment même, d’utiliser une idée piquée dans mes lectures, que je source comme je peux. Par exemple, il y a peu, j’ai utilisé du Foucault pour parler des tower defense : je l’ai glosé rapidement, il me semble de manière correcte, mais sans source précise, parce que :
1- Je ne sais plus où j’ai fourré Surveilller & Punir. Faudrait que je le rachète tout de même. Je n’ai pas de BU à disponibilité, et bon de toutes façons ceux qui connaissent le bouquin retrouveront sans problème, les autres aussi s’ils l’achètent, et je ne vais pas assommer ceux que ça n’intéresse pas.
2- La pensée de Foucault dans ses cours est assez mouvante (et c’est tant mieux), ses définitions nébuleuses, je n’allais pas passer des heures et des lignes pour faire plus précis.
Je veux dire, on est pas des anges, quoi, on fait ce qu’on peut, dans le temps qu’on a... Tu es un idéaliste Tonton : la perfection formelle ou le silence. En pratique, pour publier de manière relativement conséquente, il faut parfois sacrifier la précision. Si je voulais me faire chier à compiler des biblio j’aurais essayé de faire de la recherche… Tu en fais toi ? Tu es "form[é] et pay[é] pour produire de « bonnes références scientifiques » ?
Tu produis quoi sur le JV d’ailleurs, à part une critique de Julien Chièze et / ou à Rahan à coups de citations sans doute bien sourcées de Jacques Bouveresse (désolé je peux pas sourcer ton site est en travaux) ? Je te l’accorde, c’est un concept audacieux. Enfin, la logique est une folie comme une autre, elle crée parfois des situations émergentes des plus cocasses.
Après moi faire de la vulgarisation, je veux bien aussi, mais y’a pas tant de choses qui sont publiées, et ce n’est pas comme si on nous proposait ce genre de papiers tous les jours. J’aimerais bien avoir le temps de lire Games of Empire pour en faire un compte-rendu, mais le temps, je ne l’ai pas. On est preneurs de papiers de ce style.
Pour ce qui est du manque de réactions / de débat sur ces pages, je te rejoins. Je ne sais pas si cela provient des articles, peut-être, mais je pense que c’est surtout lié à d’autres critères : l’interface des réactions n’est pas très confortable (mais notre webmaster a autre chose à faire, il doit gagner sa croûte tout ça), et puis je pense que les réseaux sociaux ont un peu tué la discussion sur le web… Peut-être aussi qu’on n’a pas tant de lecteurs que ça, ou qu’on ne cherche pas systématiquement la polémique qui est encore le meilleur moyen de créer du débat.
D’ailleurs en y pensant c’est assez ironique, parce qu’Etienne est arrivé chez nous... via ses commentaires. Comme un con, je n’ai pas pensé à lui demander ses papiers avant de le publier.
Tonton # Le 2 octobre 2012 à 20:44
Martin,
Il faut bien comprendre : mes critiques ne visent pas à discréditer ton/votre entreprise. Il s’agit de pouvoir discuter certains points qui me semble critiquables : j’essaie de proposer un discours plus ou moins informé, d’avancer des raisons, afin de me faire comprendre, - et si cela vous semble judicieux, vous me répondez.
Kant n’a certes pas besoin de « rétro-link pour son blog », mais il n’a pas besoin non plus d’être caricaturé. Au final, celui qui est le plus lésé dans cette affaire, ça reste le lecteur, pour un certain nombre de raisons sur lequel je ne vais pas revenir ici. Enfin, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’avoir affaire à du plagiat pour pouvoir parler de malhonnêteté, mais ce serait là encore se lancer dans une discussion un peu longue (un peu comme si l’on disait : il n’y a d’acte illégal que l’homicide volontaire …).
Vous m’objectez ensuite ce que l’on appelle un argument de la pente fatale ("la stricte hiérarchisation des clercs aux passeurs que tu sembles préconiser, ça donne la messe en latin et les méandres de la scolastique..."). Malheureusement, pour que celui-ci soit valable il faudrait, entre autres choses, expliquer pourquoi l’on serait tenu de passer d’un certain type de division du travail intellectuel au dogmatisme et à la confiscation du savoir. Par ailleurs, les méandres de la scholastique n’ont pas que des mauvais côtés …
Si je fais de la recherche ou non, veuillez me pardonner, mais cela me regarde et n’a guère d’intérêt pour la discussion présente. Et entre l’idéalisme et la souillure, je suis sûr qu’il y a de la place pour des intermédiaires convenables.
Vous me demandez encore ce que je produis sur le jeu vidéo et, comme de bonne guerre, vous vous moquez un peu de moi en passant. Cependant votre moquerie veut, comme souvent, me faire assumer une chose que je ne soutiens pas, à savoir : je ne soutiens pas que donner les sources utilisées dans tel article, qu’il s’agisse de Bouveresse ou d’un autre, est une condition nécessaire et suffisante pour que l’article soit bon ou réussi. Il s’agit sans doute d’une condition nécessaire, mais très certainement pas d’une condition suffisante. Et puis soyez honnête : je ne critique pas que Julien Chièze et Gameblog, je vous critique vous aussi et Merlanfrit ;)
Enfin, vous dites l’essentiel : il y a dans tout cela un problème de temps. D’où la pertinence d’une certaine division du travail et d’un certain comportement conséquent, du type : si je n’ai pas le temps de faire un bon article d’un certain genre, alors je ne fais pas d’article de ce genre. Je m’essaie à autre chose.
Martin Lefebvre # Le 2 octobre 2012 à 21:01
Je pense sincèrement que tu devrais commencer par produire autre chose que du commentaire hautain et pédant avant de dire aux gens ce qu’ils doivent faire ou pas. Enfin si tu veux être pris au sérieux je veux dire.
Je te connais par coeur depuis le temps, j’arrête de cloper, j’ai pas envie de me lancer dans une flame war avec quelqu’un qui raserait les 3/4 des membres du jury de l’agreg de philo par son attention aux détails, je peux pas gagner contre ta manie.
kthxbye.
Martin Lefebvre # Le 3 octobre 2012 à 06:45
Sinon — désolé, ça me travaille — en français, ce que tu reproches au papier en gros, si on enlève l’indignation de Karl Kraus du dimanche et les termes de logique formaliste qui obscurcissent le propos, c’est quelque chose du genre :
Ce n’est pas parce que dans un monde donné l’impératif catégorique ne fonctionne pas, qu’il ne fonctionne pas dans notre monde.
J’ai bon ? Parce que c’est une remarque parfaitement sensée si c’est le cas, et en effet ça ouvre une discussion, qui me paraît un peu plus intéressante qu’une polémique réactionnaire sur le partage du travail intellectuel.
Et là on se retrouve au coeur de l’article, c’est à dire à questionner la nature des mondes "virtuels" (faute d’un meilleur terme) : expériences sociales, fictions, utopies, catharsis, il y a beaucoup de manière de les penser, d’autant qu’ils sont à la fois clos et poreux. Et là pour le coup, mais je n’ai pas tout lu, je pense que "ceux qui sont payés pour penser" — les bons vieux oratores indo-européens — n’ont pas encore trouvé les concepts adéquats pour en parler, donc il y a de la place pour le faire.
Tonton # Le 3 octobre 2012 à 09:38
Martin,
"Ce n’est pas parce que dans un monde donné l’impératif catégorique ne fonctionne pas, qu’il ne fonctionne pas dans notre monde"
> difficile de s’expliquer sans passer pas un peu de logique ...
Toutefois, il faut distinguer au moins (Kant en donne 4) deux formulations de l’impératif catégorique, partant que l’impératif catégorique sert de critère d’évaluation (en soumettant ce que l’on veut faire à une épreuve d’universalisation) et de démarcation entre ce qui est moral et ce qui est immoral (on a alors affaire au problème de la contradiction) :
1) une formulation qui, selon Kant, vaut pour tous les mondes logiquement possibles (la formule de Kant est en substance : "l’impératif catégorique vaut alors non seulement pour tous les êtres humains, mais encore pour tous les êtres raisonnables", par exemple des formes de vie extraterrestres qui se poseraient des questions morales) et
2) une formulation qui est liée plus spécifiquement à notre monde, qui est un monde possible parmi d’autres (Kant ajoute alors l’idée de loi universelle de la nature). Dans cette dernière formule, grosso modo, Kant nous enjoint à formuler une implication du genre : si le meurtre, par exemple, devenait une loi universelle de la nature, alors voudrions-nous vivre dans un tel monde ? Il est ici davantage affaire de "jugement" que de procédure formelle.
Suivant que l’on se réfère à l’une ou l’autre de ces 2 formulations, le sens de votre remarque peut changer énormément. La première formule vaut pour tous les mondes possibles, la seconde pour le nôtre, de sorte que finalement, il n’y a aucun monde possible qui échappe à l’impératif catégorique. Kant n’est très certainement pas relativiste en matière de morale.
Si je vous comprends bien, vous me demandez ce que vaut l’expérience de pensée suivante : peut-on imaginer un monde possible dans lequel les lois universelles de la nature seraient différentes du nôtre et dans lequel la seconde formule de l’impératif valant pour notre monde ne fonctionnerait pas dans cet autre monde possible ? Si ce monde possible avait des lois, alors l’impératif pourrait fonctionner, mais les jugements qu’il impliquerait seraient sans doute différents des nôtres ...
Par ailleurs, possible et virtuel, est-ce la même chose ? Je ne crois pas que Kant travaille cette distinction, et quant à moi, il faudrait que je m’instruise sur le sujet, car là-dessus, je suis tout à faut nul ... Quelle différence faites-vous sur ce point, si toutefois vous jugez pertinent d’en faire une ? Les mondes virtuels sont peut-être "a-moraux" et non pas "im-moraux", je ne sais pas ...
Enfin, que l’impératif fonctionne ou pas, cela n’est pas un critère d’évaluation pour Kant. Kant distingue ce qui "devrait-être" et ce qui "est". Même si personne n’agissait effectivement par pur respect pour l’impératif catégorique, c’est-à-dire même si personne n’agissait effectivement de façon morale, l’impératif ne cesserait pas de valoir. Autrement dit, même si dans tel monde virtuel visant à simuler le nôtre, comme dans le mod de Dayz, personne n’agissait moralement au sens de Kant, cela n’impliquerait pas que l’impératif ne fonctionne pas, car il demeure que les joueurs de ce monde virtuel devraient respecter l’impératif catégorique.
Malheureusement pour vous, il faudrait encore discuter sur ce point pour que l’on se comprenne mieux ...
Martin Lefebvre # Le 3 octobre 2012 à 10:22
J’essaye de discuter avec toi, tu essayes d’avoir raison sur un point dont, permets-moi, je me fous.
Le problème c’est que ton formalisme logique pourrit la discussion au lieu de l’éclairer : tu n’es pas en situation de communication, mais de soliloque. A se demander à quoi sert la philosophie si c’est pour isoler le penseur et le rendre inaudible.
Et lâche ton vous, ça te fait encore plus passer pour un cuistre.
Tonton # Le 3 octobre 2012 à 11:07
Oh, j’ai pourtant essayé de vous comprendre et de vous répondre en évitant de causer de logique. Pourquoi diable discuter d’une chose qui ne vous intéresse pas ? Pourquoi ne pas m’interroger sur tel point de logique qui vous échappe ? Pourquoi diable virer (presque) sans arrêt dans l’ad hominem plutôt que dans la critique des raisons que je peux avancer ? ...
Il est sans doute plus facile de critiquer les personnes que les raisons qu’elles avancent ; et la mauvaise foi qui consiste à arguer du fait que l’on ne comprend pas (la morale de Kant n’est pas aisée à comprendre, ne lui avez-vous accordé les efforts réels qu’elle réclame ? Je ne parle même pas des autres points abordés par l’article qui sont encore bien plus techniques ...) est une forme de populisme qui ne manque pas d’humour lorsque l’on est un ancien élève de l’école normale supérieure et agrégé de l’université. Ah, la mauvaise conscience de classe ... Contre cela, comme vous le dites si bien, on ne peut pas lutter ...
Je ne crois pas m’être montré insultant, ce que vous faites quant à vous assez volontiers. Mais l’insulte est peut-être une forme de courtoisie que mon esprit rigide n’arrive pas à classer ailleurs que dans l’ensemble des choses méprisantes, tout comme la méconnaissance doit être une forme de savoir que mon esprit rigide n’arrive pas à classer ailleurs que dans la case "cuistrerie véritable" : il est assez rigolo de constater que vous jugez compréhensible ou claire ou instructif un article qui soutient en fait des choses fausses et caricaturales sur tel auteur. Il s’agit ici de méconnaissance pure et simple, et vous enjoignez le lecteur à la partager avec vous, mais passons ...
Enfin, pour être tout à fait conséquent, mais ce n’est pas là un souci important pour vous, vous ne devriez sans doute pas vous non plus m’imposer vos préférences stylistiques tout à fait arbitraires. M’enfin, qui de la poule ou de l’oeuf, etc. ...
Un bon commentaire comme vous les aimez : "Bravo pour cet article qui est très intéressant. Il interroge avec clarté et précision les rapports entre le virtuel et le réel, et c’est un problème que ceux qui réfléchissent sur le jeu vidéo n’ont pas encore réussi à bien exprimer. Heureusement que vous êtres là, et votre travail est très utile et pertinent, voire avant-gardiste et original. J’ai cependant une question : pourquoi ? Bref, je vais continuer à vous lire avec attention, car mon attitude n’est pas du tout celle d’un dévot et vous me permettez d’exercer mon esprit critique. Merci encore".
Martin Lefebvre # Le 3 octobre 2012 à 14:22
C’est vrai, je ne suis pas poli. :)
J’ai eu les louanges escomptés, je te remercie de ta fidélité de lecteur, et je t’invite cordialement à aller te faire mettre. Comme ça tu pourras sourcer clairement mon impolitesse, si tu en éprouves le besoin.
Tonton # Le 3 octobre 2012 à 16:53
Je vous remercie de vouloir prendre soin de mon trou du cul. D’ailleurs, j’aimerais que vous vous chargiez vous-même de l’entretien rectal que vous préconisez. Serait-il possible de vous rencontrer, à toutes fins utiles ? Vous vivez sur Paris et vous êtes enseignant n’est-ce pas ? Il ne serait vraiment pas compliquer de se trouver : je pourrai alors vous tendre mes deux grosses joues.
Martin Lefebvre # Le 3 octobre 2012 à 17:37
Euh je sais pas tu vas limite dans le stalker là, mais bon au moins ça montre que tu as quelque chose d’humain sous la morgue.
On va reprendre : tu as sans aucun doute raison quant à la notion d’impératif catégorique chez Kant, je ne te le discute pas, la notion est ardue, je ne la maîtrise pas, je ne souhaite pas particulièrement le faire, même si c’est tout à fait louable à toi de me l’expliquer comme tu le peux. Je t’ai accordé dès ma première réaction que je prenais en compte tes remarques, bien que tu n’aies pas fait d’effort pédagogique pour les rendre accessibles. Si c’était à refaire, je supprimerais toute référence à Kant dans cet article puisque tu as démontré que seuls les plus doctes étaient à même de manipuler ses concepts particulièrement piégeux, ce qui était pour tout te dire, mon intuition en la matière.
Après tu devrais pouvoir comprendre que quand tu arrives sur tes grands chevaux en accusant mon auteur de "malhonnêteté intellectuelle" (excuse moi mais c’est un peu fort), en disant qu’un "bon nombre d’articles qu’héberge ce site posent un problème" (lesquels ?), en m’indiquant comment je devrais procéder (en gros me contenter de faire du travail de "journaliste", c’est à dire de rendre compte d’une production intellectuelle certifiée conforme par l’université, production intellectuelle tu m’excuseras, mais cruellement maigre), en me disant après que si je n’arrive pas à atteindre les critères que tu as appris durant tes TD de recherche je ferais mieux "de ne pas faire d’articles de ce genre", tu m’excuses, mais je te trouve légèrement... importun, si tu tiens à la politesse.
Pour tout dire je trouve ta politesse franchement grossière, et tes manières relativement présomptueuses. Tu ne t’en rends sans doute pas compte, j’en suis convaincu. Moi, je suis moins fort en logique, mais quand je veux être impoli, je le suis tout franc, désolé.
Après qui je suis, quel est mon parcours, a priori ce n’est pas secret puisque j’utilise mon vrai nom, ce qui n’est pas ton cas, mais je vois mal ce que ça vient faire ici.
Je te suis sur un point : je ne recommanderais pas notre site à un lecteur qui voudrait s’informer de la pensée de Kant : je suis certain qu’il y a pour cela d’excellents ouvrages de vulgarisation. Après, nous interdire toute utilisation des concepts philosophiques parce qu’on risque de les manipuler un peu gauchement ou avec moins de rigueur que ton idéal-type, ça m’embête, voire ça me révolte.
Parce que si l’on ne peut s’approprier les concepts de la philosophie, à quoi bon ? Ce serait un discours d’entre-spécialistes ? Tu crois que ton attitude donne envie d’apprendre ? Et puis la philosophie la plus rigoureuse ne s’appuie-t-elle parfois sur des intuitions plus bordéliques (je sais pas Rousseau pour Kant par exemple ?).
Je te le concède, la mienne ne parle guère en ma faveur, mais bon j’espère que mon activité ne se limite pas à cet énervement.
Enfin les critiques, je ne pense pas y être tout à fait étanche. Je ne cherche pas les louanges, même si ça fait plaisir, juste il me semble que pour critiquer il faut essayer d’éviter le ton péremptoire, de rester urbain (tu l’es plus quand tu me traites de trou du cul que quand tu joues les doctes en fait, oui c’est paradoxal), et de prendre en considération un certain nombre de données qui font qu’une publication ne réussit pas toujours à 100 % ce qu’elle entreprend... sans pour autant mériter la juste indignation des gardiens du temple.
Le contenu de ta critique est entendu (peut-être pas dans les détails, il faudrait voir ça avec Etienne, après tout je ne suis pas le rédacteur de l’article, je n’en partage pas forcément toutes les analyses). La forme est grossière et inaudible.
Martin Lefebvre # Le 3 octobre 2012 à 18:14
Après je pense qu’on peut s’arrêter là : je t’invite à aller exercer ta liberté d’expression sur ton blog ou n’importe où ailleurs, si tu veux poursuivre l’échange de mots d’oiseaux, le mail du site est à ta disposition.
Tonton # Le 3 octobre 2012 à 18:26
Martin,
Je rappelle le sens de mon premier commentaire : il me semble qu’il y a un problème dans cet article et dans tous les articles qui procèdent de la même façon, à savoir : il manque les références précises qui permettraient au lecteur de poursuivre son effort de lecture et de ne pas avoir à croire sur parole tel auteur de tel article : c’est précisément ce genre de pratiques qui peuvent permettre de "sortir de l’église". J’ajouterai même que c’est une condition nécessaire, mais non suffisante pour en sortir. C’est ce que j’ai voulu défendre, à tort ou a raison, à partir de la critique d’un point précis de l’article.
Donner au moins des références précises, ce n’est tout de même pas tomber dans l’excès, "dans les méandres de la scholastique" comme tu dis ...Quoi que tu en penses, les "bonnes moeurs" universitaires ne sont pas seulement exclusivement fondées sur la tradition, le conservatisme et la domination (tu sembles par exemple reconnaitre la valeur du travail de Mathieu Triclot, un intellectuel qui n’est tout de même pas tout à fait étranger à l’université ...)).
En guise de justification, j’ai ensuite voulu montrer au travers de l’utilisation qui est faite de Kant - je ne suis pas capable de critiquer les autres points abordés par l’article - en quoi l’absence de références peut-être préjudiciable pour le lecteur désireux de comprendre réellement ce qu’il lit et de faire retour. Très franchement, tu me qualifies de cuistre, mais quel genre de lecteur peut sérieusement lire un article qui demande des compétences assez avancées en économie, en mathématique, en philosophie ?
Sur chaque point mentionné, j’ai été caricaturé, c’est-à-dire placé systématiquement du côté de l’excès, un peu au sens où l’on dit : "qui veut noyer son chien l’accuse de la rage".
Mes habitudes sont ce qu’elles sont, et il n’est pas très intéressant d’en parler. Critiquer ce qui me semble poser problème dans cet article aurait été, je crois, préférable.
Tonton # Le 3 octobre 2012 à 18:28
Je suis d’accord avec toi sur le fait qu’être insulté et insulter ça se fait en privé, pas sur un forum comme celui-ci. The end.
KotL # Le 4 octobre 2012 à 12:41
roh, juste quand j’avais sorti le pop corn !
Martin Lefebvre # Le 4 octobre 2012 à 12:58
Il est en DLC le popcorn. ;)
Ianis # Le 30 novembre 2012 à 19:12
J’interviens bien tard, mais peut-être que ce commentaire trouvera une petite oreille :
Pourquoi ne pas intégrer une sorte de "boîte noire" à idée. (Dans la lignée de celles de Ragemag, que je viens de découvrir en même temps que votre site) qui rassemblerait divers éléments de réflexion et d’approfondissement de l’article ? Pas forcement sur tous, mais du moins sur ceux qui, comme ici, utilisent de nombreux concepts que, il faut le reconnaître, n’importe qui ne maîtrise pas. Sans être une bibliographie lourde et chiante, il faut le dire, de type universitaire (un peu de ludisme ne fait pas de mal), on obtient la caution de sérieux, tout en restant visuellement non létal.
(Et puis, pour chier dans la colle, même les publication sérieuses ont des choses à ce reprocher, hein).
etienne # Le 20 janvier 2013 à 03:34
@Tonton
Ce papier n’a été écrit ni par un journaliste, ni par un philosophe, ni par un scientifique, mais par un lecteur de ce blog, auteur occasionnel. Je remercie Martin pour la politique d’ouverture de ce blog, non pas parce qu’il a hébergé deux de mes malheureux billets, mais parce que MF est un endroit ou ça discute et ça réfléchit, où la qualité rédactionnelle est sans commune mesure avec ce que l’on peut trouver ailleurs et où les amateurs éclairés ont leur place.
Ce billet n’était qu’une interprétation personnelle d’une expérience video-ludique singulière. Ne m’inscrivant pas dans le champ universitaire ou scientifique, il ne s’agissait que d’une proposition n’engageant personne à part son auteur -moi-même : il n’a donc rien d’une publication "scientifique" et n’a de ce fait pas à se soumettre aux "règles de l’art" du champ universitaire. Faut arrêter d’impressionner votre petit monde en écrivant à la manière d’un rapporteur de comité de lecture d’une revue scientifique...vous n’êtes pas au bon endroit.
Je reconnais volontiers que la partie "kantienne" du papier est la plus faible, ça ma simplement fait plaisir de l’écrire. Le lien me paraissait tout simplement évident : montrez moi que ça n’a rien à voir et on verra...Je ne prends pas suffisamment la philosophie en général au sérieux - et Kant en particulier - pour me laisser impressionner.
Mon opinion personnelle, qui traverse le papier, est que l’impératif kantien nous donne des motifs simples permettant de réfléchir à la conciliation du rationnel, du juste et du bon, et que ce mod, du fait qu’il ne s’agit que d’un jeu, contredit radicalement cette conciliation, puisque qu’on y est systématiquement confronté à des rencontres qui n’ont rien à voir avec celle de la vie ordinaire...
Je n’entends pas grand chose à votre distinction savante entre IC1 et IC2 et me fiche complètement de déformer la pensée de Kant. Je n’entends de Kant que ce que j’en ai compris, et qui est accessible à n’importe quel élève de terminale - on se demande vraiment pourquoi vous réclamez des références à ce sujet : à savoir qu’il est possible de fonder rationnellement des actes justes. Mon opinion est simplement que cela ne suffit pas à faire agir les gens ainsi. Je ne dis rien de plus dans le billet. Contestez cela et nous pourrons parler, le reste dépassant mon domaine de compétence...et mon intérêt pour ces choses.
MF est un site ouvert qui ne demande pas a être policé par les gardiens de la pensée. Je suis gré à Martin de proposer un espace alternatif, ouvert et original dans le domaine formaté des JV, et de permettre à des gens ordinaires qui réfléchissent d’émettre des idées plus ou moins abouties, pour la simple raison qu’il n’existe quasiment pas d’autre espace où l’on peut parler intelligemment du JV sur l’internet francophone. Je n’ai qu’une chose à dire : pourvu que ce blog dure.
Aussi, plutôt que d’exercer votre magistère philosophique sur les propositions de ce blog, sortez votre plume et éclairez nous de réflexions neuves et originales sur le JV, qui en a bien besoin, et mériterait mieux que de modestes amateurs dans mon genre...
Bien à vous.
Etienne Robert
Etienne Robert # Le 8 mars 2013 à 09:38
Addendum.
On a pu reprocher à ce papier le "bricolage" philosophico-économique associant DayZ, la théorie des jeux et Kant, et j’étais bien conscient des limites de l’exercice. Le manque de références bibliographiques a aussi été souligné et pour cause : il s’agissait d’une libre confrontation entre une expérience de jeu et des connaissances accumulées au fil du temps, sans références précises - juste de la pensée en acte, avec ce que ça contient de flou et de maladresse.
Je reste néanmoins persuadé que le gameplay de Dayz, en générant des relations interpersonnelles entre inconnus, et en simulant des choix "libres" allant de la coopération au meurtre virtuel soulève des questions fondamentales quant à la vie en société - autrement dit la vie humaine tout court - qu’aucun jeu vidéo précédent n’a soulevé auparavant.
Le hasard des lectures fait que j’ai lu entre temps "La Cité perverse" de D. Robert-Dufour, dont certains passages traitent exactement des questionnements que j’ai cru voir émerger en jouant à ce mod. Qu’un ancien directeur de programme au Collège international de philosophie confirme ma modeste intuition que l’"impératif kantien" avait bien un rapport avec la théorie des jeux m’encourage à persister.
Bien entendu, D. Robert-Dufour ne parle aucunement de Dayz, mais parle de notre relation à l’autre. Et je pense que l’expérience de ce mod nous parle aussi de cela. Mon hypothèse est que Dean "Rocket" Hall est un crétin de militaire néo-zélandais qui a créé quelque chose qui le dépasse, et que malgré tout cette "chose" en dit long sur l’état des sociétés occidentales, en particulier à propos de l’antique opposition entre l’amor socialis et l’amor privatus telle que la décrit D. Robert-Dufour.
Il n’est pas spécialement étonnant qu’un militaire néo-zélandais de base soit sans le vouloir à l’origine de questionnements qui le dépassent : lui et tous les joueurs de son mod sont traversés par la même culture, celle de l’Occident chrétien qui, comme toutes les sociétés, s’est demandé quoi faire - ou ne pas faire - de l’Autre.
D. Robert-Dufour convoque Sade et Lacan dans l’histoire, en plus de Kant et de la théorie des jeux, ce qui ne m’était pas venu à l’esprit. Or un petit tour sur youtube nous montre justement comment Dayz est devenu le laboratoire de toutes les perversions liées à la domination et à l’instrumentalisation d’autrui - il suffit de taper "Dayz", et "slavery", "hostage" ou "gladiators"...
Quiconque a joué à des JV depuis plus de 10 ans sait que ces questions n’ont rien à voir avec l’aspect purement visuel de la violence telle qu’elle est représentée. Ces videos sont pour moi infiniment plus choquantes que la "fatality" la plus cruelle d’un Mortal Kombat. Elles sont la mise en scène brute, cynique et souvent très bête - les bourreaux "virtuels" passent leur temps à ricaner comme des collégiens attardés - des pulsions sadiques les plus banales. Il suffit de visionner ces videos pour s’en faire une idée.
Encore une fois, il ne s’agit pas de dénoncer un jeu, mais seulement de comprendre ce qu’il véhicule dans le cadre d’une culture dominante : il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un gameplay émergeant reproduise de façon certes transfigurée des comportements conformes à cette culture dominante, dont les fondements néolibéraux se résument à l’apologie de la domination des plus forts et à l’humiliation des faibles, sur un fond de compétition généralisée.
C’est en quoi je pense que ce mod nous dit autant de choses sur nous mêmes, et bien au-delà du simple discours de déploration morale habituel qui accable l’industrie du JV depuis ses débuts.
La violence symbolique exercée à travers un mod qui autorise voire encourage l’humiliation et la destruction de l’expérience d’autres joueurs est infiniment plus forte que toutes réactions outrées des non spécialistes du JV face à l’esthétique sanguinolente des JV violents. Je pense en ce sens que la plupart des rédacteurs de Merlanfrit passent à côté de l’essentiel en suivant les problématiques imposées par les media mainstream à propos de la mise en cause de la violence esthétisée des JV.
Dayz innove en ce sens où il autorise toutes les formes d’interactions entre joueurs, et notamment la possibilité d’enrichir ou au contraire de pourrir leur expérience réciproque : il me semble que personne ne parle de cette mise en scène de l’opposition entre l’"agon" (la rivalité), et la "philia", (l’amitié) qui selon moi explique en grande partie le succès du mod de "Rocket". Ces choses-là sont bien plus essentielles et bien moins inoffensives que la mise en scène purement graphique de la violence qu’on peut trouver dans la plupart des JV, ou encore les conventions tacites des FPS où les bleus "niaque à la kqlqsh" les rouges et inversement. Nulle pulsion sadique là-dedans, simplement des mises en forme plus ou moins élaborées de compétition.
La lecture du livre de D. Robert-Dufour confirme pour moi de façon éclairante les questions éthiques posées par mon expérience personnelle de Dayz et l’opposition entre ce qu’il appelle la loi kantienne et la loi sadienne :
"Puisque se discutent des questions d’éthique, la discussion porte évidemment sur des questions de lois, en l’occurence de lois morales, sachant qu’il en existe deux, opposées terme à terme : la loi kantienne qui m’oblige à considérer l’autre comme une fin en lui-même (et non comme un moyen pour réaliser mes fins), et la loi sadienne (celle qui dit : "Jouis !") qui me pousse, au contraire, à considérer l’autre comme un moyen pour réaliser mes fins."
Je pense que Dayz est l’illustration manifeste dans le cadre d’un espace virtuel de cette opposition, et que le cadre imposé par Rocket impose mécaniquement la suprématie de la loi sadienne, qui consiste concrètement à looter des cadavres qu’on aura préalablement occis - ce qui n’est qu’une mise en scène brutale de la jouissance au détriment d’autrui propre à la loi sadienne.
Or D. Robert-Dufour décrit par l’absurde l’aporie de la généralisation d’une telle loi, telle que je l’ai vécue effectivement en jouant à ce mod en solo et qui selon moi fait que - à de rares expériences près - Dayz ne fait que nous faire rejouer deux types d’expériences chacune profondément frustantes : celle de la guerre de tous contre tous, autrement dit le PVP généralisé, ou celle plus subtile de la coopération perverse, aux seules fin du bizutage d’un tiers. En dehors de ces attitudes, le jeu n’offre guère de place à une coopération constructive fondée sur l’altruisme - d’après ma simple expérience en tout cas.
Voilà ce qu’il écrit pour démontrer l’absurdité d’une telle loi dans la vie réelle :
"Supposons qu’on parte de l’inverse, c’est-à-dire de la maxime sadienne, celle qui se formule ainsi : "Considère l’autre comme un moyen pour réaliser tes fins".
C’est bien à cela qu’invite le mod, par le biais du loot de cadavres - potentiellement porteur de nourriture de base et éventuellement d’équipement et armes supérieurs.
"Si je l’adopte, alors je dois bien concéder que l’autre puisse l’adopter aussi, y compris à mon encontre. Bref, si je l’adopte, je dois ipso facto accepter d’être éventuellement instrumentalisé par l’autre, dans et par la jouissance de l’autre."
C’est bien ce qui se passe dans la généralisation du PVP dans Dayz : en tirant sur tout le monde, non seulement j’augmente ma probabilité de progression en termes d’équipement, mais surtout je me protège du fait qu’on prétende progresser sur le dos de mon cadavre. En des termes plus familiers, il s’agit bien de l’alternative entre "niquer" les autres et "être niqué" par les autres, alternative largement diffusée dans la culture populaire, par exemple à travers ce qui reste de la culture "hip-hop" dans l’hexagone. La "philosophie" de Dayz n’est en ce sens qu’un avatar de la culture agonistique largement dominante dans cités, où la phobie d’être "pwned" conduit paradoxalement à préférer traiter autrui comme une "victime". Il suffit de visionner ces images pour en prendre la mesure :
http://www.youtube.com/watch?v=24Xg...
Voilà pourtant selon D. Robert-Dufour où devrait nous conduire la réflexion précédente :
"Je dois alors admettre de pouvoir perdre, le cas échéant, ce à quoi je tiens le plus, ma liberté. Ceci n’est donc pas la bonne stratégie, puisque, si l’autre est plus fort que moi, je devrais alors me soumettre".
Il faut croire que certains joueurs de Dayz soient prêts à sacrifier leur liberté au profit de leur hypothétique progression dans le jeu. Les expériences d’esclaves consentants prolifèrent sur Youtube ce qui illustre le fait que ces derniers, ayant totalement intégré les mécaniques imposées par "Rocket", acceptent une telle soumission au caractère ouvertement humiliant, dans le seul espoir que celle-ci leur permettra une progression dans le jeu - ou au moins la survie temporaire de leur avatar.
"C’est pour éviter cette perspective fâcheuse que j’ai intérêt à adopter la maxime kantienne où j’offre à l’autre de le considérer comme une fin en lui-même, en espérant que ceci l’incitera à adopter à son tour la même maxime à mon égard".
C’est exactement avec un tel principe que je me suis lancé spontanément dans Dayz, sans avoir lu D. Robert-Dufour, et que j’y ai vu une expérience en temps réel de l’interaction à l’autre : de façon intuitive, j’avais le sentiment qu’une expérience raisonnable conduirait spontanément les autres joueurs rencontrés à la même conclusion. Ne pas tirer le premier, non pas pour une raison morale, mais en vertu du fait que la coopération - ou au moins l’interaction pacifique - produirait une expérience plus riche que le PVP aveugle et le loot pronateur. Bien mal m’en a pris...
"Mais pour que ce donnant-donnant soit possible, il faut nécessairement que l’autre puisse me trouver en face de lui comme quelqu’un qui assume véritablement son désir, faute de quoi, s’il passe à l’attaque, je me retrouve dans la situation précédente et je tombe son emprise. La seule solution possible, c’est donc de choisir la maxime altruiste en premier et de la compléter par une maxime égoïste entée sur mon propre désir."
C’est cette temporalité qui est interdite par le mod de "Rocket", en ne nous laissant pas la possibilité de choisir "en premier" une attitude altruiste, et "en second" l’affirmation de son propre désir de persévérer dans le jeu sans se faire violer, du fait de la conjonction de l’"instant kill" et du retrait volontaire des signes visibles du comportement du joueur potientiellement adverse (suppression des "bandit skins"). C’est en ce sens que l’expérience de Dayz n’est pas réaliste, puisqu’aucune vie en société - y compris en temps de guerre - n’est possible sans une mémoire des interactions passées des individus. Du coup, c’est la seule loi sadienne de l’affirmation de soi au détrment de l’autre qui l’emporte dans le monde de Dayz, à rebours des interactions sociales réelles qui sont au contraire essentiellement fondées sur l’a priori logique de la coopération et de l’altruisme minimal. D’où l’expérience profondément frustrante et décevante procurée par ce mod pourtant prometteur dans les potentialités d’interactions qu’il contient en son concept.
Or la supériorité de l’équlibre coopératif est exactement ce que la théorie de jeux démontre :
"La solution optimale (ainsi dite lorsque le plus d’individus y gagnent), acquise après quantité de calculs théoriques, d’expériences pratiques et de simulations sur ordinateur, est obtenue lorsque le joueur adopte d’abord la sratégie altruiste (dite tit for tat , c’est-à-dire "donnant-donnant"), ce qui revient à proposer à l’autre, pour voir, sachant qu’ensuite il doit se tenir prêt à un repli immédiat sur une maxime égoïste, qui doit donc être prête, même s’il ne l’utilise pas nécessairement en fonctionde ce que fera l’autre".
J’ai pu lire ici où là des commentaires ma traitant de "pleureuse" traumatisée par l’expérience de Dayz. Or ce que je reproche à la mécanique imposée par "Rocket", c’est justement de ne pas laisser s’exprimer la maxime égoïste en second, mais de commencer par là, ce qui offre une facette tronquée des possibilités d’interaction humaine. Je ne suis pas déçu ni traumatisé le moins du monde de la méchanceté des joueurs, mais constate simplement la façon dont une mécanique de gameplay génère un comportement stéréotypé et prévisible. En choisissant spontanément la règle décrite par D. Robert-Dufour qui me semblait la plus cohérente en entrant dans le jeu, je me suis rendu compte qu’elle était inopérante, contrairement à ce qu’enseigne l’expérience concrète des interactions sociales avec des inconnus.
Et en ce sens, D. Robert-Dufour confirme magistralement qu’il n’est nul besoin du détour théorique fastidieux auquel j’ai cru devoir me livrer pour parvenir à cette intuition de la supériorité de la règle kantienne sur la règle sadienne, ce qui confirme que le "bon sens" n’est jamais éloigné de la "bonne philosophie" :
"On pourrait se demander ici si une déduction transcendentale très complexe est nécessaire pour parvenir à cette position et s’y tenir dans l’action pratique. Je pense que non. On peut parvenir à cette position de façon instantanée. Autrement dit cette déduction transcendentale peut se faire de façon inconsciente : elle apparaît alors comme étant la position spontanée qui permet la régulation optimale du rapport à l’autre en avertissant le sujet, avant même qu’il n’y pense, qu’il ne faut ni infliger ni subir."
Manifestement, le mod de Rocket dans sa version actuelle ne permet pas d’éprouver une maxime pourtant aussi évidente dans la pratique quotidienne des relations à autrui. Pourtant, il avait justement ce potentiel...ce qui en fait toujours un objet singulier et fascinant, y compris du fait des errances de son créateur.
En valorisant l’agression sans dialogue préalable, en recréant l’oubli permanent des interactions passées, en favorisant systématiquement les mieux dotés face aux newbies qui débarquent à poil, ce mod nous donne grossièrement à voir ce qui reste des relations sociales entre inconnus dans la culture capitaliste contemporaine...une forme de guerre civile larvée et silencieuse.
Steph # Le 8 mars 2013 à 10:56
Étienne, merci pour la réponse. Je tiens simplement a préciser qu’elle ne pourra elle même recevoir aucune objection puisque la personne que vous remerciez pour son ouverture a fait votre contradicteur persona non grata.
ceci dit, il est tout de même étrange de dire en conclusion de dire que le détour théorique n’est pas nécessaire lorsqu’on prétend proposer une évaluation d’une théorie morale comme celle du kantisme. Pour le coup, ne justifiez vous pas plus les intuitions morale commune du genre "il est plus juste de ne pas tuer un être humain innocent" que vous n’éprouvez les théories morales.
KotL # Le 8 mars 2013 à 11:51
Réflexion fort intéressante, merci de cet éclaircissement.
N’ayant pas pu tester le mod en question, mais ayant sous la main une interview "surprise" du créateur par une streameuse, où apparemment il parle du pourquoi du comment de ce mod, j’attends d’avoir la foi de visionner ladite interview pour prendre part au débat, histoire d’avoir les 2 versions des faits.
"dean rocket hall dayz standalone interview" sur youtube, chaine de ShannonZkiller pour les intéressés.
Martin Lefebvre # Le 9 mars 2013 à 21:04
Si ledit contradicteur aka Tonton sait se tenir, je ne vois plus de raison pour qu’il ne puisse pas répondre. Faites comme si je n’étais pas là, de toutes façons j’ai la grippe.
yvster14 # Le 30 mai 2014 à 18:43
Merci pour cet article !
J’ai intuitivement eu le même genre de réaction que vous et ça a donné lieu à un échange bizarroïde sur le forum de Jeux Vidéos.com :
http://www.jeuxvideo.com/forums/1-2...
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