L’exploration est inhérente à de nombreux jeux vidéo. Partir à l’aventure, c’est explorer un peu. Mais si on ne partait pas à l’aventure ? Si on se contentait de découvrir la beauté et les secrets de ces mondes virtuels ?
"On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va." Cette phrase attribuée à Christophe Colomb sonne comme l’évidence même, mais il faut se souvenir que cela n’a pas toujours été le cas. Longtemps on a cru que la Terre était plate, qu’il n’y avait rien derrière l’océan, que le ciel était une voute, bref, que toute perspective d’exploration en dehors des terrains connus était vouée à l’échec. Ces croyances dépassées ont aujourd’hui de quoi faire rire, et pourtant, c’est bien cette conception archaïque d’un monde clos, à l’exploration limitée, qui a été transposée et communément acceptée dans le jeu vidéo. Certes, si l’écrasante majorité des mondes de jeu vidéo sont en vase clos (aussi vaste le vase soit-il), c’est en raison de contraintes techniques et non pas de la persistance d’une croyance complètement dépassée. Du moins, ça l’était, car il est désormais possible de créer des mondes infinis, qu’ils soient générés procéduralement comme celui de Minecraft ou qu’ils forment des boucles, comme celui de The Endless Forest.
Pourquoi dès lors l’industrie du jeu vidéo qui semble pourtant très soucieuse de donner à ses productions la meilleure illusion de réalisme ne pousse-t-elle pas ce réalisme jusqu’au bout et ne crée-t-elle pas des univers qui soient, comme le nôtre, explorables à l’infini ? Le problème réside dans la finalité du jeu. Un monde infini et ouvert implique en effet une plus grande difficulté à écrire, à prévoir : on ne peut pas le scénariser de la même manière qu’on scénarise un monde clos. Il serait ridicule par exemple d’imposer des trajets précis au joueur, de le guider sur les rails d’une narration. Les objectifs traditionnels du jeu vidéo (délivrance de princesse, élimination de tous les ennemis, high scores...) ne peuvent être transposés tels quels dans un monde infini et de nouveaux objectifs doivent voir le jour. L’exploration est une éventualité, celle-ci n’étant plus considérée comme un moyen, mais comme une fin.
Explorer le temps

Il y a quelque chose de motivant en l’exploration. Qui n’a pas un jour abandonné sa quête ou sa mission pour découvrir les limites de l’univers de jeu ? Qui ne s’est jamais cogné à une paroi de verre, et surtout, qui ne s’en est pas trouvé intensément frustré ? Le principe même du jeu vidéo est de donner au joueur une illusion de liberté, et il y aura toujours un moment où le joueur voudra tester l’ampleur de celle-ci. Il y a en chacun de nous un explorateur qui rêve de découvrir de nouveaux territoires inexplorés.Pourquoi dès lors ne pas exaucer notre souhait ? Pourquoi ne pas créer un jeu vidéo où l’exploration serait la seule finalité ?
Minecraft tend vers cette idée. Dans cet univers généré procéduralement, le joueur a le choix de ses objectifs : il peut s’agir de bâtir des édifices toujours plus prestigieux, de parcourir des donjons et d’en ramener des objets précieux ou encore d’explorer, tout simplement.. Un mode pacifique permet même de rayer les monstres de la carte afin de l’arpenter en toute quiétude. Si Minecraft peut donner l’envie de partir sans savoir où l’on va, c’est d’une part parce que ses décors sont beaux à voir, un prérequis qui semble nécessaire à l’exploration, mais aussi parce que son univers est vivant, diversifié, parce qu’il donne régulièrement matière à découverte. Chaque nouvelle mise à jour étoffe l’univers, l’enrichit. La 1.06 permettait au joueur de construire des barques pour partir à la conquête des mers et des îles, la 1.2 ajoutait des biomes pour diversifier les régions, la 1.5 attribuait une météo propre à chaque biome, la dernière en date 1.8, donne l’occasion de trouver des traces de civilisation : villages abandonnés, châteaux forts... Le joueur explorateur dispose ainsi sans cesse de nouvelles choses à découvrir et est constamment dépaysé. Cette démarche de Mojang n’est sûrement pas particulièrement réfléchie (il était simplement impossible de tout intégrer dans la première version) mais cela ne l’empêche pas d’être extrêmement ingénieuse. Dans un monde généré procéduralement, même si la notion de rareté peut être mise en place, tous les éléments sont placés de manière aléatoire. Des dizaines de kilomètres peuvent être parcourus in game sans la moindre découverte notable. Le joueur chanceux tombera sur un château fort lors de sa première excursion, le malchanceux passera à côté toute sa vie. L’espace a donc une valeur très relative Avec ses mises à jour, Mojang donne donc pour compenser de la valeur au temps : pour découvrir du neuf, il ne faut pas aller loin, il faut aller longtemps. On ne trouve pas un village abandonné après des mois et des mois de voyage, on le trouve après des mois et des mois d’attente, plus quelques heures à peine de voyage. Un amusant paradoxe en somme : Minecraft offre un monde infini qu’on peut pourtant explorer sans aller bien loin.
Explorer les autres

The Endless Forest nous offre un autre exemple, très différent du monde infini. Dans ce jeu multi-joueurs de Tale of Tales (ou non-jeu comme ils se plaisent à l’appeler) , le joueur incarne un cerf à tête humaine dans une forêt teintée de merveilleux. Comme Minecraft, The Endless Forest ne présente pas d’objectif particulier et l’exploration devient donc là encore une potentielle finalité. Celle-ci tient peut-être même un place plus importante encore : dans The Endless Forest, il n’est pas question de construire quoi que ce soit, pas question d’accumuler des ressources précieuses...il n’y a en vérité pas vraiment de challenge que le joueur puisse s’imposer pour pimenter l’expérience. Même la communication avec les autres joueurs semble assez vaine, puisque le jeu ne dispose pas de chat, tout échange passe par le brâme et la gestuelle. Ne reste donc que l’exploration.
Contradiction : l’univers de The Endless Forest se révèle extrêmement étroit. La forêt n’est ponctuée que d’une poignée de lieux notables comme le lac, les ruines ou le vieux chêne. Comment expliquer alors que six ans après sa création, et un an après sa dernière mise à jour, des cerfs continuent de l’explorer régulièrement ? Tout d’abord, l’étroitesse du monde ne se fait pas sentir. La carte du jeu obéit à un ingénieux système de boucle qui en gomme les limites sans donner pour autant l’impression de tourner en rond. Quittez le vieux chêne et trottez droit vers le nord, vous ne retomberez jamais sur votre point de départ mais peut-être sur d’autres haut-lieux de la forêt. Revenez sur vos pas, et vous serez surpris de retrouver l’arbre juste derrière vous. Dans cet environnement minuscule (en comparaison avec les gigantesques open spaces des jeux comme GTA) il est aisé de se perdre, tout comme il est aisé de retrouver son chemin. Ce seul détail suffira à créer l’illusion d’un monde explorable à l’infini.
Ensuite, comme cela a été évoqué plus haut, l’exploration est moins liée aux lieux qu’aux découvertes que ceux-là apportent. La forêt de Tale of Tales est riche en découvertes, tout simplement car elle est magique. En se frottant à certains arbres, en grignotant certains champignons, parfois simplement en faisant sa sieste, le joueur pourra hériter de pouvoirs des dieux de la forêt. Ces pouvoirs consistent généralement à changer l’apparence de l’avatar : nouveaux bois, nouveau pelage, masques...mais ils ne peuvent être lancés que sur les autres cerfs. En somme, l’exploration se fait à plusieurs, et la difficulté à communiquer avec les autres laisse une place importante à la surprise. Croisant un congénère au détour d’un bosquet, on pourra se voir gratifier d’un superbe masque primitif. Contrairement à Minecraft donc, les auteurs n’ont plus besoin d’intervenir pour créer de la découverte (bien qu’ils l’aient fait à plusieurs reprise), les joueurs, livrés à eux-mêmes, se chargent de se surprendre mutuellement.
Explorer l’espace

Le monde infini ne semble pourtant pas un prérequis pour que l’exploration puisse devenir finalité. Le jeu Small Worlds de David Shutte le prouve à moitié.
Celui-ci met en scène un petit personnage de trois pixels dans une série de monde clos. L’objectif donné (car il y en a un cette fois) est de trouver la sortie de chacun d’eux pour passer au suivant. Des labyrinthes en quelque sorte, mais qui se dévoilent au fur et à mesure. Les zones d’ombre s’effacent, le cadrage s’élargit, et ce qu’on pensait être un petit monde comme le suggère le titre s’avère au final plus vaste qu’on ne l’imaginait. Mais il s’avère surtout plus beau. En éloignant la « caméra », la résolution du jeu augmente, les couloirs de pixels mal dégrossis s’affinent donc pour devenir partie d’un tableau somptueux.
Une minute...si le but du jeu est de trouver la sortie, l’exploration n’est donc pas la finalité ? Certes, mais le level-design de chaque monde fait qu’il est nécessaire de l’explorer presque intégralement pour arriver au bout et le jeu ne présente aucun obstacle pour rendre cette exploration difficile. De plus, il se passe quelque chose d’étonnant en jouant à Small Worlds : une fois la porte de sortie découverte, on rechigne généralement à la passer. Il reste toujours dans les coins quelques zones d’ombre, et on se surprend à revenir sur ses pas, à trouver des moyens pour accéder aux endroits les plus reculés, à sauter sur place pour découvrir un peu plus de ciel. C’est comme si, franchissant la porte alors qu’il reste à découvrir, on avait l’impression de tricher, de ne pas jouer le jeu. La finalité du jeu est alors réinterprétée, le joueur se persuade qu’il s’agit avant tout d’explorer, et la beauté du décor lui fait apprécier cette exploration.
Une finalité partielle ?
Ces exemples montrent, chacun à sa manière, que l’exploration peut bel et bien être la finalité d’un jeu vidéo. Mais cet objectif d’explorer ne demeure dans ces trois cas qu’une éventualité. On peut préférer dans Minecraft passer ses journées à meubler sa maison, dans The Endless Forest à bavasser en langage cervidé avec les autres joueurs, et on peut dans Small Worlds choisir d’emprunter le chemin le plus court pour rejoindre la sortie. Ces différents objectifs n’étant en rien moins gratifiants. Créer un jeu où l’exploration serait reine et où il n’y aurait strictement rien d’autre à faire semble utopique. Sans autre finalité, sans conditions de victoire ou de défaite, cette expérience aurait bien des difficultés à se faire qualifier de ludique : il s’agirait simplement d’un Google Street View fictif. On peut en revanche espérer qu’à l’avenir les développeurs favorisent plus fréquemment cette éventualité de l’exploration vaine et gratuite. Avec Minecraft, The Endless Forest et Small Worlds, ils disposent désormais de pistes à explorer.
Vos commentaires
BAEYENS Michael # Le 8 novembre 2011 à 13:25
Red Dead Redemption est un bon exemple de jeu qui invite à l’exploration. On peut passer des heures à flaner, à parcourir l’ouest américain à dos de cheval et même parfois attendre le coucher du soleil en haut d’une colline...
Pierre Corbinais # Le 8 novembre 2011 à 18:29
Rien que le thème de Red Dead Redemption, le western, est en effet un appel vers l’exploration. Je n’ai pour ma part pas eu l’occasion d’y jouer, mais il me semble bien que quelqu’un ici a concocté un petit quelque chose à ce sujet, ça ne devrait pas tarder à être publié.
Damien # Le 8 novembre 2011 à 23:33
On peut aussi citer World of Warcraft, où le mot "exploration" a même été récupéré par une partie des joueurs pour qui le but est justement d’aller là où il n’est pas prévu d’aller. Hélas, le monde n’étant pas généré procéduralement, les espaces non prévus à la circulation sont généralement informes et laids - à de très rares exceptions près, qui ont fait le bonheur des amateurs de vidéos de ce type de découverte, dont je suis.
Pour ceux qui ne recherchent pas l’exploit, le monde, grâce aux variations de climat et de luminosité, est parfois très agréable à parcourir comme le premier promeneur du dimanche venu. Je ne suis sans doute pas le seul à aimer écouter la pluie aux Paluns...
Martin Lefebvre # Le 8 novembre 2011 à 23:46
C’est certain que WoW a été un choc à sa sortie. Burning et Lich King avaient de très belles zones aussi, allant du psychédélique au sauvage, mais je n’y ai jamais retrouvé l’impression de monde que procurait Azeroth, avec ses déserts et ses forêts, ses villes hantées et ses campements sauvages... Je me suis bien brûlé les yeux à l’époque. Je n’ai pas joué à Cata, et j’avoue que ça me ferait peur de voir ce qu’est devenu cet autre monde où je me suis autant perdu...
Les MMO ont depuis longtemps pris en compte les explorateurs. C’est une des quatre grandes catégories dans la fameuse classification de Richard Bartle, un des premiers chercheurs a s’être intéressé aux MUDs (les ancêtres des MMO)... Son papier de 1996 est toujours très intéressant : http://www.mud.co.uk/richard/hcds.htm
Jukhurpa # Le 10 novembre 2011 à 16:23
J’aurais cité FUEL qui offre vraiment un monde immense à explorer et on se surprend à passer plusieurs heures à rouler en Free Ride juste pour aller voir le lever du jour au somment d’une montagne, puis de là on repart parce qu’on aperçut un canyon à explorer, on continue ainsi de lieu en lieu délaissant totalement les courses et le GPS sans but autre que la simple exploration.
Pierrec # Le 11 novembre 2011 à 09:08
Je ne connaissais pas du tout FUEL, je vais donc me renseigner. Les exemples de jeux permettant l’exploration sont en effet nombreux, que cet exploration soit prévue ou non (exploration de glitches par exemple). J’attends maintenant avec impatience un jeu qui ne se baserait que sur ce principe d’exploration tout en demeurant plaisant et ludique. Un beau challenge je pense.
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