12. Poisson frais

Dokuro

Fade princesse

Mesdames, vous avez pleinement le droit de croire au prince charmant, car il existe. Vous pouvez même, moyennant la possession d’une PsVita ainsi qu’une modeste transaction financière sur le Playstation Network, le rencontrer et le côtoyer pendant plusieurs heures [1]. Merci néanmoins de vous préparer psychologiquement, de violentes désillusions étant à prévoir.

Vous devrez tout d’abord vous vêtir de vos habits de princesse avant de vous laisser emprisonner dans un château. Inutile de songer à Xanadu que vous pourriez quitter tranquillement aux prochaines fêtes de fin d’année, le temps que Charles Foster Kane se souvienne qu’il a vécu une existence qu’il n’a jamais choisie. Vous serez coupée de l’air libre par une forteresse aussi moyenâgeuse qu’imprenable, où siège un immense Seigneur aux allures de Dormin, qui nourrit le dessein de vous épouser, et passe le reste de son temps à communiquer ses méchantes humeurs par le biais de borborygmes parfaitement incompréhensibles. Au passage, vous n’êtes pas mieux lotie puisque vous devrez aussi subir une détérioration considérable de votre registre vocal, qui ne vous autorisera guère plus de trois ou quatre onomatopées. A ce stade, toute femme raisonnable aura tourné les talons. Peut-être quelques irréductibles se comptant sur les doigts d’une main de manchot se diront que quitte à voir ses sens fortement bridés, autant se laisser aveugler par l’amour prochain ; sans compter que face à la personne de ses rêves, il n’est pas toujours aisé de formuler des propos intelligibles.

Jetons ces espoirs tordus aux oubliettes : d’une part, en temps normal, le prince charmant est invisible. Vous ne serez pas en mesure de le voir en action la majeure partie du temps. C’est une façon fort hétérodoxe de rappeler que les princesses sont rarement d’ascendance aborigène, pourtant vous auriez tort de maudire votre incapacité à l’admirer sous toutes les coutures, car le prince charmant n’a même pas la peau sur les os : c’est un misérable squelette ! Il est minuscule, ramassé, fragile, aussi charismatique et redoutable qu’un chihuahua cul-de-jatte, quasiment à la merci du moindre ennemi le surplombant ne serait-ce que d’une demi-tête. Au mieux peut-il repousser ses égaux de taille à l’aide… d’un os à moelle. Vous espériez un beau jeune homme élancé, sûr de lui, faisant tâter de son épée toute créature lui manifestant la plus petite comme la plus grande hostilité ? Vous n’avez pas totalement tort. Notre clone miniature de Mister Bones peut se métamorphoser en l’homme de vos rêves, drapé dans sa cape, couronné, le regard perçant, le fleuret au poing. Comble du bonheur, vous pourrez enfin l’apercevoir, et même être porté par lui ! Profitez-en bien cependant, car cette oxygénation de vos yeux n’est que temporaire et soumise à l’absorption par le gentil Skeletor d’une potion contenue dans une fiole d’abondance, dont il faut attendre le rechargement une fois l’effet dissipé. En outre, ne vous imaginez pas fuir main dans la main avec votre sauveur, quelle que soit sa forme.

D’abord, le noble sac d’os aura fort à faire avec ses méninges pour vous ouvrir la route au sein des salles parsemées de pièges, de monstres malfaisants et de mécanismes retors qui pullulent à travers le château. Ensuite, votre héros n’est pas cornu. Enfin, vos aptitudes motrices équivalent peu ou prou à celles d’un homo lemmingus légèrement évolué. Il ne vous sera permis que d’avancer droit devant vous — qui plus est, à une allure jetant un furieux doute sur votre réelle volonté de vous échapper —, de revenir partiellement sur vos pas si un ennemi se trouve à proximité, et de vous arrêter au moindre bord. C’est une simple marche descendante qui se présente à vous ? Peu importe, vous serez si peureuse que vous n’oserez même pas l’emprunter. Vous devrez attendre que Prince Vaillant se donne encore la peine de venir vous prendre dans ses bras pour franchir cet obstacle infranchissable de trois centimètres de haut.

Vous aurez donc saisi, chères amies, que le compromis est notoirement déséquilibré, l’abnégation réclamée incommensurable et la récompense promise ambiguë. Ajoutez à cela les difficultés croissantes que votre compagnon devra surmonter, tantôt réflexives tantôt réflexogènes, contraignant à de multiples essais, et le tableau sera complet ; ou plus exactement, les cent soixante tableaux à traverser. Sincèrement, il y a bien mieux pour vous que d’être secourues par un prince charmant : le contrôler. Voilà qui tombe à pic puisque c’est en réalité tout ce qui vous est proposé contre les quelques euros à verser. Procurez-vous donc cet excellent simulateur de prince charmant qu’est Dokuro sur PsVita ; projetez-vous dans son château (très très) fort, son style semi-enfantin, ses musiques aigres-douces (bien que trop itératives), et ses énigmes et péripéties multiples où le fer croisera autant le feu, l’eau et les interrupteurs que la chair putride de l’ennemi. Tout cela vous rappellera peut-être des histoires que l’on vous racontait durant votre plus jeune âge, et qui évitaient soigneusement de suggérer que voir quelqu’un risquer sa vie pour soi peut être flatteur, mais aussi très vexant. Aux armes !

Notes

[1] Le jeu est également disponible sur support physique dans ses versions japonaises et Asia, cette dernière contenant la localisation française

Il y a 7 Messages de forum pour "Fade princesse"
  • bougre Le 29 juillet 2013 à 16:59

    Ai-je bien compris ? Ce jeu est donc le contraire d’un jeu féministe, où la princesse est, une fois encore, impotente et stupide ? Auquel cas, que nous vaut cette recommandation ?

  • Simon Génessier Le 29 juillet 2013 à 19:55

    D’une part, le jeu est très bon ; d’autre part, les exclusivités PsVita sont évoquées tous les 36 du mois sur Merlanfrit. Enfin, Yorda et Muno démontrent un potentiel d’action à peu près aussi limité dans les jeux de Ueda que la princesse dans Dokuro, et personne n’a crié à l’anti-féminisme à ma connaissance. Il serait à mon avis tout à fait possible (et sûrement drôle) d’écrire sous un angle similaire sur Ico et Shadow Of The Colossus.

  • bougre Le 29 juillet 2013 à 22:13

    Assurément. Je n’ai pas cherché à les défendre. J’avais seulement lu, dans l’article, une forme de sarcasme qui m’a semblé contradictoire.

  • Simon Génessier Le 30 juillet 2013 à 09:58

    Ah au temps pour moi. A sarcasme, sarcasme et demi. ^^

  • sarcasme Le 30 juillet 2013 à 11:55

    sarcasme et demi ou demi sarcasme ?

  • la femme à barbe Le 30 juillet 2013 à 12:01

    barbosa, la femme à barbe étymologiquement

  • Simon Génessier Le 1er août 2013 à 11:34

    Bonjour, chère sœur cachée. Vous auriez pu vous manifester 34 ans plus tôt, j’ai d’autres chats à fouetter désormais.

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