Parmi les contributeurs de la Pirate Kart, il y en a un qui n’est pas tout à fait inconnu de nos services : le nancéen Fabien Porée, touche-à-tout lo-fi, est à la fois musicien, vidéaste et créateur de micro-jeux résolument barrés. Fabien est aussi un véritable professionnel du web-design comme le prouve son site aux merveilleuses couleurs primaires, croisement volontaire entre Ulillilia.us et une improbable page personnelle sur laquelle un comptable de 45 ans montrerait ses photos de vacances dans le Washington de Fallout 3.
Fabien compte sept titres sur la Kart, tous plus déglingués les uns que les autres. Par exemple, Jazz, the non-interactive Jazz Simulator, génère, comme son non l’indique, de la musique en boucle sans la moindre intervention de la part du joueur. Dog Push ou SOCCERBALL 3D sont des gags de mauvais garçon, qui ont cependant le mérite de faire la caricature respectivement de la fascination des internautes pour ce qui est poilu et mignon, et du "réalisme" des jeux de football. Dans Missile Dodger, plus ludique, un pauvre petit bonhomme doit éviter les roquettes que lui balance un hélicoptère de combat. Après tout, c’est une compétence à ne pas négliger, surtout si on vit en Afghanistan.
On l’aura compris, tout cela n’est pas très sérieux, mais en bricolo provocateur du game-design, Fabien n’en a pas moins des choses intéressantes à dire sur la Pirate Kart ou la scène indé. Entretien.
Merlanfrit : Comment tu as eu vent du projet ?
Fabien Porée : Ça fait quelques mois que je suis inscrit sur glorioustrainwrecks, après en avoir entendu parler sur, je crois, selectbutton. J’ai dû déjà y envoyer une petite dizaine de jeux, et je suis attentivement ce qui s’y passe. Quand j’ai vu qu’ils organisaient une compilation pour l’envoyer à l’IGF, je pouvais pas ne pas y participer.
Tu avais prévu de participer à l’IGF quand même ?
Haha non. J’imagine que j’aurais pu le faire s’il n’y avait pas $95 à payer, j’aime bien m’amuser à participer à des concours comme ça en sachant que j’ai aucune chance de gagner contre des gens qui s’embêtent à faire des trucs chiadés et du marketing.
Le truc de l’artiste qui va se servir du jeu vidéo et qui va comme ça en faire quelque chose de justifiable sur le marché de l’art, je trouve que ça a quelque chose d’extrêmement distant et méprisant.
Comment te considères-tu ? Game designer ? Créateur ? Artiste qui utilise le jeu vidéo comme moyen d’expression, etc.
Je suis un peu partagé là dessus. D’un côté j’ai envie de dire que je suis juste un gars qui fait des jeux de temps en temps pour s’amuser, et que c’est très bien comme ça. De l’autre, j’ai envie de me faire appeler un game designer, histoire de montrer que ma façon de faire est valide et qu’on a le droit de faire des jeux dont on peut être fier sans pour autant qu’ils soient hyper travaillés et vendables. Ça dépend de l’humeur du moment.
Par contre j’ai vraiment, vraiment plus aucune envie de me faire appeler un artiste. Le truc de l’artiste qui va se servir du jeu vidéo (ou des réseaux sociaux ou quoi que ce soit à la mode maintenant), et qui va comme ça en faire quelque chose de justifiable sur le marché de l’art, je trouve que ça a quelque chose d’extrêmement distant et méprisant. Ça veut pas forcément dire que rien de bien ne peut en sortir, mais la façon dont c’est habituellement présenté, et le système de production culturelle sanctionnée qu’on a aujourd’hui, ça me dégoûte vraiment.
Tu penses avoir ta place dans l’IGF ?
Je pense pas avoir ma place dans l’IGF comme il est maintenant, qui récompense avant tout les jeux qui auront l’air le plus professionnel. J’aimerais y avoir ma place, comme beaucoup d’autres, et je pense que c’est pour ça que le Pirate Kart existe. C’est une façon de nous placer là, et de dire que les jeux amateur sont de vrais jeux, qu’on ne veut pas être effacés de l’histoire et qu’un autre mode de création est possible. C’est un peu grandiose dit comme ça mais je pense que c’est cet espoir qui nous motive. Et d’ailleurs au passage, glorioustrainwrecks fait un super boulot de préservation pour ces jeux amateur oubliés. Un outil de création de jeu vidéo amateur comme Klik & Play existe depuis près de 20 ans maintenant, c’est assez considérable. Et même si la qualité de la production est très variable, je ne suis vraiment pas à l’aise avec la façon dont on pousse ces jeux sous le tapis. Ils font partie de notre histoire et je suis très heureux que quelqu’un soit là pour les archiver.
Certains de tes jeux sont clairement parodiques. Par exemple, dans SOCCERBALL 3D tu te moques des jeux de foot... Les couleurs claquent, il y a Didier Drogba et France 98... Qu’est-ce qui t’as pris ?
Je pense pas que ma volonté était de me moquer directement des jeux de foot. Ça m’amusait d’essayer de faire un jeu en 3D (dans Game Maker qui est vraiment pas fait pour ça) avec des physiques un peu pourries. Le contexte du foot c’était bien, on peut taper dans un ballon, il rebondit. Je comptais ajouter plus de choses à la base, d’autres joueurs qui bougeraient sur le terrain et qui feraient rebondir le ballon. Mais j’ai eu la flemme, et du coup il y a juste Drogba qui est planté là et qui ne fait rien. La façon dont la caméra bouge quand on avance me faisait trop rire pour pas que je sorte ce jeu. Et je sais pas s’il existe des jeux de foot à la première personne, ou où on contrôlerait un seul joueur, c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup voir.
J’aime beaucoup voir les premiers essais des gens en général, que ce soit en jeux en musique ou quoi que ce soit
Il y a aussi un élément absurde dans ta façon d’aborder le gameplay : Dog Push 2000 dure deux secondes, on le croirait sorti de Wario Ware, Sexy Missile Command est un remake volontairement injouable du classique d’Atari... On est presque plus proche de la vidéo interactive que du jeu, non ?
DOG PUSH 2000 est mon premier ou deuxième jeu fait avec Game Maker. C’est une exploration rapide des possibilités de base (même pas bien fait, c’est buggé à mort), et la joie de pouvoir faire bouger un truc sur un écran suffisait. Je l’ai inclus parce que j’aime beaucoup voir les premiers essais des gens en général, que ce soit en jeux en musique ou quoi que ce soit.
Je trouve pas Sexy Missile Command particulièrement plus injouable que l’original, mais je suis très mauvais à Missile Command donc c’est dur à dire. C’est un jeu que j’avais fait pour le Klik of the Month #52, où on avait comme thème la violation des propriétés intellectuelles d’Atari. Je cherchais un moyen de plagier un de leurs concepts de jeu sans que ça puisse avoir l’air d’un hommage, et j’ai eu cette idée du sous-produit auquel on a ajouté des éléments érotiques, comme il a pu y en avoir beaucoup en arcade à une époque. Mais sinon, honnêtement, je n’arrive plus vraiment à avoir une opinion sur la question de la différence entre jeu et vidéo interactive. Je pense pas que ce soit une division très pertinente, et s’inquiéter de si on fait vraiment un jeu ou une vidéo interactive c’est quelque chose qui à mon sens risquerait de limiter la créativité. Tant qu’il y a la possibilité d’une petite interaction qui a un effet ou un sens, ça me suffit. Dans mes trucs, le seul véritable non-jeu c’est mon simulateur de jazz je pense, mais il déchire.
Et oui, le fait que j’aie fait une recherche "hélicoptère apache" dans google images a un sens, mais je cherche jamais à donner dans la métaphore directe consciente
Même Missiledodger, qui ressemble le plus à un jeu d’adresse classique semble avoir quelque chose de satirique. C’est qui le bonhomme qui doit éviter les missiles tirés par l’Apache ? Un Afghan ? Un Irakien ? Un Palestinien ? Quelque part savoir éviter des missiles, c’est un skill appréciable dans certains pays, c’est Jane McGonigal qui serait contente.
Je crois pas avoir pensé une seconde à un contexte plus poussé que ce qu’on voit directement dans le jeu ! Pas consciemment en tout cas. Après oui, malgré les apparences je prends pas les possibilités d’un jeu (boum pan) à la légère, et les fois où dans ce que je fais j’inclus un moyen de tuer des ennemis, c’est en connaissance ou en parodie du côté sociopathe de beaucoup de jeux. Et oui, le fait que j’aie fait une recherche "hélicoptère apache" dans google images a un sens, mais je cherche jamais à donner dans la métaphore directe consciente parce que c’est toujours un peu relou. :)
De manière générale, à quoi ressemble la scène indé pour un Français ?
C’est idiot mais je n’ai pratiquement aucune idée de ce qu’il peut se passer en France, donc ce que je vais dire va sûrement plus trahir mon ignorance qu’autre chose. J’ai pas l’impression qu’il y ait de véritable scène indé en France. Il y a des petits jeux qui se font, mais je ne vois pas de force revendicatrice qui se fait entendre derrière, comme il peut y avoir aux États-Unis. J’aimerais beaucoup voir une initiative comme le Pirate Kart, ou même l’IGF, en France, mais je sais pas si on prend encore le jeu vidéo assez au sérieux ici. Mais si on peut me corriger là dessus, j’en serais ravi.
Quels jeux de la Kart nous conseillerais-tu ?
J’ai pas encore eu l’occasion de jouer à énormément de jeux (même s’il y en a pas mal que je connaissais déjà avant en fait), mais pour l’instant dans ceux que j’aime particulièrement : 1958 BNL que vous avez déjà cité, Hold Right To Make A Metaphor Unfold Trepidatious Peak (et tous les autres jeux de Leon Arnott qui sont en général excellents), The Ballad of Sad Ghost, My First IGN Interview, Rogue Hockey et j’arrête avant de lister tous ceux auxquels j’ai joué haha...
Vos commentaires
Sachka Duval # Le 24 octobre 2011 à 21:11
Super interview, très intéressante ! (et perso j’ai trouvé Sexy Missile Command très jouable :p )
Je partage totalement ton point de vue sur la récupération qui est faite du jeu vidéo pour en faire de "l’art", d’une façon qui montre juste l’inculture de ces gens.
Martin Lefebvre # Le 24 octobre 2011 à 22:00
Je suis juste nul à Missile Command, j’avoue. Je voulais faire du journalisme d’investigation à la Marc-O. ;)
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