Eternel retour
J’ai eu envie d’adorer Katana Zero dès ses premières images. Quel mordu d’action décérébrée resterait insensible à son rythme frénétique, son pixel art soigné, ses animations flamboyantes, son katana éponyme ? Seulement voilà, la réalité est rarement à la hauteur des trailers et le titre d’Askiisoft échoue lamentablement sur un écueil, et pas des moindres...
… car celui-ci se nomme Hotline Miami, autrement dit une des œuvres les plus marquantes de la courte histoire du jeu indé. Or tout dans Katana pue le Hotline : les personnages masqués au discours cryptique, l’intrigue conspi et nébuleuse, les affrontements brutaux, le pixel art, la synth-wave, la drogue, les mafieux, les néons. Le jeu culte de Dennaton est allègrement pillé, au point qu’on se passera de résumer le concept de Katana Zero [1] : c’est tellement la même chose que ça en devient gênant.
N’étant pas manchots, les auteurs de Katana Zero ont bien heureusement pigé qu’il leur fallait apporter leur grain de sel pour éviter d’être accusés de contrefaçon. Fini le top-down, l’action est montrée à l’horizontale. Et si les deux titres partagent un même amour rétro du néon [2], ils ne jouent graphiquement pas dans la même cour. Le pixel art de Katana Zero est superbe et foisonnant. Les animations sont au poil, détaillées mais toujours lisibles et le tout rompt avec l’esthétique pour le peu... minimaliste de Hotline Miami.
Comme dans celui-ci, les phases de narrations sont incrustées au chausse-pied entre chaque niveau. Soirées solitaires dans l’appartement défraîchi, séances de thérapie et passage au supermarché sont autant d’occasions pour en apprendre plus sur le quotidien du protagoniste, mais surtout pour souffler entre deux bastons éreintantes [3]. Mais Askiisoft a l’ambition de raconter une vraie histoire, alors les dialogues s’éternisent, parfois plus longs que les niveaux en eux-mêmes. Appuyez sur X pour boire votre thé, sur Y pour jouer avec votre voisine, allez voir votre psy. Venu pour du meurs et réessaye sans pitié, le joueur se retrouve le tiers du temps devant un visual novel. Pas de bol.
Si l’on s’amuse un temps de cette interminable narration à choix multiples, puis qu’on se demande s’il n’y a pas une idée de game-design couillue là derrière — retirer le contrôle à un joueur habitué à virevolter sabre au vent pour lui faire sentir le poids du quotidien — on est bien forcé de se rendre à l’évidence : c’est simplement raté et chiant. Penser que la qualité est affaire de taille en narration, c’est oublier l’indéniable supériorité de l’ellipse : on en dit souvent plus en en montrant le moins possible. Il ne fallait que quelques lignes à Hotline Miami pour suggérer le quotidien morne et schizo de son protagoniste. Katana Zero veut raconter plus de choses, être adulte et sérieux. Il ne parvient qu’à sonner comme une mauvaise série B.
Coincé
Face aux résultats mitigés de leur stratégie du « plus de la même chose » les auteurs tirent une ultime carte de leur manche : la chronos. Une drogue qui fait office de Mac Guffin dans l’intrigue et qui — comme son nom ne l’indique pas — confère à son usager le contrôle du temps. Jouer à Hotline Miami, c’était vivre l’expérience d’une gerbille catapultée dans une lutte à mort en pleine montée d’amphétamines. Au contraire, mettre la main sur Katana Zero c’est apprendre à ralentir le temps jusqu’à renvoyer les balles de kalash en s’interrogeant sur la finalité de son existence. Habile twist de la part d’Askiisoft : Le joueur d’Hotline faisait l’expérience de sa vulnérabilité, celui de Katana découvre la puissance.
La chronos offre surtout une belle cohérence narrative au meurs et réessaye. Car si l’action recommence à chaque mort, c’est parce que le personnage est coincé dans une boucle temporelle provoquée par cette drogue, condamné comme le Tom Cruise d’Edge of Tomorrow à revivre le même moment jusqu’à effectuer le parcours parfait. C’est peut-être anecdotique, mais cette idée apporte un peu de fraîcheur à un genre essoré, d’autant plus que les développeurs l’exploitent jusqu’à l’os, comme dans cette séquence d’interrogatoire où – à force de la revivre – on connaît les questions de notre tortionnaire avant lui.
Après quelques minutes passées sur Katana Zero, on se dit qu’on est face à un hit : si la narration s’avère poussive, le travail sur l’animation, l’esthétique, la B.O., le game feel, tout cela est admirablement maîtrisé et suinte l’effort. La déception est donc d’autant plus grande lorsqu’au bout de quelques heures la lassitude pointe le bout de son nez. L’incompréhension s’installe : tous les ingrédients sont là, et pourtant ça ne prend pas, du moins pas autant qu’on le voudrait. Et tout d’un coup, l’évidence saute aux yeux : si Katana Zero échoue si près du but, c’est peut-être parce que ses auteurs n’ont pas tout à fait compris Hotline Miami. On ne va pas leur jeter la pierre : il semblerait que les développeurs d’Hotline Miami n’aient pas eux-mêmes compris leur propre jeu, tant Hotline Miami 2 était une redite balourde de leur chef d’œuvre.
Be kind rewind
En 2012, Hotline Miami est un pavé dans la gueule en plus d’être un bon jeu, une expérience éprouvante dont on lâche la manette en tremblant. Quelque chose de jamais vu. Cela tient à son épure, au fait qu’il est moche comme un pou, insolent comme un sale gosse, expéditif avec son « press R to restart ». Ce qui en fait le génie n’est pas tant sa terrible efficacité que sa radicalité. Quand on a cela en tête, on comprend mieux pourquoi tenter d’améliorer cette formule tient du contresens : Hotline Miami 2 s’y est logiquement cassé les dents. Avec son esthétique léchée, ses ralentis, ses dialogues à choix multiples, Katana Zero affaiblit le concept au lieu de le renforcer, le ramène vers les heures glorieuses de l’arcade 16 bits là où Hotline Miami transcendait le genre.
Va-t-on bouder notre plaisir ? L’arcade bien foutue est suffisamment rare de nos jours pour qu’on ne fasse pas la fine bouche. Mais l’adulte derrière le joueur s’interroge : pourquoi les putes camées, les scènes de tortures, la violence sadique, les histoires de syndrome post-traumatique si le seul but de Katana Zero est d’être fun ?
On pourra rétorquer à l’adulte qu’il est sacrément hypocrite, à se plaindre de violence gratuite alors qu’il a signé pour éventrer des types au katana. Mais il sait aussi que la violence vidéoludique peut être cartoonesque, bouffonne, sardonique même — le mésestimé Not a Hero est là pour le rappeler — tandis que l’enrobage sordide de Katana Zero sonne comme un gage de fausse maturité.
Hotline Miami était mature lorsqu’il tirait de son univers glauque une expérience unique et perturbante, Katana Zero ne l’est pas lorsqu’il se sert de ses personnages de prostituées comme d’un paillasson. Il n’accouche finalement que d’une coquille creuse, trop sérieuse pour être légère, trop inconséquente pour être prise au sérieux. J’imagine que certains l’apprécieront justement pour la cruauté de son univers, tout comme certains fans hardcore de Kojima ont été séduit par son gloubi-boulga métaphysique. Pour ma part, je constate simplement qu’à trop vouloir répéter Hotline Miami, Katana Zero finit seulement par tourner en rond.
Notes
[1] Pour ceux qui auraient quand même envie/besoin d’un résumé, je vous renvoie vers la critique pas du tout excessive du jeu par The Escapist.
[2] Ce qui se justifie pleinement pour Hotline, l’intrigue se déroulant à Miami dans les années 80 ; moins pour Katana, qui prend place dans une Néo-Mecque futuriste et abstraite où les gens utilisent encore des K7 vidéo...
[3] Pensée émue pour ces brefs passages à l’épicerie ou au vidéo-club qui nous auront épargnés tant de crises de nerfs dans Hotline Miami.
Vos commentaires
Game ovaire # Le 21 octobre 2019 à 14:04
L’auteur a fait un joli "goulbi-goulba" du mot "gloubi-boulga".
Guillaume Chevalier # Le 21 octobre 2019 à 16:06
Oups ! Merci, c’est corrigé !
BabyMonkey # Le 22 octobre 2019 à 09:53
Hotline Miami 2 je l’ai trouvé plutôt réussi perso. C’est impressionnant de voir comment les expériences de jeu entre le 1 et le 2 sont si différentes simplement par le level design et sans réel ajout de mécaniques en dehors de ça. Après c’est clair qu’on a perdu, en partie, le côté ultra frénétique CAC du premier.
Pour moi le gros défaut du second c’est surtout que l’éditeur de niveaux est arrivé beaucoup trop tard, la hype était passée et au final peu de gens se sont vraiment appropriés l’outil (même si y a pu avoir de belles choses mais trop peu nombreuses).
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