Entretien avec JV : "Grand public mais exigeant, accessible mais intelligent"
Fondé par d’anciens de Joystick, période MER7, JV sort bientôt son troisième numéro. News, previews, tests, dossiers, entretiens, le magazine ratisse large avec toujours ce ton très particulier. Entretien avec l’un de ses journalistes et co-fondateur Corentin Lamy qui nous parle de mort et de renaissance. Cette interview, publiée initialement sur Baptiste Joue en décembre 2013, a été complétée de quelques questions en janvier 2014.
"Nos inspirations viennent davantage de mags qu’on a lus que de mags sur lesquels on a bossés"
Quand est venue l’idée de créer JV ? Au moment de la fermeture de Joystick ?
Je me rappelle d’une première réunion, je crois que c’était la semaine du bouclage du dernier Joy, en novembre 2012. Et dès le mois suivant, certains se mettaient au boulot. Même si au départ, le projet était très différent, puisqu’on ne devait pas commencer par un mag de jeux vidéo. Le projet est passé par moult étapes, transformations, rebondissements, réorientations, avant de finalement devenir JV cet été.
Quel est le but du magazine, que comptez-vous apporter à vos lecteurs ?
Notre ambition, c’est de faire un magazine grand public mais exigeant, accessible mais intelligent. Un magazine pour tout le monde, parce qu’aujourd’hui tout le monde joue, sans pour autant infantiliser le lecteur parce que le joueur moyen est trentenaire. On veut aussi proposer un magazine qui ressemble à un vrai magazine, avec des rubriques, des idées, des papiers, débarrassés dans la mesure du possible de la grammaire du mag de jeux vidéo telle qu’elle existe depuis 20 ou 30 ans. Ces dernières années, on a tous travaillé pour des magazines, mais on vient tous, à l’origine, d’horizons autres. Nos inspirations viennent davantage de mags qu’on a lus que de mags sur lesquels on a bossés.
Avant d’accoucher de la formule précise de JV, il se passe combien de temps, de réunions, avec combien de personnes ?
Je pourrais pas quantifier le nombre de réunions, surtout que je n’étais pas là dès le début. Le noyau de départ, c’est Bruno (rédac-chef adjoint de PC Jeux), Kévin (de Joystick), Sophie (directrice artistique de Joy), Elise (secrétaire de rédaction de Joy et PC Jeux) et Chris (pigiste multicartes à gros nez), auxquels s’est greffée au début de l’été une partie de l’équipe de ZQSD, ou en tout cas ceux qui avaient le temps de s’y investir à 100%. À savoir Gruth (dessinateur de Joy), Sylvain (ancien chef de rubrique sur Joy période Yellow Media) et moi (Joy).
Tout s’est décidé au Chilien [1] ? À jeun ?
La fameuse réunion où, justement, l’équipe de ZQSD a été appelée en renfort, s’est bien passée au Chilien, le bar qui fut un peu le QG du Joystick des dernières années. Mais on était complètement à jeun, promis. C’est d’ailleurs sans doute la seule fois qu’on est sorti sobres de ce lieu de perdition.
"L’hypothèse du gratuit a été évoquée et immédiatement abandonnée"
Qui est propriétaire du journal ? Gabe Newell ?
Alors là, c’est super simple : le propriétaire, c’est nous ! 100% du capital appartient aux gens qui y bossent.
Vous avez décidé de monter un magazine papier dans un contexte compliqué pour la presse jeu vidéo, sur le plan financier et déontologique. Son indépendance a été publiquement remise en question depuis l’affaire du Doritosgate. Aviez-vous cette problématique en tête en élaborant le concept de JV ? Avez-vous mis en place des mécanismes spécifiques pour protéger l’indépendance de la rédaction ?
C’était la première de nos préoccupations. C’est même pas parce qu’on a de grands idéaux ou qu’on se voit comme les chevaliers blancs du jeu vidéo : juste que tant qu’à monter notre propre mag, on a assez envie de pouvoir y mettre ce qu’on veut, sans crainte des pressions extérieures. Pour éviter ça, déjà, on bosse avec une régie (MINT, celle de So Foot, de Chronic’art et de Kaboom, etc.) qui a l’habitude d’aller chercher de la pub "hors captif". En français, ça veut dire qu’on essaye en priorité d’avoir des pubs de cinéma ou de bagnole plutôt que de jeux vidéo. Histoire d’avoir le luxe de pouvoir fâcher quelqu’un sans que ça nous retombe dessus.
La rédaction s’est-elle fixée un code de conduite pour les sujets sensibles de la presse vidéo ludique : les voyages de presse, les tests en avant-première chez l’éditeur, les cadeaux… ?
Les tests chez les éditeurs, on en a déjà refusé un paquet en deux mois. Pour un petit jeu d’arcade qui se boucle en une heure, à la rigueur, on s’en fout. Pour de gros jeux qui prennent des heures, on veut les tester en conditions réelles, chez nous ou à la rédac. C’est une des raisons pour laquelle tu trouveras peu de jeux next-gen dans le numéro 2 : toute la presse était invitée à aller jouer aux jeux chez les constructeurs, mais on a fait le choix de ne parler que de ceux qu’on a reçus à la rédac avant le bouclage.
Pour les voyages de presse, on accepte si le jeu nous branche. Mais on joue cartes sur table, en disant clairement aux éditeurs que c’est pas parce qu’on va voir leur jeu qu’on fera 72 pages (ou même une seule, d’ailleurs) et encore moins la couv dessus. De toute façon, dans la mesure du possible, on évite carrément de mettre des jeux en couv. Ça veut pas dire qu’on le fera pas, mais dans le numéro 1 et numéro 2, on a préféré mettre en avant nos dossiers. C’est un peu la plus-value du mag.
Quant aux cadeaux… Je suis pas sûr que la pratique soit encore vraiment à la mode. Là en deux mois, on a juste reçu une main en mousse aux couleurs d’un free-to-play. Je suis déçu.
JV est un magazine payant, mais au-delà de ça, quel est son modèle économique (pourcentage pub/ventes, ratio des pubs dans la mise en page) ?
Avant de connaître le pourcentage pub/vente, il faudrait déjà qu’on ait nos chiffres de vente, ce qui n’est pas encore le cas ! Concernant la pub, on en est à 8 ou 9 pages par numéro. Sur 100 pages. D’après le boss, c’est la bonne proportion. Après, ce qu’il faut voir, c’est que si on avait deux fois plus de pub, on pourrait aussi financer deux fois plus de pages de rédactionnel. Remember les mags du début des années 90 : 200 pages de rédactionnel, et 100 pages de pub.
Avez-vous envisagé un temps une publication gratuite, Internet ou papier ? Si oui, pourquoi cette option a-t-elle été écartée ?
On a tout envisagé. L’hypothèse du gratuit a effectivement été évoquée et immédiatement abandonnée. En fait, c’était à une époque où on envisageait de bosser avec des investisseurs extérieurs. Et c’est justement quand ils ont proposé qu’on fasse un gratuit de 12 pages qu’on s’est décidé à être 100% indépendant.
Vous avez à peine sorti un numéro, mais avez-vous déjà été abordés par des acteurs de l’industrie pour signer des partenariats, publicitaires ou autre ? Le marché est-il réactif à l’arrivée d’un nouveau joueur comme vous ?
Faudrait demander au boss, mais oui, on a été contacté par des éditeurs qui voulaient nous montrer des trucs. Mais ça s’arrête là, on a pas de partenariat particulier.. Et pour la pub, on les renvoie à notre régie.
"On a envie de croire que les notes ça n’intéresse plus grand-monde"
Il suffit de lire le sommaire du magazine pour comprendre que vous avez voulu faire autre chose que la traditionnelle formule news/previews/test. Pourquoi ?
Parce que les news en mensuel, ça n’a aucun sens. On en fait le moins possible, et on essaye de les rendre rigolotes, attractives, de les présenter différemment.
Les previews, c’est un exercice qu’on aime pas trop. On écrit sur ce que les éditeurs veulent bien nous montrer. Tout le monde a les mêmes infos, et le lecteur, pour peu qu’il ait Internet, sait déjà ce qu’on va lui dire avant même qu’on ait imprimé le mag. On en fait quand même, mais on essaye de les angler différemment, de parler du processus de création, etc. plutôt que d’impressions de jeux biaisées. À vrai dire, pour le numéro 3, on n’exclut pas complètement de ne faire qu’une seule et unique preview.
Les tests, on en a, mais on les aborde différemment. Déjà, très connement, on note pas les jeux. On peut trouver ça génial ou stupide, on essaye de convaincre personne de l’intérêt de la démarche, mais nous, ça nous libère d’un carcan. Et on a envie de croire que les notes, ça n’intéresse plus grand-monde, à part les éditeurs. On met quand même une petit bouille de personnage, qui exprime quatre émotions (en colère, déçu, extatique, content), pas forcément graduées. Un jeu décevant peut-être moins bon qu’en jeu qui nous met en colère, et vice-versa. Bref. Ensuite, nos tests, on les appelle des "critiques". D’une part parce qu’on trouve l’appellation "test" ringarde, d’autre part parce qu’on ne s’interdit pas de faire des papiers sur du ressenti pur, qui parlent uniquement de l’expérience, et pas du tout du jeu en lui-même. J’avoue qu’on le fait pas systématiquement, tous les types de jeux ne s’y prêtent pas, mais on essaye d’y tendre.
Comme je te disais, on est parti d’une copie blanche. On a pas essayé de faire un magazine-de-jeux-vidéo. On a essayé de faire un magazine moderne, varié, beau, réfléchi, qui se trouve parler de jeux vidéo. On y a mis ce qu’on avait envie de lire, y’a un peu de news, un peu de previews, pas mal de critiques, mais y’a surtout de gros dossiers sérieux et de petites rubriques marrantes.
Justement, d’où vient l’idée de la rubrique Interlude ?
Je crois que c’est moi. On sortait d’une réunion déprimante avec nos investisseurs-qui-n’en-étaient-pas-vraiment-et-qu’on-a-abandonné-depuis, en train d’avaler un Big Mac triste, et j’ai proposé cette idée idiote de jeux de carte. Kévin m’a suivi direct, les autres étaient moins convaincus par l’idée d’en faire un truc récurrent, alors ça s’est transformé en "Pages à la con", ou "Double Hara-Kiri", avant de finalement trouver son vrai nom, "Interlude", la nuit du bouclage. Même si le mag se veut sérieux, on avait envie de se réserver quelques respirations, des trucs en forme de récréation. Y’a ça, la bédé, quelques autres petites choses…
Toi, personnellement, es-tu le papa d’une idée géniale que l’on trouve dans ton mag ?
S’il faut parler de génie, je parlerais des "LASAGNES", un flow chart dont on ne sait toujours pas trop s’il est sérieux ou complètement débile. Sinon, j’ai été aussi à l’initiative du "Portrait" et du "Crash test", parce que je trouvais intéressant de parler des acteurs de l’industrie, trop souvent anonymes, ainsi que de ces jeux en early access qu’on nous vend alors qu’ils sont souvent encore en alpha, et qui peuvent être des coups de génie ou d’affreuses arnaques.
Des rubriques comme "Tendance", "Interlude", "Conso", et même "Retro", ne sont pas vraiment calquées sur un agenda de sorties commerciales. C’est aussi un bon moyen de se détacher de l’agenda de ceux qui ont quelque chose à vendre…
C’est juste que les jeux qui cherchent à se vendre sont souvent ceux dont la communication est la plus verrouillée et la moins intéressante. En faisant du retro et des sujets transversaux, on se détache pas seulement de l’agenda : on trouve aussi parfois de vraies histoires et pas juste des arguments marketing.
Ce n’est pas rebutant justement, quand on est habitué à parler de jeux, de se lancer dans des reportages plus arides comme l’enquête sur les sites de vente de clé Steam ou des portraits de gens du business ?
C’est souvent plus long, mais c’est aussi plus intéressant. Le portrait en particulier, moi, c’est un truc que j’adore. Je préfère l’humain, les rencontres, au fait de rester tout seul comme un con devant mon écran. Enfin non, j’aime bien les deux, en fait. Ça tombe bien : on fait les deux.
Dans l’à propos de votre site Internet, vous annoncez : "JV, 100 pages, 3,95 euros, 0 bullshit". Mais justement, question bullshit, le jeu vidéo est un secteur où les médias sont noyés par la communication de l’industrie. Comment gérez-vous cette communication, pour départir le vrai du faux, ne pas se laisser instrumentaliser ? C’est juste une question d’expérience ?
Encore une fois, c’est juste qu’on met ce qu’on veut dans le mag. Personne n’est au-dessus de nous pour dire quoi mettre ou ne pas quoi mettre dans nos pages. On a expliqué à tous les éditeurs qu’on est ravi de voir leurs jeux, mais qu’on ferait pas douze pages sur cinq minutes de gameplay, qu’on privilégiait les dossiers transversaux aux comptes-rendus enthousiastes. Ce qui est marrant, c’est que dans leur grande majorité, ils trouvent ça plutôt cool.
Allez, une petite exclu sur le contenu des prochains numéros (un truc idiot bien sûr) ?
Sur le numéro 2 (sorti en décembre), on a un chouette papier sur les chiens. Sur le numéro 3, on aura probablement une nouvelle rubrique qui devrait parler à ta mère (note que je ne connais pas ta maman).
"JV, c’est la dernière formule de Joystick, mais en réussi"
L’équipe de JV est largement issue de l’équipe qui a tenté de sauver le bateau Joystick avec un trou dans la coque. Tu retiens quoi de cette expérience aujourd’hui ?
C’était top. Loin d’être parfait, mais l’année passée à Joy reste la plus passionnante de mes cinq années de pigiste. Il y avait une vraie rédac, et une vraie ambiance de rédac. On organisait régulièrement des réunions avec tous les pigistes, tout le monde était associé au mag, et ça paraît étonnant, mais en 2012, on devait être le dernier mag de jeux vidéo (avec Canard PC j’imagine) à fonctionner comme ça. Et on a eu la "chance" de tomber à une époque où la plupart des anciens partaient. Je les adore, ce sont des amis aujourd’hui et j’aurais adoré bosser avec eux (c’est d’ailleurs le cas puisque Sylvain, qui bosse pour JV, fait parti de cette génération de rédacteurs). Mais après leur départ, les "nouveaux" dont je faisais partie ont été obligé d’inventer leur propre truc, en ayant le luxe de commencer timidement à remettre à plat le format… Notamment en mettant en avant des papiers longs et le jeu indé.
JV s’inscrit comment par rapport à Joystick ? C’est ce que vous vouliez faire de Joystick, mais n’avez pas pu ?
Je te dirais bien que c’est dans le prolongement de ce qu’on faisait dans Joystick, sauf que ça va être mal interprété, parce que tout ce que les personnes qui ne nous lisaient pas ont retenu, c’est une fameuse polémique qui n’était pas du tout représentative du mag dans son ensemble (sur un article à propos du dernier Tomb Raider, il a été reproché à Joystick de faire "l’apologie du viol", NDLR). 90% des papiers de Joy essayaient déjà de faire du fond, de sortir un peu du système. C’était loin d’être parfait, c’est sûr, mais y’avait de l’idée. On restait cependant tributaires des rubriques, des notes, d’un lectorat qui achetait le mag depuis 25 ans et qui, à juste titre, n’avait pas forcément envie que des petits jeunes remettent tout en cause, et puis surtout, de supérieurs inatteignables qui faisaient leur popotes de leur côté avec les éditeurs. Alors qu’aujourd’hui, mon big boss, c’est mon pote Bruno, il est au bureau à côté, et si j’ai un truc à lui dire, il me suffit de réussir à lui arracher son casque. Un grand ancien de Joystick m’a dit que JV, c’est la dernière formule de Joystick, mais en réussi. Ça me va.
Quelle était l’ambiance à la rédaction durant les derniers numéros ? Je me souviens que dans les textes, il y avait des références constantes à la future fermeture : la couv "Terminus, tout le monde décède", les allusions à Pôle Emploi…
Tu me crois si tu veux, mais le "Terminus, tout le monde décède" de l’avant-dernier numéro n’avait aucun rapport avec l’affaire. Jusqu’au dernier moment, on a cru à un possible rachat. On n’a su avec certitude que c’était mort qu’au moment de boucler le dernier. Et encore, même là, on gardait un minuscule espoir : c’est pour ça que les références à la mort du mag n’y sont que légères, suggérées, à double-sens. L’ambiance était pas top à ce moment-là. Le rédacteur en chef étant en arrêt maladie (aucun rapport), c’est le rédacteur en chef adjoint, notre bon Jika, qui a tenu la barre, envers et contre tous, alors que tous les autres mags MER7 étaient dans les cartons, prêts à quitter le navire. On est les derniers à avoir bouclé, dans des locaux vides. Comme on n’est pas du genre à se laisser abattre, ça ne nous a pas empêché de rigoler quand même, mais c’était une ambiance curieuse.
Le dernier numéro de Joystick était truffé de publireportages largement déguisés. Comment la rédaction a-t-elle vécu ça ?
Tu fais référence au dossier de quatorze pages "BD et manga" ? On l’a pris super bien évidemment. Non, bon, OK, je déconne. En vrai ça nous a bien fait chier. Si encore ça avait été un booklet, offert en plus du mag, pourquoi pas. Sauf que là, c’était autant de pages en moins pour des rubriques classiques. Ça a même fait sauter des papiers déjà écrits. D’après ce qu’on m’a raconté sur les années Future/Yellow, MER7 était une boîte beaucoup plus réglo, mais cette fois-là, on s’est largement senti floués (et, j’imagine, les lecteurs aussi). Tant mieux, ça nous a permis de partir sans trop de regrets.
Y’avait-il, à Joystick, des pressions publicitaires qui voulaient modifier le contenu rédactionnel ?
Bon, moi, j’étais simple pigiste, donc mon point de vue sur les arcanes de MER7 est à prendre avec des pincettes. Mon ressenti, c’est que les pressions extérieures se faisaient pas du tout sur l’angle et l’appréciation. Moi pendant cette année, on ne m’a jamais demandé de changer une virgule, ou de ne pas dire de mal. Je me rappelle d’un press tour qui avait été "dealé", six pages sur un fameux FPS militaire : j’ai écrit sur six pages que ça avait l’air nul, mon rédacteur en chef l’a validé sans sourciller.
Non, les pressions éventuelles, c’était les deals justement, le choix de certains sujets ponctuels. Ça ne se passait pas au niveau de la rédaction, mais de la direction, qui concluait des accords avec les éditeurs, genre "vous nous montrez tel jeu, et on vous donne la couv d’un de nos mags". On était dépendant de patrons sur lesquels on n’avait aucune prise, alors que maintenant, il suffit de priver Bruno de Coca Zéro pour lui faire entendre raison.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, l’intérêt du papier par rapport à Internet ? Y’a-t-il une version numérique du mag prévue ?
Y’a deux réponses. La réponse réfléchie et la réponse sincère. La réponse réfléchie, c’est que, même si tu touches cent fois moins de gens avec le papier, ces gens-là sont prêts à te payer quelques euros, là où, sur Internet, on ne te filera jamais un centime. Incidemment, en papier, tu ne dépends pas à 100% des annonceurs, ce qui est quand même un luxe. De toute façon, je pense pas qu’il soit aujourd’hui possible de vivre aujourd’hui de ton boulot sur Internet, à moins d’être JV.com, ou à moins de vouloir aller te frotter à eux. Sur papier, lancer un média de manière "artisanale", c’est très difficile, mais c’est possible.
La réponse sincère, c’est que personnellement, j’ai jamais imaginé bosser pour autre chose que la presse papier. Même en tant que lecteur, j’ai toujours tendance aujourd’hui à oublier qu’il existe autre chose que le papier. C’est pas une critique du tout, il y a plein de très très bons sites sur le JV, mais c’est juste que j’ai toujours vécu dans des montagnes de magazines. Aujourd’hui, je ne me verrai pas écrire sur le web, tout simplement parce que je n’en suis moi-même pas très client. Je crois que j’ai 72 ans. Et sinon, oui, il y a une version numérique de prévue, mais on veut pas faire un simple PDF, donc on y réfléchit un peu avant de se lancer.
"On est pas là pour créer l’information, mais pour servir d’intermédiaire critique et avisé entre ceux qui la font et ceux qui la consomme"
Est-ce que ces affaires autour du sexisme ont modifié votre façon d’écrire et de gérer les choses ?
Je pense que tout le monde, chez nous ou ailleurs, a effectivement et heureusement pris conscience qu’on ne pouvait pas écrire à la légère. On en est d’autant plus conscients qu’on bosse aujourd’hui pour NOTRE mag. On en est responsable de A à Z, du choix des sujets à la validation des articles en passant par la communication. Tout le monde a son mot à dire sur chaque papier, avant, pendant, après l’écriture. Parfois jusqu’à l’absurde : un débat peut éclater à la rédac à 3h du mat’, en plein bouclage, pour le choix d’un mot (généralement, c’est moi qui ouvre les hostilités, et tout le monde me déteste). Notre mag, ce n’est plus seulement notre employeur, c’est notre bébé. Du coup, on passe presque plus de temps à débattre entre nous qu’à écrire ou à jouer, mais je pense que ça se ressent positivement dans le mag.
Est-ce que vous comptez afficher clairement les conditions de preview ou de test ?
Pour les tests a priori on a rien prévu de ce genre-là. Mais comme je disais, de toute façon, on refuse les tests chez les éditeurs. Donc, y’a pas d’embrouille : les conditions de test, c’est soit à la rédac, soit chez nous. Par contre pour les previews on a commencé à l’afficher, oui. On rentre pas systématiquement dans les détails mais on a trois macarons "On y a joué", "on l’a vu", "on l’a pas vu mais on en parle quand même". De toute façon, nos previews, c’est généralement moins des considérations qualitatives que des papiers plus généraux sur le background des développeurs, leurs influences, ce qu’on peut en attendre. Encore une fois, dire que ça va être génial ou merdique en se basant uniquement sur les cinq minutes que l’éditeur a bien voulu nous montrer, ça n’a pas beaucoup de sens.
Vous avez lu Video Gamer ? Games ? Vous lisez Canard PC ?
Video Gamer, j’ai filé un coup de main au début dessus, donc oui, forcément, je l’ai un peu lu, surtout mes papiers qui étaient, il va sans dire, absolument fabuleux. J’ai acheté le dernier aussi, pour voir comment s’en sortait la nouvelle équipe.
Games, à la rédac, on l’a acheté le jour de sa sortie, mais on était en plein bouclage et j’ai pas du tout eu le temps de l’ouvrir. Le parti pris de tout traiter sous la forme de l’interview, ça m’intéresse énormément, et vu les grands noms du jeu indé qu’aligne le sommaire, j’ai assez hâte de lire ça. Par contre, je suis un peu plus dubitatif quand il s’agit de faire parler des types des gros studios, au discours généralement hyper-contrôlé, mais je demande qu’à être surpris.
Canard PC, je le lis avec plus ou moins d’assiduité depuis le n°1. J’aime surtout ce qu’ils font pour la promotion du jeu indé, un peu à la façon d’un (et je suis sûr qu’ils détesteraient la comparaison) Rock Paper Shotgun. C’est d’ailleurs pour ça que, y’a deux ans, quand j’ai commencé à bosser à plein temps dans la presse jeux vidéo, j’ai à peu près arrêté de le lire et de squatter leurs forums dont j’étais un habitué, pour éviter de me faire influencer. Je continue de l’acheter ponctuellement, genre quand ils ont une couv sur Wasteland 2, les petits bâtards.
Y’a-t-il des choses que vous pensez pouvoir amener aux lecteurs avec JV qu’ils sont incapables de trouver sur Internet ?
J’ai déjà parlé de la ligne éditoriale plus haut. Mais perso, j’espère surtout amener un bon magazine, généraliste (vraiment généraliste, des indés les plus pointus aux gros jeux qui s’y prêtent) mais exigeant. Un truc varié, informatif ET divertissant, qu’on a envie de lire, posé au salon, aux chiottes, dans le train, partout, parce qu’on ne peut pas toujours être collé à un écran à bouffer de l’info comme on zapperait. Enfin moi en tout cas, je peux pas. Tiens, d’ailleurs, je m’en vais m’abonner immédiatement.
Le numéro 3 vient tout juste de sortir. Qu’est-ce que vous avez modifié depuis le premier numéro et pourquoi ?
Niveau maquette : des détails, des bidouilles dans le rubricage, des trucs à peu près invisibles à l’œil nu. On a par exemple passé le portrait sur deux pages. Bon. On a surtout pris le temps de faire des dossiers plus chiadés, moins froids, avec davantage d’interviews, de points de vue d’acteurs du secteur. C’était l’objectif depuis le début, mais on avait alors pas toujours le temps de choper les bons interlocuteurs. Les deux premiers numéros étaient super légers à ce niveau. Le troisième était déjà mieux.
Et dans le n°4, qu’on est en train de terminer, on cède vraiment le plus souvent possible la parole à des intervenants. En tant que "média", on est pas là pour créer l’information, mais pour servir d’intermédiaire critique et avisé entre ceux qui la font et ceux qui la consomme. Ca devrait être une évidence, mais ça ne l’est pas tant que ça dans le secteur.
Est-ce que la "lenteur" pour redresser la barre n’est pas agaçante ?
Ce qui est agaçant, c’est le décalage qu’on a niveau feedback. Pour te donner une idée, on a quasiment bouclé le n°4, et on a toujours pas les chiffres de vente définitifs du n°1 ! Rien de grave, c’est comme ça que fonctionne la presse, mais du coup, quand on fait un changement, notamment sur la couv ou la comm, il faut attendre une éternité avant de savoir si les retombées sont positives ou négatives. Mais bon : comme on compte bien être là pour au moins dix ans, on a quand même pas mal de temps pour procéder à des ajustements ! Et puis, cette "lenteur" du rythme de parution nous interdit aussi de céder à la tentation de faire de l’actu pure, ce qui est clairement une bonne chose.
Les chiffres de vente sont-ils bons ?
Sur le n°1, ils correspondent à l’objectif qu’on s’était fixé. Et d’après les premières estimations, le n°2 est très bien parti pour faire encore mieux.
JV est disponible en kiosques (actuellement au numéro 3), au prix de 3€95 pour 100 pages.
Notes
[1] Un bar parisien, NLDR
Vos commentaires
Merrym # Le 3 mai 2014 à 03:09
Oooh bah comment ça se fait qu’il y ait pas de commentaire sur celui-ci alors que les deux autres entretiens étaient bien fournis ? Dommage, je me lance alors.
Cet après-midi, j’avais pas grand-chose à faire alors je me suis promenée dans les rayons jeux vidéos, livres, jusqu’à tomber sur les magazines. Là, il y en a un qui m’a attirée l’oeil, le JV n°7. Papier, couleurs, intérieur, il me semblait bien sympa. Je l’ai pris, ai continué à regarder pour voir si d’autres magazines étaient susceptibles de m’intéresser mais non, ils faisaient bien pâle figure à mes yeux. Alors je l’ai pris et je l’ai feuilleté en arrivant chez moi. Je peux vous dire que je ne suis pas déçue, j’aimerais vraiment m’abonner ! ^^ Il est sympa à lire, fluide, coloré, on se sent pas agressé par des pages couvertes de textes/d’images ou au contraire un peu paumé par deux phrases perdues de-ci de-là. La PUB n’est pas vraiment intempestives (quand on passe les premières pages).
Je pourrais encore en parler pendant un petit bout de temps mais bon, je vais m’arrêter là.
Merci pour cette interview qui n’a fait que confirmer mes pensées et me conforter dans l’idée que ce magazine allait trôner sur ma table de nuit pour un bout de temps.
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