Être bizarre, des fois c’est pas bien. Mais des fois c’est bien. On peut donc dire sans trop prendre de risque que ça dépend des fois, quoi.
Contrairement à Demolition Girl, Dog’s Life est un bon jeu bien que partant d’un concept légèrement incongru dont le pitch a dû être imaginé chez Frontier Developments (on parle ici du studio de David Braben qui a développé Elite, on est donc loin de Davilex [1] ou Gilbert Software [2]) dans les circonstances suivantes :
Patrick Smith (les noms ont été changés par respect des auteurs) : « T’sais quoi, moi, j’aime bien GTA 3. Refile moi un peu de LSD. Mais ma fille je peux pas la laisser jouer à ça. »
John Callaway : « Ouais. Il me reste juste trois grammes d’ecsta. »
Patrick Smith : « File. Elle aime bien les chiens et les jeux vidéo ma fille. T’sais quoi ? On va faire un GTA avec des chiens. A la place des gens. »
Jake, basset de son état, a des vues sur Daisy, une grosse chienne humide pur pedigree. Mais Daisy, plutôt que de se mettre en position sans rien dire préfère se faire kidnapper par des méchants bonshommes simples d’esprit qui l’emmènent à la casse, pardon, à la fourrière. Simplets, et probablement pervers.
« Je peux m’amuser avec les chiens ? » fera même l’un des deux, de la petite voix innocente des plus grand pervers.
Jake se décide à la sauver parce que chez les chiens, c’est pareil que chez les gens, il suffit de rendre un petit service pour coucher. Mais Jake ne sait pas où il met les coussinets, car au centre de l’histoire se cache une conspiration mondiale pour transformer les chiens en... nourriture pour chat. Un scénario inhumain qui n’est pas sans rappeler Soleil Vert, ce film où les vieux étaient transformés en croquettes pour homme. Personnellement j’avoue que je préférerais manger un vieux qu’un chat, parce que déjà, et d’une, je suis allergique aux chats (et pas aux vieux), et ensuite comment espérez-vous draguer en avouant avoir mangé un chat ? Tandis que si vous mangez un vieux, vous êtes un héros du système de retraite ! Bref...
Les bruits et les odeurs
On arrive au menu d’ouverture, on fait un tour par les options de contrôle. A ce stade, tout joueur normalement constitué se demande : « s’agissant d’un jeu avec des chiens, est-ce qu’on peut chier et pisser partout ? ». Fort heureusement, la réponse est oui. Ca sentirait donc le bon jeu, littéralement ?
Cette impression positive demeurera après le chargement du jeu et la prise de contrôle du toutou : Jake a une voix trop parfaite pour être vraie (pour un chien, du moins), mais il est superbement animé. On découvre une ferme aux graphismes chatoyants et honorables. Une petite musique rigolote et guillerette vous aide à vous sentir chez vous. On remarque immédiatement que les contrôles sont compliqués par une gestion de la caméra calamiteuse rendant très ardu de savoir dans quelle direction on avance, mais si j’en crois la propension qu’ont les chiens a bousculer les meubles, se retrouver sous les pieds des passants, et a faire n’importe quoi en général je dirais que c’est pour plus de réalisme.
Après avoir fait un peu de tri dans mes pattes et régurgité le rhum que j’avais ingéré grâce à cette caméra magique, je bondis joyeusement, cours partout comme un foufou jusqu’à ce qu’on me dise d’appuyer sur triangle pour « passer en mode odorama ». Comment ça ? Il y aurait des trucs à gratter pour que ça sente le vomi, comme dans La Cité de la Peur [3] ? (d’ailleurs, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas d’option pour manger son vomi dans ce jeu, pourtant il s’agit bien d’une chose que les chiens font régulièrement).
La vue passe en première personne. Je vois le bout de mon museau, autre particularité de la condition canine (vous arrivez à voir votre nez, vous ? Vous imaginez ce que serait devenu Doom si à côté du flingue on voyait son nez ?). Mais je vois surtout des couleurs ! Tout autour de moi flottent des « émanations » fluo, certaines mobiles et d’autres immobiles. J’ai une révélation. Les chiens ne se disent pas « Ça sent la bouffe » ou « Ça sent du caca mais pas mon caca, louche ! ». Mais « purée, ça sent le rose », « ça chlingue le bleu », voire carrément « celle-là, je sais où elle a traîné vu l’orange qui lui tourne autour. »
Il faut alors se diriger vers les odeurs et ça fait POC ! GLING ! dans le but absurde de faire monter un compteur d’odeur. Le jeu serait-il une sorte de Pokémon où il faut attraper toutes les odeurs ? Faut-il, pour avoir un espoir de récupérer Daisy, être le chien avec le plus d’odeurs possibles ? Non. Simplement, collecter toutes les odeurs d’une même couleur dans une zone déclenchera un mini jeu qui sera presque toujours à base de nonosse. Il faudra donc :
Courir après des nonosses volants
Déterrer des nonosses (qui ne volent pas, forcément)
Faire plein d’autres trucs à la con parfaitement incompréhensibles.
Des os pour crâner
Le nonosse est donc le centre d’intérêt principal des chiens ; il est bon de sortir de cette humanocentrisme où tout tourne autour de l’argent, mais est-ce vraiment un progrès ? Fallout avait remplacé l’argent par les capsules de bière... On peut extrapoler et dire que le monde canin est une permanence post-apocalyptique. Guère étonnant que Mad Max en ait choisi un pour compagnon : la loi du plus fort, le système monétaire alternatif, les odeurs... Les chiens sont bien en avance sur nous.
Mais pour revenir à ces mini-épreuves, on regrettera que celles-ci soient parfaitement déconnectées du reste du jeu, voire de l’existence même des chiens, parce que j’ai rarement vu les miens faire ce genre de truc. Même si j’en ai déjà vu un faire caca à l’intérieur d’un magnétoscope une fois, ça ne fait pas l’objet d’un mini jeu.
Réussir ces mini jeux vous donne droit a des nonosses (vous pouvez également en déterrer en d’autres endroits), mais à quoi servent les nonosses ?
Continuons notre exploration de l’univers, un open world sans cycle jour/nuit avec quelques chargements (comme dans la vraie vie des chiens, apparemment). Je vois un panneau qui m’indique la direction de la ville la plus proche, et je suis donc cette direction coursant quelques poules, emmerdant quelques immobilistes en restant planté au milieu de la route, terrorisant un facteur pour le seul et unique motif que « c’est possible », et faisant pipi et caca partout. Remarquable attention aux détails des développeurs, il n’est cependant pas possible de chier 8 kilos à la minute. Au bout d’un moment, la source se tarit et la seule chose qu’on peut faire c’est un gros prout. Ce qui, avouez-le, est tout de même déjà pas mal.
Sur le chemin, je croise un vieux fermier, qui me dit que le caoutchouc est une matière fantastique avec laquelle on peut faire des choses formidables. Après chaque phrase, lui aussi flatule lyriquement. Une connexion émotionnelle se forme.
Quand on arrive en ville, tout le monde change de trottoir, mais nous on sent surtout tout un tas d’odeurs. Dans la ville d’A Dog’s Life, les enfants jouent un peu partout sans surveillance, ce qui nous donne un repère spatio-temporel : le jeu se passe avant l’invention d’Internet et des pédophiles. Je croise un enfant qui me parle comme si je le comprends, et surréalisme oblige, je le comprends parfaitement. Le message sous-entendu est-il que les chiens désobéissants se moquent de nous en faisant semblant de ne pas nous comprendre ? Le bambino m’implore de remettre une lettre à sa copine, enfermée dans sa chambre par une mère tortionnaire. S’agissant d’un geste mignon possiblement porteur d’une procréation future, je prends la lettre dans ma gueule et je vais à la maison de son amie. Hélas, trois fois hélas, la maîtresse de maison refuse de me laisser rentrer parce que je suis un sale toutou moche. Chez les chiens, le racisme est légal.
Dog Day Afternoon
Je retourne dans la rue, la queue littéralement entre les jambes. Je me sens seul et je m’allonge dans un caniveau. Après quelques errements, je croise le chien de la propriétaire et une indication étrange s’affiche sur mon HUD de chien.
« Il faut cinq nonosses pour contrôler ce chien. »
Attendez. Attendez un instant. C’est donc pour ça que les chiens aiment les nonosses ? Plus ils ont de nonosses, plus ils sont reconnus socialement ? Comme nous avec le fric et les smartphones ?
Je cours partout en mode odorama, déterre avec une enragée frénésie quelques nonosses, gagne un ou deux mini jeux et j’ai les cinq nonosses requis. Je m’approche du petit carlin et j’en prends immédiatement le contrôle pour soixante secondes. Le contrôle ! Les chiens aiment les nonosses parce qu’ils leurs donnent des pouvoirs télépatho-psycho-kynétiques ! Devenu ainsi le chienchien à sa mémère, la maîtresse ne soupçonne pas ma ruse, et je parviens à délivrer le mot fatidique. Mais c’est sans importance, car un déclic s’est opéré dans mon cerveau canin. Je vais récupérer des nonosses. Oh oui, moultes nonosses ! Avec eux, je pourrai contrôler d’abord un chihuahua, puis un caniche, puis un lévrier afghan et ENFIN LE MONDE ! Le Capital selon Saint-Bernard !
Les chiens, c’est bien.
Je bondis, je cours, je remplis des objectifs stupides. J’apprends que pour défier ce doberman, il va falloir pas mal de nonosses...
Et mon surmoi ? Je veux dire, le moi qui est pas chien et qui tient la manette ?
Et bien il trouve cela plutôt amusant, étrangement. Mais vraiment étrangement. Les contrôles sont mauvais : la caméra est libre mais se réajuste sans arrêt toute seule selon le lieu. Elle filme souvent trop près du chien, ce qui rend les sauts et l’orientation parfaitement ardus. La musique, au départ sympathique, se montre répétitive. Le doublage, enfantin, devient agaçant. Le gameplay, collection de mini jeux, de quêtes ou on joue les facteurs (un comble, pour un chien) et de recherches d’odeurs, est assez creux. L’univers est particulier, ne semblant pas savoir s’il est carrément enfantin ou juste pré-ado. Et pourtant, je ne lâche pas la manette. Pas tout de suite, du moins.
Et il n’y a au fond que deux possibilités : soit j’ai vraiment envie de me faire une grosse chienne, soit j’aime cette sensation inhabituelle de liberté. Pendant quelques secondes, si on fait vraiment abstraction du monde qui nous entoure, des factures, du boulot, de son taux de cholestérol, on peut passer un bon moment en se prenant un peu pour un chien, en faisant tout ce qu’on a envie de faire, en courant après des poulets, en se promenant dans des endroits interdits, en trouvant les nonosses cachés.
Parfois, si l’habit ne fait pas le moine, l’originalité fait le brave toutou. Au bout de quelques heures, si vous avez du courage, peut-être sauverez-vous l’industrie alimentaire canine d’un diabolique Tricatel pour animaux ?
Vos commentaires
Simply Smackkk # Le 25 octobre 2012 à 19:16
Depuis le temps que je me dis qu’il faut que j’essaye ce jeu. Cet excellent article me titille la corde sensible.
Mais j’aurais préféré "A cat’s life" comme jeu, ça aurait été une super simulation de siestes de quinze heures !
Et sinon, "vous arrivez à voir votre nez, vous ? ". Oui. En fait, il est dans notre champs de vision, mais notre cerveau le gomme, sinon ça nous ferait horriblement loucher. Mais, en se concentrant, on le voit. Et ouais !
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