Ridge Racer est l’une des séries les plus iconiques du genre arcade, ayant su imposer son style depuis plus d’une décennie. C’est avec effroi que les joueurs ont appris que le dernier épisode n’avait pas été développé au Japon mais en Europe, énième exemple d’une externalisation patente des jeux vidéo japonais. Ce nouvel épisode propose certes une transition - qui tient sans doute plus de la renaissance - mais le processus semble avoir été savamment calculé. Pari réussi ?
Course de relais
Nous reviendrons peu sur la difficulté qu’ont les développeurs japonais à maîtriser la génération actuelle de consoles. Ce que l’on peut mettre en exergue, en revanche, c’est qu’au delà de la pressante nécessité économique de revisiter une licence, Unbounded résulte d’une passation de pouvoir pensée en amont, orchestrée avec précision. En confiant le projet aux mains expertes des développeurs finlandais de Bugbear (FlatOut), Namco est parvenu à être clair malgré un double-jeu : faire comprendre la démarche du reboot, tout en rassurant les aficionados quant au respect des racines profondes de la série. C’est ce que montre le premier teaser (ci-desous), introduisant au volant de ce nouvel épisode une nouvelle égérie japonaise, Kara Shindo, remplaçante de Reiko Nagase. À changement de voiture, changement de nature. La belle effectue sa mue dans un quartier sombre de Shatter Bay et délaisse les lignes racées d’une GT japonaise pour un bolide américain trapu et puissant. On ne peut faire plus explicite.
Jacky
Ridge Racer se veut tout en pôle position des tendances. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’esprit Megadrive — blue sky et musique techno du siècle dernier — a disparu. Unbounded est un adolescent rebelle, carrément fashionista, amoureux de Ken Block et héritier du Jacky — avec ses décalcomanies et son pot d’échappement troué. Absorbant tous les codes du teenage game, Unbounded se range du côté de Burnout, de Need for Speed Underground et de leurs disciples, Split/Second Velocity ou Blur. Oui, le dernier né de Namco est quelque peu vulgaire, bling-bling, en témoigne la saturation de lens flare du quartier de City Center. Toutefois, il faut tempérer tout jugement hâtif. Certains décors près du port ou dans la banlieue ouvrière sont très agréables à parcourir, et mélangent les couleurs froides et chaudes avec un goût certain. Mais là où le bât blesse, c’est que Unbounded a non seulement hérité du visuel, mais aussi du discours crétin de ses prédécesseurs, dérapant droit sur l’amalgame racoleur. Avoir une grosse voiture (avec un gros moteur), c’est détenir la clé du pouvoir donc de la domination. Démolir, c’est gagner. Lorsque toutes les courses d’un quartier sont remportées, le joueur se voit offrir un artwork montrant un paysage de dévastation, entre voitures détruites, immeubles éventrés et fumerolles émanant de toutes parts. En un mot, les ados qui suintent la testostérone adoreront, ceux dotés de la faculté de discernement un peu moins.
Génération de villes, villes génériques
Unbounded, suivant de près la mode, introduit un éditeur de circuits qui plaira aux level-designers en herbe. Complet, permettant de nombreuses facéties, il est pourtant rare de trouver en ligne des circuits un tant soit peu jouables (Lire "Les jeux du peuple" d’Anthony Jauneaud). L’éditeur de circuit fonctionne sur le principe des assets à emboîter les uns aux autres. Le problème, c’est que tout le jeu fonctionne de cette façon, y compris dans le mode principal. Le nombre d’éléments étant limité, on remarque sans peine une trame des plus répétitive, comme un patchwork réalisé à partir de quelques bouts de tissus à peine. C’est toujours les mêmes difficultés et les mêmes virages que le joueur affronte. Pire, même d’un quartier à un autre, on retrouve les mêmes éléments copiés/collés : la terrasse de café à détruire, le virage sur une esplanade, le saut le long de marches, les tunnels, l’arc de triomphe etc. Unbounded réduit sa belle robe graphique à un vulgaire skin, peinant à masquer des circuits semblant avoir été générés automatiquement. Derrière le brillant de la peinture, Unbounded est moins reluisant. Contrairement aux grands jeux d’arcade, les circuits n’ont pas fait l’objet d’un grand travail de level-design. Tout finit par se ressembler... et ennuyer.
La voiture ne fait pas le pilote
Blasphème ? Abandon ? Trahison ? Une toise de Ridge Racer Unbounded pourrait suffire pour s’en convaincre. Ce serait occulter les sensations manettes en main. Unbounded est un jeu davantage focalisé sur le feeling du véhicule que sur la maîtrise des pistes. Dès le premier virage, se fait ressentir la physique improbable mais typique de la saga. Quelques tours de pistes plus tard, le joueur est en quête d’un drift parfait, long, beau, plongeant sur le point de corde. La maîtrise est de mise, d’autant plus que Unbounded est un jeu qui ne fait pas de compromis sur la difficulté. Chaque course exige du joueur un niveau bien précis. Ici, les concurrents n’attendent pas le joueur flâneur, pas plus qu’ils ne le rattrapent par un tour de passe-passe rageant et incompréhensible. C’est dans l’alliance d’une technique exigeante et d’un niveau de difficulté fixe que Unbounded parvient à titiller les grands de l’arcade sur le terrain du challenge et de le performance. Et ce, d’autant plus que la destruction des décors et des adversaires nourrit une jauge de turbo qu’il faudra maintenir à son plus haut niveau. Le joueur cherchera ainsi à optimiser au mieux ses courses, à réaliser des combos, comme dans un jeu de combat, pour vaincre. Pour cette raison, Il sera nécessaire de travailler les courses pour soigner ses passages, et il faudra également se contenter humblement de se retrouver en deuxième ou troisième position. Le jeu peut se montrer impitoyable. Si compromis il y a, il se trouve dans le système de progression par niveau qui autorise aux moins attentifs à palier leur manque de performances par la multiplication de courses, assurant un petit revenu de points permettant de progresser en catimini. Le laborieux a le droit de jouer.
La Reine est morte, vive la Reine ?
Reiko Nagase n’est plus. Kara Shindo a repris les clefs. Elle est à l’image de la transformation de la série. Namco n’avait pas menti. Notre égérie a changé. Des cheveux rouges, un manteau en cuir et quelques breloques, en train de regarder la ville, lasse, esquissant un vague sourire provocateur. Mais au fond, il lui reste quelque chose dont elle ne peu se défaire, inscrit en elle, même après mutation. C’est son patrimoine culturel japonais. Dans Unbounded tout a changé, sauf le cœur : un challenge intact, un feedback préservé. Il lui reste un peu de sang bleu, finalement, à Ridge Racer Unbounded.
Vos commentaires
sseb22 # Le 31 mai 2012 à 15:39
Cette critique est très intéressante en ce qu’elle met cet épisode dans le contexte de son développement qui explique la nouvelle orientation.
Maintenant, pour moi, ce n’est pas vraiment un Ridge Racer. La preuve : j’ai téléchargé et joué à la démo et, en écrivant mes impressions rapidement, j’ai dit que j’avais joué à Need fos Speed - Unbounded.
Le pire est que, quand on m’a fait la remarque, j’ai dû chercher sur le net pour vérifier car j’étais toujours persuadé que c’était un NFS !
(désolé pour ce 3615 MyLife)
Alexis Bross # Le 1er juin 2012 à 20:15
Oui c’est vrai, et je crois qu’on peut bel et bien le comparer à un Need for Speed Underground, tant il lui ressemble dans ses apparats. Reste que je trouve quand même que Ridge Racer Unbounded a un feeling vraiment sympa, typique de ce que sait faire la saga. Et d’ailleurs je continue à y jouer avec un vrai plaisir (d’autant plus que le contre-la-montre se rapproche un peu d’un Trackmania). C’est sans doute ce qui lui permet de garder le tête hors de l’eau.
BlackLabel # Le 2 juin 2012 à 12:53
Alexis Bross :"L’éditeur de circuit fonctionne sur le principe des assets à emboîter les uns aux autres. Le problème, c’est que tout le jeu fonctionne de cette façon. Le nombre d’éléments étant limité, on remarque sans peine une trame des plus répétitive."
Comme ModNation Racers. Je remarque ça aussi dans des jeux sans éditeur (Bionic Commando par exemple dans un autre genre). Je trouve ces jeux-là vite repoussant.
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