Deux froids stratèges

Vous sortez des jeux depuis au moins quinze ans. Comment avez-vous commencé ? Et surtout comment avez-vous réussi à durer ?

Kristoffer : Nous nous sommes rencontrés durant nos études, nous logions dans le même dortoir, et nous étions tous deux des passionnés de jeu et de jeu de rôle sur table en particulier. Pendant un été, Johan n’avait pas de travail et il s’ennuyait, et c’est à ce moment qu’il a commencé la première version de Conquest of Heaven. Il m’a demandé si je voulais l’aider pour les graphismes. Ca m’a semblé amusant. Et tout est parti de là.

Après des années passées sur Dominions 1, 2 et 3, on a eu envie de faire autre chose. C’est très amusant de développer des jeux, mais au bout d’un moment on a l’impression de tourner en rond. Pourtant nous ne pouvons pas nous empêcher de créer. Il y a toujours une idée qui nous vient, parfois il y a un déclic sur un vieux projet laissé inachevé. Nous avons tendance à commencer dans une direction, à travailler dans ce sens pendant quelque temps, et puis à passer à autre chose, avant de revenir sur le projet précédent. Nous ne savons pas ce qui viendra après CoE 3. Peut-être Dominions 4 ou un autre jeu, qu’on appelle TaT pour le moment.

Que pensez-vous de l’explosion récente de la scène indé ? Est-ce qu’Illwinter peut tirer bénéfice de son développement ?

Nous ne nous tenons pas réellement au courant, et nous n’avons pas vraiment d’avis sur la question. J’imagine que c’est bon pour nous, mais je ne sais pas trop en quoi à vrai dire.

« Nous aimons créer des jeux. Nous n’aimons pas créer des sites webs. »

Vous semblez vous contenter d’être un développeur confidentiel. Votre site par exemple est fonctionnel, mais vraiment à l’ancienne, et vous n’avez ni Twitter ni réelle présence sur Facebook. Vous avez sorti plusieurs excellents jeux et pourtant le moindre indé qui n’a rien publié de plus qu’une version alpha génère plus de buzz que vous. Est-ce que vous manquez de temps pour faire votre promotion ? Est-ce que c’est quelque chose que vous n’avez pas envie de faire ?

Nous aimons créer des jeux. Nous n’aimons pas créer des sites webs. S’il y a des gens qui aiment nos jeux, cela nous satisfait. S’il y en a qui n’aiment pas notre page web, nous ne nous inquiétons pas trop. Le buzz c’est très bien, mais il y a d’autres personnes qui aiment s’occuper de ça à notre place — c’est ce que vous faites en ce moment — et nous apprécions ce qu’ils font.

Bien entendu, nous allons devoir parler du prix de vos jeux. Désolé, c’est le genre de questions stupides qu’on ne peut pas éviter. Par exemple Jeff Vogel (dont je parle décidément beaucoup) a été pendant des années le plus fervent défenseur des prix élevés pour les titres de niche. Mais depuis qu’il a sorti Avadon sur iPad pour 10 $, et qu’il est arrivé sur Steam, il ne semble pas mécontent du résultat. Est-ce que c’est une stratégie que vous envisagez ?

Ici non plus, nous n’avons pas de stratégie. Nous nous sommes dit que CoE 3 était un jeu plus simple que Dominions 3, et qu’il n’avait pas de manuel imprimé. C’est pour cela qu’il est moins cher que Dom 3.

Qu’est-ce que vous pensez des jeux de stratégie à gros budget de ces derniers temps ? Les derniers gros titres comme Civilization V, Elemental ou Sword of the Star 2 ont été plutôt controversés. Est-ce que le genre est mort pour le grand public ?

Johan a joué à Elemental. Ca l’amusé un moment. Et puis il est revenu à Master of Magic. A vrai dire nous ne suivons pas vraiment l’actualité.

« Dominions a un côté très roleplay »

Dominions 3 est un jeu plutôt difficile d’accès. Pensez-vous que Conquest of Elysium 3, qui est plus accessible pourrait constituer une bonne porte d’entrée vers vos jeux plus complexes ?

Peut-être. A la suite de demandes des fans, nous envisageons d’ajouter des descriptions pour les différentes unités de Dominions. Peut-être que cela permettrait aux gens de se rendre compte que Dominions a un côté très roleplay, ce qui pourrait attirer des joueurs qui apprécieraient nos mondes et notre imagination. Par contre je ne pense pas que Conquest of Elysium puisse attirer des joueurs intéressés par le multi.

A propos des unités, il y en a un paquet dans CoE 3. Ca a dû être un sacré travail pour les créer. Et plus encore les équilibrer, à moins que ce soit moins important pour un jeu essentiellement solo ?

Il y a plusieurs centaines d’unités dans le jeu, donc oui, ça n’a pas été de tout repos. Je n’ai pas de chiffre précis, mais je dirais qu’il y a 400 à 500 unités différentes pour le moment. Dominions 3 en avait plus de 1000 ! J’ai recyclé et retravaillé des sprites provenant de nos autres projets, et certains d’entre eux datent d’il y a plusieurs années. C’est vrai que certaines unités sont juste une version modifiée d’un même sprite, avec une nouvelle arme ou dans une autre couleur. Mais les plus grosses unités sont uniques.

Dans CoE 3 nous essayons surtout d’équilibrer chaque faction plutôt que les unités individuelles. Si une unité nous paraît très forte, nous augmentons son coût d’invocation ou nous diminuons sa chance d’apparaître. Et comme vous le dites, l’équilibre n’est pas essentiel dans un jeu solo. Le jeu est volontairement asymétrique et parfois injuste.

Quelle est votre faction favorite dans CoE 3 ? Celle dont vous êtes le plus fiers ?

Kristoffer : Je ne sais pas. Peut-être le troll et le nécromancien. J’aime beaucoup les nains, mais peut-être plus en théorie qu’en pratique. Je me suis inspiré d’une campagne de jeu de rôle papier que j’avais créée et que je trouvais très amusante. A la fin de cette campagne, Johan et les autres joueurs s’étaient fait rôtir par le dragon ancien qui avait conquis la cité naine et avalé la Dvala (NDLR : la dodue déesse qui pond du fond de sa mine les nains). J’aime bien l’atmosphère que dégage le roi troll. Des forêts sombres et sinistres, une vieille sorcière troll qui chante pour son enfant chéri. Et les Ettins sont tellement drôles. Ils ont l’air tellement crétins avec leurs deux petites têtes. Je pense que de toutes les versions du troll dans le folklore, ce sont les plus stupides.

Johan : Peut-être sorcière et enchanteur pour ma part.

« Nul ne peut résister à l’invasion des cervidés »

En tout cas le jeu est souvent humoristique. Un humour un peu noir. Vous pensez que les jeux de stratégie devraient se prendre un peu moins au sérieux ?

Assurément. Nul ne peut résister à l’invasion des cervidés.

On parle beaucoup de la valeur artistique des jeux. Mais la plupart du temps, les gens pensent aux graphismes ou à l’histoire. Et la beauté des règles ? Est-ce que vous pensez qu’il y a une esthétique des règles ?

Tout à fait. Je préfère les jeux de plateau aux mécanismes complexes. Hmm… en fait j’aime bien le go, bien que les règles soient simples. Mais c’est vrai que les règles portent l’ambiance d’un jeu. Cela est aussi bien valable pour un jeu de rôle sur table que pour un jeu vidéo. La différence c’est que dans un jeu vidéo on va chercher l’équilibre plutôt que d’essayer de rendre les règles intéressantes. Pas besoin d’un gros travail d’équilibrage en amont pour un jeu de rôle sur table, puisque le maître du jeu peut modifier la situation pour la rendre équitable. Bien sûr, nous n’avons pas ce luxe en jeu vidéo. Je soupçonne les développeurs de simplifier les règles pour ne pas être confrontés à des problèmes de balance. Alors bien entendu, dans les MMO il y a des règles très complexes pour que le joueur reste à sa place, selon son niveau. C’est peut-être beau, mais ces règles ne sont pas toujours explicites, et elles m’énervent parfois.

Qu’est-ce qui se passe avec les élans ? Les élans sont-ils si costauds que ça en vrai ?

Les élans sont les êtres les plus cools de la planète. Ne les sous-estimez pas.