Minecraft, Grand Theft Auto IV, The Sims, Assassin’s Creed : Brotherhood
Des lieux à usage unique
Explorer, dans l’inconscient collectif, c’est découvrir des contrées reculées, des civilisations oubliées, des trésors mystérieux. On imagine des aventuriers intrépides parcourant les océans, de Christophe Colomb à Vasco de Gama, ou s’enfonçant au cœur des continents comme David Livingstone. Aujourd’hui, ce sont les jeux vidéo qui offrent les mondes vierges qu’il nous appartient de visiter dans les moindres recoins. Chaque jeu, si linéaire soit-il, peut donner libre cours au désir d’exploration : tester les limites de l’espace proposé, comprendre la logique de l’univers et son histoire, chercher ce qui est interactif et ce qui ne l’est pas.
L’explorateur pilleur
Mais dans le monde réel comme dans le virtuel, ces quêtes sont rarement désintéressées. L’histoire de l’exploration fut aussi celle de la colonisation, de l’exploitation des populations et des ressources. Un des principaux moteurs de l’exploration dans les jeux vidéo est d’ailleurs le loot, ces objets et pièces d’équipement que l’on peut trouver en fouillant chaque endroit, en tuant chaque ennemi. Même l’innocent Link n’hésite pas à s’introduire chez les gens, ouvrir leurs armoires et fracasser leurs jarres, simplement pour amasser un rubis ou deux. L’exploration ressemble ainsi souvent à un comportement compulsif qui nous conduit à "nettoyer" méthodiquement chaque zone. Le joueur cherche à éliminer toute menace avant de fureter partout de façon obsessionnelle. Ce qui peut nuire à certaines expériences. BioShock se donne ainsi beaucoup de mal à établir un univers riche et cohérent, à nous raconter son histoire à travers les environnements, mais le joueur passera tout de même une grande partie de son temps à fouiller des valises, des cadavres et des poubelles, dans l’espoir de récupérer une barre de chocolat ou un paquet de chips, aux dépens du scénario. Alan Wake a le même souci avec sa quête des thermos. Le pilleur prend souvent le pas sur l’historien ou l’anthropologue. Les mécaniques de la plupart des jeux expliquent cet état de fait, le loot étant utile à la progression alors que le scénario reste accessoire.
Le problème survient pour les jeux qui se reposent quasi uniquement sur ces objets pour faire vivre leurs univers. On submerge le joueur d’objets à collecter, ou d’autres quêtes basiques, pour donner l’impression que le monde regorge de choses à faire. Mais la collecte n’enrichit en rien l’espace de jeu, elle ne fait que l’appauvrir. Dans Assassin’s Creed Brotherhood par exemple, la carte de Rome est littéralement obscurcie par une myriade d’objets à collecter où plumes ou drapeaux récupérés ne reviendront jamais, où les boutiques à rénover et les tours à escalader ne serviront qu’une seule fois. Ces prétextes à l’exploration sont par essence temporaires.
Une narration épuisable
De plus, le contrôle des développeurs sur la narration, à travers les environnements modélisés, les quêtes et les situations scriptées, peut également faire de l’histoire un élément épuisable, éphémère, au même titre que le loot. Dans un Abri de Fallout 3 par exemple, l’agencement et l’état des lieux, les personnages qu’on y rencontre, les messages laissés sur les murs ou sur les ordinateurs, les objets qui s’y trouvent nous renseignent sur le passé de l’endroit. Nos affrontements avec les ennemis, les quêtes qu’on complète dans cet Abri, écrivent son présent et parfois règlent son passé. Mais vient toujours un moment où l’on a épuisé les possibilités d’un espace, puisque le joueur est dépendant du contenu fourni par les développeurs. Il n’y a plus rien à récolter, plus rien à comprendre, plus rien à faire que de le visiter.
Dans les mondes ouverts comme dans les jeux linéaires avec des niveaux bien définis, la plupart des lieux ont donc une durée de vie limitée. On explore, on collecte, on consomme puis on passe au prochain. On finit les niveaux, les donjons, pour ne plus jamais y mettre les pieds, comme tous ces immeubles dans Grand Theft Auto IV qui ne nous ouvrent leurs portes que pour une seule mission. On n’habite jamais ces lieux, on n’y vit que de façon passagère, transitoire, toujours en mouvement vers le prochain lieu à visiter. La marche forcée est quasiment la norme dans les jeux vidéo, qui enchaînent séquentiellement les niveaux sans possibilité de retour depuis au moins aussi longtemps que Mario existe.
Une frange importante des joueurs semble complètement accepter et valider cette proposition d’exploration. Il paraît en effet insoutenable pour certains de revisiter des niveaux plusieurs fois. Qu’un même lieu accueille plusieurs événements de la trame, et l’on crie au recyclage, à la répétition, comme autant d’insultes à des développeurs alors taxés de paresse voire de malhonnêteté.
Au-delà de l’espace à explorer, on peut aussi voir cette logique consumériste dans les jeux eux-mêmes. Les succès et les trophées sont autant de jalons dans notre exploration d’un titre. Une fois qu’on les a tous obtenus, on a maîtrisé les mécaniques de jeu, on en a vu tout le contenu, on a épuisé tout ce qu’il avait à nous proposer, et on peut passer au suivant.
Un espace vivant
Il est cependant intéressant de s’interroger sur les moyens de dépasser cette vision court terme de l’espace dans les jeux vidéo, pour ne pas le réduire à une source tarissable de divertissements temporaires. Beaucoup, comme Just Cause 2 ou The Saboteur, attaquent simplement le problème par force brute, avec une carte immense et pléthore d’objectifs à accomplir. LittleBigPlanet ou inFamous 2 se tournent vers le contenu créé par les utilisateurs pour mettre continuellement à disposition de la nouveauté. Ils espèrent contrebalancer le caractère éphémère des interactions par la quantité proposée. World of Warcraft pratique lui le recyclage, avec les quêtes journalières, que les joueurs refont ad nauseam. Minecraft offre quasiment l’infini grâce à la génération dynamique du terrain. Sa véritable idée cependant, au delà de fournir des stocks presque illimités de matériaux, est de permettre au joueur d’altérer son environnement et d’y construire quelque chose. Le joueur n’est plus seulement consommateur de contenu, plus seulement l’acteur qui vit l’expérience prévue par le développeur, mais participe à la création de l’expérience, en se fixant ses propres objectifs, influencés par les règles et systèmes en place : monstres qui apparaissent dans l’obscurité, nécessité de se nourrir, ressources à accumuler et à transformer pour se protéger.
Pour que le joueur habite durablement un espace, y vive, il faut en effet lui permettre d’avoir des interactions signifiantes avec des systèmes autonomes. Les Sims, la simulation de vie par définition, permet ainsi, dans un cadre géographique très limité, d’interagir avec son personnage, son environnement, ses relations professionnelles et sociales. Quitte à incarner plusieurs personnages, on n’épuise jamais réellement les possibilités des Sims, les histoires qu’on peut y vivre. Des MMO comme EVE Online, qui reposent plus sur les interactions des joueurs que sur les quêtes écrites par les développeurs, font également vivre l’espace de façon moins contrainte et limitée. À plus petite échelle, la police de Grand Theft Auto IV joue ce rôle de système autonome, avec lequel le joueur peut interagir pour créer d’innombrables affrontements ou courses-poursuites uniques.
On n’explore pas tant l’espace qu’on le peuple de nos expériences, sans jamais être restreint à un nombre nécessairement fini d’évènements scriptés. L’exploration inéluctablement éphémère s’efface alors devant l’animation durable de l’espace de jeu.
Vos commentaires
bougre # Le 9 novembre 2011 à 10:33
C’est donc l’absence de scripts qui fait la richesse d’un espace. En somme, tout le contraire de ce qui est exigé par "le marché" et ses journalistes affiliés.
Tout cela me fait penser à SimCity. Le truc dans SimCity, c’est que même si on commence face à un espace vierge, ce dont on le remplit n’est pas tant une série d’expériences qu’un système de scripts pré-dit par le développeur. Je ne sais pas si je me fait bien comprendre : la création que le joueur fait dans SimCity, même s’il ne s’en rend pas compte, est pré-cuisinée, l’espace étant déjà carrelé d’impératifs et de canaux qu’il ne s’agit que de remplir.
Je m’éloigne un peu du sujet, car on n’explore pas dans SimCity (quoique). Mais il est intéressant de se demander où est la frontière entre une expérience singulière et l’accomplissement d’un script. Les poursuites dans GTA, tout comme les villes dans SimCity, sont toutes uniques, certes, mais elles rentrent toutes dans le même paradigme. Quelque part, elles sont toutes les mêmes.
L’espace où l’on commence une partie de SimCity est aussi peu vierge que celui de GTA. L’image du vide peut être une très puissante illusion de liberté (les codes sont invisibles).
Harold Jouannet # Le 9 novembre 2011 à 11:06
Un espace peut être riche de scripts également. La richesse d’un Fallout New Vegas est temporaire, mais c’est un temporaire d’au moins 150 heures.
Et oui, les systèmes dont je parle sont écrits par le développeur, ils conditionnent les expériences uniques qu’on peut avoir, et celles ci sont donc aussi un peu écrites. La police dans GTA n’engendre que des courses poursuites (la fuite est la seule alternative valable à l’arrestation et la mort). Mais elles sont toujours plus différentes que celles qu’on a tous joué quasiment de la même façon dans le scénario.
Et surtout, ce n’est pas grave qu’elles suivent le même paradigme. Une infraction entraîne une course poursuite avec la police, c’est une règle logique. C’est un bac à sable. Le sable a ses propriétés, et on joue avec comme bon nous semble. On ne fera peut être pas grand chose d’autres que des châteaux de sable, mais ce seront les nôtres.
Frédéric Oughdentz # Le 9 novembre 2011 à 15:07
Ah ! Je trouve un peu dommage que la section sur "’l’explorateur pilleur" oublie de mentionner un cas (rare) où la narration passive par l’environnement est fusionnée avec (et sanctionnée par) la quête de "ramasse-miettes" : Metroid Prime et son système de "scans".
Metroid Prime me semble en effet un cas intéressant, assez à part, un exemple d’utilisation élégante des collectibles. Les "objets" à collectionner sont de deux types :
d’un côté les power-ups strico sensu, c’est-à-dire les objets qui contribuent directement et explicitement à la montée en puissance ou la simple progression du joueur, et qui ont évidemment toujours existé dans la série (missiles supplémentaires, augmentation de la jauge de vie, améliorations majeures - clés - comme les armes, l’armure ou les nouvelles compétences, etc.)
de l’autre côté, les fragments de "lore" glanés en scannant l’environnement. Là encore il y a une subdivision à faire entre les indices sur comment franchir un obstacle et la lore à proprement parler, qu’il s’agisse de détails issus de l’analyse médico-légale d’un cadavre, ou d’un point sur l’architecture de tel morceau de bâtiment, etc., etc., etc. La frontière est perméable car les développeurs prennent souvent le soin d’intégrer l’indice (par exemple ils détailleront la défaillance dans la structure d’un morceau de mur, expliquant pourquoi tel matériau est sensible à telle arme). Je parle ici essentiellement du deuxième type ; la lore pure.
On a donc un jeu qui sanctionne (au sens premier, sans aucune notion négative) la quête de détails non critiques à l’histoire ou utile au joueur, tout en passant par un système de collect relativement traditionnel. L’élégance exceptionnelle de ce système réside à mes yeux dans le fait que le Scan est en grande partie optionnel et non invasif du point de vue de l’interface, reflétant ainsi la division entre un joueur archéologue qui mettra ses "lunettes" pour observer toutes les facettes du monde à la loupe, chassant chaque détail pouvant lui en apprendre plus sur la lore, et un joueur combattant qui préfèrera y rester aveugle, n’utilisant le Scan que lorsqu’il y est forcé, et conservant une vision superficielle et incomplète de l’univers du jeu.
Ainsi, dans Metroid Prime, non seulement la collecte d’items ne se fait pas aux dépens de l’univers, mais elle le renforce nettement ! Les Scans ne sont assimilables ni aux objets totalement futiles et gratuits d’un Assassin’s Creed, clairement dédié à densifier l’espace de jeu et à étendre de façon artificielle la durée de vie du jeu, ni aux fragments d’histoire (optionnels ou critiques) de l’histoire d’Arkham dans Batman Arkham Asylum ou des journaux et enregistrements de Bioshock, lesquels sont rarement, il faut l’avouer, bien intégrés à l’espace de jeu, surtout si l’on prend en compte l’importance de leur contenu dans la connaissance de l’histoire. On sent bien la main d’un designer qui a "déposé" un indice pour le joueur, dans un endroit peu crédible par rapport à ce qu’il raconte (le désordre d’une cité en ruines n’explique pas pourquoi on trouve des enregistrements tous les 150 mètres sur une expérience secrète qui a mal tourné), alors que dans le cas de Metroid Prime, les Scans ne racontent pas l’histoire ; ils racontent simplement l’histoire du lieu ou des événements - triviaux - qui s’y sont déroulés.
Bien sûr, Metroid Prime ne va pas jusqu’à abandonner la convention selon laquelle tout travail mérite salaire, et propose - à mon grand dam - quelques cadeaux bien artificiels pour qui aura pris le soin de tout "scanner", lesquels n’ont rien à avoir avec le contenu scanné, comme des artworks de monstres ou de Samus. A mon avis, un grand pas sera franchi quand les développeurs - et surtout les joueurs - accepteront que la récompense de l’exploration, c’est l’exploration elle-même, et pas tellement les cadeaux qu’on y trouve.
Harold Jouannet # Le 9 novembre 2011 à 16:21
Je n’ai pas joué à Metroid Prime, mais je pense saisir ce que tu veux dire. De façon générale, je ne rejette pas forcément les collectibles, j’ai bien aimé ceux de BioShock par exemple, ou même ceux orientés challenge de Batman Arkham City. Je mets en avant leur caractère temporaire, c’est plus un constat qu’un jugement (c’est un choix de game design, c’est tout).
Ceux dont tu parles me semblent assez proches de ce que j’évoque au sujet des environnements de Fallout 3 : l’espace explorable propose un contenu riche et intéressant. Mais une fois que tu as scanné ton mur, que tu as appris l’histoire de l’environnement, ou de ceux qui y vivaient, c’est fait, c’est fini. Ça renforce indéniablement l’univers, mais c’est aussi un univers qui a vécu surtout sans toi. C’est d’ailleurs assez frappant le nombre de jeux qui nous font visiter des lieux "morts" : BioShock, Fallout, Dead Space, Silent Hill, Metroid Prime si je ne dis pas de bêtises, etc. Il s’y passe encore des choses (l’aventure du joueur), mais c’est moins riche que le passé en général.
Ce qui me séduit avec les univers plus dynamiques, c’est l’accent sur ce que vis le joueur, plutôt que sur un passé à découvrir. Les jeux proposent plus souvent des histoires à lire qu’à écrire en quelque sorte.
Anthony Jauneaud # Le 9 novembre 2011 à 17:59
Superbe discussion. Oui, Metroid Prime est sans doute le meilleur exemple d’univers "mort" à visiter mais le ton du jeu, sa sécheresse (très peu de voix dans les deux premiers) et sa froideur en font un jeu assez particulier même vis-à-vis de jeux comme Dead Space et Bioshock.
Par contre je pense que ce qui marchait très bien dans Batman : Arkham Asylum (la présence d’indices liés à un personnage disposés dans un lieu qui est directement lié à ce personnage), ne marche plus du tout dans le City, où la dispersion fait perdre aux indices tout leur sens.
albatros # Le 9 novembre 2011 à 18:04
Superbe article.
Harold Jouannet # Le 9 novembre 2011 à 21:35
Pour les collectibles de Batman, c’est surtout que certains demandent un peu de réflexion, un usage ingénieux des gadgets et des mouvements (ceux avec les points d’interrogation à actionner notamment), et ne sont pas juste cachés derrière une grille ou une paroi. Et puis le fait que dans Arkham City ils ne soient pas tous répertoriés sur une carte, mais doivent se trouver ou se mériter. Enfin bref, je déteste pas forcément les collectibles.
bougre # Le 11 novembre 2011 à 12:14
J’y pense soudain : le jeu qui a très bien parodié ce phénomène d’espace jetable, c’est Katamari Damacy. Ou comment épuiser un espace jusqu’à la moelle en l’absorbant (en le "roulant", dans les terme du jeu), faisant d’un objet singulier une simple mesure quantifiable additionnée au volume du Katamari. Pour ceux qui ne connaissent pas (ou peu) : on part d’une chambre d’ado où l’on accumule des allumettes, alors que le dernier niveau consiste à rouler le Soleil après toutes les autres planètes (quand-même).
Sachka # Le 11 novembre 2011 à 16:58
C’est vrai que le principe de Katamari est assez génial : la "consommation" de l’univers au lieu de l’épuiser provoque un changement d’échelle et renouvelle les éléments à collecter, ce qui permettrait presque une exploration sans fin (après tout il pourrait y avoir un niveau au-dessus de celui des planètes, que nous ignorons ;) ).
glm # Le 15 novembre 2011 à 13:28
C’est bien beau de fustiger le manque de "vie" des jeux, mais il y a un truc tout bête auquel il faut penser, c’est que les puissances des machines ne sont pas suffisantes pour pouvoir permettre une interaction totale avec l’environnement, afin de satisfaire les envies de tous types de joueurs...
Harold Jouannet # Le 15 novembre 2011 à 15:33
Je ne pense pas demander nécessairement l’interactivité totale avec l’environnement. Je demande des interactions significatives dans cet environnement. Pas spécialement de pouvoir découper en tranche et vendre les morceaux de chaque chaise que contient le jeu.
Les règles et systèmes que je décris de Minecraft favorisent la narration émergente, même sans la possibilité de creuser chaque bloc du monde. Le système économique dynamique de Fable II, ça anime le monde, le rend vivant au delà des quêtes, et ça tourne sur console. La police de GTA, les affrontements chaotiques d’un Far Cry 2 également. EVE online, l’interaction passe par les joueurs principalement, plus que par une simulation complexe.
Je n’y ai pas suffisamment joué pour être certains de leur pertinence, mais j’imagine que des jeux comme Dwarf Fortress ou Animal Crossing conviennent assez bien à ce que j’appelle de mes voeux.
Je ne suis donc pas certain qu’il n’y ait que des facteurs techniques qui justifient cela.
glm # Le 20 novembre 2011 à 19:28
Sauf que tester de la narration émergente pour assurer au joueur la meilleure expérience possible, c’est juste impossible... ça marche bien dans le jeu bac à sable (vu qu’on le teste pas en fait), mais si tu as besoin d’un scénario...
il y a des recherches qui sont faîtes là dessus par les labos français, mais il manque une définition claire de la grammaire du jeu vidéo pour pouvoir vraiment développer qqchose autour.
Et quand au "dynamisme" supposé de certains éléments dans le jeu, la vraie question est de savoir si c’est vraiment dynamique, ou si tu as l’impression que c’est dynamique (ce qui n’est pas du tout la même chose), car pour avoir qqchose de "dynamique" qui tourne sur les bécanes actuelles, il faut que ça soit assez léger.
Et de plus, il faut avoir le temps de le faire (ce qui est en fait le plus gros problème du dév de jeu, soumis à des impératifs externes)
Harold Jouannet # Le 21 novembre 2011 à 00:40
Je ne pense pas non plus que la narration émergente soit nécessairement la solution pour la meilleure expérience possible, ou pour les jeux à scénario. Je pense que c’est la meilleure façon de rendre l’espace de jeu "vivant", le faire exister au delà d’un scénario prédéfini justement.
etienne # Le 23 novembre 2011 à 18:18
Défense et illustration des univers finis dans le JV.
Cet article est une réflexion très stimulante sur les univers ouverts et sur ce que l’on fait vraiment quand on joue à un JV, ce que M. Triclot avait abordé dans le très bon essai "Philosophie des jeux video". Quelques réflexions personnelles complémentaires.
La dimension exploratoire d’univers précalculés est autant que je m’en souvienne, essentielle dans les JV, dès le début de la 2D et peut être encore plus dans la 3D. Sans tomber dans la nostalgie, je fais partie de gens pour lesquels la génération d’univers précalculées par ordinateur a été à ses débuts un émerveillement pur et simple : forcément, on a envie dès l’origine d’en parcourir l’étendue et d’en tester les limites, même s’il s’agit de gros pixels en trois couleurs.
Ce test des limites, que ce soit celles de l’univers simulé ou celle des possibilités d’interaction avec celui-ci semble être effectivement dès le départ une convention tacite entre les joueurs et les concepteurs de jeux, qui sont eux-même des joueurs. Je ne sais plus quand sont apparus les premiers coffres à trésor ou les premières caisses à briser, mais il faut bien reconnaitre que les joueurs ont consenti très vite à ces actions systématiques et répétitives - voire carrément ennuyeuses -, et, en ce qui me concerne en tout cas - y ont pris du plaisir. Ce n’est pas par hasard que ces interactions soient restés des fondamentaux de gameplay dans les jeux contemporains.
Nettoyer les zones et ne plus y revenir me semble aussi un ressort du sentiment de "complétude" qui motive le joueur : ce qui est accompli n’est plus à faire - et j’ai du mal à comprendre comment les joueurs d’univers persistants consentent avec une telle facilité à laborieusement "délivrer du Mal" un même donjon à l’infini (en réalité, ils font autre chose - j’y reviendrais).
De même, le coup classique des "pièces secrètes" reste un ressort ludique indémodable qui relève de la même logique : les développeurs de Dark Souls, et les joueurs pervers qui laissent de fausses promesses au sol ne s’y sont pas trompés. Aurais-je manqué quelque chose ?, se dit le joueur lambda, préférant risquer de tomber dans un puits plutôt que de rester sur un doute.
Ce que souligne Triclot est que le JV, plus que d’autres jeux, est avant tout un univers où il y a toujours "quelque chose à faire", ce qui ne le différencie en cela pas du travail. Le JV est un univers de tâches à accomplir, et on n’a pas fini de s’interroger à mon avis sur ce paradoxe humain qui consiste à s’infliger, par jeu, ce qui relève a priori du déplaisir dès lors qu’on est dans la sphère du travail, en particulier si ces tâches sont répétitives et/ou psychiquement épuisantes (les jeux de gestion ou de stratégie en temps réel, consistant à gérer en temps réel un nombre considérables de paramêtres, dans une situation de stress permanent en sont à cet égard une illustration exemplaire).
Or ce consentement repose selon moi sur la finitude de ces tâches et de l’univers lui-même : c’est ce qui permet de laisser le jeu à sa place, c’est-à-dire sur l’étagère lorsqu’on l’a fini, voire "essoré". On peut ranger la boîte - et éventuellement y revenir longtemps après.
Que des jeux comme Assassins Creed, Just Cause ou The Saboteur multiplient jusqu’à l’écoeurement les tâches à accomplir, ou comme Oblivion les donjons clonés pour donner l’impression d’un enrichissement du jeu ne relève finalement que d’une question de degré, pas de nature. D’une façon ou d’une autre, ces jeux sont achevables, et souvent d’ailleurs achevés par les joueurs.
Contrairement à l’auteur, je ne vois aucune logique consumériste dans le fait de remplir consciencieusement les tâches prescrites sans retour en arrière, selon un raisonnement purement utilitariste qui voudrait que le joueur amortisse son achat initial en épuisant toutes les possibilités du jeu. Je pense que ce qui se joue, c’est vraiment le plaisir de parcourir un univers fini proposé par des créateurs, de surmonter un ensemble d’obstacles et d’énigmes, et finalement de mettre un terme au jeu en étant satisfait, c’est-à-dire en s’étant amusé entre temps.
Jouer à un JV, y compris en solo, c’est consentir à la proposition des concepteurs et des développeurs : on n’interagit pas avec du code, mais avec l’oeuvre d’autrui. Bref, on communique, comme dans toute relation à une oeuvre culturelle. Si l’on consent à ces tâches, c’est qu’on connait et accepte les conventions, qu’on aime l’univers, et que l’on sait ce que le concepteur attend de nous. Plus loin, le joueur sait que le concepteur sait que le premier sait ce que le second attend de lui...le joueur d’un JV solo joue avec le créateur (en particulier dans les jeux à énigmes). Et ce dernier attend du joueur qu’il fouille l’univers précalculé dans ses moindre recoins - en tout cas, c’est une de ses propositions que le joueur accepte tacitement - voire réclame implicitement : bref, il y a de la communication et de l’entente tacite dans tout cela entre le joueur et le développeur.
Le tout est une question de dosage. Ca ne peut fonctionner de façon saine que si il y a une limite : si je me suis enquis de chasser tous les pigeons de Liberty City ou de chercher toutes les malettes de diams dans Farcry2, ce n’est pas parce que ces tâches étaient gratifiantes en elles-mêmes, c’est parce que les développeurs les avaient placées en nombre important mais fini. C’est aussi un simple prétexte à la flânerie.
En revanche, il en est à mon avis tout autre choses dans les univers persistants à respawn infini qui me laissent autrement plus perplexe. Les MMO à la WoW ou DiabloII, fondés sur l’accumulation d’expérience suivant une progression logarithmique (plus on progresse, plus le nombre d’action à effectuer pour passer au niveau suivant augmente), et sur la génération aléatoire des trésors - ce qui les assimile purement et simplement aux jackpots des casinos - ne sont potentiellement jamais finis. Pour le coup, si la convention de jeu repose là aussi sur le consentement des joueurs - y compris celui de se délaisser régulièrement de monnaie réelle - leur caractère addictif me parait passablement effrayant, sans vouloir tomber dans des poncifs habituels.
Je ne puis m’imaginer qu’une telle expérience soit une expérience foncièrement heureuse : à titre personnel, la seule partie de mon existence où j’ai pu enchaîner mécaniquement des dizaines d’heures de Mephisto ou Baal runs coïncidait avec un épisode à caractère plus ou moins dépressif. Le désir sans fin et sans épuisement possible de lui-même est une manifestation pathologique du désir, ce qu’on sait depuis Aristote.
Enfin, le jeu Minecraft semble vraiment un cas à part, puisque c’est le seul à engendrer un univers de façon procédurale et infinie. Sans y avoir joué, j’ignore quelle expérience ludique il procure aux joueurs, ni de quelle façon ils y jouent. De même les Sims ou EVEOnline sont effectivement des topos durablement habitables, qui n’ont potentiellement pas de fin. Je n’y ai jamais joué non plus, mais je répugne plus ou moins à l’idée d’habiter durablement un univers virtuel, qui m’impose des rendez-vous périodiques si je ne veux pas voir mon compte être arbitrairement fermé. J’aime pouvoir achever un jeu comme je referme un livre...quitte à revenir le feuilleter longtemps après.
Harold Jouannet # Le 23 novembre 2011 à 20:59
Merci pour le commentaire, que j’apprécie énormément. Pour être honnête, j’avais eu quelques réflexions pour poursuivre cet article, et ce sont exactement celles développées dans la première partie du commentaire.
En effet, les joueurs acceptent à bras ouverts ces univers finis en partie parce qu’ils sont finis (et qu’ils veulent des expériences taillées sur mesure pour eux, ne pas laisser leur expérience au hasard, à la génération dynamique). Cela rend la tâche gérable, et les jeux peuvent avoir ce rôle de système que le joueur peut gérer intégralement, ils savent qu’ils pourront le contrôler parfaitement, puis ranger le jeu sur l’étagère une fois fini (le jeu permet de remettre de l’ordre dans sa vie, nous donne un contrôle qu’on n’a pas toujours par ailleurs).
Un monde infini, ou avec une infinité de choses à faire peut effectivement être frustrant, et paradoxalement être bien moins propice à l’exploration : dans Minecraft, on sait que c’est infini, donc on ne prend pas la peine d’explorer (la plupart des gens auront ainsi tendance à regénérer un monde si l’environnement autour de leur point de spawn initial ne leur convient pas). On n’aime pas non plus se dire qu’on est passé à côté de quelque chose (et les développeurs n’aiment pas que les joueurs passent à côté du fruit de leur travail, sachant déjà la proportion des joueurs qui ne finissent pas les jeux...)
Et effectivement, je pense également qu’il s’agit d’une différence de degré et pas de nature entre un Saboteur et un Oblivion.
Par contre, je ne suis pas certain que le fait que les joueurs fassent ces tâches répétitives soient le signe d’une acceptation. Pour avoir lu quelques articles de Jonathan Blow sur les travaux de Skinner, il ressort apparemment que plus la tâche est stupide et basique, plus il est facile de la faire accepter à répétition.
Je pense que les joueurs l’acceptent mais sans avoir le problème consciemment en tête (et je pense également que beaucoup de développeurs n’en sont pas complètement conscients non plus, et veulent juste innocemment donner plus à faire). C’est comme les trophées/succès. Ça part peut-être d’une bonne inspiration, mais ça peut tout de même nuire gravement, même involontairement. Je pense sincèrement qu’il y a une part de conditionnement, et que c’est en partie un comportement compulsif plus qu’un plaisir consciemment assumé.
Des recherches soutiennent également que récompenser des activités diminue le plaisir qu’on en retire (les objets dans les décors pour les jeux qui inciteraient à l’exploration, et au final on se préoccupe plus des objets que des décors).
A titre personnel, j’aime aussi refermer un jeu définitivement. Mais j’aime aussi ne pas tout voir. Je n’ai pas fini Demon’s Souls. J’ai essayé, et je suis arrivé à un point ou je ne progresse plus. Et ça me va très bien. Je ne suis pas obligé de réussir, de tout voir, tout le temps. Si je ne mérite pas de voir la suite, je ne verrais pas la suite, et ça me convient. Le monde de Demon’s Souls n’en est que plus cohérent.
Martin Lefebvre # Le 23 novembre 2011 à 22:00
Pour les jeux comme Ass Creed ou Just Cause II, je pense que l’important c’est aussi que le contenu soit trop copieux. C’est un peu le principe du "All you can eat", tu es là pour t’en mettre plein la panse, même si les plats en eux même ne sont pas de la grande gastronomie. Si ton estomac était suffisamment grand tu pourrais bouffer tout le buffet, mais dans les faits, il en reste toujours. Mais au moins tu as eu cette sensation — pour le coup assez consumériste — d’abondance.
Dans Ass Creed tu as cette logique de tourisme, tu es un touriste de luxe, qui peut sauter les files, avoir les plus beaux points de vue sur la Florence ou la Rome de la Renaissance, qui peut choper un nombre incalculable de trésors, de breloques... Ce que je trouve remarquable dans la série (je n’ai fait que le 2, le 3 me tente mais sans presser), c’est que les développeurs comprennent ton envie de flâner, ils t’aident à le faire et les récompenses sont l’équivalent de petites tapes sur l’épaule. Comparé à un GTA qui veut absolument te raconter une histoire, AC te file ce superbe décor et t’en laisse les clefs. C’est superficiel mais pas déplaisant du tout.
Dans JC2, tu peux partir au petit bonheur et en effet tu auras toujours quelque chose à faire. C’est un jeu fait pour être joué très longtemps, mais par petites sessions, qui sait que le plaisir de tout casser pendant 30 minutes sans réfléchir se renouvelle à chaque fois, si tant est qu’on ne t’embête pas trop durant ces moments cathartiques. Tu colonises, le jeu fait la satire du néo-colonialisme, mais il fait surtout appel à des plaisirs très simples, très arcade, ramasser les bonus, casser les bâtiments, mourir et recommencer.
Je sais pas si je parlerais d’écoeurement à leur propos. L’écoeurement c’est si tu en manges trop, mais justement ils ne t’obligent pas à en manger trop sauf si tu vires obsessionnel.
Sylvain # Le 23 novembre 2011 à 23:00
Je partage totalement l’avis d’etienne. La conscience qu’un jeu peut être fini est au fondement du plaisir qu’on peut trouver à le parcourir de fond en comble. Certes, la liberté du joueur est limitée. Mais cela ne vaut-il pas mieux que d’être condamné à l’infini, à une fuite en avant qui peut dégénérer en addiction ? Pour moi, la différence entre le jeu fini et le jeu infini est la différence entre modernité et postmodernité. Dans la modernité, le spectateur (ici, le joueur) accepte d’être simple récepteur de l’oeuvre de l’artiste (ici, des développeurs). C’est la règle tacite. Le jeu est l’oeuvre finie d’autrui et le joueur se contente d’en jouir tel qu’il est. Dans la postmodernité, le joueur nie toute prétention à la finitude de l’oeuvre et à l’expression unilatérale du développeur. Ce qui compte, ce n’est plus de jouir une fois pour toutes du jeu mais d’aller toujours plus loin, de dépasser les limites éternellement (cf Finkielkraut, Nous autres, modernes). Or se pose la question du sens : pourquoi je continue à jouer ? Qu’est ce que je cherche ? Quand le jeu est fini, c’est encore clair ; je joue pour profiter de l’expérience de jeu qui me sera restée. Quand le jeu est infini, le plaisir de jouer risque d’être supplanté par une quête sans fin, donc sans sens, une quête proprement absurde.
Harold Jouannet # Le 23 novembre 2011 à 23:52
@Martin : je vire toujours obsessionnel. Donc je finis régulièrement le buffet à volonté. Je joue vraiment méthodiquement et de façon compulsive, c’est pour ça que ça me travaille autant.
Et les "cadeaux" pour l’exploration, pour moi, ça détourne vraiment de l’essentiel. Pour moi, ça réduit les décors à des réceptacles à récompenses. Je passe plus de temps à regarder la minimap qu’autre chose.
@Sylvain : J’ai pas les mêmes conclusions que toi sur le sens du jeu. Quand c’est infini, je joue parce que ça me plait, quand c’est fini je joue pour la carotte, par obligation. J’ai joué assez peu à Minecraft, beaucoup moins qu’à Assassin’s Creed Brotherhood par exemple, mais je n’ai pas joué une seconde déplaisante dans Minecraft.
Martin Lefebvre # Le 24 novembre 2011 à 00:11
Le tout est de savoir dire "satis". C’est vrai que les jeux que j’appelle "stoners" visent à une sorte d’illimité, dans lequel on peut se perdre et s’obséder. Mais le tout est de savoir en faire usage. C’est bien aussi parfois de se laisser manipuler par un système, de se perdre un peu.
Skyrim est clairement un jeu stoner, je me suis baladé ce soir, j’ai aidé quelques mineurs, j’ai découvert les alentours d’une nouvelle ville, et au bout du compte je me suis retrouvé dans un énorme donjon, énorme et vide parce que dans les TES les lieux n’ont pas de sens, ils sont juste là, pour qu’on s’y paume, le donjon en question doit être grand comme plusieurs zones de Dark Souls (ça par contre c’est du dense).
Au bout d’un moment, j’en ai eu assez, j’ai sauvegardé et me voilà.
Par contre je pense pas qu’on puisse dire que je n’ai pas été récepteur. Bethesda crée son jeu avec des mécanismes qui sont pensés pour cet effet de désorientation, de décollage du réel, c’est pour ça que ça fonctionne. C’est ça l’expérience de ce type de jeux.
Absurde ? Peut-être. Et alors ?
etienne # Le 26 novembre 2011 à 03:55
@ tous : des tas de choses intéressantes, qui révèlent aussi des sensibilités différentes.
J’ai grand plaisir à trouver un blog qui traite avec le plus grand sérieux une forme culturelle aussi singulière que sont les JV.
@Harold Jouannet :
Merci de ta réponse.
Il n’est pas difficile de tomber d’accord, puisque manifestement nous appartenons au même profil de joueurs qui "s’avalent tout le buffet", pour reprendre l’image très juste Martin Lefebvre, en tout cas dans les jeux basés sur l’exploration de mondes précalculés et relativement étendus. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’il s’agisse - en ce qui me concerne - du seul résultat d’un penchant obsessionnel, mais peut-être plus simplement d’une façon spontanée de répondre à une proposition.
C’est assez drôle d’ailleurs de lire l’interprétation complètement différente de Martin Lefebvre, qui affirme que "dans les faits, il en reste toujours"...sous-entendu des choses à faire et à explorer. C’est peut-être son cas. Mais en ce qui me concerne, j’appartiens à l’espèce de ceux pour lesquels, s’il reste quelque chose, c’est vraiment pour des raisons fortuites et irréparables de bugs de quêtes ou de disparition de donjons visités sur la map : autant dire qu’il ne reste que des miettes à la fin. Et je n’ai pas l’impression pour autant d’être fou ou maniaque, mais au contraire de me fondre dans un profil assez banal de joueurs. C’est pour cela que la figure de l’"explorateur pilleur" que tu as développée me semble intéressante, dans le sens où elle correspond à une manière d’appréhender le JV assez largement partagée, alors qu’elle peut paraître au premier abord pour le moins "bizarre" sinon perverse.
Pour le coup, cette illusion d’abondance consumériste mise en avant par Martin Lefebvre, digne du sentiment procuré par le spectacle d’un "buffet à volonté" de Restoroute, et de l’"ivresse" de l’abondance qui l’accompagnerait, est totalement étrangère à des joueurs de mon espèce, qui épuisent de toutes façons systématiquement les jeux. Or, si l’on va au bout de façon méthodique, et qu’il ne reste plus rien à faire de NEUF dans un JV - ce qui est parfaitement possible avec les jeux actuels, pour peu qu’on y consacre le nombre d’heures nécessaires - c’est bien que les choses à faire et à visiter n’étaient pas si abondantes que cela. Je suis donc totalement hermétique à cette idée d’abondance et d’un hypothétique plaisir à avoir forcément plus que ce que je ne puis épuiser, puisque justement un des ressorts du plaisir que j’éprouve à jouer consiste à épuiser l’univers proposé.
Je n’ai pas joué à Skyrim, mais de ce que j’ai pu en lire ou en voir, il ne doit pas offrir plus d’illimitation que n’en offrait son prédécesseur : s’il tombe entre mes mains, il sera "terminé" comme les autres - avec grand plaisir s’il est aussi beau et riche qu’on le prétend, et avec le temps qu’il faudra pour y parvenir (ce qui fait d’ailleurs que je ne suis pas plus pressé que cela d’y jouer).
Il ne s’agit absolument pas ici de distinguer ici "la bonne manière" de jouer, mais justement d’interroger ce que chacun y fait. Et la diversité des interprétations intimes montre de façon étonnante la plasticité de ces formes culturelles finalement assez récentes que sont les JV et la variété des expériences qu’elles peuvent procurer selon les individus.
Je trouve très troublant aussi que persistent des mythes aussi controuvés que la "pseudo-interactivité" ou la "pseudo-ouverture" des JV vus comme des mondes émergents et procéduraux (je reste perplexe devant l’OVNI Minecraft, qui me fait plutôt penser aux retraités monomaniaques qui fabriquent des Tour Eiffel en alumettes) , qui voudraient qu’il y ait des tas de façons différentes de progresser, alors qu’au regard de l’expérience commune, tout le monde fait peu ou prou la même chose et passe par les mêmes étapes, et que des millions de gens développent simultanément des aptitudes quasi-similaires (dans la façon de passer un niveau) et une connaissance intime et homogène des topos offerts par les jeux.
Je suis totalement d’accord en ce sens avec la distinction entre modernisme et post-modernisme énoncée par Sylvain. L’illimitation posée comme forme idéale de la "liberté" est une vision fort appauvrie et bien peu sage de ce concept, qui caractérise l’ubris contemporaine post-moderne où tout se vaut et tout est possible.
Je ne vois pas où est la liberté là-dedans, ni en quoi cela constituerait un moteur, et suis parfaitement lucide et nullement gêné sur le fait d’agir comme tous les autres dans les univers dits "ouverts" des JV contemporains (à ceci près que j’ai tué tel ou tel ennemi avec telle arme ou tel sort, et que je mes suis rendu du point A au point B par la route du Nord ou celle du Sud). Quand on accomplit la totalité des quêtes -principales ou secondaires - et que l’on visite tout, la seule chose qui change est l’ordre dans lequel ces tâches sont accomplies...la belle affaire.
Je trouve imbécile de prétendre aimer certains jeux à carte immense au prétexte d’une "sensasion de liberté" qu’il procurent : bien sûr que tout est balisé au contraire, et ce n’est pas grave, c’est justement ça qui est bien. Je ne recherche aucune "sensasion de liberté" en jouant à un JV, puisque j’ai bien conscience de visiter un univers conçu et fabriqué par autrui pour me faire faire ceci ou cela, et que j’y consens volontiers.
S’il est des mondes les plus visités aujourd’hui de façon universelle, systématiquement cartographiés et répertoriés par les forums et sites de "soluces", et finalement tout sauf "inexplorés", c’est bien les Venise, Florence et Rome d’AC2, Liberty City, la Zone de S.T.A.L.K.E.R., ou Tamriel et Bordeciel, bien plus en tout cas que la forêt sise à 20 km de chez moi.
Selon moi, jouer aux JV actuels à monde dits "ouverts" (en réalité fermés), c’est accepter une proposition, répondre à un défi, voir de belles choses et flâner, et accessoirement accumuler des compétences et des trésors vite oubliés, mais ce n’est absolument pas éprouver une liberté factice.
Sinon, tu as mis le doigt sur un truc qui me semble très significatif en prolongeant l’idée de "rangement", terme qui m’avait un peu échappé au passage à propos des étagères, mais qui réflexion faite en dit effectivement bien plus long que ce que je croyais dire au départ, et sur ce qui m’intéresse dans ce que l’on "fait" en jouant de façon relativement assidue : il est effectivement bien question - dans mon cas - de "remise en ordre", et d’une certaine manière, c’est bien après avoir "rangé" un certain désordre initial DANS le jeu (un scénario à dérouler, une série d’énigmes à résoudre, des quêtes à accomplir, des lieux à fouiller et des coffres à visiter) que le jeu mérite d’être rangé à son tour.
Peu d’oeuvres de l’esprit procèdent de cette logique de remise en ordre, dont la mécanique s’apparente finalement à des objets du type casse tête, au Rubiks Cube et au Solitaire, le jeu par excellence qui consiste à recréer de l’ordre à partir d’un chaos aléatoire, à la différence près que ces derniers offent des expériences courtes et répétitives, et peuvent être indéfiniment recommencés. En même temps, aucun livre ou film, y compris pour un gros lecteur et un cinéphile averti ne se prête à l’investissement d’autant d’heures d’attention et d’activité que les JV actuels, pour les joueurs assidus en tout cas.
L’originalité et la singularité des JV exploratoires et à scénario en particulier me semble être justement d’associer étrangement ces dimensions a priori étrangères qui en font des étonnantes chimères, à la manière de livres-Rubiks Cube ou de tableaux-Solitaire.
Qu’il y ait ensuite un profil psychologique propre à ce type de joueurs auquel je me réfère ne fait aucun doute - qu’on les appelle obsessionels ou compulsifs ne me dérange pas non plus : après tout il n’y a rien de gênant à ce qu’une activité ludique permette d’exprimer des tensions que l’existence ne permet pas de résoudre par ailleurs. Tant que ça n’empiète pas sur les autres dimensions de l’existence.
En outre, tout laisse à penser que ce profil est assez banal, puisque les développeurs eux-mêmes s’ingénient à étendre l’univers proposé et à le "remplir" de choses à faire ou à voir.
Finir un jeu, à condition de l’aimer et de ne pas s’ennuyer bien sûr, c’est aussi, je le répète, accepter et prendre au sérieux la proposition d’un autre - même si j’ai bien conscience de la dimension industrielle et commerciale des JV. Il n’empêche, cela reste le fruit d’un travail long et difficile -en dehors d’être coûteux - pour les grosses productions en tout cas. Tout ce qui est donné à voir, en particulier lorsque c’est caché, a bien été placé par quelqu’un - même si certaines routines automatisées participent à la génération de l’univers. Je trouve un plaisir certain à relever le défi de trouver et de visiter tout ce que l’on me donne à voir. Et j’y cherche aussi vraisemeblablement la trace de la fascination première devant la puissance de représentation des premiers logiciels de jeu pourtant bien limités d’il y a trente ans - du genre le POP originel de J Mechner sur X86.
Quand à l’idée du "conditionnement", je n’ai pas lu les travaux que tu cites, mais j’ai exprimé mon effroi face à ces jeux persistants basés sur un double systême d’accumulation d’expérience sans limite mais exponentiellement ralentie (exigeant des temps de jeu proprement INHUMAINS) et d’attribution de récompenses aléatoires infiniment réitérable du type loterie. J’ai parlé de consentement de la même manière que personne ne force les joueurs de casino à y entrer, ni un héroïnomane à s’injecter sa dose, ce qui effectivement mérite plus ample réflexion. Sans être spécialiste, on a bien affaire à des phénomènes d’accoutumance typiques de l’addiction, dans le sens où l’effet réducteur de tension lié à la récompense est de plus en plus court et inhibé au fur et à mesure des prises, dans une spirale sans fin.
C’est aussi pour cela que j’insiste tant sur l’essence du jeu, qui est la seule activité humaine à laquelle on peut à tout moment décider de mettre un terme à tout moment - contrairement au travail et aux activités de subsistance - condition sans laquelle on n’a plus affaire à un jeu, mais à une forme de servitude volontaire. La façon dont tu as laissé Demon’s Soul illustre cette dimension à merveille.
BlackLabel # Le 26 novembre 2011 à 14:50
Martin Lefebvre # Le 23 novembre à 22:00
Pour les jeux comme Ass Creed ou Just Cause II, je pense que l’important c’est aussi que le contenu soit trop copieux.
C’est une illusion, en tout cas pour moi Assassin’s Creed est très limité (l’autre je sais pas). Le contenu d’AC est pauvre mais il est photocopié pour donner l’illusion d’un gros jeu, contrairement à un GTA ou RDR où il y a vraiment beaucoup à faire. Pour moi AC n’est pas copieux, il est vide, vu que tu en fais le tour assez rapidement avant de recommencer les mêmes patterns jusqu’à l’écoeurement. Dans GTA4 tu fais pas deux fois le même vol de voiture dans les missions annexes, ni le même meurtre dans les contrats de tueurs à gages. Y’a toujours un bout de mise en scène, et le jeu se débrouille pour ajouter une petite différence.
Ça prend des années à faire un GTA à cause de ces petits détails. Ça prend un an à photocopier un Assassin’s Creed.
Harold Jouannet # Le 23 novembre à 23:52
je vire toujours obsessionnel. Donc je finis régulièrement le buffet à volonté. Je joue vraiment méthodiquement et de façon compulsive, c’est pour ça que ça me travaille autant.
Je suis tout le contraire et pourtant je ressens la même chose. Dès qu’un jeu me déçoit, je suis vite complètement démotivé. Les trophées/succès pourraient me motiver s’ils étaient intelligents, mais la plupart sont tellement cons que même lorsqu’ils sont faciles à obtenir, je n’ai plus aucun élan (avant je l’avais un peu). Et c’est cette "nullité" ludique qui me travaille, je décortique le jeu autrement, je me nourris de lui en essayant de comprendre le plus à fond possible ses carences. Un jeu qui me plait beaucoup me rend serein, même si c’est pas un jeu fait pour moi (genre Splinter Cell), mais un jeu nul (ou que je considère nul) m’obsède, j’ai besoin de l’exorciser, même s’il m’a plu (comme Uncharted 3). Je prends des notes mentales pour pas oublier tel ou tel truc dans le test à venir. Au contraire un jeu que j’estime j’oublie de parler de plein d’aspects, parce que la simple estime du jeu me comble, je ressens pas le même besoin dévorant de compréhension. Il a fait son boulot, me satisfaire, même s’il s’adresse pas à moi.
Martin Lefebvre # Le 26 novembre 2011 à 14:58
Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que "tout le monde fait peu ou prou la même chose et passe par les mêmes étapes". C’est en partie le cas, mais il ne faut pas oublier qu’un joueur développe un style, qui est une manière propre de faire sien l’usage du jeu. Ce n’est certes pas évident dans un TES qui a tendance malgré tout à diriger le joueur vers de grands styles (qui sont tout de même différents, et qui ont des variantes assez nombreuses). Mais dans certains jeux à "skill", comme les Devil May Cry ou les jeux compétitifs, les joueurs de bon niveau sont reconnaissables à leur manière de jouer, et ils innovent. Innovation certes limitée par les règles du jeu, peut-être pas inépuisables, mais réelles.
Minecraft c’est tout de même à faire si on s’intéresse un minimum à l’évolution du jeu vidéo, ne serait-ce que quelques heures pour voir. C’est un des derniers jeux à avoir peu ou prou crée un genre, une proposition qui est suffisamment nouvelle pour donner naissance à quelque chose que le jeu vidéo ne faisait pas, ou du moins pas de la sorte auparavant.
Quoiqu’il en soit, ça ne me paraît pas forcément plus monomaniaque de créer des constructions dans Minecraft que de finir à 100 % Oblivion. Est-ce que c’est plus "productif" ? Je n’en sais rien, mais est-ce bien la question ?
Mais c’est vrai que ma façon de jouer, je picore, influence ma vision, qui est peut-être engagée. J’ai même tendance à plus ou moins consciemment ne pas finir les jeux, à m’arrêter avant le boss de fin par exemple, pour que le voyage reste en suspens, inachevé, encore ouvert.
Je ne dis pas que l’illimité est un idéal, loin de là, ni que cet illimité est forcément atteint, mais on tend tout de même à mon avis vers ça. C’est peut-être un peu un assommoir cet illimité, mais je le prends comme ça, il fait bon s’abrutir de temps à autre.
Martin Lefebvre # Le 26 novembre 2011 à 15:22
@Blacklabel : oui Asscreed (je n’ai fait sérieusement que le 2) c’est peut-être pas un bon exemple. Après comme je ne m’oblige pas à tout faire, loin de là ça ne me gêne pas. Comme je disais les breloques sont là je pense pour te dire que c’est bien de flâner, que tu peux jouer les touristes. Ce que je ferais sans breloques d’ailleurs, mais les collectibles sont un moyen pas très subtil de récompenser l’exploration, que les dév utilisent sans doute faute de mieux.
GM cholls # Le 12 mars 2013 à 02:08
Personne pour parler d’animal crossing, il rentre pile poil dans la thématique pourtant, et harvest moon non plus et zelda et etc.
Dans animal crossing les possibles qui s’ouvrent ne sont pas dans l’espace mais dans les nouveaux outils (chouette un filet à papillon) et les petites motivations que l’on se fixe (se lier avec un nouveau voisin). Autre point, Animal crossing est aussi un jeu de collectionneurs ou l’on souhaite viser la complétude, mais le jeux nous dressent en nous imposant un nombre très limités de nouveaux éléments par jour. une fois intégré ce fait on apprécie chaque découverte de façon beaucoup plus zen. Animal crossing est peut être le reméde à la frénésie du collectionneur finalement. Il nous donne peux d’objets et d’intéractions par jour et on est sommé de les apprécier.
Etant donné qu’il n’y a pas vraiment de quête principale (ni annexe d’ailleurs), cette activité de collectionneur est vécue de façon spéciale. C’est difficile à expliquer (un peu comme l’ennui, ou l’imagination qui surgit de l’ennui), mais c’est très particulier. La plupart des objets servent seulement à rendre plus beau ou moins vide un endroit (aménager sa forêt ou sa maison) (remplir le musée de fossilles, de poissons et de papillons). Il ne s’agit jamais d’optimiser ou d’améliorer quelque chose. Je trouve ce jeu exemplaire car il rempli un vide ou vous prélève d’un trop plein avec finalement très peu de choses.
Et ce térritoire minuscule dont on connait chaque millimêtre, dont on note les évolutions chaque jour, c’est l’antithése du lieu à usage unique.
Concernant minecraft c’est le seul le jeu que je connais ou la récompense de l’exploration tiens dans l’exploration (bon après ça dure qu’un temps mais c’est chouette).
(Désolé pour les fautes et la ponctuation)
PS : vu la taille des commentaires pourquoi vous grandississez (si, si) pas la box par défaut dans le B.O., oui j’ai vu qu’on pouvait resizé le truc, mais vu votre public autant l’agrandir direct .
StephaneF # Le 19 février 2014 à 10:28
" Je trouve très troublant aussi que persistent des mythes aussi controuvés que la "pseudo-interactivité" ou la "pseudo-ouverture" des JV vus comme des mondes émergents et procéduraux (je reste perplexe devant l’OVNI Minecraft, qui me fait plutôt penser aux retraités monomaniaques qui fabriquent des Tour Eiffel en alumettes) "
Une réponse en passant, comme ça, sans grandes prétentions intellectuelles et peut-être à côté de la plaque : à part quelques gugusses effectivemment obsessionnels qui reproduisent Rome, Britannia ou Auschwitz en solo dans Minecraft et postent leur oeuvre sur Youtube, je crois que c’est surtout devenu un jeu pour soirées entre potes ; construire son petit village, explorer des souterrains en prenant du plaisir à frissonner aux grognements des zombies, voir le monde sortir peu à peu du chaos primordial, se faire des SOUVENIRS. J’ai adoré Planescape Torment, la qualité des dialogues, la poésie du tout m’a terrassé, mais j’assimile ça à la lecture d’un livre. Minecraft, il n’y a rien de particulier à y faire, et on peut tout à fait s’y ennuyer ; mais avec un peu de chance et quelques copains, on peut se fabriquer des souvenirs personnels, intimes. J’ai en tête les images d’un paysage qu’avec des amis nous avons peu à peu domestiqué et fait notre, j’ai souvenirs des discussions que nous y avons eues, que cela ait eu lieu dans un JV n’enlève rien au fait qu’il s’agisse de souvenirs personnels et réels, au même titre que mes vacances ici ou là, en telle année. Bien au-delà d’un simple jeu de légo obsessionnel.
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