La sortie d’Assassin’s Creed Unity a confusément soulevé la question de la mise en scène de l’histoire par le jeu vidéo. Plusieurs médias présents sur la toile se sont emparés du sujet de manière quelque peu opportuniste, plus avides de générer du clic, en caricaturant les prises de position des différents protagonistes, que d’ouvrir une réelle réflexion de fond sur la question.
Ce vacarme a contribué à noyer d’autres initiatives, comme celle de Pierre Ropert de France Culture [1], qui m’a contacté dès le début du mois de novembre pour discuter plus généralement des enjeux afférents à l’usage de l’histoire dans le jeu vidéo. Le projet de son propre article était donc bien antérieur à la pseudo-polémique qui enfle depuis quelques jours et il était alors difficile d’imaginer l’ampleur que tout cela prendrait, le jeu vidéo dans sa globalité restant le plus souvent peu considéré par les médias généralistes.
Les propos que j’ai tenus durant l’entretien ne prennent pas en compte tout ce qui a pu être dit sur le sujet depuis, j’ai donc voulu compléter mon point de vue.
La polémique se fonde sur les déclarations lapidaires de Jean-Luc Mélenchon, rapidement montées en épingle par des journalistes friands de ce genre de « petites phrases » qui ne servent jamais à l’instauration d’une discussion équilibrée. Sa dénonciation, franchement excessive, d’une « propagande contre le peuple » et contre « la grande et splendide Révolution de 1789 » [2], s’est confrontée à la crispation myotatique d’une partie des joueurs, ces derniers considérant que ce genre de questionnements demeurait hors de propos puisqu’il ne s’agissait là que d’un jeu, dont l’objectif était le simple divertissement.

Ces positions me semblent toutes deux quelque peu légères et je considère que le jeu vidéo, en tant qu’objet médiatique, mérite qu’on se penche plus sérieusement sur les problématiques qu’il soulève. En répondant aux questions de Pierre Ropert, lui-même amateur de jeu vidéo et partisan de sa lecture critique, j’avais l’espoir de pouvoir participer à un débat constructif, mais les derniers jours ont à nouveau montré qu’un certain nombre de médias ne se souciait guère de traiter avec nuance des diverses questions relatives au jeu vidéo. Pour le cas présent, beaucoup se satisfont d’une opposition stérile entre les « historiens », érigés en inquiétants et froids gardiens du temple [3], et les « joueurs », considérés comme des préadolescents inconséquents refusant toute réflexion sérieuse sur le fond et la forme de leur jouet. Ayant moi-même un pied dans chaque « camp », cette dichotomie artificielle me pose un réel problème.
Jean-Luc Mélenchon a depuis nuancé son point de vue et livré une réflexion plutôt intéressante [4], mais celle-ci n’a, sans surprise, pas bénéficié de la même couverture médiatique que sa petite phrase originelle. Nombre de joueurs aspirent, eux aussi, à propulser l’analyse du jeu vidéo au même niveau que celle de la littérature ou du cinéma ; il est donc temps d’assumer ce qu’une telle prétention implique.
Sur Merlanfrit comme ailleurs, j’ai à plusieurs reprises été amené à expliquer la raison pour laquelle l’analyse critique de l’usage de l’histoire par les œuvres de fiction me semblait nécessaire. Pour autant, je ne me reconnais pas dans les premières prises de positions de Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière [5]. Nous nous retrouvons donc au cœur d’une discussion complexe, car proscrire toute fantaisie serait la mort de l’art, et rejeter toute réflexion sur ce que cet art peut véhiculer serait la mort de la pensée.
Lorsqu’il s’agit de questionner la mise en scène de l’histoire par la fiction, le postulat de départ que j’essaie de ne jamais perdre de vue est le suivant : la liberté de création, qui découle de la liberté d’expression, est fondamentale. J’admets ainsi sans réserve le droit de présenter ou de tordre l’histoire dans tous les sens (au moins ceux permis par la législation ; pour les autres, il faudrait en juger au cas par cas). Refuser ce droit aux créateurs, ce serait se priver de productions, à mon sens, excellentes, comme la série française Kaamelott ou le dessin animé japonais Samurai Champloo [6] qui, en dépit de leurs anachronismes démesurés mais assumés, démontrent au fond l’amour sincère que leurs auteurs portent à l’histoire.

Ceci étant dit, il demeure nécessaire de nuancer immédiatement ce postulat de départ. Il ne s’agirait en effet pas de nier le fait que ces œuvres de fiction, aussi fantaisistes soient-elles, véhiculent, volontairement ou non, des représentations marquantes, des plus exactes aux plus erronées.
Exemple éloquent : si personne n’a jamais considéré les aventures d’Astérix comme une mise en scène correcte de l’histoire gauloise, on ne peut pour autant pas nier le fait que certaines représentations proposées par cette bande dessinée aient marqué et marquent toujours le public, jusqu’à se substituer au réel dans l’esprit de certains, celui des plus jeunes notamment. L’association des menhirs et de la civilisation gauloise continue, par exemple, d’entretenir une certaine confusion dans l’imaginaire collectif, confusion qui reste certes inoffensive, mais qui n’en demeure pas moins réelle et difficile à dissiper [7]. A travers cette simple illustration, nous sommes donc forcés d’admettre qu’en maniant l’histoire, une œuvre de fiction véhicule inéluctablement des représentations marquantes, que ses auteurs en soient conscients ou non. L’art véhicule, c’est un média, un moyen, une interface entre un auteur et son public.
J’avais déjà eu l’occasion de mettre en avant le fait que la nature et la qualité de ces représentations étaient, de plus, souvent conditionnées par les limitations et les contraintes auxquelles un auteur doit faire face [8]. Une œuvre de fiction a en effet rarement la possibilité de représenter toute la complexité de l’histoire. Les limites du savoir de l’auteur, les limitations techniques de son support, les contraintes de la narration, la volonté de ne pas dissoudre l’esthétique et le divertissement dans un réalisme trop poussé, ces éléments, et d’autres sans doute, amènent les auteurs à synthétiser la période traitée. La synthèse étant un exercice étonnamment difficile, le résultat peut relever du désastre, car en supprimant de l’information, on est bien souvent conduit à simplifier de manière excessive les enjeux d’une période, les motivations d’un individu ou les conséquences d’un événement. Pour transmettre son propos dans un temps et un espace limités, l’artiste se raccroche aux images les plus marquantes et court ainsi le risque de sombrer dans la plus grossière des caricatures.
Ce phénomène est particulièrement sensible dans les bandes-annonces de jeux vidéo car elles doivent, en quelques minutes, séduire une clientèle potentielle en marquant immédiatement son imaginaire. Ce n’est ainsi pas un hasard si les représentations problématiques dénoncées par Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière sont d’abord issues d’une bande-annonce [9]. Force est d’ailleurs de constater que les représentations proposées par les vidéos promotionnelles d’Assassin’s Creed Unity paraissent effectivement problématiques, puisque caricaturales.

Il nous faut donc bien admettre que l’impact d’une représentation de l’histoire sur le public n’est jamais neutre (quel artiste aspirerait d’ailleurs réellement à produire une œuvre dont l’impact sur le public serait neutre ?). Mais s’agit-il pour autant de s’alarmer systématiquement de cet impact ? La question est finalement plus complexe qu’elle ne le semble.
Doit-on reprocher à Alexandre Astier de chercher à nous faire rire en plaçant, de manière anachronique, à la fin du Ve siècle, des chevaliers claudiquant laborieusement dans leurs harnois cliquetants ? Je ne le crois vraiment pas. A l’inverse, si un auteur s’employait à présenter sérieusement Mussolini comme le sauveur providentiel de l’Italie d’après-guerre, on aurait, je l’espère, un certain nombre de questions à lui poser. Il s’agit donc le plus souvent d’une question de positionnement et d’intention de l’auteur.
Survient alors un moment où l’argument « ce n’est qu’une fiction, pas une leçon d’histoire » s’épuise, car il révèle, dans le meilleur des cas, une grande naïveté vis-à-vis de l’influence que les médias de masse ont sur les représentations collectives, et donc un certain manque de réflexion sur le rôle de ces médias dans la formation de visions (politiques) du monde. Il ne faudrait pas ignorer le fait que le recours à l’histoire permette parfois de véhiculer plus qu’une esthétique. L’histoire peut être employée, de manière plus ou moins honnête et consciente, comme le vecteur d’un paradigme, d’un discours, d’une idéologie. Ce mécanisme nous paraît d’ailleurs de plus en plus évident à mesure que la période présentée se rapproche de l’époque contemporaine, car la représentation proposée se confronte alors à une meilleure connaissance de la réalité historique par le public.
On peut donc légitimement affirmer que, si la création doit évidemment rester libre et ne pas se voir cloisonnée dans un triste rôle de reproduction didactique du réel, les créateurs ne peuvent cependant pas se dédouaner totalement de l’incidence des représentations qu’ils proposent au public. Ils doivent dès lors admettre l’exposition de leur travail à la critique, dans la mesure où ils créent généralement pour susciter des réactions. Le public, dans sa diversité, est ainsi en droit d’analyser et de se questionner sur tout ce qu’on lui présente. Si on lui refuse cette possibilité, si l’on coupe court à toute discussion sous le prétexte de s’en moquer, ou pire, si l’on commence à décréter arbitrairement ce qui mérite ou non d’être discuté, il s’agira dès lors de poursuivre la logique jusqu’au bout en fermant tout site internet ou forum, en stoppant toute publication, car noircir des pages de questionnements sur les discours véhiculés par le scénario de tel ou tel jeu ne me semble, en ce sens, pas bien plus nécessaire que l’analyse critique des représentations et des discours véhiculés par une mise en scène particulière de l’histoire.
Tout l’intérêt de l’art réside pourtant bien dans la mise en place d’un dialogue entre un créateur et ses destinataires, et dans le cas précis des usages de l’histoire, les spécialistes, les scientifiques et, dans une certaine mesure, les journalistes, héritent d’un rôle de premier plan. Il leur appartient de fournir au public des clés pour servir à l’analyse des représentations proposées par les œuvres de fiction [10]. Qu’on leur laisse donc le champ libre, d’autant que la critique, même sévère, n’équivaut pas forcément à un total dénigrement de l’œuvre et peut, au contraire, servir à une meilleure appréciation de sa qualité.
Notes
[1] http://www.franceculture.fr/2014-11...
[2] http://www.franceinfo.fr/emission/l...
[3] Une telle stratégie de dénigrement des historiens de métier est comparable à celle employée par certains médias qui se complaisent à opposer des Deutsch-Ferrand-Bern aux universitaires tentant d’attirer l’attention du public sur les écueils de l’approche romancée promue par ces figures médiatiques. Lire, à ce sujet, cet excellent billet.
[4] http://www.jean-luc-melenchon.fr/20...
[5] Alexis Corbière évoque une « propagande réactionnaire ».
[6] Respectivement créés par Alexandre Astier et Shinichirō Watanabe.
[7] L’élévation de menhirs en Europe de l’Ouest précède de plusieurs millénaires l’époque dépeinte dans les aventures d’Astérix.
[8] http://www.merlanfrit.net/Monstrueu...
[9] Il s’agit en particulier de la vidéo réalisée par Rob Zombie quelques mois avant la sortie du jeu (http://youtu.be/TEjcVvxjZIc), mais les autres bandes-annonces apparaissent tout aussi problématiques (http://youtu.be/gaC5QfWpdV0).
[10] C’est d’ailleurs ce que certains d’entre eux ont tenté de faire, comme les historiens Michel Biard et Guillaume Mazeau.
Vos commentaires
Laurent Braud # Le 21 novembre 2014 à 15:11
Vivement Assassin’s Creed : la Commune de Paris.
jahiro # Le 21 novembre 2014 à 22:39
Article très intéressant qui reprend de façon clair les enjeux de la critique historique ou plutôt de la recherche de sens dans un jeu vidéo ou une oeuvre culturelle.
D’un point de vue globale je souscris totalement à la vision de l’auteur.
Dans cette affaire précise, plus que l’accent mis sur la faute des journalistes (qui est surement réel), je crois qu’il est important de revenir sur la position des deux camps principaux.
D’un coté Melenchon, qui s’il présente dans son blog une vision beaucoup plus complète de sa critique de base, reconnait aussi qu’il a voulu créer une polémique a peu de frais. Et si je trouve intéressante sa volonté de critiquer le fond, la forme est quand même très caricaturale (les américains y comprennent rien, c’est que des idiots de capitalistes la révolution c’est top géniale). Ça limite malheureusement la portée de sa critique.
De l’autre coté, on a quand même beaucoup de personnes qui n’ont semble t il pas franchement envie qu’on leur disent que leurs jeux pourraient avoir une quelconque portée politique. Et franchement ça me laisse très perplexe sur la maturité d’un certain nombre de joueurs. Ça fait d’ailleurs un peu le lien avec le GamerGate à mon sens.
Donc au final, je trouve que le rôle des journalistes a été de simplement faire le passe plat. Alors bien sur, on pourrait comme le souhaite l’auteur espérer que les journalistes essayent de fournir des clés de compréhension. Mais, et je suis peut être un peu fataliste, la grande majorité des journalistes jeux vidéo font montre d’une culture générale un peu limitée. Et peut être encore pire, les journalistes généralistes sont quand même peu intéressés par le jeux vidéo. (quoique un article sur Rue 89 essaye d’élever un peu le débat)
Au final, une polémique, qui montre que la maturité du petit monde du jeux vidéo est quand même limitée.
BlackLabel # Le 22 novembre 2014 à 13:40
Il y a aussi des questions de pertinence qui se posent. Kaamelot fait dans l’humour, on sait en le voyant ne pas y trouver une leçon d’histoire. Par ailleurs, en dehors des menhirs, Astérix apporte une vision assez pointue (pour le genre) du monde de cette époque, avec certes des caricatures, mais un travail de recherche non négligeable. Ça instruit, à sa manière, tout comme Dumas, malgré ses libertés, nous laisse au moins en tête des dates et des noms, des grands événements (quand on fait des études en Histoire, ça aide de lire Dumas ^^).
Mais si une oeuvre au ton plus sérieux prend une période pour la revisiter n’importe comment, avec une histoire générique qui collerait à n’importe quelle période, autant dire à aucune, où est l’intérêt ? Comment démêler le vrai du faux pour un néophyte de l’Histoire ?
Dans les making of de Titanic on nous explique à quel point la reconstitution du bateau est authentique, on pourrait donc croire qu’à part l’histoire d’amour, le reste est assez fidèle, qu’on peut faire confiance. Pourtant non, Cameron fait sciemment une oeuvre populiste où les pauvres sont des victimes, travestissant ici et là des éléments réels pour servir une vision profondément malhonnête véhiculant le cliché réconfortant "Salauds de riches !". Où est l’art là-dedans ? Que vaut une telle liberté d’expression ?
Nerif # Le 22 novembre 2014 à 13:56
Article très intéressant qui met parfaitement le doigt sur la question de l’histoire dans le jeu vidéo, ainsi que la faiblesse du débat dans l’espace public. Cela dit, même si le jeu vidéo a tendance à cristalliser encore plus ce dernier aspect, le débat public ne vole jamais bien haut sur beaucoup de sujets.
Concernant la distance à la période historique (l’histoire contemporaine étant effectivement mieux connue, au moins dans les faits marquants), j’ai le sentiment que la distance culturelle (et peut-être politique) en est quasiment indissociable.
Les contextes présents dans les précédents Assassin’s Creed ont beaucoup moins fait parlé d’eux en France, et pour cause. Tout au plus soulignait-on dans la presse spécialisée une volonté bien mise en oeuvre de retranscrire assez fidèlement un contexte (lieu et époque) de manière autant visuelle que scénaristique. Mais le premier touchait le monde Arabe au lendemain des croisades, que peu de nos compatriotes connaissent au-delà des images populaires. Puis vint l’Italie de la Renaissance, qui ne nous touche que légèrement plus. Arriva alors Assassin’s Creed 3, qui a tout de même fait grincer des dents aux Etats-Unis pour sa manière de présenter les évènements entourant la guerre d’Indépendance sous un jour moins idéalisé, plus réaliste (c’est bien sur tout relatif en fiction comme Maxence l’a souligné), et donc avec un peu de crasse.
Et nous voila chez nous, au cours d’une période aux enjeux politiques puissants pour beaucoup puisque, malgré un XIXe siècle très alternant à ce niveau (Empire, Restauration, etc), la Révolution symbolise tout de même dans l’imaginaire collectif français l’avènement de la République, dont les valeurs sont revendiquées (parfois abusivement) par beaucoup. Le fondement de la France moderne se trouverait à ce point là de l’histoire (ce qui est très discutable, mais là n’est pas la question).
Alors qu’une oeuvre de fiction, où l’objectif in fine est tout de même de produire un blockbuster d’action, heurte la conscience historique, idéologique ou politique de certaines personnes ici, ne me surprend pas.
Cela dit, je trouve intéressant de noter que plus l’on s’éloigne sur le plan culturel, plus on se permet de tomber dans l’imagerie stéréotypée à l’extrême et sans aucune réflexion. Le monde arabo-musulman en est un très bon exemple, mais je crois que les cultures asiatiques et tout particulièrement le Japon sont les meilleurs exemples. C’est personnel, mais j’ai le sentiment que la représentation du Japon médiéval dans les médias tels que le jeu vidéo ou les films "AAA" ne pourrait pas être plus simplifiée, caricaturée et éloignée de la réalité.
Et, à mon sens, la série Assassin’s Creed a ce mérite particulier : elle tente de traiter son sujet indépendamment de la distance culturelle, politique ou historique. Elle place un background factuel, relativement réaliste, non manichéen dans sa majeure partie et avec un regard qui tente d’être neutre (presque archiviste en fait).
De fait, mis à part la dualité Bien et Mal dans le combat Assassins contre Templiers (et même Rogue vient remettre ce dernier bastion en cause), tout le reste de la série échappe à ce genre de travers (mis à part sa communication, comme l’article l’a bien souligné).
Pour tout ceci, je reste très bienveillant à l’égard de cette série, malgré toutes les tares qu’elle peut avoir. C’est une approche exceptionnelle dans ce média encore jeune, d’autant plus pour un jeu "bockbuster".
Laurent Braud # Le 22 novembre 2014 à 14:30
Vous êtes bien sévères. Il me semble que plusieurs voix ont déjà élevé le débat, que ce soit l’article de rue89 ou la réponse détaillée de JLM — on est d’accord ou pas, mais elle est construite. En fait, à part quelques éclats hâtifs du premier jour, je lis des interventions plutôt réussies sur le sujet.
jahiro # Le 22 novembre 2014 à 17:47
@laurent
Je suis peut etre sévère, mais je n’ai vu aucun article intéressant sur des sites de jeux vidéos (hors ici comme toujours), et malheureusement les peu de commentaires que j’ai eu la force de lire étaient franchement fatiguant.
D’ailleurs si l’on veut reparler de l’article de rue 89 que je cite dans mon commentaire, on ne peut pas dire que ce soit un article de fond.
Je crois d’ailleurs que c’est la principale critique de l’article, la faiblesse du débat.
En tout cas si vous avez d’autres articles inintéressants, je suis preneur.
Seven # Le 23 novembre 2014 à 11:00
Je me souviens, il n’y a pas si longtemps(je n’ai pas la trentaine) que la fiction était vue comme une invitation à découvrir. Ou "Pourquoi l’inspiration ?" Lire Tolkien, jouer à Baldur’s Gate, etc était une étape romancée vers la découverte de sujets inconnus et passionnants.
Pourquoi actuellement les gens pensent que l’on gobe tout sans réfléchir ou se renseigner ?
Maxence Bidu # Le 23 novembre 2014 à 19:46
Au sujet de Mélenchon, je voudrais préciser que je n’ai aucun problème avec le fait qu’il ait émis des critiques, au contraire. Comme je le dis, je pense qu’il est toujours enrichissant de discuter des représentations. Lorsque j’évoque une "pseudo-polémique", c’est plutôt pour dénoncer le réflexe qu’ont certains journalistes face aux déclarations de Mélenchon. J’ai le sentiment qu’ils attendent la moindre occasion pour le caricaturer et monter le tout en épingle. C’est cela que je trouve dommage et que je critique, bien que je ne sois pas totalement en accord avec ce qu’il dit sur le sujet.
@Laurent Braud : blague à part, j’aimerais bien côtoyer Louise Michel et Eugène Varlin, mais le traitement du sujet serait sans aucun doute à hurler.
@Black Label : c’est la raison pour laquelle je parle de positionnement et d’intention, mais je voulais aussi insister sur le fait qu’il ne faut pas pour autant négliger la portée des représentations proposées par les œuvres les plus fantaisistes, même s’il n’y a pas forcément lieu de s’alarmer.
@Nerif : Assassin’s Creed Unity fait en effet plus réagir en France parce que l’histoire de la Révolution y résonne plus fortement que d’autres moments de l’histoire.
Mais je n’ai pas cherché, dans ce texte, à réfléchir sur le contenu particulier de cet épisode. En premier lieu parce que j’en ai écrit l’ébauche avant que Mélenchon ne dénonce le traitement de la Révolution par Unity. Je suis parti d’une réflexion d’ordre plus général, qui s’est notamment construite en réaction aux critiques qu’on a formulées contre mon texte sur Age of Empires II. J’essayais d’abord de répondre aux "on s’en fout, ce n’est qu’un jeu" qu’on m’oppose fréquemment.
De plus, étant spécialisé sur le haut Moyen Âge, je suis, dans le détail, plus sensible à l’instrumentalisation de figures comme Clovis, Charles Martel, Charlemagne, voire Jeanne d’Arc (qu’on emploie continuellement à des fins douteuses, pour servir des discours nationalistes surtout). La plupart des époques peuvent ainsi être maltraitées et je pense que ce n’est jamais neutre, c’est pour ça que je suis parti d’un point de vue global sur les usages de l’histoire.
Je connais cependant suffisamment la Révolution pour savoir qu’il est grotesque de dépeindre Robespierre en dictateur machiavélique assoiffé de sang, ou de montrer le couple royal comme des personnes stupides et inconséquentes. Mais je préfère laisser les spécialistes faire des critiques plus fines, d’autant que je n’ai pas joué au jeu.
J’aime bien jouer à Assassin’s Creed, surtout parce que c’est dépaysant. Mais je ne perds pas de vue le fait que leur vison de l’histoire soit parfois racoleuse (exemple des Borgia) et pour le moins romantique, notamment dans leurs représentations de l’Orient et de la Renaissance italienne, mais aussi dans leur choix de faire des Assassins des champions de la liberté. Quant à Unity, n’ayant pas mis la main dessus, je ne peux pas en dire grand chose de plus.
HN # Le 24 novembre 2014 à 12:09
J’ai l’impression, en voyant l’actualité des derniers mois et les posts que j’ai lu à gauche à droite, que les joueurs se contrefoutent de tout tant qu’ils ont leur came.
Peu importe que le jeu auquel ils jouent véhicule des idées de merde, de fausses références historiques, tant qu’on a "l’entertainment".
En ce qui concerne Astier, on sait très vite qu’un anachronisme est là uniquement pour le décalage en vue de produire un effet comique.
Quand il s’agit de Deutsch, Buisson et de la clique de royalistes ou de nationalistes soi-disant historiens, on peut douter de leur bonne foi. Leur récit appuie clairement leur idéologie.
Je pense pas que ce soit tant AC et son scénario qui dérangent Mélenchon, mais plutôt la réutilisation par les médias, qui lui reprochent à longueur d’année de ne pas émettre de critique en ce qui concerne la Commune.
# Le 26 novembre 2014 à 08:51
Ce qui me gêne dans la remarque "Assassin’s Creed n’est pas une leçon d’histoire", c’est que pour moi, Assassin’s Creed 3 est une leçon d’histoire sur la révolution américaine (c’est le seul intérêt de ce jeu). Je ne connais malheureusement pas assez l’histoire de ce pays pour savoir si cette vision de l’histoire est correcte ou non (je parle de la vision de l’histoire donnée par la "base de données de l’Animus", qui nuance ce qu’on voit dans le reste du jeu (par exemple, je me doute bien que Charles Lee n’était pas un aspirant dictateur)).
En ce qui concerne la polémique sur Assassin’s Creed Unity, auquel je n’ai jamais joué, j’ai l’impression que pour Jean-Luc Mélenchon et ses comparses, la légende noire de Robespierre (qui consiste à présenter Robespierre comme un dictateur sanguinaire et génocideur), est un discours idéologique réactionnaire (comme le discours visant à réhabiliter Pétain, par exemple), voire royaliste, car il est surtout utilisé par ces milieux-là. Et donc ce jeu, en présentant Robespierre comme un sanglant dictateur, se rangerait du côté des réactionnaires.
Pour finir, une anecdote : j’ai joué à l’Aigle de Fer quand j’étais jeune, et je me suis arrêté quand Napoléon attaque Jeanne d’Arc à Marseille pour lui reprendre la pierre de Rosette (qui est un artefact de sorcellerie, comme chacun sait), parce que Jeanne d’Arc elle invoquait des monstres et c’était trop dur. Mais j’en veux au jeu de m’avoir dit que Napoléon avait été couronné en 1805 (alors qu’en fait, il a été couronné en 1804).
Laurent Braud # Le 26 novembre 2014 à 16:49
Napoléon attaquant Jeanne d’Arc ? Impossible. Tout le monde sait qu’elle était occupée à aider Gengis Khan au siège de Paris avec son copain extraterrestre.
Simon Génessier # Le 28 novembre 2014 à 10:03
@HN :
"Quand il s’agit de Deutsch, Buisson et de la clique de royalistes ou de nationalistes soi-disant historiens, on peut douter de leur bonne foi. Leur récit appuie clairement leur idéologie."
Probablement, mais qui nous dit que l’histoire "officielle", telle qu’elle est enseignée à l’école, n’est pas elle aussi frappée de biais idéologiques ? Peut-on vraiment lui faire aveuglément confiance ?
GalaxyConvoy # Le 1er décembre 2014 à 14:01
J’ai vraiment du mal à le suivre... Je dois trop jouer...
Sfefs # Le 8 décembre 2014 à 04:53
Il est en effet très judicieux de relever que ce sont essentiellement les campagnes promotionnelles autour des divers opus de la série qui sont les plus frappées de biais historiographiques et idéologiques (lorsqu’il y a matière à).
Par exemple, la communication autour du Troisième volet était particulièrement axée autour de l’axiome "Rise" ("se soulever"), semblant ainsi clairement épouser la terminologie révolutionnaire. De même, les ennemis montrés comme combattus par Connor étaient presque uniquement des soldats britanniques, aisément identifiables à leurs uniformes rouges. Enfin, certains trailers n’hésitaient pas à faire (très) grossièrement jouer la corde patriotique, comme dans cet hallucinant spot publicitaire : https://www.youtube.com/watch?v=ZxX...
Or, en réalité, le jeu se montre beaucoup plus mesuré, voir objectif : non-seulement les Templiers ne sont montrés comme affiliés à aucun camp précis, mais en outre, les soldats que le jeu offre la liberté de combattre et de tuer (pour de "bonnes" comme de mauvaises raisons) sont aussi bien Patriotes que Loyalistes.
Alors bien, sûr, la cause révolutionnaire est globalement présentée comme légitime et c’est d’ailleurs à ses côtés que se rangeront Connor ainsi que l’ordre des Assassins, mais ce point de vue demeure néanmoins fortement nuancé par les commentaires auxquels se livrent le personnage de Shaun, historien, dans la base de données de l’Animus. Les développeurs ont pris soin, quitte à se répéter un peu parfois, de bien contextualiser, au sein de leur matériel historiographique, les personnages et évènements autour de la Révolution américaine, ses véritables causes et ses enjeux, loin de tout manichéisme.
Car non-seulement les travers du mouvement révolutionnaire ou de ses leaders ne sont pas occultés, mais le jeu n’hésite pas non plus à réhabiliter ouvertement la cause des Loyaliste ou, tout du moins, à mettre en évidence le caractère tout à fait légitime de leurs motivations - par le biais, là encore du britannique Shaun, dont le chauvinisme plus ou moins feint sert de running gag tout au long de l’intrigue. De nombreuses conversations permises avec ce dernier servent sont d’ailleurs l’occasion d’établir et de dénoncer les multiples manipulations et instrumentalisations dont l’enseignement historique fait l’objet.
Sfefs # Le 8 décembre 2014 à 05:13
D’ailleurs, si la plupart des leaders révolutionnaires nous sont décrits sous un jour positif, voir très positif, le personnage de Connor est souvent qualifié de naïf par ses proches, ce qui nous invite à relativiser quelque peu la manière plutôt idéalisé dont il se représente ces différents personnages.
En outre, la principale préoccupation de Connor est avant tout de défendre son peuple et les terres de celui-ci ; le scénario met beaucoup l’accent sur les diverses persécutions subies par les amérindiens de la part des deux partis en présence, ainsi que leurs inquiétudes quant à leur avenir plus qu’incertain.
etienne # Le 10 décembre 2014 à 01:59
Je rejoins presque entièrement l’article, en particulier sur le fait que le JV dispose de tous les éléments techniques et scénaristiques pour traiter intelligemment ET affectivement de l’Histoire - y compris dans un cadre fictionnel - ce que sait pourtant faire depuis longtemps le cinéma, mais aussi les bonnes séries télé, y compris sur le service public de la télé française (cf "Un village français").
Il n’y a en effet aucune raison de penser a priori que le JV ne soit pas à la hauteur de ses possibilités, il suffit en effet qu’il accède au statut d’"art", ce que l’auteur du billet semble compter pour acquis, et ce en quoi il manque à mon avis une partie de son sujet.
Si les "créateurs" du jeu d’UbiSoft (développeurs, scénaristes, DA etc...) sont certainement enclins sur le plan individuel à "mettre en place un dialogue avec leurs destinataires" si on les laissait faire, ils sont pris dans une organisation du travail redoutable qui fait qu’ils sont irrémédiablement bridés par leur employeur qui s’emploie avant tout à "dialoguer" avec le portefeuille des destinataires (DRM, DLC, sorties pluriannuelles, épuisement de la franchise etc...).
Car il faut bien se rendre à l’évidence : actuellement, l’oligopole du JV triple A - que ce soit Ubi ou les deux ou trois autres qui dominent les titres à gros budget - en vertu d’une sorte de propriété alchimique inversée qui tient essentiellement à la prééminence des intérêts strictement mercantiles des grandes firmes d’édition, ne semble apte qu’à systématiquement transformer l’or en merde.
A mon avis, ça ne peut que changer à long terme : d’un côté grâce à l’assimilation progressive par les élites politiques, culturelles et économiques, de l’audience considérable de ce media ainsi que de ses potentialités, et de l’autre côté par une désertion du public visé, lassé de bouffer de la merde à deux neurones. Mais ça peut prendre beaucoup de temps, énormément même compte tenu des enjeux et de la captation des désirs par le marketing.
"les créateurs ne peuvent cependant pas se dédouaner totalement de l’incidence des représentations qu’ils proposent au public."
Les créateurs peut-être pas, mais leurs donneurs d’ordre - à savoir les éditeurs - si, évidemment. Ils n’ont d’autre compte à rendre que ceux qu’ils rendent à leurs actionnaires : Y Guillemot ne se distingue en cela en rien de P Le Lay et de son "temps de cerveau disponible", en ce sens qu’il n’ont aucune "responsabilité" en dehors des contraintes liées à la valorisation des titres titres de propriété détenus par leurs actionnaires dont ils sont les simples mandataires.
Et pourtant, il faudrait peu de chose, simplement que les décideurs et le marketing de ces boîtes cessent de présupposer la connerie de leur public, pour que ces sociétés génèrent à la fois du chiffre d’affaire et "des clés pour servir à l’analyse des représentations proposées par les œuvres de fiction". Mais on est est loin.
Il n’y a pas de "créateurs" d’ACU, mais une organisation taylorienne de milliers de salariés délocalisés payés pour remplir un cahier des charges : ce que l’industrie d’Hollywood ou des séries américaines a réussi avec la fiction cinématographique - à savoir concilier une oeuvre sinon d’art du moins d’auteur(s) à l’intérieur d’une logique industrielle - le JV ne sait pas le faire encore, en tout cas pas chez Ubi Soft.
Le cas qui s’ approche le plus selon moi de cette synthèse possible entre création et industrie culturelle pour un titre AAA est la série des Bioschock, qui reste cependant encore prisonnière des contraintes obligées du genre : ça ne parle pas d’Histoire, mais d’idéologie et politique - une critique sous-jacente des thèses libertariennes d’A Rand - mais la prééminence du gameplay ont forcé les "créateurs" à en faire un élément de décor - de simples "références culturelles" - qui auront échappé à 99% des joueurs.
http://bioshock.wikia.com/wiki/BioS...
A propos du cas emblématique d’ACU et de son incapacité à traiter intelligemment de l’Histoire dans le cadre d’une fiction grand public, voici extrait du post que j’avais posé sur Ecrans.fr en réaction à la sortie du jeu :
"Salut,
je comprends et partage entièrement la déception d’Erwan, mais c’est un peu la marque de fabrique de la série : des décors impressionnants, un gameplay intéressant mais répétitif et une histoire complètement INDIGENTE.
Les AC sont toujours frustrants de ce point de vue pour moi parce qu’une petite musique me chante très fort à l’oreille à chaque seconde que les développeurs s’adressent à quelqu’un d’autre que moi en y jouant - la cible semblant être plutôt une sorte d’ado inculte qui existe au moins autant dans la tête des directeurs marketing d’Ubi que dans la réalité, vaguement amateur de violence stylisée, de complots et de sociétés secrètes, en gros du Da Vinci Code prédigéré, autant dire le degré zéro de la culture historique et de la littérature.
A la base, ils ne peuvent pas se débarrasser totalement de la trame méta portée par ce pauvre Desmond au charisme de beignet - sinon ce n’est plus AC et il faut changer de licence - donc quel que soit l’épisode historique, cette trame reposera forcément sur ce conflit intertemporel pénible tellement il est invraisemblablement débile entre pseudo-Assassins et pseudo-Templiers.
De ce point de vue la série AC est donc génétiquement - cette histoire d’ADN, quel concept débile là-aussi - condamnée à être une série complètement pourrie sur le plan scénaristique, un truc irrémédiablement à 2 neurones, foireux du début à la fin.
Ce type de trame favorise une vision plutôt anglo-saxonne mais surtout très "corporate" d’une histoire dépolitisée et désidéologisée où les évènements politiques dramatiques ne sont que la répétition ad nauseam d’intrigues secrètes à base de trahisons et de vengeances personnelles : c’est-à-dire en gros de bêtes histoires de mafia et de vendetta, comme si le JV AAA en monde ouvert n’en avait pas suffisamment à offrir.
Ca peut fonctionner dans un univers mettant en scène les Borgia et dans une moindre mesure les Croisades, mais c’est évidemment une catastrophe pour traiter d’épisodes hautement politiques comme les Révolutions. Le meurtre politique ne peut être compris par les scénaristes d’Ubi que comme une simple affaire de prise du pouvoir par l’intrigue et la violence indiviuelle - à la César et Brutus ou dans une version fictive à la Game of Thrones - mais passe totalement à côté de la dimension réelle des Révolutions : celle du renversement complet d’un ordre social et politique.
Ils ne savent pas parler de ça d’une part parce que ça n’empêche pas les ventes, et que d’autre part cette culture anglo-saxonne très "corporate" se méfie comme de la peste de la politique et de l’idéologie qui a priori rebuteraient les joueurs, supposés allergiques à la profondeur politique de l’Histoire.
Comme dit F Lordon, les grands éditeurs des media sont des "présupposeurs de connerie" prêtée au public auquel ils s’adressent, et ils ont une trouille bleue de ce qu’ils appellent le "clivant" dans un produit grand public. Il faut voir le disclaimer sur la "diversité confessionnelle" présent depuis le début pour comprendre cela : on parle de religion certes, mais attention, on n’en pense rien de précis, on est pour toutes les confessions et croyances.
Donc finalement on ne dit absolument rien d’intéressant sur les religions : comment expliquer par exemple l’extraordinaire ferveur des processions au moment des croisades, les enjeux incompréhensibles aujourd’hui autour des "reliques" et des "lieux saints" au Moyen Age, la grande panique millénariste qui conduisait des milliers d’hommes et d’enfants vers des aventures inouïes et vers la mort etc...
Idem pour les Révolutions françaises et américaines, qui ne sont que des toiles de fond violentes donnant un cadre à un jeu extrêmement violent dans sa représentation des combats et assassinats - ce qu’on a tendance à oublier tellement on y est habitué - alors qu’il s’agit d’épisodes de l’Histoire intensément politiques, et que la violence n’y a de sens que comme un instrument du renversement inoui de l’ordre établi.
C’est d’ailleurs ce que n’a pas compris Mélenchon dans sa critique du jeu : ce n’est pas par biais idéologique révisionniste que les révolutionnaires et robespierristes sont décrits dans le jeu comme de simples massacreurs, mais simplement du fait de cette version totalement expurgée et dépolitisée de l’évènement révolutionnaire , qui n’est vu que comme un moment de folie collective d’une foule conduite par des fous emblématiques et sanguinaires.
Comme le souligne Erwan, Ubi Soft dispose de tous les outils techniques pour parler et "faire vivre" l’Histoire avec un H, et nous livre des montagnes gigantesques et impressionnantes accouchant de souris minuscules à chaque épisode : le JV triple A ne sait pas encore traiter intelligemment de l’Histoire et/ou de la politique.
Il faut se tourner vers des jeux comme "Papers Please" ou ce qu’a tenté de faire Ubi Montpellier avec "Soldats Inconnus" - ce qui prouve bien que la pauvreté scénaristique de la série AC est un choix délibéré des gros pontes d’Ubi, et pas d’un manque de scénaristes capables de s’adresser à l’intelligence et à la sensibilité des joueurs."
Steph # Le 11 décembre 2014 à 00:20
Ah, il a bien raison l’étienne. même quand il vire dans le scato. Les conditions de production des jeux vidéo... Si seulement on s’attaquait un peu à cette question sur un mode journalistique ou scientifique. Et pas BHL/littéraire.
J’ai quitté la barque depuis un moment, mais on a des choses sur ça maintenant ou c’est toujours le désert ce milieu ?
Maxence Bidu # Le 11 décembre 2014 à 14:50
@etienne : Tout ce que tu soulignes est très juste et manque sans aucun doute à mon texte. Ton analyse rejoint le point de vue de Canard PC, que tu as peut-être déjà lu :
De mon côté, j’ai tenté d’évoquer l’utilisation de l’histoire par tout type de fiction, pas seulement par le jeu vidéo, c’est pour cela que je me suis permis de parler d’auteur, en pensant au cinéma ou aux séries (que je donne en exemple notamment). Lorsque je parle plus largement de « créateurs », j’inclus dans cette catégorie les producteurs et éditeurs qui, dans le cinéma hollywoodien comme dans le jeu vidéo, peuvent avoir le dernier mot quant à la direction, même « artistique », que prendra leur production. Je ne voulais justement pas limiter les responsabilités aux seuls développeurs, qui font surtout ce qu’on leur demande. Et je pense que les producteurs en question ne peuvent pas non plus se dédouaner de ce que véhicule leur production, contrairement à ce qu’ont tenté de faire les responsables d’Ubisoft en répétant que leur jeu n’était pas une leçon d’histoire.
Encore une fois, j’ai cherché en premier lieu à répondre aux incessants « ce n’est qu’un jeu » qui, ailleurs, m’ont été opposés à chacune des critiques que j’ai faites sur la représentation de la Révolution par les trailers d’ACU. La plupart des discussions sur la question dépassent en effet rarement ce stade, c’est donc de celui-ci que je suis parti, dans l’optique d’affirmer que non, le jeu vidéo ne constitue pas qu’un divertissement, mais qu’il est aussi le vecteur de représentations, erronées voire tendancieuses. Ça peut sembler évident, mais mon précédent texte, qui soutenait la même chose, avait été critiqué pour cette raison. Cela montre que cette simple position est encore loin d’être admise par tout le monde.
Mais effectivement, le fond des AC est faiblard car cette série prétend mettre en scène des époques particulièrement complexes sur les plans politique et religieux, tout en diluant totalement ces deux aspects dans un scénario simpliste. Et cela est de plus en plus frappant à mesure que les époques dépeintes se rapprochent de la nôtre. Cependant, même dans le premier épisode, présenter les Nizarites comme des champions de la liberté, occulte le fait qu’ils sont avant tout l’un des acteurs des luttes de pouvoir politico-religieuses entre différentes composantes du monde musulman. Leur histoire s’inscrit d’abord au sein de l’histoire de l’empire arabo-musulman. Pour en rendre compte, il aurait alors fallu parler des relations entre chiites et sunnites, entre arabes et turcs... Le sujet n’est donc pas moins complexe que celui de la Révolution, et il est passé de la même façon à la moulinette du grand spectacle.
Dans le cas de la polémique ACU, on observe une polarisation, comme s’il ne s’agissait que de se positionner pour ou contre Robespierre, et donc pour ou contre la Révolution. C’est en fait passer à côté de l’extrême division régnant au sein même des tendances révolutionnaires. Divisions qui retentissent jusqu’en 1871, au moins, lorsque les communards liés à l’AIT s’opposent, en vain, à la constitution d’un nouveau Comité de salut public inspiré de celui de 1793, par crainte de l’autoritarisme qui avait caractérisé la Terreur. Cette rupture entre révolutionnaires est alors très semblable à celle qui avait opposé Montagnards et Enragés, et l’on ne peut soupçonner aucun d’entre eux d’être hostile à la Révolution. Tout ceci est donc d’une passionnante complexité et l’on est loin d’un affrontement simpliste entre royalistes et révolutionnaires.
etienne # Le 17 décembre 2014 à 18:46
@Maxence
Merci de ta réponse.
Je n’avais pas saisi en détail le contexte initial de ton intervention : s’opposer au discours convenu sur "ça n’est qu’un jeu", du coup la composante critique de mon post est sans objet.
Qu’Ubi sorte cet argument pour sa défense me paraît légitime, mais j’avoue être consterné par cet argument lorsqu’il provient des joueurs eux-mêmes : à croire qu’ils se sentent flattés d’êtres pris pour des débiles.
Tant que le "gameplay" restera la référence essentielle des prescripteurs - les sites et journalistes critiques de JV - et des joueurs eux-mêmes, on peut s’attendre à la même déclinaison des produits de ce genre, et à ce décalage insensé entre le degré l’élaboration technique et artistique, vraiment époustouflant, et l’indigence sur le plan scénaristique et de la véracité historique - qui pourtant ne coûterait pas un rond de plus.
Je crois que nous sommes effectivement entièrement en accord sur le fond, en particulier sur ce que le JV mainstream pourrait être - à l’instar de ce que le cinéma ou les séries peuvent offrir parfois dans la conciliation compliquée entre objectifs "artistiques" et contraintes mercantiles.
Je ne tomberais pas à l’inverse dans une sorte d’angélisme consistant à faire d’Hollywood une industrie soucieuse d’éducation populaire et d’élévation artistique des esprits : le "dernier mot" n’appartient clairement ni aux auteurs ni aux réalisateurs dans la plupart des cas - c’est même parfaitement assumé par l’industrie outre-atlantique à travers la sortie commerciale du "final cut" et la sortie différée et confidentielle des versions "director’s cut".
Différents montages, avec des fins alternatives sont proposées à des panels de spectateurs, et c’est celle qui a le plus de succès qui emporte la mise.
Pour répondre à la requête de Steph qui réclame plus de journalisme et moins de BHL/Littéraire - merci - ça serait intéressant de savoir si ces considérations d’écriture et de trame principale des jeux sont elles aussi parfois testées lors des phases bêta des titres AAA comme cela se fait pour les "final cut" du cinéma industriel.
A première vue, je pense que c’est tellement secondaire pour les éditeurs - compte tenu de la prééminence du "gameplay" et de la finition de la réalisation sur les notes des critiques, mais aussi des contraintes techniques spécifiques liées au media qui font que les jeux à leur sortie sont bourrés de bugs et d’incohérences - comme l’a illustré la sortie d’ACU - que ces aspects ne sont jamais testés.
Nicoxis # Le 23 février 2015 à 16:21
Je pense, comme cela a été dit plus haut, qu’en effet le problème spécifique dans cette histoire avec Assassin’s Creed c’est bien la dualité du discours : d’un côté les développeurs font leur promotion sur la reconstitution historique du Paris de l’époque (reconstitution qui, il faut le dire, est un incroyable travail même si il n’est pas dénué d’erreur) et de l’autre côté les développeurs souhaitent mettre en avant le côté singulier du titre et de son histoire. Le problème étant que les joueurs sont insidieusement tentés de croire qu’une reconstitution architecturale de très bonne facture (et donc un travail certain sur l’histoire de la révolution) signifie une reconstitution historique elle aussi de très bonne facture. Or comme on le sait tous l’Histoire ce n’est pas si simple, et les développeurs font passer une vision relativement tronquée de la révolution.
Bref, tout cela pour dire que dans cette histoire les acteurs ne sont pas que les journalistes, les joueurs et le lanceur d’alerte mais également le studio, qui joue le rôle central à cause de cette "escroquerie" intellectuelle en voulant nous faire croire à la véracité de la reconstitution de l’histoire.
moon # Le 23 mai 2016 à 14:03
La licence creative permet elle de s’affranchir du respect de la réalité à partir du moment ou les auteurs de l’oeuvre prétendent à faire évoluer celle ci dans un contexte historique comme ils affirme.
Peut on mettre au même niveau une œuvre comme Kaamelot qui est une œuvre humoristique qui est un produit dérivé d’une œuvre imaginaire et n’a aucun prétention si ce n’est que de rappeler certain événement ou fait marquant de l’histoire comme la polémique historique sur la musique sacré.. ou d’un asterix qui sous couvert de l’histoire en profite pour caricaturer celle ci et les hommes public du moment … , peut-on mettre donc au même niveau ces œuvres avec le produit réalisé par Ubisoft Montreal , des canadiens , membre d’une monarchie fédérale... qui ont la prétention de donnée la Vision de la révolution …avec le reste ?
Certains y verront la possibilité de propagande des un , d’autre une reconnaissance ou un partie pris volontaire au profit du scenario.
Pour ma part je pense que les œuvres de l’esprit auquel fait partie le jeu video sont des produit hautement culturelle , et comme tout produits culturels souvent il reflette le cadre de référence des auteurs qui l’on produit, de ce fait son partage avec le monde entier n’est peut-être pas judicieux .
En visionnant le derniers trailer de Battlefield hier qui prétend reconstituer des bataille de la 1er guerre mondial j’ai eu la stupeur de voir mise en avant des chars de combat et qui dit chars dit bataille or cela est à la limite une distorsion historique, voir une falsification .
n’est-ce pas un non sens historique vue que le premier anglais qui date de 1916 à été construit à 100 unité , celui français datant de 1917 et celui des allemand construit à 20 unité en 1918 ... ?
source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histo...
Et que ces engins fut non décisif dans les combat ...
Manquerai plus que de voir des char de facture américaine dans ces batailles ...
On peut se demander si la distorsion de l’Histoire au profit d’un enrichissement du gameplay est acceptable.
Je suis un joueur qui fait la différence entre des œuvres imaginaire dans des monde imaginaire ou dans une contexte historique, de la reconstitution histoire ou de l’anticipation et je reste attentif aux manipulation et propagande que tout media peut porter … jeu inclus ;
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