Issu de la scène mod, au chômage après la fermeture de Pandemic (Mercenaries, The Saboteur), Brendon Chung a décidé de se consacrer à plein temps à son studio indépendant Blendo Games. Grâce à ses jeux de stratégie novateurs, Flotilla et Atom Zombie Smasher, il est rapidement devenu l’un des chouchous de la presse anglo-saxonne, se voyant décerner de nombreuses récompenses. Avec Thirty Flights of Loving, Chung revient à son premier style, narratif et surréaliste.
TFoL est en effet la suite spirituelle du freeware qui l’avait fait connaître en 2008, Gravity Bone (à télécharger ici). Ce dernier offrait au joueur l’opportunité d’incarner à la première personne un agent secret dans un univers étrange, muet, quelque part entre Brazil, Hitman, Portal et les productions Double Fine. L’aventure ne durait qu’un petit quart d’heure et se terminait — volontairement — en queue de poisson, après une série de situations rocambolesques qui nous entraînait d’un cocktail mondain à une course-poursuite dans le métro. Effaçant tout enjeu ludique, Chung nous conduisait dans une amusante et nonsensique déconstruction des tropes du jeu d’espionnage.
Disponible à 5 euros, Thirty Flights of Loving n’est guère plus long que son prédécesseur, et se révèle tout aussi linéaire. Même si la présence d’un commentaire du développeur incite à relancer une partie, l’expérience qui se présente comme un 45 tours est un peu chère payée. Ce n’est pas que TFoL manque d’idées ou de moments mémorables. Le jeu nous emmène sur les traces d’un gang de super-malfaiteurs, que nous suivons à travers une narration hachée par les ellipses et les retours en arrière, qui alterne entre une soirée dansante arrosée et une fuite éperdue dans un aéroport après une fusillade. Les faux raccords qui se multiplient nous immergent dans un univers surréaliste, où tout peut se produire, notamment lors d’un final particulièrement hallucinant, le jeu se transformant en sa propre exposition, par un effet de boucle qui ne déparerait pas dans les expérimentations des années 60 : version geek et cool du Nouveau Roman ou de la Nouvelle Vague.
Grâce au commentaire, on comprend à quel point le jeu évoque sa propre élaboration, semé de références biographiques, de private jokes, et surtout de clins d’œil aux conditions de sa production. Répondant à une commande des podcasters d’Idle Thumbs qui cherchaient à proposer un jeu aux souscripteurs de leur Kickstarter, TFoL est un remix de vieilles idées, dans lequel Chung expose son savoir-faire, ses trucs de level-design, utilise des bugs pour produire un ballet aérien, expose les obligatoires limites des mondes en 3D. Difficile de trouver jeu plus métaludique.
Le danger, comme souvent avec ce type d’œuvres, est que la machine tourne à vide. Malgré son brio, c’est malheureusement un piège que TFoL n’évite pas totalement. Le jeu nous donne des personnages auxquels l’on voudrait s’attacher, mais c’est pour mieux les évacuer, les réduire à de purs objets, et le cut-up trouve assez rapidement ses limites, puisqu’il semble interdire qu’ au milieu des clins d’œil émerge un sens, un discours. Enfin, si l’on ne peut nier la science du level-design qui est ici mise en pratique et qui nous guide d’une main de maître, l’on regrettera tout de même que cette science ne s’exerce pleinement que parce que le jeu n’en est pas un. En déconstruisant les lieux communs ludiques, Chung balance l’interactivité avec l’eau du bain.
L’expérience, souvent brillante, passablement drôle, reste malgré tout un peu vaine. Si l’humour évite à TFoL de sombrer dans l’auto-complaisance, il ne sauve pas le jeu d’une certaine superficialité, aussi bien narrative que ludique, qui l’empêche de laisser une marque profonde. Même si cette déconstruction à la cool est appréciable, il va en falloir un peu plus avant de crier au génie.
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