Dead in real life
« You only live twice, or so its seems », dit la chanson, « one life for youself, and one for your dreams ». Mais les deux ne sont pas équivalentes pour les gamers ; s’ils ne se lassent pas de réutiliser leur vie virtuelle, c’est aussi pour oublier que la première finira par s’éteindre aussi.
Mais si ce n’est pas moi, ce sera quelqu’un d’autre : dans la vie vidéoludique il arrive parfois que l’on soit le témoin, par écran interposé, de la mort d’un joueur, qui coïncide forcément avec celle, définitive, de son personnage. Cette irruption violente de la réalité dans le jeu est particulière. Il n’y aurait a priori pas de différence, dans l’hypothèse de relations purement virtuelles, entre quelqu’un qui décide d’arrêter définitivement de jouer, et quelqu’un qui meurt : le seul symptôme visible en est la disparition de l’avatar. Le traitement en est toutefois très différent, justement parce que la mort nous confronte à ce que l’on cherchait à oublier.
La vraie vie, ce roguelike impitoyable
La présence de la (véritable) mort se fait sentir d’abord là où il y a précisément des communautés : en premier lieu, les MMOs. À tout seigneur tout honneur, commençons par Ultima Online, où tous les ans aux alentours de début septembre a lieu une cérémonie en hommage au personnage de Goodman, mort en 2005, qui s’était donné pour objectif d’organiser une bibliothèque de runes sur le serveur (shard) Atlantic, dans ce jeu particulièrement libre où la vie sociale est importante, puisque principalement gérée par les joueurs. La librairie existe toujours, et continue à se développer. On ici voit apparaître spontanément la notion de jour de fête, associée à un évènement important. Goodman, le disparu, donne un rythme au jeu.
Dans les MMOs plus modernes, World of Warcraft et les nombreux autres qui l’ont pris sur modèle, il ne peut pas y avoir de personnage aussi central du fait de la fragmentation trop grande. Les communautés standard sont de l’ordre de la guilde, soit quelques dizaines de personnes au plus. On assiste alors à des rassemblements plus intimes. Du fait de la cohésion bien moindre de l’ensemble des joueurs, on y retrouve les dangers de l’internet, et de tels regroupements pacifistes sur un serveur PvP attirent des vandales de canapé qui viennent profiter de l’occasion.
Par contre, les communautés d’Eve Online, jeu massif qui ne compte qu’un seul serveur [1], sont beaucoup plus conséquentes — d’où des histoires impressionnantes puisqu’elles impliquent souvent des milliers de joueurs dans de véritables guerres. L’impact du décès d’un joueur très impliqué est donc beaucoup plus grand, comme dans le cas de Vile Rat (Sean Smith dans la vraie vie) de l’imposante alliance des Goons, mort récemment en même temps que l’ambassadeur américain à Benghazi. Ses activités virtuelles étaient suffisamment importantes pour qu’Hillary Clinton elle-même en fasse mention dans son éloge funèbre. Ici aussi, les joueurs organisent une cérémonie en ligne.
L’empathie démesurée de cette vidéo montre bien quel est l’objectif de la mise en scène. Ces cérémonies, qui cherchent à copier, voire caricaturer les versions réelles — notamment par le choix de lieux aux accents religieux, comme la cathédrale de l’Aube de Lumière dans World of Warcraft — peuvent peut-être interloquer, voire choquer les étrangers aux communautés concernées. D’accord, le deuil est une réelle nécessité dans toute société, et la cérémonie, quelle que soit sa forme, un point qui permet explicitement au deuil de prendre effet. Mais un discours funéraire prononcé sous les traits comiques d’un Tauren ou d’un Nain ? Quand cela est possible, notamment dans le cadre plus intimiste des guildes de WoW, les joueurs ne devraient-ils pas se rencontrer dans la vraie vie ?
Sans faire d’analyse sociologique rigoureuse, ce serait faire fausse route pour deux raisons. D’abord, les joueurs qui ne se sont jamais physiquement rencontrés ne se connaissent pas, ne seraient pas à l’aise. Ils seraient alors en-dehors de la société où a eu lieu — pour eux — le décès. Des rencontres IRL ont bien lieu parfois, mais elles ont justement pour finalité cette opposition assez brutale entre leur apparence virtuelle et réelle, et ce serait hors de propos dans une situation difficile. Deuxièmement, la communauté ne cherche pas à porter le deuil du défunt pour lui-même. Du point de vue des joueurs survivants, ce dernier est plutôt la somme de l’avatar qu’il animait, de sa façon de le jouer, et éventuellement de ses activités connexes (forums, organisation, etc.). Encore une fois, cette représentation diffère toujours de la personne réelle — c’est même un des buts du jeu. Il est donc logique que la cérémonie funéraire ait lieu dans l’environnement du personnage joué, et non du joueur.
Des tombes de pixels
Il y a toutefois des cas où la communauté connaissait le défunt à la fois dans et hors du jeu : c’est notamment le cas pour les équipes de développeurs. Dans World of Warcraft encore, on peut voir un tombeau à la mémoire d’un certain M. K.. Il s’agit de Michel Koiter, mort pendant le développement du titre. Le guerrier orc gisant est le personnage qu’il jouait à ce moment-là. Ici, c’est une forme de remerciement posthume plus adressé aux joueurs qu’aux proches de Koiter, et d’une façon plus visible qu’une liste de crédits que personne ne lira jamais.
C’est là la plus simple façon pour les développeurs de faire vivre la mémoire d’un défunt dans le jeu. Mais tant qu’à faire d’y consacrer quelques octets, on peut aussi le présenter sous forme animée. C’est ainsi qu’un personnage non-joueur de Borderlands 2, Michael Mamaril, porte le nom d’un fan décédé avant la sortie de ce deuxième opus. Il a bien entendu une forme sympathique : il dit quelques phrases, et donne au joueur un item. Il a également eu droit à un éloge funèbre de la part de Claptrap, le boute-en-train du titre.
Aurait-on ici un ersatz du fantasme sci-fi qui consiste à enregistrer l’âme des disparus dans un Grand Ordinateur — vu et revu de Ghost in the Shell à I, Robot ? Ou bien, et pour causer avec des mots compliqués, d’une thanatopraxie urbaine ? Sans doute pas, et même au contraire : Mamaril n’est probablement pas le seul joueur de Borderlands à être décédé depuis 2009, simplement un fan qui a eu un soutien suffisamment médiatique. On pourrait donc dire que par ce personnage générique simplement positif, Gearbox fait du personnage Mamaril une sorte de soldat inconnu, dans lequel on peut reconnaître celui que l’on veut.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle apparition entretient la mémoire d’un disparu, puisqu’on retrouve le même principe dans le bon vieux NetHack. Parmi les marchands que l’on rencontre dans le donjon, on peut tomber sur un certain Izchak, du nom d’un programmeur mort en 1994 ayant justement codé (entre autres) une partie du système de boutiques. On retrouve ici une société purement virtuelle sans rencontre physique, similaire donc aux MMOs, puisque Nethack est — comme son nom l’indique — le produit d’une programmation (hack) commune dès les débuts de l’internet.
Ce qui est plus intéressant ici est que les joueurs ne sont pas de simples visiteurs de ce mémorial en forme de PNJ. Il est habituel dans Nethack d’abattre tout ce qui bouge, y compris les coriaces marchands--- c’est même conseillé pour pouvoir terminer le jeu. Cependant, il est communément admis que l’on ne touche pas à Izchak, y compris lorsque l’on joue un extinctionist, c’est-à-dire que l’on cherche à éliminer toutes les créatures. Il se trouve que l’ensemble des joueurs de NetHack est assez restreint, et capable d’observer ce genre de règles (par opposition au joueur lambda de World of Warcraft, comme on l’a vu). On a donc ici un joli exemple d’accord, initié par la DevTeam et repris par la communauté des joueurs, qui fait qu’à chaque partie on a bien une pensée pour le disparu.
Notes
[1] EO tient deux serveurs en fait, dont un pour les joueurs chinois.
Vos commentaires
Erreur 37 # Le 28 novembre 2012 à 16:20
Pas grand chose à dire mais l’article est original et très intéressant, à l’image du reste du site.
Merci !
BigBossFF # Le 28 novembre 2012 à 17:42
Superbe article, car bourré d’anecdotes touchantes. Et inconnues pour ma part, car je ne suis pas familier des MMO. :)
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