À l’automne, les volées de joueurs se reconnectent à leur jeu favori et j’étais de ceux-là, goûtant au nouveau patch de Diablo 3. La dernière fois, la version 2.0 qui accompagnait la sortie de l’extension Reaper of Souls avait réellement transformé le jeu en mieux. Cette fois-ci, on a droit au personnages saisonniers, qu’il s’agit d’élever — dans tous les sens du terme — à récolter les récompenses pendant les deux ou trois mois que durera la saison. Et tant qu’à faire un personnage à durée limitée, je le choisis extrême : mieux vaut qu’il meure au combat plutôt que d’arriver à expiration de la saison.
Il n’est pas allé bien loin, ce personnage. Oh, la mécanique Blizzard fonctionne toujours à merveille et redémarrer un personnage pour la n-ième fois fonctionne, merveille de la machine perpétuelle à distribuer des baffes. Mais un grain de sable y fait irruption. Arrivé au premier boss, le roi-squelette Léoric, le doute survient : à quoi bon ?
Redressement du parallélisme
La compétition, dans la série des Diablo, c’est une histoire bancale depuis le début. Les tentatives de PvP dans Diablo 1 et 2 notamment n’ont jamais été vraiment bien vécues. Blizzard a particulièrement été marqué par les mésaventures du premier, qui manquait de système anti-triche, et où toute confrontation avec des inconnus pouvait finir en dépouillage en règle. D’où le mode choisi pour le troisième épisode, réduit à une minuscule arène où l’on ne risque ni ne gagne absolument rien, même pas la vie de ses personnages en mode extrême — contrairement à Diablo 2. Pas très rock&roll, évidemment. Mais logique puisque Diablo 3 est devenu un jeu totalement coopératif où l’on saute inopinément dans les parties d’inconnus pour aller danser ensemble autour des monstres.
Exit le PvP. Pour ajouter une couche de compétition, il fallait trouver une autre direction. Vu que le jeu se réduit assez souvent au jeu solo, éventuellement à la coopération avec des inconnus de passage, il suffit d’attribuer des points aux performances de chacun. On glisse ici de l’affrontement direct — le match de boxe — à un système parallélisé — la course — où chacun, finalement, fait son truc dans son coin. Mais dans la plupart des évènements sportifs de ce type, l’athlète reçoit constamment de l’information sur ses adversaires, qui influe sur sa propre trajectoire ; chacun a regardé au moins une journée du Tour de France et constaté le rôle d’une "attaque", du jeu d’équipe, sur les performances de chaque athlète. Or, dans Diablo 3, ces stimuli extérieurs sont pratiquement nuls. On court en aveugle, contre la montre donc. Est-ce vraiment de la compétition ?
Nettoyage d’automne
Tout ceci existait déjà ; le problème c’est que ça stagnait un peu. Depuis la sortie du jeu, je peux comparer les très nombreux achievements avec ceux de mes amis. Mais au bout d’un moment, tout le monde a grosso les mêmes et ça n’avance plus trop. Or Diablo 3 est une machine à tourner en rond et il s’agit donc refaire toujours les mêmes choses. Particulièrement depuis le patch 2.0 et que "finir" le jeu — terminer l’histoire, et même atteindre le niveau 70 — n’est devenu qu’une formalité. Le "endgame" a rempli tout l’espace du jeu, et d’ailleurs on ne l’appelle plus comme ça. La seule place pour l’évolution que le joueur recherche, c’est d’avancer dans les niveaux de Tourment.
Bon sang, mais c’est bien sûr ! Il suffit de remettre les compteurs à zéro régulièrement, on en profitera pour regarder qui est le plus rapide. On supprime tout et on recommence, encore et encore, au prix de la stabilité de l’ensemble. La mécanique cyclique habituel du hack&slash est muni d’un cliquet bien commode : si l’on arrête tout, le système est stable et l’on ne peut rien perdre, que l’on reprenne demain ou dans quelques mois. Nourri à ce confort, le joueur peut-il accepter de l’abandonner ? Le danger est même plus grave, parce que le système des saisons est une référence explicite à la futilité du jeu. En temps normal, le joueur a toujours vaguement conscience de tourner en rond ; mais la collectionnite associée à la stabilité de sa configuration lui permet de continuer à cliquer. Or, si on annule cette stabilité, que l’on ajoute un limite temporaire qui lui dit clairement que ce qu’il fait n’est que du vent, est-ce que cela ne suffit pas à faire pencher la balance du côté de l’abandon ?
Et pourtant, elles tournent
« Si tu n’aimes pas les saisons, tu n’as qu’à pas y jouer. » Évidemment. Là n’est pas la question ; je ne reproche d’ailleurs rien à Blizzard : il ne font qu’implémenter du contenu supplémentaire pour faire vivre leur jeu. Et il y a bien d’autres choses dans ce patch destinés aux personnages standard. (Quoique le nouveau système de faille supérieure soit lui aussi orienté vers la course et la compétition : il la faut finir dans les temps pour récupérer la clef d’une faille encore plus haute, et ainsi de suite jusqu’à l’échec certain. Les meilleurs scores sont là encore gardés et affichés.)
Je m’interroge simplement sur la pertinence de l’aspect saisonnier, qui semble symptomatique d’un jeu qui découvre que tourner sur lui-même a peut-être tout de même une fin. C’est là l’un des derniers recours pour redonner du souffle, en même temps qu’une tentative de plus pour cyberconnecter ce qui reste désespérément un simple jeu solo malgré toutes les tentatives. D’ailleurs ce n’est pas une idée nouvelle, elle était déjà là sous une forme ou une autre dans Diablo 2, Path of Exile, et d’autres. Il est clair que Blizzard a préféré attendre l’abaissement de la fréquentation de Sanctuaire avant de mettre en place ce dernier traitement.
En tout cas, j’admets volontiers une erreur de ma part, celle d’avoir confondu extrême et saisonnier. C’est en fait contradictoire : le but du personnage extrême, c’est justement de le faire vivre le plus longtemps possible. Le rapport au temps est complètement inversé, il faut prendre son temps avec l’un pour ne pas prendre de trop gros risques, et aller le plus vite possible avec l’autre. Il est vrai que le mélange des deux joue justement avec cette frontière du risque et de la course.
Alors que mon personnage allait atteindre le niveau 10, un message m’informe que quelqu’un vient de passer 70, quelques heures donc après l’ouverture de la saison. Quelques forums subodorent que ce résultat hallucinant n’a été obtenu que par l’exploitation d’une faille dans le jeu, une quête qui ne nécessite pas que l’on tue les monstres pour être complétée et qui permet donc de gagner de l’expérience gratuitement. Blizzard va probablement réparer ce problème, ou l’a déjà fait. Mais d’autres vont prendre la relève. Même en jouant plus honnêtement, même avec des tonnes de hauts-faits disponibles, il y aura toujours des joueurs pour aller plus vite que moi. Alors ... à quoi bon ?
Vos commentaires
Thomas # Le 12 septembre 2014 à 13:54
C’est tout ce que tu as retenu du mode Saison (qui ne résume pas le dernier patch) ? Le classement ?
Pour ma part c’est le seul aspect de ce mode de jeu qui m’indiffère. Ca doit expliquer pourquoi j’ai toujours envie de jouer et pas toi.
Laurent Braud # Le 12 septembre 2014 à 16:25
Non, ça n’est pas tout ce que je retiens ; peut-être aurait-il fallu lire le papier jusqu’au bout. Et oui, j’ai toujours envie de jouer — et je joue toujours, en mode standard. Mais comme je ne suis pas "indifférent" à ce qui nous est proposé, j’en tire certaines conclusions.
Thomas # Le 13 septembre 2014 à 01:14
J’ai lu jusqu’au bout. Pour être précis, il n’y est pratiquement question que du mode saison et de son classement. D’où ma remarque. Tu sembles tout voir sous l’aspect compétition, y compris les failles supérieures alors que leur but principal c’est surtout leurs récompenses à savoir améliorer les nouvelles gemmes légendaires et pas simplement de monter haut dans les classements. Après chacun ses préférences. Si c’est ça que tu préfères dans ce type de jeu, je reconnais que c’est plutôt foiré.
En outre les saisons étaient une demande des joueurs depuis... presque toujours. Donc si Blizzard tourne en rond, c’est à cause d’eux. Mais je crois qu’il suffit de comparer Diablo III à sa concurrence (online & sans abonnement) pour constater que c’est le seul à tenir la durée. Pourquoi ? Parce que aussi répétitif soit-il, c’est encore le seul où on garde cette impression de progression constante (surtout depuis ROS). Les autres ne durent pas plus d’un an, malgré tous leurs patchs. On y tourne peut-être moins en rond, mais on n’y joue pas autant.
Laurent Braud # Le 13 septembre 2014 à 08:30
Les articles sur Merlanfrit traitent généralement d’un jeu sous un angle précis. On y écrit rarement un test global qui résume tout : d’autres sites font ça très bien. J’ai donc choisi l’angle de la compétition qui me semblait proéminent dans ce patch, tout en notant que "il y a bien d’autres choses dans ce patch destinés aux personnages standard". Mais même si l’on oublie la compétition, cette histoire de gemme légendaire est une histoire de course. Pour monter une gemme niveau 25, il faut atteindre les failles niveau 25-35 plusieurs fois d’affilée, et donc réaliser de nombreuses performances de vitesse.
Je suis d’accord avec ton dernier point. Le fait de tourner en rond serait plutôt ... une spirale : on continue à s’élever régulièrement.
Thomas # Le 13 septembre 2014 à 12:26
Mais non justement : l’aspect compétition n’est pas du tout proéminent dans le dernier patch. Oui il existe désormais avec le classement, mais c’est bien tout. Ca reste un patch basé sur le jeu standard en PVE. L’angle de ton article est en trompe-l’œil.
MarsupiLama # Le 8 novembre 2014 à 13:11
J’ai bien envie de répondre par cette question : à quoi bon Trackmania ? Tourner en rond sur des circuits qu’on connait par coeur sans pouvoir influer sur la trajectoire des autres, juste pour faire le meilleur chrono, quel intérêt ? Et pourtant, a l’instar de Diablo 3, la communauté y est toujours aussi importante.
Je répondrai en disant que si sur TM les joueurs jouent sûrement pour le plaisir de la conduite, sur Diablo les joueurs jouent sûrement pour le plaisir de danser avec les monstres et de collectionner le plus possible. L’aspect compétitif n’est qu’un moteur parmi tant d’autres pour inciter les gens à jouer. Et on vit tous notre soif de compétition différemment des autres. Personnellement je me range plutôt de ton côté. A quoi bon recommencer de zéro si c’est pour faire qqch que je connais par coeur et si c’est pour m’obliger à recommencer de zéro au bout d’une certaine période ?
De la même manière, l’aspect saisonnier de Lol et Hearthstone me gonfle au plus haut point. Maintenant que je suis au rang 18 je veux continuer à progresser, pas repartir du rang 25.
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