De l’horrible danger
Il nous entraîne vers des univers fantasmés ; il nous leurre ; il incite à la violence, favorise la dépression et fait l’éloge des conduites à risques. Il serait temps qu’on prenne enfin conscience de l’horrible danger que représente aujourd’hui le livre.
On serait tenté de s’arrêter à une critique purement ludique du livre. Pour peu qu’on en lise, on démontrerait fort aisément leur nullité interactive : narrations linéaires, raisonnements irrespirables de logique, écriture rythmée qui fascine le lecteur et le laisse suspendu, comme hypnotisé, rivé à la page avec l’air d’un crétin et des yeux de merlan frit. Nous connaissons tous un ou des lecteurs : vieille cousine bête, restée fille, aussi sèche que barbue ; adolescent complexé, niais et rêveur, qui finira drogué, sociologue, ou les deux à la fois… Nous ne perdrons donc pas notre temps à examiner plus en détail la question, puisqu’il est évidemment inutile de chercher plus loin quand l’évidence est manifeste : le livre est, il restera toujours un piètre jeu.
Certains ouvrages offrent un potentiel pédagogique indiscutable
Nous ne nions pas au livre tout intérêt ; certains ouvrages offrent un potentiel pédagogique indiscutable : livres de cuisine, almanachs, traités de droit sont les précurseurs maladroits mais sincères des serious games. Nous reconnaissons aussi le mérite des quelques courageux auteurs qui osent proposer, avec les Livres dont vous êtes le héros, une dimension ludique à la littérature ; il faut donner à ces pionniers balbutiants, égarés, mais honnêtes, toute notre considération.
Mais enfin, il faut cesser de se voiler la face, et l’on ne nous empêchera pas de démasquer, sans ciller, les réels dangers de la littérature, notamment le caractère éminemment pernicieux de la fiction et de son putride appendice, les prétendues sciences humaines : les rêveries philosophiques, les racontars de l’Histoire, le voyeurisme de l’anthropologie… On ignore trop souvent, faute de fréquenter les librairies – oh, je comprends les hauts le cœur que provoque chez le joueur raisonnable cette odeur mêlée de poussière et de papier moisi – les horreurs que cachent les ouvrages apparemment les plus innocents. Pour en avoir le cœur net, je me suis résolu à pénétrer dans une bibliothèque publique et j’ai d’emprunté, dire qu’il suffit pour cela de remplir un formulaire, une sélection « d’œuvres » littéraires.
Un véritable catalogue des horreurs
Durant les quelques jours qui ont suivi cette pénible expédition, je me suis plongé, à l’instar d’un égoutier, dans une pile d’ouvrages proprement affligeants. Bien entendu, je ne les ai pas lus en entier, il y a des limites, et pour certains c’est à peine si j’osais les feuilleter. Pourtant, en interrogeant scientifiquement quelques lecteurs de mon entourage, en observant sous couvert d’anonymat deux ou trois discussions sur internet, j’ai pu me faire une idée assez claire, cruellement lucide, du terrible monde des livres. J’en tremble encore. C’était un véritable catalogue des horreurs qui trônait sur mon bureau ; pas un vice, pas une faiblesse humaine dont les auteurs ne faisaient, si ce n’est crânement l’éloge, du moins le portrait complaisant. De La maison Tellier, infâme claque, aux délires de drogués des Paradis artificiels ; de l’apologie de la guerre sous quelque prétexte révolutionnaire à celle de l’insubordination politique ; du fanatisme religieux qui se camoufle comme des "Pensées", à la plus totale impiété de prétendus encyclopédistes… A chaque page, un scandale. Pour chaque sujet scandaleux, des milliers de pages. Tout cela trempé dans une acidité de tous instants, noyé sous le fiel de la satire la plus mesquine, arrosé de larmes au pathos outré. Quelle manipulation ! Phèdre geignarde, Eva Bomary mère indigne et larmoyante, et cet insupportable Romeo, plus agaçant qu’un héros de Final Fantasy… Tous ces personnages chichiteux, qui se lamentent alors qu’aucun de leurs problèmes ne pourrait être résolu par une résonnante taloche d’un commandant Shepard fermement tenu par un joueur résolu. Quelle morale pour les jeunes !
Comment ne défendraient-ils pas leur vice ?
Parents, méfiez-vous des lectures de vos enfants et adolescents : s’ils ne finissent pas Don Quishoote, ils se suicideront pour des tartines ; s’ils ne plaquent pas tout pour devenir trafiquants d’armes, on les retrouvera sadiques ou masochistes.
A cela rien d’étonnant ; ce qu’on a coutume d’appeler le monde des lettres est un gigantesque cloaque. Les critiques littéraires feraient passer les blogueurs associés pour de petits saints ; à côté de Philippe Souliers ou de Bertrand Henry Lévy, David Cage est un visionnaire. Et puis là encore, quel venin, quel acide : va que je t’accuse, que je t’excommunie, que je t’anathèmise ; que je me dispute sur les mérites du matérialisme historique, sur l’attribution des pièces d’un fils de gantier, sur le symbolisme d’un cheveu, d’un bout de madeleine ou d’un mille-pattes... on regrette l’ouverture d’esprit et le sens de la mesure des fans de Bioware.
J’entends déjà les reproches, la grogne de lecteurs et d’auteurs qui font mine d’ignorer la situation, et qui ne voient dans leur pratique qu’un loisir anodin. Eh quoi, quand ils ne sont pas défoncés à l’encre, ils sont payés par des éditeurs, employés par des universités de théologie reconverties en facultés de lettres. Comment ne défendraient-ils pas leur vice ? Alors on m’accuse d’être un Tartuffe, un censeur, je prônerais l’autodafé. Mais pas du tout, je ne prône que l’auto-défense, l’acte de défiance, un contrôle vigoureux des horreurs qui s’impriment. Pensez aux enfants, messieurs les auteurs !
Notre vigilance sera votre camisole
Et si par hasard vous n’acceptiez pas le contrôle qu’un Etat bienveillant devrait exercer sur vos activités, ce serait avec réticence mais sans scrupules que j’utiliserais l’argument massue ; non, je n’en suis pas encore là. Je ne vous rappellerai donc pas que tous les plus grands criminels, tels des Lacenaire, ont promu, commémoré, annoncé leurs forfaits par des ouvrages : sans aller ressortir les pages immondes des grands monstres de l’Histoire, le sympathique Saparmyrat Nyýazow, président du Turkménistan de 1990 à sa mort en 2006 était un prolifique auteur, et il considérait son magnum opus, le Ruhnama, comme un concurrent à la Bible et au Coran, ouvrages dont on connaît la postérité. A ce qu’on sait, jamais ce grand démocrate ne s’essaya à créer un jeu vidéo.
Alors un peu de mesure, mesdames les littératrices, messieurs les gratte-papiers. Sachez que les citoyens vous observent, et qu’ils demandent, si toutefois nous devons tolérer la littérature, un peu de retenue, un minimum de décence, un rien de morale. Notre vigilance sera votre camisole, nos critiques votre corset, tenez-le vous pour dit !
Vos commentaires
Steph # Le 1er avril 2012 à 10:39
Mouarf, j’ai ri
Martin Lefebvre # Le 1er avril 2012 à 10:48
Je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de drôle. C’est de notre jeunesse qu’il s’agit.
Steph # Le 1er avril 2012 à 11:00
Oh oui, pardon. Oh les salauds !
http://www.youtube.com/watch?v=-srL...
KotL # Le 1er avril 2012 à 11:41
C’est décidé, vous m’avez convaincu, je vais me débarasser de mes tas de papiers et acheter autant d’exemplaires d’Ambulance Simulator 2011 que je ne possédait d’effrayants ouvrages.
Gloire au vidéo-ludique !
Nano # Le 1er avril 2012 à 15:41
J’ai découvert ces fameux "livres"en émulation sur Ipad très récemment. Même s’il faut avouer que le gameplay en est largement amélioré et l’aliasing moins présent, j’ai beaucoup ri.
Martin Lefebvre # Le 1er avril 2012 à 18:42
C’est sûr qu’en général, ce qu’ils considèrent comme le comble de la présentation, ce sont des graphismes en ASCII...
# Le 3 avril 2012 à 11:53
Si j’ai bien compris le propos satirique de l’article (cela reste très discutable), il s’agit de montrer qu’il est absurde d’une part, d’accuser le jeu vidéo de corrompre la jeunesse en lui reprochant de ne pas sacrifier aux exigences édifiantes d’une certaine littérature, tout comme il est absurde, d’autre part, de reprocher au livre de ne pas être ludique, bref, qu’il est absurde de mélanger les genres et leurs objectifs respectifs.
Je trouve cependant dommage que vous n’ayez pas pris la peine de lire aussi ces quelques livres qui apprennent à raisonner - et parfois en s’amusant : le texte est truffé de fautes de raisonnement (en fait il ne contient aucun raisonnement correct, mais repose sur : 1) le sophisme de faux dilemme 2) le sophisme de la généralisation abusive, mais peut-être que cela appartient encore à la satire ...) ; dommage également que vous ne citiez pas quelques faiseurs de livres allant dans votre sens. A vaincre sans péril, etc.
Martin Lefebvre # Le 3 avril 2012 à 12:22
Cher courageux anonyme, j’imagine que vous êtes employé par l’industrie du livre ? Peut-être même libraire ?
Sachez que même chez les littérateurs, quelques audacieuses voix s’indignent contre le péril que fait courir l’usage déplorable de l’imprimerie.
Tonton # Le 3 avril 2012 à 12:56
Désolé, j’ai oublié de signer le 1er post ... Je ne suis par ailleurs ni employé par l’industrie du livre ni, par conséquent, libraire. Il s’agissait seulement d’un post poisson d’avril pour votre article poisson d’avril ...
(vous ne devriez pas vous arrêter à Voltaire et à la critique de l’imprimerie, mais remonter jusqu’à Platon qui critique le livre en tant que tel : cela serait encore plus féroce !)
Martin Lefebvre # Le 3 avril 2012 à 13:00
Platon avait bien compris ce qu’il fallait faire de ces rastaquouères d’aèdes. D’ailleurs j’attends avec impatience le prochain jeu des créateurs de Soldier of Fortune, Plato’s Platoon.
Tonton # Le 3 avril 2012 à 14:24
Tout à fait d’accord !
DrNoze # Le 3 avril 2012 à 16:18
Ma compagne étant atteinte de ce mal (je la qualifierai de hardcore reader), elle laisse trainer de ces livres un peu partout dans la maison. Ayant un enfant en bas age j’ai décidé d’y jeter un oeil, mais j’ai eu beau les retourner dans tout les sens je n’ai pas trouvé la PEGI... C’est normal ?
Martin Lefebvre # Le 4 avril 2012 à 12:11
Je vous conseille de demander le divorce à son tort. Il faut que vous protégiez votre enfant à tout prix. Un bon avocat peut vous aider.
brnarpeevaw75 # Le 11 mai 2012 à 08:20
Article salutaire... ajoutons que certains jeux video subversifs contiennent encore beaucoup trop de texte ; gageons qu’avec la sûre intuition morale dont elle fait preuve, la nouvelle génération ne manquera pas d’éventer le procédé. Sur ce, je m’en vais écraser une pute et vider quelques armoires.
Shane_Fenton # Le 27 août 2012 à 18:26
Il y a une catégorie de lives en particulier à qui on reprochait la même chose qu’aux Meuporg d’aujourd’hui : les romans de chevalerie. Et notamment le plus célèbre de tous, Amadis de Gaule.
François de la Noue, capitaine du Roi Henri IV, l’a accusé de distiller 3 poisons : le "poison d’impiété" (le livre contient magie et sortilèges), le "poison de volupté" (les personnages ne font que s’empapaouter à qui mieux mieux), et le "poison de vengeance" (quand on ne fornique pas, on se castagne pour une broutille). D’ailleurs, La Noue estime qu’Amadis est partiellement responsable de l’épidémie de duels qui tuent plus de 8000 gentilshommes entre 1580 et 1600.
Mais c’est Cervantès qui a réglé son compte à ce livre et à tous ses descendants, en le parodiant avec Don Quichotte, qui est un peu l’ancêtre des "no-life". Jugez plutôt : "Dans une bourgade de la Manche dont je ne veux pas me souvenir le nom, vivait il n’y a pas longtemps un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et lévrier de chasse. [...] Or il faut savoir que cet hidalgo, dans les moments où il restait oisif, c’est-à-dire à peu près toute l’année, s’adonnait à lire des livres de chevalerie, avec tant de goût et de plaisir qu’il en oublia presque entièrement l’exercice de la chasse et l’administration de son bien."
Amadis ne se remettra jamais d’avoir été ainsi tourné en ridicule, et demeure encore aujourd’hui dans un relatif oubli, au même titre que Palmerin d’Olive ou Tirant le Blanc, tandis que le Roi Arthur est pratiquement le seul rescapé.
Shane_Fenton # Le 27 août 2012 à 18:28
J’ai oublié de citer mes sources (même s’il faut passer à la caisse pour tout lire) : http://www.histoire.presse.fr/les-c...
Laisser un commentaire :
Suivre les commentaires : |