08. Love + machine

« Dating Sim With a Sanity Meter »

Entretien avec Angie Gallant

Comment évoquer l’amour dans les jeux vidéo sans passer par le genre sentimental par excellence, la dating sim ? Né au Japon, le jeu de drague est de plus en plus populaire en Occident, et propose une offre variée, allant de l’eroge le plus salace aux otome souvent très fleur bleue, de la visual novel à l’interactivité famélique jusque la simulation de vie qui demande de prendre en compte des dizaines de statistiques.

Pour nous retrouver dans cet univers déroutant, nous avons fait appel à une spécialiste. Angie Gallant, 31 ans, mère d’un enfant et survivante d’un cancer, travaille à Austin comme testeuse chez un grand éditeur. Mais si nous nous entretenons avec elle, c’est parce qu’elle est une des plus joyeuses enthousiastes du genre. Ses récits de partie (Let’s Play), abondamment illustrés, sont généralement tordants de rire, et permettent de découvrir les jeux de drague dans la bonne humeur.

On lira avec intérêt ceux qu’elle a consacrés à sa série favorite Tokimeki Memorial Girls : trois ans en compagnie de son personnage Balls Mahoney, dans un lycée où les garçons portent des colliers de chiens et des chemises fuchsia, où le principal arbore une pédostache et s’intéresse de près aux minettes, trois années durant lesquelles Angie a un petit béguin pour son professeur principal.

Plus barré encore, Hatoful Boyfriend, la dating sim où les garçons sont des pigeons et où ils discutent des mérites de la viande crue au petit déjeuner, est évidemment immanquable.

Jane Austen écrirait-elle des jeux de drague ?

Le dernier méfait en date de Mrs Gallant concerne Matches & Matrimony, un jeu occidental pour le coup, qui reprend l’intrigue de Pride & Prejudice. Bollocks Mahoney Bennett succombera-t-elle au charme de Darcy ? Lady Lucas lui mettra-t-elle des bâtons dans les roues ? Jane Austen écrirait-elle des jeux de drague si elle vivait de nos jours ? Nous avons oublié de demander l’avis d’Angie Gallant à ce sujet, mais elle a accepté de répondre à bien d’autres questions.

Si vous préferez lire l’entretien en version originale, c’est ici que ça se passe.

Merlanfrit : Comment avez-vous découvert les dating sims ? Lesquelles préférez-vous ?

Angie Gallant : Ma foi, ça fait un moment. Je dirais que c’est Angelique qui m’a attirée vers le genre. J’avais entendu parler, j’avais même essayé des jeux de drague qui s’adressaient aux hommes, mais Angelique est la première dating sim pour les femmes que j’ai pu essayer. Il n’y avait pas de traduction en anglais, mais le principe m’a suffisamment fascinée pour que j’essaye tout de même, en m’aidant de sites de fans sur Geocities pour m’y retrouver dans les menus en japonais.

Angelique, série-fleuve

Pour ce qui est de mes favoris, ce sont sans doute les adaptations de l’anime Tokimeki Memorial. Il y a plein de rebondissements, le gameplay est varié, et il y a surtout des personnages très mémorables. On se pâmerait pour Mr. Himuro, Shiba Katsumi qui ne cesse de s’enfoncer, et puis bien entendu il y a le terrifiant Amanahoshi, qui se planque dans les buissons avec sa pédostache.

Mr Amanahoshi et sa fameuse pédostache

Les dating sims sont elles des jeux ? Elles n’ont pas l’air fort interactives, surtout si on pense aux visual novels…

C’est une question compliquée ! Je préfère les jeux de drague qui tendent vers le côté simulation de vie, et plus ils sont difficiles, plus il faut d’effort pour maintenir l’équilibre entre les impératifs et la romance, plus ça me va. Il y a aussi des unions entre les datings sims et d’autres genres. De nos jours, beaucoup de RPG prennent en compte les relations entre les personnages, même si ce n’est pas forcément une question d’amour. C’est la même chose dans certains jeux de stratégie.

« Si votre définition d’un jeu demande un peu plus d’interactivité qu’un choix toutes les 30 minutes de lecture, alors vous risquez d’être déçu par les visual-novels »

Pour ce qui est des visual-novels, c’est difficile de trancher. Bien sûr, il y a une dose de choix, et à peu près tous les jeux du genre permettent d’échouer, même si ce n’est pas toujours une fin lamentable. Mais c’est vrai que si votre définition d’un jeu demande un peu plus d’interactivité qu’un choix toutes les 30 minutes de lecture, alors vous risquez d’être déçu par les visual-novels. Je le trouve pas mal pour se détendre après une dure journée, mais ce n’est pas ce genre de jeu pour lequel je vais m’enflammer et sur lequel je vais passer dix heures sans interruption.

Katawa Shoujo

Qui joue aux jeux de drague ? De l’extérieur, on dirait de la chick-lit pour otakus. Mais est-ce que ces jeux sont vraiment destinés aux filles ? Ils semblent très populaires chez les internautes, il suffit de regarder les réactions scandalisées quand Rock, Paper, Shotgun a chroniqué négativement Katawa Shoujo [1]

Si au départ le genre visait surtout les hommes, et qu’il continue à le faire au Japon, j’ai l’impression qu’il a plutôt touché les femmes en Occident. Qui y joue ? Tous ceux qui aiment les romances et qui n’ont pas peur qu’on les juge ? J’ai l’impression que quand les gens comprennent qu’il n’y a pas dans le genre que des jeux pour « adultes » qui virent au pire de ce qu’on peut trouver sur internet, ils peuvent être intéressés. La plupart des dating-sims auxquelles je joue sont des otome, destinées aux adolescentes ou aux jeunes femmes. Mais de toute manière, tant qu’on ne se prend pas trop au sérieux, je pense que n’importe qui peut trouver quelque chose à apprécier dans ces jeux.

« Je ne m’attendais pas du tout à m’émouvoir pour l’ami d’enfance pigeon »

Vos Let’s Play sont très drôles, mais il y a toujours une bonne dose d’ironie dans vos commentaires. Je suppose que certains de vos lecteurs n’ont aucune envie de jouer à ces jeux, bien qu’ils apprécient ce que vous écrivez. De votre côté, vous aimez vraiment le genre pour lui-même ou bien c’est le plaisir de se moquer qui domine ?

Je ne fais pas vraiment la différence entre aimer vraiment quelque chose et me moquer de cette chose. J’ai toujours été fan de Mystery Science Theater 3000, et leur philosophie, qui consiste à étriller avec amour, fait vraiment partie intégrante de la façon dont je prends les médias. Oui bien sûr, je me moque de ces jeux, mais je suis aussi très honnête quand quelque chose me touche. Par exemple je ne m’attendais pas du tout à m’émouvoir pour l’ami d’enfance pigeon dans Hatoful Boyfriend, mais je n’ai pas essayé de le cacher quand c’est arrivé.

C’est vrai qu’il y a une bonne dose de franche rigolade. Je pense que ça rend encore plus plaisants les moments durant lesquels un personnage dit quelque chose d’incroyablement mignon, ou quand je me sens investie et que j’ai envie d’aider un personnage. Ça rend aussi le choc plus fort quand un fil narratif tourne à l’aigre, par exemple quand Saeki passe son temps à frapper Balls Mahoney durant Tokimeki Girls Side 2.

Je ne pense pas que je pourrais vraiment apprécier quelque chose si je ne pouvais pas m’en moquer, mais les moqueries tomberaient à plat si je détestais cette chose. Bref, ma réponse ne va pas vous avancer du tout : « j’aime les deux ».

« Un bishounen au regard triste avec ses cheveux dans les yeux, sa chemise langoureusement ouverte »

Dans vos Let’s Play vous jouez toujours un rôle qui vous permet d’entretenir de la distance, et bien entendu vous donnez à vos personnages des noms délicieux comme Balls Mahoney. Est-ce que c’est un besoin de vous raconter votre propre histoire pour vous sentir impliquée dans une narration qui n’est que peu interactive ? Est-ce que des gens dénués d’imagination comme moi peuvent apprécier le genre ?

Oh, je fais toujours ça, je remplis toujours les vides avec mes propres personnages et mes histoires quand je joue à un jeu vidéo, c’est ma manière d’apprécier le média. La faute aux vieux Wizardry, j’inventais mes propres histoires pendant que je restais assise là, à dessiner des cartes sur du papier millimétré et à grinder les mêmes six monstres, encore et encore. Les histoires des jeux de drague sont assez intéressantes sans avoir besoin d’en rajouter. Bien sûr, elles partent de stéréotypes, mais dans leurs meilleurs moments elle dépassent les clichés. C’est certainement un genre qui demande de respirer entre les jeux. C’est assez facile de faire une indigestion de jeux de drague, et de finir par lever les mains et de hurler « JE NE VEUX PAS RÉSOUDRE TOUS TES PROBLÈMES ÉMOTIONNELS » à un bishounen au regard triste avec ses cheveux dans les yeux, sa chemise langoureusement ouverte.

Balls Mahoney, très distingué

Pour ce qui est de Balls Mahoney, c’est le nom d’un catcheur. Je l’ai choisi sur un coup de tête alors que je jouais à un de ces jeux, et la juxtaposition de Balls Mahoney le catcheur et de la jeune vierge rougissante m’a fait rire. Bon et puis je meurs de rire à chaque fois qu’un type au regard candide dit un truc du genre : « I just can’t live without Balls in my life ! ». J’ai aussi utilisé Bollocks Mahoney pour un jeu de la période Régence (1811-1820 NdT), et Kintama Mahoney [2] dans le Japon Ancien. C’est un nom qui a de la ressource.

« Une bizarrerie inspirée »

Il y a des visual novels qui sont bien chtarbées, comme Hatoful Boyfriend, la dating sim avec des pigeons. Mais qui a des idées comme ça ?

DES PUTAIN DE GÉNIES. J’adore les idées créatives du genre « un jeu de drague… mais les garçons sont tous des pigeons ! », ça me donne immédiatement envie de sauter sur le jeu. J’allais dire quelque chose du genre « plus c’est bizarre, mieux c’est », mais ce n’est pas toujours le cas. Hatoful Boyfriend a une bizarrerie inspirée, les développeurs ont créé tout un univers qui répond aux questions qu’on pourrait se poser, mais qui contribue aussi à rendre le jeu plus étrange et plus hilarant. Le bizarre pour le bizarre ne fonctionne pas toujours, mais quand ça marche, c’est ce que je préfère.

Mass Effect 2

« On passe beaucoup de temps à tuer et à explorer dans les jeux vidéo, mais peut-être pas assez à aimer »

Vous pensez qu’il y a un vrai potentiel dans l’hybridation entre les jeux de drague et des genres plus grand public ? C’est ce que font les Persona, la plupart des jeux Bioware, ou même les Sims d’une certaine manière, mais est-ce qu’il y a d’autres horizons à explorer ?

Absolument ! Il y a très peu de jeux dans lesquels on n’a pas d’interactions avec des personnages amis, et le fait d’ajouter des mécanismes relationnels, qui influencent leurs réactions selon vos choix peut permettre de donner vie à ces personnages, si c’est bien fait. Pas besoin que ce soit romantique, les joueurs aiment juste voir le monde changer sous l’effet de leurs actions. Savoir que plusieurs réactions sont possibles, selon qu’on choisit de tuer untel au lieu de le sauver peut être très satisfaisant.

Et il y a évidemment un public pour les histoires d’amour, il suffit de regarder les nombreux fans des jeux que vous mentionnez. On passe beaucoup de temps à tuer et à explorer dans les jeux vidéo, mais peut-être pas assez à aimer. Des moments tendres, s’ils sont bien menés, et avec des personnages auxquels on s’intéresse, peuvent apporter une réelle bouffée d’air frais.

Persona 4

Pour finir, avez-vous la tentation d’écrire votre propre visual novel ? J’y jouerais !

Ah ! C’est un projet que j’aimerais bien mener un jour ou l’autre, mais ce ne serait pas aussi complet que les Tokimeki ni aussi bizarre qu’Hatoful Boyfriend, j’en ai peur. Mon rêve serait de faire une dating sim avec Kate Beaton. Ou bien un jeu de drague lovecraftien, mais fidèle à ses œuvres plutôt qu’une version anime mignonne de ses créatures transformées en fillettes. En fait j’aime pas mal l’idée d’une dating-sim avec une barre de santé mentale.

Notes

[1] Katawa Shoujo est une dating sim réalisée bénévolement, à partir d’une idée lancée sur 4chan. D’un goût douteux, le « jeu » se déroule dans un lycée destiné à des élèves malades, et met en scène un groupe de jeune filles handicapées parmi lesquelles le joueur pourra choisir sa dulcinée. Devant le tollé provoqué par l’article de John Walker, RPS a ouvert ses colonnes à Leigh Alexander, qui est une connaisseuse du genre, et qui rend un verdict à peu près similaire.

[2] Kintama, signifie testicules en argot japonais

Il y a 3 Messages de forum pour "« Dating Sim With a Sanity Meter »"
  • FatMat Le 14 février 2012 à 10:16

    Excellente interview. Dommage qu’il n’y ait pas plus de suggestions de titres jouables (au moins traduits en anglais). Du coup, j’attends avec impatience le jeu de drague avec les créatures de Lovecraft !

  • Martin Lefebvre Le 14 février 2012 à 17:57

    Si j’ai le temps, j’ajouterais quelques liens en postcriptum. Hatoful est traduit et facilement accessible par exemple. :)

  • noccolkte Le 15 février 2012 à 09:44

    Je fais un peu de pub sur un jeu de la boite où je suis en stage : http://fr.datingsim.com/
    Jeux en français sur le même genre :)

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