Confinement, le rêve du joueur ?
Ah, tout ce temps libre pour jouer... du moins pour ceux qui ont la chance de ne pas être infirmier, caissier ou livreur Amazon... Et pourtant le confinement nous a tous secoués, et chacun développe sa stratégie d’adaptation. Tandis que certains se réfugient dans les univers rassurants de Star Wars ou Magic, d’autres s’échappent le temps d’une randonnée — 1 km max, promis — dans a Short Hike, ou partent même à l’aventure dans Nioh 2. Les plus coriaces passent leurs nerfs sur Celeste et Valfaris. Bon courage à eux.
Se réfugier
Magic Arena (Wizards of the Coast, PC, 2018)
Joueur de Magic l’Assemblée de longue date, j’ai longtemps reculé devant la dernière proposition virtuelle de Wizards of the Coast. Certes, elle est bien plus accessible que l’antique MTGO (qui reste toujours le repaire des "vrais" joueurs) ; d’où justement la crainte d’y consacrer trop de temps. Et puis, frayer avec de vrais gens sur internet ? Quelle horreur. Avec le confinement, tout a changé : du temps, il y en a à dépenser ; les interactions sociales, par contre, commencent à manquer. En plus, le jeu de carte est parfaitement jouable devant les enfants — on peut même vaguement avancer un intérêt arithmétique à la chose, lorsqu’il s’agit de choisir ses attaquants ou ses bloqueurs. Le moment idéal, donc, pour se plonger dans cette version addictive du Meilleur Jeu de Société de Tous les Temps (c’est cliniquement prouvé). La difficulté étant de ne pas sortir la carte bleue, ce qui est faisable à condition de combattre la machinerie consumériste bien rodée ... — Laurent Braud
Star Wars Rebellion (Lucas Art, PC, 1998)
Avec son lot d’incertitudes, d’angoisses et de grisaille, le confinement appelle à des jeux-doudous. Des titres rassurants et confortables où chacun se console du tour imprévu que prend sa vie. Ce qui explique pourquoi Counter Strike est ainsi pris d’assaut depuis quelques semaines. En plus d’être un 4X solide qui permettra au joueur obsessionnel de se laisser aller à toute sa maniaquerie, Star Wars Rebellion se classe doublement au titre de jeu-doudou. D’abord parce que sorti en 1998, il est issu de la période dorée de Lucas Art. Celle qui a bercé l’enfance de plus d’un millénial avec les meilleurs jeux Star Wars : Rebellion, Jedi Knight et Rogue Squadron pour ne citer qu’eux, un trio qui ferait passer KOTOR pour du canigou. Mais surtout parce qu’il bénéficie du lore de l’univers étendu et s’offre ainsi le luxe de nous renvoyer à une enfance insouciante et définitivement révolue, reliquat d’une époque où Disney ne capitalisait pas encore sur notre nostalgie et où Lucas commençait à peine à salir sa licence de ses mains graisseuses. Un vrai jeu-doudou, on vous dit. — Guillaume Chevalier
Might and Magic X : Legacy (Limbic Entertainment / Ubisoft, PC, 2014)
Ça commence comme dans tout RPG qui se respecte. On fait joujou avec la feuille de personnage. Puis on fait ses premiers pas dans la ville de départ, et très vite on est confronté à ses premiers adversaires. Le temps de se familiariser pleinement avec l’interface et le système de combats. C’est là le moment décisif, celui où le courant passe ou non. Celui où on se dit : OK, on a testé, on a laissé sa chance au produit, on s’y remettra plus tard, c’est-à-dire (le plus souvent) jamais. Ou à l’inverse, celui où on a une envie impérative de continuer. Parce que ces premiers combats nous ont offert le bon dosage entre les satisfactions immédiates et la promesse d’en avoir d’autres. Nos premiers sorts ont fait des dégâts. Nos premières stratégies ont payé. Il va juste falloir que nos personnages remportent encore un ou deux combats, une ou deux quêtes, pour devenir plus forts... Ce qui leur permettra d’aller dans ces zones éloignées où les ennemis sont tellement plus coriaces. On va peut-être les tenter tout de suite, et se casser les dents. Mais passée la frustration de la défaite, on patientera, on fera des détours, on augmentera de niveau petit à petit, et quand on reviendra, les monstres supposément imbattables finiront par être vaincus. Ce qui nous incitera à explorer encore plus loin. Dans l’ordre qu’on veut, comme on veut.
Tout ça pour dire Might and Magic X : Legacy est le parfait jeu de confinement en ce qui me concerne. Un très bon compromis entre le fond (des donjons tortueux remplis de secrets, des quêtes savamment imbriquées pour que, à chaque fois qu’on en suit une, trois nouvelles apparaissent en chemin) et la forme. Entre le gameplay traditionnel (le déplacement case-par-case, les combats tour-par-tour) et le confort moderne. Entre l’héritage de la licence Might and Magic et les innovations des petits derniers, comme Legends of Grimrock. Il est certes dommage qu’Ubisoft n’ait pas poursuivi sa tentative de réactiver cette vénérable série de jeux de rôle. Mais on a encore quelques dizaines d’heures de jeu avant de s’en préoccuper. — Shane Fenton
Graveyard Keeper (Lazy bear games, 2018)
Un jeu est-il bon parce qu’il rend aussi accro que le sucre ou l’Oxy-Contin ? C’est la question qui se pose face à Graveyard Keeper, titre aussi addictif que mignon. Si on ne l’aurait certainement pas recommandé en temps normal, le jardin secret chaleureux qu’il déploie semble parfait pour cet étrange moment que nous traversons. Et ce doux remède à notre morne quotidien se double d’une teinte ironique lorsqu’on réalise que le fossoyeur de Graveyard Keeper est coincé dans un monde dont il ne demande qu’à ressortir, un peu comme nous de notre appartement.
Si on peut lui préférer d’autres jeux de confinés ayant la main moins lourde sur le grind (à ceux qui n’ont toujours pas lancé Subnautica : qu’attendez-vous ? ), et bien que les possesseurs de Switch lui préféreront Animal Crossing, il faut reconnaître que Graveyard Keeper procure une sensation de satisfaction rassurante et rare. En quelques heures, notre fossoyeur aura produit du miel, fabriqué des meubles, écrit un roman, exploré un donjon, fait de la bière, de la gnôle, de la piquette puis du grand cru classé, pêché la truite, monté une entreprise d’export, célébré des messes, créé des zombies et même enterré quelques cadavres. Pourrez-vous vous gausser d’en avoir fait autant à la fin de la crise ? — Guillaume Chevalier
Voir du pays
Abzû (Giant Squid, 2016) / A Short Hike (Adamgryu, PC, 2019)
Changer de rythme, changer de point de vue. Enfermé avec les enfants, autant en profiter pour les initier au loisir vidéoludique. Entre l’enfant découvrant et le papa rompu à la pratique, la rencontre n’est pas toujours évidente. À commencer par l’usage physique de la manette, dont la maniabilité est difficile pour les petites mains, surtout dans des environnements en trois dimensions où l’on se perd facilement. Même quand papa reprend la main, c’est pour s’apercevoir de la disjonction dans l’intention. L’un distingue clairement les objectifs, lit naturellement la grammaire ludique ; l’autre ne conçoit même pas qu’il y ait une "fin" au jeu, veut s’arrêter sur les décors, navigue avec une notion très floue de l’interactivité. C’est évidemment au vétéran de ralentir le rythme et d’accepter de rompre avec son style habituel. Abzû s’y prête mieux : on s’arrête pour regarder les poissons, on s’efforce de ne pas appuyer sur le bouton de nage rapide. Au fur et à mesure, les joueurs s’adaptent l’un à l’autre — le cerveau juvénile étant évidemment bien plus plastique. "Là, papa, un coffre au trésor !" — Laurent Braud
Nioh 2 (Team Ninja, PS4, 2020)
Après quelques jours ou semaines confinés chez soi, oisiveté contrainte, est venu le temps de la boulimie libératoire. Chez les moins sages, cela s’est traduit par un besoin de jogging compulsif autant qu’inhabituel. D’autres en sont restés à contempler envieux des paysages exotiques au travers de leur écran LCD, se sont évadés par la musique classique ou l’entremise d’un volumineux bouquin. Pour ma part, après des mois bien remplis et embouteillés, je re-goûte au plaisir abrutissant d’un jeu de rôle roboratif.
L’objet de ma satiété, c’est Nioh 2, prequel du Souls-like de la Team Ninja. Avec ses mécaniques Hack&Slash répétitives il peut avoir des allures de junk-food, mais son action débridée me permet aussi de faire de l’exercice. Il n’en oublie pas de nourrir l’âme, mêlant les mathématiques froides d’une fiche de personnage fouillée avec les arts plastiques d’un éditeur de visage au réalisme convainquant. Par son entremise se déploie un siècle d’Histoire japonaise fortement romancée, avec ses guerres intestines teintées de Yokais locaux. Quant au dépaysement, les temples Kyotoïtes, grottes englouties et autres forêts luxuriantes finement modélisées offrent un digestif potable. Tant qu’à rester cloitré, autant se faire un repas complet. — Colin Fourtet
Se faire mal... juste un peu
Valfaris (Steel Mantis, 2019)
La réponse vidéoludique au confinement peut prendre deux aspects radicaux. On peut certes se plonger dans un univers apaisant, où soleil et plein air sont de mise, et les relations avec autrui normales ou amicales, ce que la majorité semble avoir choisi en portant son regard en direction de Kyoto. Mais on pourrait également verser dans un anti-conformisme douillet en s’immergeant dans un monde en ruines, infesté de bêtes hideuses. Si vous estimez que le COVID-19 nous y plonge à vitesse grand V, la première option sera préférable pour ne pas suralimenter vos pulsions de mort. Si vous considérez en revanche qu’il y a encore de la marge, vous avez alors le coeur suffisamment accroché pour aborder Valfaris, sorte de variation gore et heavy metal de Turrican.
Car si nous sommes pour la plupart confinés dans nos foyers, la planète autrefois paradisiaque que fut Valfaris s’est vu confinée dans le néant pour en ressortir désespérément glauque et déliquescente. En tant que notable exilé apprenant cette réapparition, vous devrez vous y frayer un chemin à grands renforts de pistolets, épées et autres armes secondaires pour trancher, canarder ou électrocuter le bestiaire difforme faisant office de comité d’accueil. Soyez toutefois prévenus que rapidement, vous mourrez à de multiples reprises entre chaque point de sauvegarde (malgré la répartition judicieuse de ces derniers), le jeu se montrant absolument intraitable. Assurez-vous donc que vos nerfs soient trempés dans un acier aussi galvanisé que celui nécessaire à la traversée de la période en cours. Si avec le dernier Animal Crossing, le confinement a trouvé son E.T., il tient avec le jeu de Steel Mantis son The Thing. Choisissez votre camp. — Simon Génessier
Celeste (Matt Makes Games, 2018)
Pris entre des vents contraires, accroché à mon rocher, approchant du sommet du mont Celeste, j’ai senti que ma manette lâchait sous la pression. Voilà à quoi pourrait se résumer Celeste : à l’opposé des jeux doudous, première à droite, bienvenue dans la plate-forme tordue et millimétrée. Et pourtant, c’est une impression étonnante de grande douceur que laisse le jeu de Matt Thorson. Est-ce dû à sa partition musicale ? A son pixel-art adorable ? A son état d’esprit surtout.
« Tu peux y arriver ». S’ouvrant sur ce simple encouragement, Celeste rompt avec la tradition du jeu hostile et viril qui ne s’encombre pas d’un mode facile, l’intégrité artistique vous comprenez... Il ne s’agit plus ici tant de git good que de se glisser dans la peau d’une jeune femme partie à l’assaut d’une montagne trop grande pour elle, et d’affronter ainsi la dépression et l’échec. On aurait jamais cru il y a quelques années qu’un platformer à l’allure enfantine nous émouvrait autant. Encore une preuve du passage du jeu vidéo à l’âge adulte ? Dans ce cas, une manette, ce n’était pas un prix si cher à payer. — Guillaume Chevalier
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