Fantassin et diplomate, marionnette moraliste, sauveur galactique au service du fan... et si le commandant Shepard était exemplaire des contradictions qui traversent le personnage vidéoludique ? Contient de vagues spoilers.
On a beaucoup glosé sur les dernières minutes de Mass Effect 3, au sujet desquelles la fureur d’une partie des fans a fait grand bruit, au point que Ray Muzyka — co-fondateur du studio canadien — en personne a dû intervenir et promettre une solution. Pour tout dire, rien qui vaille tout ce vacarme, et malgré ses évidentes maladresses, on peut préférer ce final, qui a au moins le mérite d’être un rien audacieux, au long et larmoyant passage sur Terre qui précède, durant lequel Shepard fait des adieux convenus à ses compagnons d’arme. Le deus ex machina qui conclue la trilogie est surtout la conséquence d’un arc narratif d’ensemble qui à trop embrasser, étreint mal. On peut supposer que Casey Hudson, lead designer de la série et seul auteur de la conclusion, a tenté de réenchanter l’univers de Mass Effect en essayant de retrouver un moment de fascination égalant la rencontre avec Sovereign dans le premier volet. Mais les enjeux narratifs étaient trop épars, l’attente trop énorme pour que le procédé fonctionne.
Si l’on prend un peu de distance, on constatera que les rustines narratives sont omniprésentes dans la trilogie, et notamment dans ce troisième volet. Celui-ci, qui a le mérite d’être moins éparpillé que son prédécesseur, mobilise au fil des aventures du Commandant Shepard à la fois les histoires de cœur, les vieilles rancoeurs et les amitiés retrouvées, le quotidien d’une civilisation surprise par la guerre, le deuil dans sa dimension intime, et les grands intérêts, rien moins que l’avenir de la galaxie. Il ne faut donc pas s’étonner qu’en bout de course les scénaristes peinent à boucler la boucle. A travers la figure de Shepard à la fois héros galactique et simple fantassin se pose le problème de la narration telle que l’envisage Bioware, ainsi que beaucoup de développeurs. Car qui est Shepard exactement, comment qualifier le personnage vidéoludique quand un faisceau de fonctions contradictoires le traverse ?
Au bon plaisir
Le héros vidéoludique fait d’abord fonction d’avatar, c’est-à-dire qu’il constitue une représentation fictionnelle du contact entre le joueur et le programme, un lieu d’échange. Les rôles de l’avatar sont nombreux, il serait trop long de tous les énumérer : c’est à travers lui que le joueur manipule les objets, c’est lui qu’il faut protéger des actions adverses… Mais dans le RPG — s’il on admet que Mass Effect 3 est bien un RPG [1] — l’avatar possède la particularité d’offrir au joueur un lieu où inscrire son style, une figure à modeler. Ainsi, le joueur peut choisir le sexe et l’apparence physique de Shepard, ainsi que ses vêtements, son équipement et sa classe. Si ces deux derniers aspects influencent directement le gameplay, ils ont aussi une valeur esthétique, permettant au joueur de se former un héros à son goût.
En bon chef d’équipage, Shepard – et à travers lui le joueur – choisit aussi ses compagnons. Si leur nombre a diminué par rapport à Mass Effect 2 (en attendant des DLC ?), privilégier Garrus plutôt que Tali, préférer Vega à Ashley constitue pour le joueur un moyen d’affirmer ses préférences, y compris en matière sexuelle d’ailleurs. Comme tous les épisodes de la série, Mass Effect 3 reprend le jeu de séduction, sorte de dating sim light, offrant cette fois-ci une vision normalisée de l’homosexualité et de la diversité : quel que soit son sexe Shepard peut coucher avec un homme, une femme, un extra-terrestre, sans que personne y voit quelque chose à redire. C’est que de ce point de vue le jeu se plie au désir du joueur, et Shepard semble exercer une attraction irrésistible sur presque tous les membres de son équipage.
Ce bon plaisir du joueur ne s’arrête pas à des affaires de cœur, mais informe le devenir d’espèces entières. Au cours du jeu Shepard décide du destin d’au moins deux peuples galactiques, manière pour le joueur d’inscrire une fois de plus sa préférence, de marquer l’univers de sa patte : êtes vous plutôt Geth ou Quarian ?
Commandant de bord et juge de paix galactique, Shepard façonne ainsi l’univers diégétique, afin d’y inscrire la préférence du joueur. Mais cette apparente liberté est évidemment balisée par les scénaristes : il faut choisir, et les choix sont bien entendu limités par une narration linéaire qui, quoiqu’il arrive, nous mène à la confrontation finale. A tout prendre, on peut même estimer que plus les choix ont d’ampleur, plus ils sont condamnés à la superficialité, ne modifiant guère que les scènes cinématiques. Pour que ces effets de trompe-l’œil fonctionnent, Bioware a besoin de la confiance du joueur. Afin d’obtenir cette adhésion, Shepard joue un rôle essentiel de porte-parole, non plus des décisions du joueur, mais des discours du développeur.
Le personnage porte-parole
Le discours d’un héros a toujours plus d’un destinataire : s’adressant aux autres personnages, il parle toujours aussi au destinataire final, le public de l’œuvre. C’est le procédé bien connu de la double énonciation. Shepard est bavard, et en tant que meneur charismatique, ses discours permettent de faire passer un message. Cela tient parfois à peu de choses ; ainsi, lorsque le pilote Steve Cortez parle de la mort de son mari, Shepard ne relève pas, et la conversation sur le deuil qui suit ne s’attarde pas sur le sujet aujourd’hui brûlant d’actualité, mais réglé depuis longtemps au 22 ème siècle, du mariage homosexuel. A travers l’indifférence de Shepard, Bioware plaide la tolérance et défend les droits des minorités sexuelles [2].
Le message n’est pas toujours manié avec pareille subtilité. En tant que commandant, Shepard a recours à plusieurs reprises au discours de motivation, véritable topos rhétorique. Hérité de l’Antiquité – une des fonctions du général grec était déjà d’haranguer les soldats pour leur donner du courage – le genre possède une riche tradition littéraire et politique en langue anglaise, de Shakespeare (le fameux discours d’Henry V avant la bataille d’Azincourt, le jour de la St Crispin, « We few, we happy few, we band of brothers ») à Churchill (« I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat »). Il est aussi devenu un lieu commun du discours managérial, qui en reprend les traits épiques. Shepard est un de ces gestionnaires de ressources humanoïdes qui croit aux vertus de l’appel au sacrifice. Dans ce troisième volet il prononce au moins deux grands discours de motivation (ainsi qu’une multitude d’encouragements lors des dialogues avec les autres membres de l’équipage), au début du jeu, et avant l’assaut final ; le joueur peut bien en choisir la coloration, rouge renegade ou bleu paragon, il n’en demeure pas moins le destinataire final. C’est lui que visent les scénaristes, et c’est lui qu’ils espèrent faire vibrer par les appels au courage. Le discours sur les enjeux considérables de la lutte – la survie de la galaxie – doit pousser le joueur à s’impliquer, à jouer le jeu.
Comme je l’avais relevé à propos de Mass Effect 2 lors d’un article consacré au crunch, dans le cas d’un jeu vidéo, on peut même parler de triple énonciation : à travers les exhortations au sacrifice, c’est aussi l’équipe de développement elle-même qu’il s’agit de motiver afin que les deadlines soient respectées, au prix d’un travail acharné. On peut penser que l’atmosphère endeuillée qui traverse ce troisième volet tient pour partie au tournant que constitue pour l’équipe la fin d’une trilogie dont le développement a débuté en 2004 : il s’agit pour les développeurs de dire adieu à des personnages qu’ils ont fréquenté durant huit ans. A travers Shepard passe en outre un discours de manager, évidemment productiviste : efficacité, sens de l’initiative, abnégation sont des qualités éminemment employables. Le jeu vidéo porte souvent ce type de message, affirmant les conditions de sa production comme une éthique, reproduisant au sein de la fiction le discours managérial qui en a guidé le développement. C’est d’ailleurs un des traits saillants de la fiction populaire contemporaine : les séries télé nous présentant des agents du FBI ou des médecins comme des travailleurs acharnés, dynamiques, des équipiers modèles au service de leur mission ne fonctionnent pas autrement.
Le personnage point de vue
L’un des traits caractéristiques de l’épique, qu’il soit célébration d’une élite guerrière ou des capacités de production d’une société, est de se vouloir exemplaire pour la communauté dans son ensemble. Les « happy few » d’Azincourt auxquels s’adresse Henry V sont porteurs des valeurs d’une nation toute entière, l’Angleterre s’affirmant comme puissance européenne. De même, pour que Shepard et ses équipiers puissent avoir valeur d’exemple, il faut que leurs valeurs irriguent les différents échelons de la société. C’est pour cela que Mass Effect 3 s’évertue à nous montrer différents aspects de la civilisation galactique, depuis les hautes sphères de la diplomatie jusqu’au quotidien des civils. Une fois de plus, c’est à travers Shepard, et lui seul, que le joueur observera la galaxie aux prises avec la lutte finale contre les Reapers.
Il y a là quelque chose d’éminemment artificiel. On voit le commandant Shepard, héros galactique, tantôt négociant le destin de la galaxie et dirigeant des flottes entières, tantôt se promenant comme incognito dans les bas-fonds de la Citadelle où il règle des problèmes triviaux. Cela tient sans doute à une sorte de fétichisme du personnage-joueur, qui pousse les développeurs à faire comme si la dissonance n’existait pas. On aurait très bien pu imaginer une narration chorale, laissant les tranches de vie à des personnages secondaires comme James Vega, tandis que le sauveur de la galaxie se concentrerait sur sa mission. Mais le joueur est, désire être Shepard, sans pour autant abdiquer le droit imprescriptible à la quête secondaire.
Il y a quelque chose du picaro chez Shepard, à ceci près que contrairement au personnage du roman de formation espagnol, qui gravit progressivement les échelons afin de nous en montrer différentes coupes, le héros de Mass Effect 3 passe tel un caméléon d’un statut social à l’autre selon les besoins de la narration ou du gameplay. Général et simple fantassin — il faut bien qu’il le soit pour qu’on goûte aux joies du TPS —, diplomate et coursier, Shepard est le point de vue unique, la seule fenêtre sur l’univers : qu’on ne s’embarrasse pas de cohérence.
Sauveur à sauver ?
Cette plasticité du personnage tient peut-être à la stature de sauveur galactique que veulent lui donner les scénaristes de Bioware. Shepard, le berger à une lettre près, déjà revenu d’entre les morts au début de Mass Effect 2 prend dans le troisième volet une dimension christique évidente. Jésus, alors qu’il devait racheter l’humanité du péché originel, ne prenait-il pas le temps de s’arrêter en route auprès des humbles, de changer l’eau en vin ou de rendre la vie à Lazare ? Le final ne tient-il pas du chemin de croix, reprenant même les stigmates et le « Éli, Éli, lama sabachthani ? » [3] La salvation est ici à choix multiples, et le joueur peut même se décider entre un Shepard partisan du « contrains-les d’entrer » ou prêchant plutôt « aimez-vous les uns les autres ».
Faut-il lire Mass Effect 3 comme une interprétation contemporaine de la Passion ? Ce serait peut-être aller vite en besogne. Il semble que le recours aux figures mythiques est avant tout une facilité narrative, qui permet en outre de flatter le joueur, ce qui n’empêche d’ailleurs pas le jeu de proposer de beaux moments de mélodrame endeuillé.
Shepard, souvent considéré comme un des personnages les plus mémorables de cette génération, porte en tout cas, en tant que focale des différentes exigences qui travaillent le jeu, des contradictions symptomatiques des problèmes de la narration vidéoludique. Mais cette relative défaillance du personnage en tant que figure narrative provient-elle uniquement de scénaristes aux ambitions disproportionnées par rapport à leur talent d’écriture ? Faut-il accuser les cadences infernales imposées par EA ? Ou plutôt les désirs contradictoires, impossibles à satisfaire du joueur ?
Le joueur, cet intrus dans le monde fictif, qu’il veut envahir, plier à ses désirs, arranger à sa guise, séduisant tous les garçons et les filles, arrangeant d’un clic les guerres, plongeant au cœur d’une action qu’il surplombe, sauvant la galaxie dans son fauteuil. Le joueur, qui s’il n’est pas constamment remis à sa place — comme dans Deadly Premonition ou L.A. Noire —, pose un danger permanent, voilà l’ennemi : Shepard a pu sauver la galaxie et éviter l’endoctrinement des Reapers, il ne s’est pas libéré de son marionnettiste. Si le jeu vidéo narratif doit passer par une ère du soupçon, ce n’est peut-être pas tant du personnage dont il s’agit de se méfier que de celui qui en prend le contrôle. En ce sens, les fans de Bioware qui se disent déçus de la conclusion d’une trilogie taillée selon leurs désirs, devraient se demander s’ils ne sont pas en train d’éprouver les limites du fan-service.
Notes
[1] On pourrait plutôt parler de post-RPG, tant la série s’est éloignée du genre pour proposer un third person shooter à multiples choix mélodramatiques ; d’ailleurs dans le troisième volet les marques ludiques de la nouvelle forme sont globalement en place. Nous aurons peut-être l’occasion de revenir sur les récentes évolutions du RPG grand public vers un nouveau genre, laissant aux indés le soin de proposer des expériences plus traditionnelles.
[2] Le débat, plutôt nauséabond, aura lieu hors du jeu, certains réactionnaires critiquant la présence de personnages homosexuels dans le jeu
[3] En général les traducteurs des Evangiles gardent la formule en araméen afin de reproduire tel qu’il a été prononcé le moment de doute du Christ sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Vos commentaires
FatMat # Le 11 avril 2012 à 11:38
Ce jeu est une machine atrocement compliquée, en grande partie parce qu’il est censé intégrer les apports des deux précédents.
Je m’en suis rendu compte à mes dépends en jouant avec une sauvegarde tweakée pour conserver les relations avec les personnages qui m’avaient intéressées dans les épisodes précédents. Je me suis retrouvé avec un Shepard tout puissant, capable de tout résoudre ; ce qui correspond sans doute à ce qu’attend une partie des joueurs, mais qui en l’occurrence gâchait complètement le jeu.
En bref : ME ne va pas assez loin pour mettre des coups au joueur et dénoncer son fantasme de toute-puissance ; mais le peu qu’il fait dans cette direction lui a déjà été tellement reproché !
Guy Vault # Le 11 avril 2012 à 14:11
Joli sujet. Avec une argumentation qui me plaît.
Pour ceux qui ont fait un peu de jeu de rôle sur papier, le Deus Ex Machina de fin de partie est souvent très mal vu dans la communauté et pointe généralement du doigt le manque d’imagination narratologique d’un maître du jeu. A bon entendeur :p
Concernant le final de Mass Effect 3 (et sa brutalité - dans le sens "manque d’explication"), du côté de BioWare, les langues ne se sont pas encore totalement dénouées, et même si ça commence à bouger, je pense que nous sommes loin d’avoir toutes les cartes en main pour comprendre pourquoi les 15 dernières minutes ont tant déçu une partie (majoritaire, je crois) des joueurs. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un manque de fan-service. Je crois surtout que la personne en charge de la validation du scénario n’a pas eu le temps de prendre suffisamment de recul pour se rendre compte qu’il y avait plusieurs cases vides dans son dénouement. Que l’ensemble manquait de clarté,du moins. Ça ressemble tout net à une fin rushée, par manque de temps, ou suite à une changement de cap de dernière minute. Les rumeurs vont bon train à ce sujet, mais tous les stigmates vont dans ce sens.
Accessoirement, c’est également en contradiction avec les communiqués presse de BioWare : cher fans adorés, on vous le promet > pas de dénouement avec un système de choix multiples A - B - C ; pas de The End façon Lost ; tous vos choix dans les précédents épisodes seront pris en compte et auront une incidence énormes ; blablabla...
Perso, les deux promesses non tenues ne me dérangent pas tant que cela. J’étais même pas au courant de ces effets d’annonce à prendre TOUJOURS avec des pincettes. Ce qui est regrettable, c’est que les choix - issus souvent d’un dilemme dans les précédents opus - du joueur se soient transformés en simples données pour gonfler un "war assets". Et pis c’est tout. Car en refaisant cet épisode côté Conciliant ou côté Pragmatique (la neutralité ayant disparu), le jeu reste sur les mêmes rails, ne propose pas de réelles alternatives, troque les pertes importantes par des remplaçants de dernières minutes, berne nos actions passées par des pirouettes scénaristiques (cf. la Reine Rachni). Et ce, justement, pour ne pas léser la plupart des joueurs, pour ne pas leur enlever du contenu. Et là, je crois que les développeurs, en plus de tuer le replay value de la franchise, n’ont pas eu assez de testicouilles pour bousculer les facilités d’un récit linéaire et plus ou moins identiques pour tous. Ils se sont pliés à la masse, ont fait trop dans le fan-service, justement.
En comparaison, on est à des Km de la richesse de The Witcher 2 qui par exemple, à partir des choix faits dans le premier chapitre, bouleverse complètement la tournure du second. Et lorsque je dis "complètement", c’est sans (trop) d’exagération (environnements ; quêtes...). Techniquement, c’est donc possible. Pendant un segment assez long, il y a moyen qu’un joueur ne vive pas la même chose que son voisin en fonction des dilemmes qui lui sont proposés. Que cela l’incite à revenir au jeu pour découvrir d’autres chemins, et d’avoir une vue d’ensemble plus riche (car partiellement tronquée avec ce genre d’embranchement). Évidemment, ce type de prise en compte demande deux ou trois fois plus de travail. Reste à voir si The Witcher 3 (fin d’une trilogie) embarquera autant d’alternatives dans son final. Ma main à couper que oui.
Tout ça pour dire que Mass effect 3 n’est clairement pas fait à la manière d’Un Livre Dont Vous Êtes le Héros. Je crois que c’est fondamentalement ce qui a le plus déçu les joueurs (plus que la fin à choix multiples). Les alternatives sont peu nombreuses et n’apportent (ou n’enlèvent) aucun évènement supplémentaire marquant en cours de route. Ah si ! Ceux qui ont acheté les DLC auront des quêtes secondaires supplémentaires. Et si t’as été perfect, tu débloques une "fin alternative". Pour le reste, l’aventure est plan-plan, et les actions, sans réelles conséquences.
Enfin, faisant parti des joueurs qui n’ont pas adoré la fin de Mass Effect 3, j’avoue que j’ai pas eu de bol : deux mois auparavant le test de Mass Effect 3, j’avais refait un run de Deus Ex (premier), et les correspondances trop grosses entre leurs deux finish m’ont fait sursauter de ma chaise. Je veux bien que le producteur exécutif Casey Hudson soit fan de Warren Spector, mais de là à s’en inspirer plus que de raisons alors que le background de Mass Effect est tout de même à l’origine un truc suffisamment riche pour s’en échapper, j’ai cru à la grosse boulette en voyant cela. Ou alors, c’était inconscient de sa part, ce qui est une possibilité.
De toute façon, je n’aime pas les fins à choix multiples servies sur un plateau d’argent. Je préfère les softs qui prennent en compte tes actions, t’orientent au fur et à mesure vers une des alternatives, sans te laisser l’opportunité de voir les autres chemins possibles à la toute fin. Le principe des 3 boutons m’horripile, quelque soit le jeu (sur Deux Ex HR, j’avais pas adhéré non plus). Cela a tendance à bousiller l’envie de relancer le soft pour explorer d’autres voies, et être récompensé en conséquence. Ceci dit, sur Mass Effect 3, cela n’aurait pas été hyper enthousiasmant non plus si les devs avaient imposé ce type d’orientation drastique, les différentes fins proposées étant graphiquement quasi-identique - surtout lorsqu’on est daltonien.
BlackLabel # Le 13 avril 2012 à 17:34
Martin Lefebvre,
On aurait très bien pu imaginer une narration chorale, laissant les tranches de vie à des personnages secondaires comme James Vega, tandis que le sauveur de la galaxie se concentrerait sur sa mission. Mais le joueur est, désire être Shepard, sans pour autant abdiquer le droit imprescriptible à la quête secondaire.
Ou encore le développeur décide tout seul "Le joueur préfère être Shepard". Ou encore il n’a même pas pensé à cet aspect jeu choral. Ce que je veux dire c’est que moi aussi ça me dérange beaucoup dans les RPGs ce côté grand héros qui pourfend des empires... et larbin qui va dégoter de la bibinne pour un PNJ insignifiant entre deux grosses missions.
Ça pose le problème de la quête secondaire. Souvent les quêtes secondaires ne conviennent pas au héros, mais en y regardant bien elles ne conviennent pas non plus au joueur qui se retrouve avec des objectifs médiocres à compléter pour récupérer la plupart du temps des récompenses tout aussi médiocres. C’est le gonflement artificiel de la durée de vie dont il est question.
Martin Lefebvre # Le 13 avril 2012 à 18:51
J’aime assez les quêtes secondaires. Surtout qu’elle ont un sens narrativement ici, même si elles sont parfois de simples fedex : elles servent à nous montrer la situation du point de vue des civils.
Il y a des jeux qui intègrent mieux les quêtes secondaires narrativement : dans Deadly Premonition — qui est une fois de plus inspiré par Twin Peaks — le détour fait partie de la méthode d’investigation de York, c’est une manière de connaître les habitants. L’important est de prendre son temps.
Dans Nier tu joues une espèce de guerrier sur le retour factotum, qui aide les gens parce qu’il faut bien survivre, et que dans un univers post apo il faut se serrer les coudes.
Juste c’est pas possible pour un héros galactique de faire ça.
Rudolf Hoax # Le 14 avril 2012 à 02:22
En fait le problème originel de la quête secondaire, à mon sens, est un défaut qui tient à la structure traditionnelle du rpg, qui doit gérer à la fois une progression du joueur par niveau de personnage (nécessairement linéaire), et une progression narrative, qui est, dans une marge plus ou moins étroite aménagée par le jeu, entre les mains du joueur (d’une linéarité relative, voire non-linéaire).
Les quêtes secondaires, dans leur ensemble, n’ont pas pour fonction le développement de la narration et du roleplay, mais le gain d’expérience. Pour éviter que le joueur voie sa progression freinée par des failles de game design, les développeurs ont tendance à l’abreuver de ce genre de quêtes utilitaires au détriment des autres. D’où cette rupture d’immersion brutale et presque systématique dans l’open-world rpg, où un personnage expérimenté voire carrément grosbill se voit toujours proposer d’aller à la chasse aux poules.
Le système de guildes des elder scrolls avaient tenté de concilier les deux, en proposant des quêtes de plus en plus difficiles à mesure que le joueur augmente de niveau tout en progressant dans la hiérarchie sociale ; dragon age 2, d’une façon plus maladroite et limitée par un game design paresseux et bâclé, avait tenté d’adapter sa trame narrative au principe quasi-récurrent du rpg (partir de rien pour arriver au sommet, en l’occurrence de pécore à aristocrate). On y était, en l’occurrence, très proche du héros picaresque cité dans l’article. Dans le premier cas, l’auto-leveling a fini par fausser la donne (rendant la progression de niveau presque superflue), et dans le second, la tentative avait eu lieu, paradoxalement, au détriment des quêtes secondaires, intégrées artificiellement à la trame principale et rendues obligatoires pour avancer.
Dans mass effect, fonctionnant sur une unité de temps plus réduite, et un enjeu plus pressant, la parade à la dragon age 2 est impossible. Le problème relève aussi de la nature de Shepard, héros de guerre dès l’intro du premier volet, bombardé super-agent intergalactique dans les premières heures de jeu, n’a plus rien à accomplir, sinon l’impossible (et éventuellement, la transcendance, la sainteté, issue maladroite à laquelle Bioware a été acculé en faisant naître son personnage déjà trop haut). Shepard est un héros de tps, d’action pure, il n’a pas le temps de l’introspection et de la montée en puissance. Son arc narratif ne s’y prête pas. C’est un personnage malade de devoir respecter certains codes du rpg tout en lorgnant vers d’autres horizons, et toute la structure du jeu en pâtit.
S’agissant de la fin elle-même et du phénomène de rejet (assez unanime, pour être honnête) qui l’a suivie, je ne sais pas si elle est tant significative des désirs contradictoires des joueurs que de ceux des développeurs eux-mêmes.
Il y a, certainement, derrière la véhémence que suscite la conclusion, la frustration de se voir confisqué, arbitrairement, un personnage qu’on a cru s’approprier. La marge d’appropriation était, concrètement, très faible, mais jouait sur quelques paramètres clés, comme les affinités avec les npc et la tonalité des répliques, pour investir le joueur dans l’intimité de son avatar. The Witcher, à l’inverse, laissant beaucoup de latitude dans l’influence sur le monde et ses évènements, place une distance entre le joueur et son héros, taiseux et indifférent à une humanité qui le traite en étranger. Geralt ne s’implique pas, le joueur non plus. Il baise à droite à gauche, tranche deux ou trois têtes couronnées, mais reste à la marge. Shepard, héros solaire qui fait péter l’audimat en prime time, semble garder la tête froide pendant que sa gloire monte à la tête du joueur. On ne peut évidemment pas nier que ce racolage violent soit en partie à l’origine du scandale
Est-ce pour autant une impasse ? Il aurait été difficile de combler les attentes des joueurs de façon exhaustive (mes attentes en matière de roleplay, personnellement, ont été foulées au pied dès le premier volet), c’est évident. Mais n’importe quelle autre fin, même médiocre, aurait été mieux reçue à condition de laisser la bride sur le cou du joueur au lieu de l’attirer à soi d’un coup sec (un choix artificiel, entre un sacrifice larmoyant et un happy end complet, aurait brisé le scepticisme de la majorité des joueurs, ayant accepté de se prendre au jeu).
Le problème n’est pas que les développeurs ont racolé trop large, ni qu’ils ont fait miroiter l’impossible en preview. Les pires fanboys étaient préparés à une déception. Le problème est qu’ils (ou plutôt Casey Hudson tout seul, si j’ai bien compris) ont pris le contrepied de ces attentes, pour des raisons personnelles, en l’occurrence ce complexe de plus en plus répandu chez les concepteurs de jeu vidéo... de faire des jeux vidéos.
Casey Hudson l’a dit lui-même, la première fin, tonitruante et épique, était trop "video-gamey" à son goût. Un peu comme JJ Abrams ayant avec LOST décidé d’abandonner le feuilleton pour s’improviser métaphysicien, Hudson a voulu faire de la grande SF, un lamanièredeux brassant les références du genre avec autant de finesse qu’il brassait auparavant les références d’actioners des années 80. Il est symptomatique de cette génération de lead designers aux cheveux propres, beaucoup plus proches de nos managers tutoyeurs sympas en costard jules que du traditionnel geek obèse associé à la profession dans l’imaginaire collectif. Génération à la fois trop inculte et servile pour l’innovation réelle (écrasée sous le poids de références mal maîtrisées), et trop rance, trop vieillie pour le strict plaisir ludique. Pas assez immature, et pas assez brillante, manquant de légèreté autant que de profondeur.
Jérôme # Le 20 avril 2012 à 01:13
C’est juste que la cohérence d’une continuité narrative n’est pas compatible avec le jeu vidéo. Le refuser c’est se prêter aux contradictions.
Manveru # Le 1er décembre 2012 à 18:06
Ah, yes, Mass Effect 3 ending, we dismissed this claim …à paraphraser le jeu lui même sur le sujet des Reapers. Je pense que la déception profonde des joueurs sur ce Mass Effect est liée à une perte de contrôle du jeu par Bioware, comme quelqu’un a dit ci-dessus, les créateurs des le début ont donné trop de momentum à Shepard qui d’amblé a grandi tellement qu’il ne pouvait pas faire d’autre chose que de faire l’impossible (’against all odds’ comme disent les anglo saxons) ou encore devenir un sort de "dieu". Mais ceci n’est pas le pire, car « l’impossible » souvent est faisable, même dans la vraie vie… mais :
Au travers des 3 jeux, Bioware a planifié de donner le choix au joueur : ceci a plutôt bien marché entre ME1 et ME2 (possibilité d’importer la personnage avec les choix faites dans le volet précédent)… cet aspect était complètement gâchis dans ME3 (exemple : sacrifier ou sauver le conseil galactique ne change pas grande chose dans ce jeu, la même chose revient pour les Rachni et plein d’autres décisions importantes prises dans les deux premiers jeux). Les fins étaient un coup de grâce, avec leur choix « imposé » par Deus Ex Machina, qui fait une abstraction complète de tout ce qui était fait par Shepard – Joueur dans le reste du jeu. Bioware a complètement perdu la contrôle sur les choix données aux joueurs et ils sont bâclés à la manière brutale ces choix (pour fournir un effort financier, humain et planning maitrisé dans le développement du jeu), ce qui revient à annuler les décisions prises par joueurs, pourtant avec liberté donné précédemment par les développeurs du jeu. La fin du jeu était élément le plus brutal, car il enlève la raison de faire les 3 jeux (après tout Deus Ex Machina a déjà tout décidé, résolu … rôle de Shepard, de joueur, mais également tous les sacrifices des alliées de Shepard, de ses coéquipiers sont sans importance, un approche nihiliste par excellence)
Peu importe ce que voulait Casey Hudson, mais il a failli et ruiné dans ces 15 minutes de la fin toute le mythe, légende de la série Mass Effect qui commençait de naitre. Il a ruiné 8 ans de son propre travaille, triste fin d’une histoire qui a dépassé un de ses architectes.
Certains peuvent dire que je suis biaisé, je ne pense pas, bien que j’étais un des « retakers » qui ont contesté des fins originales. Des nouvelles fins (Extended Cut) ne réparent pas ce qui est irréparable (la cohérence narrative notamment, pour ceci il faudrait réécrire carrément le jeu en entier). Ils rendent néanmoins le jeu jouable de nouveau, car même si ceci n’a pas de sens à la fin, au moins le nihilisme a disparu pour des explications, épilogues plus développés … mais l’excellence blessée n’est plus une excellence ! Mass Effect était jeté de son piédestal et se retrouve désormais avec tout le reste de production pour les masses, même s’il représente une très bonne qualité la plupart de temps.
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