12. Poisson frais

Wargame : Red Dragon

Chez Eugène

Alors que Wargame : Red Dragon sort en ce moment, discutons-en avec MadMat, community manager chez Eugen Systems.

Le cessez-le-feu coréen est rompu, les frégates japonaises hissent leur pavillon rouge et blanc, les chars russes arrivent à la rescousse. Dans l’uchronie sauce guerre froide de Wargame, on arrive jusqu’à 1987 et le dégel n’est pas prêt d’avoir lieu.

Avec European Escalation, Eugen Systems avait l’ambition de donner un bon coup de dépoussiérage dans le monde des RTS, dominé par le modèle à la Starcraft ou Command & Conquer. Pourquoi inventer des unités fantaisistes, alors qu’il y en a tant de réelles à notre disposition ? Le matériel militaire russe, américain ou norvégien est reproduit ici avec la fidélité du modéliste. La collecte de ressource est simplifiée à l’extrême, pour que la stratégie cède à la tactique. Le principe de base du pierre-feuille-ciseaux complexe est gardé, mais de telle manière à ce que le joueur soit forcé de mettre en place des troupes mélangées pour parer à toute éventualité. Un bataillon de tanks sans reconnaissance ni support anti-aérien ne fera pas long feu.

Le tout servi dans une interface efficace : c’est propre, c’est crédible, c’est militaire. Il est sans doute difficile d’apprécier Wargame si l’on est complètement antimilitariste et insensible aux grosses cylindrées kaki. Avant de commencer à jouer, le joueur doit absorber un gigantesque défilé du 14 juillet pour composer son deck de troupes [1]. Ce qui a tôt fait de transformer les joueurs en pseudo-spécialistes de la guerre moderne.

MadMat, principal porte-parole d’Eugen Systems, nous parle un peu de la série en général, des choix qui sont faits.

Qui es-tu, MadMat ?

Lorsque je ne suis pas le justicier du forum, usant de mon identité secrète, mon nom est Matthieu Brevet.

Je suis Assistant Producer chez Eugen après y être entré comme Game Designer. Je m’occupe principalement de l’aspect historique (liste d’armées par pays, données techniques des unités, recherche et écritures des contextes de scénarios, ...) et du community management sur le forum.

On a parlé récemment sur merlanfrit d’une "touche française". S’exprime-t-elle dans la série Wargame ?

Nous l’espérons ...

Je pense que la French Touch s’exprime entre autre dans Wargame dans le traitement non-manichéen des deux camps. Nous n’avons pas voulu réduire la Guerre Froide à une lutte entre les gentils défenseurs de la liberté et les infâmes communistes. Comme on le voit dans un traitements hélas encore trop souvent hollywoodiens de cette période, que ce soit dans les jeux vidéo ou film.

Après la sortie de European Escalation, nous avions d’ailleurs reçu des commentaires de journalistes d’anciens pays de l’Est qui disaient avoir été agréablement surpris par la manière non-partisane dont étaient présentés leurs pays. Nous avions en effet fait en sorte, à travers le contexte des différents scénarios, de montrer la montée à la guerre comme une escalade (d’où le titre) des deux camps, plus souvent basée sur une incompréhension et incapacité à communiquer que sur une réelle volonté maléfique d’une partie.

Le titre est en anglais, suivant la norme. Mais pourquoi un RTS dynamique s’appelle-t-il "Wargame", qui désigne plutôt un jeu en hexagones au tour par tour ?

Justement parce que c’est un hommage aux classiques du wargame papier ou PC auxquels nous jouions dans notre "lointaine jeunesse", un genre que nous voulions ramener sur le devant de la scène en le modernisant. Le tour par tour et les hexagones sont l’un des aspects qui repoussaient les joueurs plus génériques, or nous avons voulu démontrer qu’on pouvait amener le wargame, un jeu basé sur la connaissance des forces et faiblesses techniques des unités et sur l’anticipation plus que sur la réaction, dans l’ère moderne.

Le temps réel a davantage les faveurs du public, et nous espérons avoir réussi à conserver la complexité et la richesse du wargame dans un RTS.

L’esthétique d’European Escalation est encore très épurée.

La série est reconnue pour sa haute qualité et son suivi. Mais on voit aussi régulièrement des commentaires du genre : "Wargame a l’air excellent, mais je ne m’y suis pas encore mis", comme si le jeu faisait peur. D’un côté l’interface est simple à prendre en main, mais de l’autre il y a cette abondance d’unités dont il faut se dépatouiller. Quelle est exactement votre position, plaire aux spécialistes de tanks russes, ou ouvrir le jeu au plus grand nombre ?

L’accessibilité à Wargame est un problème sur lequel nous avons planché à chaque nouvel opus. Nous ne souhaitons pas altérer l’aspect "technique" des unités et de l’armurerie, mais mettons en place des aides et tutoriaux pour permettre aux néophytes de s’y mettre.

"Facile à prendre en main, difficile à maîtriser" a été plus ou moins été l’esprit du jeu : qu’un joueur de RTS y retrouve rapidement ses petits (mouvements, attaques, regroupement, ...) mais que les subtilités s’apprennent sur le tas.

Wargame a une courbe d’apprentissage rude, nous en sommes conscient et nous évertuons à la lisser, mais pas à la supprimer.

Le gros morceau, c’est l’équilibrage. Vous voulez un jeu intéressant et qui permette la compétition, or il y a littéralement des milliers de valeurs à ajuster une par une. Les retours des joueurs se partagent entre ceux qui pointent de vrais problèmes et ceux qui viennent se plaindre parce qu’ils sortent d’une grosse dérouillée méritée ; il est difficile de faire le tri. En pratique, comment vous gérez tout ça ?

Séparer le bon grain de l’ivraie parmi les retours du forum est une science !

Nous jouons nous même à Wargame, donc nous avons une idée des problèmes et abus, aussi sommes-nous plus à l’écoute de solutions/analyses concernant des problèmes ou déséquilibres dont nous sommes conscients. Nous sommes plusieurs à parcourir le forum, listant les propositions/remarques que nous jugeons intéressantes, et nous en débattons ensuite.

Pour le reste, nous avons un groupe de joueurs, les Maréchaux, qui agissent comme intermédiaires entre la communauté et nous, nous remontant problèmes et propositions.

Les batailles à 10 contre 10 apparaissent dans Airland Battle : souvent brouillon, mais parfois très rigolo.

À partir d’Airland Battle, la campagne solo est devenue une carte stratégique. Sur celle-ci, les Total War et surtout les jeux Paradox prétendent "réécrire l’Histoire", où le rapport des forces est déséquilibré par définition. Est-ce que ça a un sens dans Wargame, volontairement très symétrique ?

Tout dépend du scénario choisi.

On peut avoir une situation de départ très déséquilibrée, avec un camp disposant de la surprise stratégique et donc ayant la possibilité d’obtenir une supériorité numérique ou opérationnelle sur un secteur, comme un scénario "mur de boucliers" avec les deux camps de puissance égales et poussant devant eux, comme Fulda.

Dans Red Dragon, l’aspect naval demande une tactique très particulière et surtout disjointe du champ de bataille terrestre. N’avez-vous pas peur de disperser le joueur, qui a déjà bien du mal à s’occuper d’un seul flanc ?

La mer est un aspect du champ de bataille, mais nul ne gagnera ou perdra une bataille seulement sur mer.

Comme l’aspect aérien, où un joueur qui ne souhaiterait pas jouer les avions pourraient toujours contenir ceux de l’ennemi avec sa DCA, on peut gagner sans s’investir dans la guerre navale. Il faudra toutefois savoir contrer les manœuvres de l’adversaire et prévenir les débarquements.

Au ciwscours ! (Red Dragon)

La chronologie est repoussée jusqu’à 1991 — et ce n’est pas que parce que vous êtes fans du char Leclerc. Comment les nouvelles unités changent-elles les options tactiques ?

La principale nouveauté tactique ne vient pas des unités les plus modernes, mais de la capacité amphibie désormais implémentée.

Entre les montagnes qui ne sont désormais plus des zones impassables, les rivières qui ne sont plus des murs infranchissables et les zones navales permettant d’opérer des débarquements sur les arrières de l’ennemi, Red Dragon s’avère beaucoup plus nerveux et portée sur la manœuvre que ses prédécesseurs.

D’autant que les cartes sont généralement plus grandes, ce qui accentue encore ce côté grandes manœuvres et planifications de mouvement sur le long terme. Il n’y a plus de "goulets".

Plus récemment encore, la guerre moderne, toujours plus électronique, a-t-elle les moyens de fournir un jeu intéressant ?

Ce serait un autre jeu, certainement intéressant mais qui nécessiterait d’autres mécanismes.

Nous avons volontairement limité la période de Wargame à la Guerre Froide (même repoussée à 1991) justement pour éviter la guerre "pousse bouton" avec les munitions guidées.

D’ailleurs, n’y a-t-il pas une certaine pudeur des développeurs à ne s’occuper que des conflits plutôt vieux, qui se sont tassés ? On a "le droit" de parler de guerre froide, qui est révolue, mais les jeux qui traitent de conflit occident-islamiste se comptent sur les doigts d’une main ...

En Histoire, on considère qu’on ne peut vraiment avoir du recul pour analyser un conflit qu’après une cinquantaine d’années. Il en va sans doute de même pour le jeu vidéo, avec peut-être une "période de sécurité" plus courte.

Si les conflits du XXe siècle étaient des conflits d’idéologie clairement définies, les conflits modernes sont de basse intensité et ont des implications davantage religieuses et sociétales, deux données nécessitant sans doute beaucoup plus de finesse dans leur approche.

En outre, l’intensité des combats modernes ne convient pas forcément à certains types de jeu : si on peut faire un FPS prenant les récents conflits d’Irak ou d’Afghanistan comme cadre, ceux-ci n’auraient guère d’intérêt pour un RTS.

On a eu successivement l’Armée de Terre, l’Air et la Marine. Faut-il en conclure que la série est terminée ?

Non, Wargame peut encore apporter de nombreuses nouveautés.

Toutefois, nous allons mettre la série en pause un temps après Red Dragon pour revenir à un RTS plus classique : Act of Aggression.

C’est donc tout chaud, ça vient de sortir : un mot sur Act of Aggression, le nouveau RTS d’Eugen ?

AoA trouve son origine dans notre désir de revenir aux "fondamentaux" du RTS et proposer au public un RTS "à l’ancienne" (ambiance techno-thriller, construction de base, économie, ...) mais modernisé par nos soins.

Comme nous avions eu le désir de remettre au goût du jour les wargames d’antan avec Wargame : ainsi, la boucle est bouclée ...

Notes

[1] Il y a bien sûr des deck pré-composés ; mais de toute façon, il faut très rapidement se renseigner sur chaque unité. Par contre, il est fortement conseillé de commencer par se restreindre à l’une des deux forces principales, USA ou URSS.

Il y a 3 Messages de forum pour "Chez Eugène"
  • SkyzoQuiche Le 23 avril 2014 à 15:58

    Wargame a l’air excellent, mais je ne m’y suis pas encore mis.

    Le problème, quand on est fan de RTS, c’est que ce ne sont généralement pas de petits jeux d’action fini en 15h ! Et quand on en accroche un, il est dur d’en sortir pour aller voir le voisin.

    Laurent, as-tu pris la peine de passer quelques heures sur le jeu ? Quel est ton ressenti ?

  • Laurent Braud Le 23 avril 2014 à 17:29

    Bien sûr, je suis la série depuis European Escalation. Cela dit je ne suis pas un spécialiste du genre, et je n’ai pas vraiment regardé à côté : comme tu dis, un seul jeu prend déjà du temps.

    Le jeu en lui-même est très bon. C’est simple et très efficace ; par exemple toutes les unités répondent aux mêmes ordres (dans la limite de leur armement et moyen de déplacement, et à une ou deux exceptions près). Les graphismes sont suffisamment réussis pour qu’on passe son temps dans les replays à regarder du tankporn. Après on peut discutailler de problèmes d’équilibrage mais c’est déjà du détail.

    Le problème réside principalement dans l’apprentissage. Pour jouer en multi il n’y a pas le choix : il faut apprendre et comprendre comment manipuler chaque unité. Comprendre la différence entre un ZTZ chinois et un T80-UM russe, et savoir comment y répondre, apprendre à diriger l’infanterie efficacement, etc. Donc ça peut être assez frustrant de se lancer dans le multi parce qu’on perd pendant longtemps. La communauté est petite, elle est donc assez resserrée autour de bons joueurs et il faut jouer des coudes.

    Il y a tout de même plusieurs solutions pour démarrer. La campagne solo est très chouette et elle force à voir pas mal d’unités, mais le comportement de l’IA n’a rien à voir avec un vrai joueur, donc ça ne fait pas progresser sur ce plan-là (mais je dirais qu’elle vaut le coup, même si c’est un peu court, on peut penser qu’il y aura d’autres scénarios). Les parties 10v10, où la stratégie générale est dans les choux, permettent de voir quand même des choses. Les communautés de joueurs permettent vraiment de progresser si on demande gentiment. Ah et il y a un guide assez long qui se lit bien.

    Personnellement, avec tout ça, je suis toujours très mauvais. Mais je m’amuse bien, sans aucun doute.

  • SkyzoQuiche Le 23 avril 2014 à 18:17

    Merci pour les précisions ! Je suppose qu’il est quand même possible de faire des LAN entre potes. Ça pourrait nous changer de AoE2 et Starcraft 2.

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