Dire que j’attendais Catherine avec impatience est un euphémisme. Un jeu de la team Persona, qui aborde des thèmes aussi sensibles que le couple, l’adultère et l’entrée dans la vie adulte, voilà un cocktail qui ne pouvait que m’allécher. Et ne parlons pas des tests des versions japonaises ou américaines parus dans la presse vidéoludique française. Tous affirmaient d’une même voix qu’au delà de l’expérience ludique, Catherine était également une belle séance d’analyse pour les personnes approchant ou étant en plein dans la crise de la trentaine.
Imaginez donc mon état d’excitation le jour où j’ai reçu le jeu. Oui, j’étais prête à me prendre une claque mentale, et à me replacer dans des situations vécues qui s’approchent plus ou moins de la thématique du titre. Sauf que j’avais omis un élément de taille : je suis une femme. Catherine m’a remise face à mon genre, alors que ce dernier ne m’avait jamais posé problème pour m’investir dans un jeu vidéo. Et pourtant, dieu que l’on a pu me demander si ça me gênait d’incarner un homme (non), une femme ultra-sexuelle à gros seins (non), ou si je me sentais indignée par la représentation caricaturale de la femme dans le jeu (il n’y a pas que ça non plus). Il m’aura donc fallu vingt ans d’expérience vidéoludique pour qu’un jeu m’exclue de sa narration.
Un jeu éminemment masculin
Avant même que je n’installe le DVD, un ami a pointé le problème que je risquais de rencontrer en jouant à Catherine. Alors que je lui expliquais le principe du jeu, et le dilemme moral qui s’y pose (rester en couple avec sa compagne de longue date et se marier, ou bien tout envoyer valser pour une autre), il m’a répondu : “mais, tu ne vas pas avoir du mal à t’identifier à ça en tant que femme ?”. J’ai ri en lui disant que je ne voyais pas le problème ; au pire il me suffirait de transposer mon expérience à celle du jeu - j’avais déjà vécu une situation qui présente certaines similarités avec celle de Catherine.
Je me suis rendue compte assez vite de mon erreur. Catherine est un jeu éminemment masculin, fait par des hommes pour des hommes. Pas que le héros du jeu, Vincent, me déplaît -c’est un personnage très intéressant -, mais ses dilemmes moraux ne sont pas les miens. Pour caricaturer grossièrement, Vincent hésite entre la maman (Katherine, gentille mais autoritaire) et la putain (la jeune Catherine, son corps de rêve et son grand appétit pour le sexe).
La maman et la putain
Le pilier du jeu est l’hésitation entre les conventions et la liberté, avec les risques que cela comporte des deux côtés. Ce sont des choses que les femmes vivent aussi, évidemment. Que les (jeunes) hommes qui lisent ces lignes n’aillent pas croire que les filles rêvent forcément mariage et layette avec leur homme du moment. Elles peuvent être avec quelqu’un sans avoir envie d’aller plus loin. Ou leurs certitudes de couple peuvent voler en éclat avec l’arrivée (ou le retour) d’une autre personne dans leur vie. C’est précisément l’intrigue de Catherine, mais le point d’hésitation se fait ici, comme on l’a dit plus haut, entre la maman et la putain. Or, je connais peu de femmes qui hésitent entre un homme qui sera sanctifié par son statut de père et, disons-le vulgairement, un queutard. Le sexuel et l’esprit de conquête n’est pas au cœur du débat.
Le clivage féminin est légèrement différent, et a été abordé à de nombreuses reprises dans la littérature (classique et moderne), le cinéma et les séries télé. Certains l’appellent “nounours vs bad boy”. D’autres “mec bien vs connard”. Ce clivage peut être perçu comme aussi caricatural que “maman ou putain”, mais il se voit hélas souvent dans la vie quotidienne. Que celle qui n’a jamais pleuré pour un homme médiocre sans même remarquer l’être aimant qui veut essuyer ses larmes me jette la première pierre. Sans compter celles qui sont tentées de tout envoyer valser pour retrouver les frissons de l’incertitude (ne va-t-il pas se lasser en quelques mois ? m’aime-t-il vraiment ?)
Nounours vs badboy
Alors imaginons un jeu dans lequel je me serais reconnue, et qui m’aurait aussi fait vivre, ainsi qu’à de nombreuses joueuses, notre thérapie. Pour réellement m’investir dans Catherine, j’aurais voulu autre chose qu’une petite amie que l’on a du mal à aimer tant elle s’avère pénible au quotidien, et qu’une maîtresse beaucoup trop gamine dans ses actes et son expression. J’aurais voulu une amante qui me fasse des promesses qu’elle ne tiendra pas, qui souffle le chaud et le froid, qui me fasse douter de la sincérité de son amour avant que ces craintes ne soient balayées par un geste ou un mot. En face, j’aurais voulu une petite amie que j’aime sincèrement malgré l’ennui qui s’est installé entre nous, et pour laquelle je n’aurais qu’une seule crainte : lui faire du mal, alors qu’elle ne le mérite pas.
Catherine doit-il alors être boudé par la gent féminine ? Je ne crois pas. Même si nous ne vivrons pas l’aventure avec la même intensité que le coeur de cible, l’homme (pré) trentenaire, le jeu dépeint également un certain état d’esprit générationnel que les enfants, garçons et filles, des années 1980 connaissent bien : la difficulté d’entrer dans l’âge adulte, et de prendre son destin en main. Pendant un long moment, Vincent sera incapable de faire un choix entre Catherine et Katherine, et subira la situation, tout comme il subit un travail que l’on devine guère passionnant. Les amis du héros ne sont pas mieux lotis. L’un d’entre eux est amoureux d’une femme de son entourage déjà engagée, mais n’ose rien faire, dans l’attente probable que le couple se délite de lui-même. Un client du bar, “hub” du jeu, est fou amoureux d’une femme qui n’est pas issue de son milieu social, et n’a pas le courage d’assumer ce choix. Et tous n’ont rien de mieux à faire que de traîner les bars le soir en devisant sur la médiocrité de leur vie, en attendant une amélioration hypothétique de leur sort. Inutile d’être un homme pour se reconnaître dans ce portrait.
CatherineVincent"Vos commentaires
sseb22 # Le 17 février 2012 à 10:16
Merci pour cet article vraiment intéressant.
Ton point de vue est très pertinent, je n’y avais pas pensé sous cet angle
Sylvain # Le 17 février 2012 à 11:07
J’avoue, cette vision du jeu par une femme est vraiment très intéressante ! Merci pour cet article :)
David Barbosa # Le 17 février 2012 à 14:03
Très bel article pour un point de vue intelligent et pertinent. Je craignais que le texte soit articulé autour de la dénonciation de stéréotypes, un peu à l’instar de ce qu’avait écrit Moossye sur Playtime et sur son blog. Pourtant il décrit bel et bien une réalité selon moi sur le plan du clivage et du choix de mode de vie ; pas LA réalité bien entendu, mais un fait dont il est tout à fait légitime de tenir compte, et qui m’a parfois turlupiné. Sans compter le fait que j’avais exactement le même âge que Vincent lorsque j’ai joué au jeu l’an passé, dans sa version américaine.
Rappelons tout de même qu’il existe une autre raison de recommander Catherine à la gent féminine : c’est un excellent jeu vidéo. ;)
Amokrane # Le 18 février 2012 à 02:10
Je trouve l’article de Moossye aussi pertinent que celui d’Annabelle Barthet, les personnages très "magazines féminins", sexistes tant pour les femmes que pour les hommes, et les questions en tout ou rien nuisent quand même beaucoup au réalisme et au traitement d’un sujet qui parait très vaste. Le mode de vie a lui aussi nombre de nuances qu’il aurait été intéressant d’évoquer !
J’ai du mal à saisir l’engouement autour de ce jeu, c’est agréable de voir qu’il y a des critiques un peu moins emballées.
Game A # Le 31 mars 2012 à 23:46
Merci pour cet article qui tombe à point alors que j’entame le 8ème jour du jeu.
Tu expliques comment ce jeu t’a exclue en tant que femme, moi j’en suis à me demander en quoi il peut même intéresser un bonhomme - du moins sa cible désignée, le trentenaire.
Dieu sait pourtant que je suis bon client et victime fragile du retour de Saturne et des expériences psychanalytiques (Silent Hill Shattered Memories !) mais là, c’est vide, il n’y a rien.
Bien sûr, le jeu aborde l’insatisfaction, le deuil à faire du donjuanisme, mais pour qu’il y ait dilemme, il faudrait au moins qu’il y ait choix, ce que le jeu n’offre jamais (je ne compte pas les nuances de textos dans la mesure où ça ne précipite rien), pas plus qu’il ne permet d’apprécier les personnages féminins : on ne croise Catherine & Katherine que lors de saynètes trop courtes et sans grande tension.
Heureusement qu’il y a le bar, et c’est presque dommage que le jeu ne s’y limite pas (je préfère encore l’univers de Rapunzel à celui des cauchemars de Vincent - même si Rapunzel est loin de chercher à cerner une quelconque réalité de la vie de couple, c’est le moins qu’on puisse dire).
PS : pour la psychose du bébé qui fait son oedipe, Thunderforce VI fait encore plus fort.
Yuusha # Le 2 avril 2013 à 13:38
Très bon papier ! Je trouve ton analyse très pertinente et j’avoue n’avoir pas du tout percuté avant cela que le genre puisse parfois changer autant le ressenti face à un jeu.
Laisser un commentaire :
Suivre les commentaires : |