Un scarabée de métal, immobilisé dans la poussière du bas côté, luit couleur rouille dans le crépuscule. Cric en main, s’active à son chevet un punk desséché. No future. J’active la nitro, et l’horizon se fait tout petit, déchiré par l’accélération. Ca fait blam, ça couine acier contre acier, et ça fait boum, en langue de feu. Je braque triple-sec, les pneus crissent sur le gravier, on s’arrête. Je sors de la caisse, sous les acclamations de mon seul, et grotesque, ami. Je me précipite : il y a de la ferraille qui brille dans les dunes.
On a déjà écrit, ici ou là, que le Mad Max d’Avalanche (le jouissif Just Cause 2) valait sans doute mieux que l’indifférence que lui ont témoigné les testeurs. Avec mes huit heures au compteur, je suis loin d’avoir fini le jeu, mais je reconnais ses qualités, même si je suis moins enthousiaste que certains de mes camarades, ce qui explique d’ailleurs que je n’ai pas passé autant de temps qu’eux dans le désert post-apocalyptique. Mad Max est un jeu qui promet, et qui réussit même beaucoup de choses. Mais il reste trop cabossé pour tout à fait me satisfaire.
Open Wasteland
Intéressante, l’expérience l’est assurément. D’abord par le pittoresque de son décor, qui décline le désert en mille variations : l’immensité blanche d’où émergent les panaches de fumée d’une raffinerie lointaine, l’ocre des canyons, creusés de profonds tunnels, les rares bruyères battues par la tempête, les ergs semés de tankers corrodés... Autant de perspectives spectaculaires, qui confèrent aux lieux une singularité et qui permettent au joueur de s’orienter dans un espace paradoxalement plus diversifié, plus humains que beaucoup de ces grandes villes anonymes qui servent de cadre aux jeux AAA impersonels.
Ensuite, parce que même si le jeu nous guide avec ses missions, il nous donne aussi assez rapidement la possibilité d’explorer à notre guise, et de mener nos petites affaires : pour débloquer la suite de la campagne, il est souvent nécessaire de se procurer des pièces de ferraille ou de harceler les hordes d’ennemis, ce que le jeu nous laisse faire de la manière dont nous l’entendons. Attaquer un convoi lourdement défendu, prendre d’assaut une forteresse de tôle, plus modestement mener une action de guérilla contre les décharges, ou encore défier en duel les guerriers de la route isolés. On retrouve certes dans Mad Max tout l’attirail du jeu open world moderne : la carte à la Assassin’s Creed, avec ses lieux d’intérêt révélés à partir d’un point d’observation, les machins à récolter, les patrouilles scriptées, les mécanismes du RPG allégé, les bases à améliorer... Mais Avalanche a au moins le mérite de tenter de donner à cet hétéroclite bazar un rien de cohérence : plus qu’un héros, Max est un survivant, un opportuniste, un ferrailleur du désert.
Max et les ferrailleurs
Ce ne sont pas tant l’action ou l’exploration qui font tenir Mad Max, mais bien plus la gestion des ressources. Un peu comme si Avalanche avait essayé – mais pas tout à fait réussi, nous y reviendrons – de dissimuler sous l’open world à gros budget que Warner Bros lui a commandé, quelque chose d’un simulateur de petit commerce, d’un serious game sur l’investissement. Mad Max tient un peu d’un Euro Truck Simulator hyperviolent, frénétique, où la voiture bourrée de pics et chargée à la nitroglycérine remplacerait le placide Volvo.
C’est un peu comme si, plus que le taciturne Max, l’énervant Chumbucket, buddy et larbin autant qu’extension de la caisse, sorte de Gollum fan de tuning, était le vrai héros du jeu. Il en est en tout cas le principal moteur, et son culte de la bagnole, sa difformité grotesque, reflètent, de manière un rien ironique, le désir permanent d’upgrade qui nous guide.
Car le but du jeu est bien de transformer la carcasse trouvée par Max en « Magnum Opus », en bolide de cauchemar, en tire superlative, en bagnole pour les gouverner toutes.
Et pour cela, pas le choix, il faut récolter de la ferraille, puis l’investir pour en récolter plus encore. Au fil du jeu, Max se constitue un empire de la ferraille, en éliminant la concurrence, en formant ses équipes de récupération, en tissant un réseau de logistique, bref en menant son petit business de petit patron.
Cabossé
Tout cela n’est pas, loin de là, pour me déplaire : la soif d’accumulation est un profond moteur ludique, n’en déplaise à ceux qui oublient la suspension volontaire d’éthique et la mise à distance qui accompagnent la pratique d’un jeu. Malheureusement, il me semble que Mad Max, peut-être à cause de sa nature de jeu de commande, ne va pas au bout de ses idées. Les mécanismes du AAA, dont il parvient partiellement à s’arracher, le retiennent finalement, et finissent par l’entraver.
Mad Max n’atteint pas la cohérence de Just Cause 2 : dans celui-ci, tout n’était que destruction. Tous les systèmes de jeu fonctionnaient de concert, sans solution de continuité, pour nous entraîner dans une boucle de chaos rythmé d’explosions. Le dernier Avalanche n’a pas cette élégance. La ferraille est certes le nerf de la guerre, mais la bidulisation rampante, les plans semés au petit hasard, la complexité sans profondeur du système de leveling et l’arbitraire de certaines missions viennent gâcher la pureté de la proposition.
Le jeu est aussi victime de la séparation assez nette entre les phases en véhicule, souvent brillantes, et les passages à pied, bien moins convaincants. On peut certes tourner autour des camps ennemis en voiture, mais pas y pénétrer, il y a rupture. Et leur assaut, qui constitue le point d’orgue de la conquête territoriale, me paraît bien moins passsionnant que tout ce qui se passe au dehors. Il est vrai que je ne suis pas fan du système de combat inspiré des Batman de Rocksteady, mais j’ai vraiment, contrairement à Anthony Jauneaud, du mal à voir dans ces forteresses de bric et de broc des « bijoux de level design » : leur architecture est trop artificiellement labyrinthiques, ils sont trop pleins d’objectifs secondaires sans intérêt, et leur assaut s’éternisent. Je ne suis pas contre la répétition, mais quand la concurrence s’appelle Destiny ou Metal Gear Solid V, il faut élever le niveau, ce que n’a pas à mon sens su faire Avalanche, et la boucle ludique qu’offre Mad Max n’est pas aussi hypnotique qu’elle pourrait l’être.
Le jeu ne parvient pas non plus à totalement suspendre mon incrédulité. Il essaye d’apporter quelques gages de réalisme, ou du moins de consistance interne : mais il s’arrête à mi-chemin, le cul entre le survival émergent (les tempêtes, les mécanismes de ressource comme l’essence ou l’eau), et le jeu d’horloger (les convois qui tournent en rond, les combats en arène). Au final, cela ne fonctionne pas vraiment, parce que le jeu manque de cohérence dans ses représentations, oscillant entre le mimétisme – Max se baisse pour prendre l’eau des sources, il doit porter le jerrican jusqu’à la voiture — et l’abstraction – la ferraille est dématérialisée, on ne peut porter que quelques balles de fusil à la fois — Certains mécanismes tiennent du non-sens, et laissent un arrière goût prononcé de dissonnance ludo-narrative : alors que le pétrole est une ressource précieuse dans un monde post-apocalyptique dominé par les voitures, la capture de certaines bases implique... de dynamiter le puits d’extraction. Contrairement à un MGS V, dans lequel la plupart des éléments se combinent intuitivement pour le joueur, le monde de Mad Max semble soumis aux caprices des développeurs.
Le jeu de MicroProse qui n’a jamais existé
Je vais à présent commettre la chose que devrait s’interdire tout critique digne de ce nom : au lieu de continuer de parler du jeu tel qu’il est, j’ai envie de parler du jeu que Mad Max aurait pu être. A ma décharge, lorsque je roule dans les étendues désertiques créées par Avalanche, c’est ce jeu rêvé qui me fait tenir.
Ce que Mad Max aurait pu être, mais qu’il n’est pas, même s’il n’en n’est pas parfois pas si loin, c’est la version moderne des jeux MicroProse de la grande époque (de la fin des années 80 à 1996), celle où Sid Meier bouillonnait d’idées, et où il ne se contentait pas de jouer les consultants sur Civilization : ces jeux un peu bâtards, hybrides, dont le plus bel exemple reste Sid Meier’s Pirates ! (1987), mais je pense aussi à des expériences moins réussies comme le "simulateur" d’espionnage Covert Action (1990) ou l’hybride action-stratégie Sword of the Samurai (1989).
Et si Avalanche s’était sérieusement emparé de ce modèle de jeux qui multiplient les gameplays, pour faire de Mad Max un Pirates ! (ou un Elite pour revenir au modèle premier) de la route ? Après tout, il y a de l’hybride dans Mad Max, avec ses combats automobiles qui rappellent les dogfights des chasseurs de la Première Guerre Mondiale, avec ses bagarres plus cinématiques qu’exigeantes, avec ses ruptures de rythme, avec la nécessité de fuir quand l’adversité est trop forte...
Il aurait juste fallu laisser un peu plus respirer le monde ouvert, ne pas cadenasser le système de progression à coups de barrières contingentes (pour débloquer X il faut faire Y, alors que cela ne rime à rien), mais le laisser reposer sur la seule économie, ou sur un système dynamique. Il aurait fallu qu’au lieu d’apparaître au petit bonheur ou de tourner en rond, les véhicules adverses suivent des routes commerciales : diantre, un jeu de 1987 était capable de nous faire fantasmer sur l’or de la Flotte des Indes, qui suivaient le parcours historique... Trop ambitieux pour la simple adaptation d’une série à succès ?
Peut-être, mais le jeu de survie indé ou semi-indé cartonne, au point qu’on ne sait plus où donner de la tête. Mad Max aurait pu s’inscrire entre ces survivals hardcore (de DayZ à ARK : Survival Evolved), et l’espace policé du AAA grand public, il aurait pu être une sorte d’Elite : Dangerous plus structuré et accessible.
A la place, cabossé et cahotant, le bolide d’Avalanche s’égare dans le désert du « si seulement », même si de loin en loin, un mirage nous fait miroiter le grand jeu qu’il aurait pu être.
Les captures d’écran sont d’Anthony Jauneaud.
Vos commentaires
Poppy # Le 25 septembre 2015 à 17:57
Je crois avoir lu assez d’articles et surtout avoir vu assez de streams sur Mad Max pour savoir à quoi m’attendre et en conclure que j’ai d’autres jeux auxquels donner la priorité, et pas qu’un peu. Sauf preuve du contraire, ça a l’air très routinier et répétitif ce qui est un gros problème pour un jeu long. A la limite, je pourrais trouver du plaisir à traverser en caisse les chouettes décors avec un bon gros bruit de V8 en fond sonore. Pour tout dire j’ai du mal à percevoir ce que le jeu a d’intéressant à offrir, sauf oui pour ce qu’il aurait pu être, éventuellement.
Par contre, et c’est ça que je trouve intéressant, les avis de joueurs lui sont plutôt très favorables. Je regarde le nombre d’étoiles sur le Xbox Live ou sur Amazon et c’est ce que je constate. Qu’est-ce que les joueurs peuvent bien lui trouver ? Peut être un certain confort de jeu à travers ses objectifs bien balisés et ses tâches répétitives (une sacré contradiction avec l’univers sensé être chaotique imho) ? Comme une sorte de boulot peu exigent et sans effort pour tuer le temps assis bien confortablement au fond de son canapé... Ca fait peut être pas de mal de temps en temps (je me suis retrouvé entrainer vers ça par le dernier Assassin’s Creed) mais j’ai raisonnablement bien mieux à faire.
Anthony Jauneaud # Le 25 septembre 2015 à 18:16
C’est exactement ça, un "comfort game", histoire de se vider la tête en rentrant du boulot.
Laisser un commentaire :
Suivre les commentaires : |