Surgelé

Tales of Xillia 2

Ça va se voir

Les remakes, portages ou suites peu inspirées fleurissent de plus en plus sur nos consoles. Qu’on apprécie ou non cette façon de faire du neuf avec du vieux à peu de frais, elle permet au moins de faire découvrir les grands classiques aux nouvelles générations, ou de se faire un trip rétro pour les plus vieux. Mais quand cela vire au recyclage sauvage et au game-design paresseux, a-t-on le droit de penser qu’on nous prend pour des jambons ?

Trop longtemps restée dans l’ombre des mastodontes Final Fantasy et Dragon Quest, la licence Tales of atteindra cette année la vingtaine en affichant une belle santé de façade. Avec son esthétique manga et ses combats plus dynamiques que ceux de la concurrence, elle semble attirer un public croissant, moins accroché par le tour par tour et autres mécaniques archaïques. Peut-être cette orientation la préserve-t-elle aussi en partie de la mauvaise santé du RPG japonais traditionnel, bien perceptible en qualité sinon en nombre. Pourtant, à force de se reposer sur ses acquis et de faire preuve d’une paresse flagrante, la prolifique série n’en finit plus de stagner depuis quelques temps. Au point que le dernier opus à être sorti en Europe recycle éhontément la totalité du contenu du précédent, Tales of Xillia, et finit par prendre sciemment la forme non plus d’un JRPG en tant que tel, mais d’un distributeur de plaisir immédiat.

La complainte de l’Aï

Suite directe oblige, Xillia 2 tente de faire passer son roadtrip d’un extrême classicisme pour une aventure épique et tragique où le courageux Ludwig se lancera dans une lutte fratricide sur fond de terrorisme. La sauce ne prend pourtant jamais, et le scénario bringuebalant n’est là que comme alibi à une réunion d’anciens personnages. La quasi-totalité du casting de Xillia premier du nom fait en effet son retour au risque de créer des doublons entre archétypes identiques et poncifs éculés, et les nombreux scénarios secondaires qui leur sont consacrés finissent par éclipser la trame principale, de toute façon assez insignifiante. Entre des séquences narratives trop courtes et décousues d’une part, et des annexes plus intéressantes mais d’une importance prépondérante dans l’évolution de l’aventure, l’histoire souffre d’un manque de rythme flagrant. Et si l’on ajoute les nombreuses raisons de pester décrites ci-dessous, il devient très facile de s’ennuyer ou pire, d’être pris d’une crise de ras-le-bol, au risque d’en décrocher définitivement.

Même si cette suite n’est, comme l’original, pas techniquement époustouflante (et c’est peu de le dire), le casting n’est plombé par aucune vraie faute de goût. Les modèles des personnages sont plutôt aboutis, et l’on se prend à suivre les conversations additionnelles de la petite équipe, qui viennent agréablement étoffer leur personnalité. En revanche, la mise en scène est complètement foirée. Même dans les moments les plus dramatiques les mouvements mous des personnages ne parviennent pas à faire mieux que ceux déjà risibles de Tales of Symphonia, sorti pourtant plus de dix ans en amont. Ne nous voilons pas la face, Xillia 2 accuse plusieurs générations de retard sur ce point, et on se retrouve souvent atterré par la pauvreté des actions que l’on nous vend comme de gros moments de tension. Ici la caméra s’échine à fixer les pieds ou la poitrine des personnages en pleine discussion tendue, là un combat se déroule entièrement hors-champ, plus loin un sauvetage d’envergure est entrecoupé d’une transition noire qui vient purement et simplement masquer tout mouvement plus évolué qu’un geste de la main. A ce niveau-là, on ne pourra que sourire amèrement de ce cache-misère un peu pathétique, avant de finir par trouver cela simplement honteux.

Pour achever le joueur, on a droit à l’une des meilleures idées de game-design appliqué à jeu "à scénario", celle de ne pas doter le protagoniste de la parole : non content de parachever le rendu pitoyable des dialogues, cela ne facilite pas du tout l’implication du spectateur dans l’histoire — tout au plus a-t-on droit à des choix de réponses généralement hors-propos ou dont les aboutissants ne sont pas évident. Ce qui est d’autant plus idiot que ces courtes interventions ne sont pas doublées avant... le New-game+, où Ludger se retrouve comme par miracle doué de parole. Encore une fois, un choix qui laissera perplexe plus d’un joueur.

Bref sursaut d’orgueil

Le système de combat, inusable point fort de la série, ne souffre par contre d’aucun vrai point faible, ni de cet aspect "décalque brut" applicable au reste du soft. S’il reprend logiquement la totalité du concept de celui — déjà excellent — de Xillia premier du nom, il ajoute au caractère dynamiquement jouissif des combats en semi temps-réel et aux combos entre partenaires toujours plus évolués, parfois tactiques et joyeusement régressifs, un système de changement d’armes en plein combo pour son seul personnage principal, les autres étant comme toujours contrôlables pour profiter de la diversité de leurs techniques. Trois types d’armes au caractère bien trempé qui permettent de tirer parti des faiblesses des adversaires en changeant à la volée de style de combat dans ce qui rappelle vaguement — dans l’esprit — un certain Final Fantasy XIII. Il y a vraiment de quoi faire dans ce qui est sans aucun doute le système le plus complet dans la série. Cependant, si l’on excepte quelques adversaires un peu mal calibrés de début de jeu (en particulier dans les modes de difficulté les plus élevés) le reste est plutôt de faible constitution et ne nécessite pas vraiment d’exploiter le système.

Encéphalogramme plat

Dommage car quand on s’intéresse aux autres parties des mécaniques de jeu, on trouve peu de raisons de sourire. Hormis une évolution de la puissance des personnages trop passive dans les choix proposés au joueur malgré sa permissivité, le reste frise le néant de l’inventivité ou pire, s’échine à masquer les lacunes du scénario principal et de la progression par de grosses ficelles.

Trois mécaniques sont exploitées pour cela et la première — la plus "louable" si l’on peut dire — c’est le fan service. Tout y passe, de la revue intégrale de casting offrant pour pas cher un accroissement du contenu aux fans trop contents de retrouver leurs chouchous en personnages jouables, aux titres et costumes additionnels (la marque de fabrique mercantiliste de la série), et aux courtes saynètes post-combat qui sont autant de moyens d’apprécier les interactions entre personnages. Certaines musiques d’anciens opus sont également de la partie en tant que sympathiques private-jokes (l’horripilante sonnerie du portable de Ludger est en fait un sample du thème de combat d’Eternia), et on trouve même un donjon permettant d’écouter quelques morceaux d’anthologie. Si l’on peut apprécier le geste un poil trop appuyé, on en reprochera le côté un peu paresseux quand une grande partie de la bande son n’est qu’une repompe de celle du premier. Et encore, ce n’est rien en comparaison de ce qui va suivre.

Xillia premier du nom avait introduit un mode d’exploration des zones un peu différente de l’habitude de la série. Au lieu de tableaux fixes dissimulant quelques coffres à même d’abriter un meilleur équipement, les environnements deviennent des sortes de grandes zones vides, assez moches il faut bien le dire, limite interchangeables. Et puisque les monstres visibles sur le terrain peuvent comme d’habitude être esquivés, il fallait trouver le moyen d’éviter que le joueur ne traverse les zones de part en part sans s’y arrêter. Arrive l’idée géniale donc, saupoudrer ces zones de milliers d’objets aléatoires tel une cloche de Pâques le dimanche du même nom. Le moindre centimètre carré des cartes abrite soit un objet inutile qui s’en ira rejoindre le bon milliard déjà ramassé et jamais utilisé, soit une source de cristaux élémentaire alimentant passivement l’évolution de l’équipe. En conséquence de quoi, même sans trop le chercher le joueur est en permanence abreuvé de gains : titres, défis réussis, nouveaux Artes et capacités, objets ramenés par l’horripilant chat-mascotte, quêtes complétées et on en passe. Tout cela pour dispenser constamment un plaisir instantané au joueur [1], probablement trop bête pour simplement apprécier une exploration plus évoluée, en comptant sur la complétionnite aiguë qui nous anime un peu tous.

Ces objets n’ont finalement d’autre utilité que de servir de carburant pour la dernière de ces mécaniques artificielles, sous la forme de quêtes secondaires globalement mal foutues. Pour faire court, Ludger se retrouve tôt dans le jeu criblé d’une dette monumentale (au point qu’une première partie ne sera certainement pas suffisante pour la rembourser) qu’il devra combler à grand coup d’extermination de trashmobs ou en délivrant des quantités industrielles de colis comme le plus banal des livreurs FedEx®. Et non seulement cette idée est lourde car le remboursement de la dette est une condition sine qua non à la progression de l’intrigue, les nouvelles destinations ne se débloquant qu’une fois une certaine somme acquise, mais elle est en plus mal mise en application. Demandant de trop nombreux allers-retours, ces quêtes ne se débloquent de surcroît qu’après certains évènement du scénario principal et non en fonction de vos pérégrinations, ce qui dans un jeu aussi ouvert et libre oblige à dédier de longues séquences au farming plutôt que de les accomplir au fil du jeu. Symptomatiques de ce manque d’imagination, on retrouve la plupart des zones explorables du premier opus sans même avoir quoique ce soit à y faire : pas une ligne de dialogue ne viendra les ponctuer, et les quelques coffres additionnels sont masqués par les mêmes énigmes — caisses à déplacer et autres puzzles — miraculeusement remises en place.

Bien sûr, ce procédé n’est pas nouveau. Il est même plutôt courant dans le jeu vidéo comme au cinéma [2] de réutiliser au sein de suites — directes ou non — des concepts de jeu, des idées scénaristiques, voire des zones entières [3]. Rien de mal à ce que GTA V reprenne la base de San Andreas pour construire son univers, ni que le système ATB des vieux Final Fantasy ait longtemps gardé une forme commune d’épisode en épisode, tant que cela sert à construire un jeu véritablement accompli. Ce qui choque ici, c’est bien la constance, l’acharnement même que met Tales of Xillia 2 à régurgiter son paternel souvent au mépris de l’aspect ludique qu’il se devrait d’assurer.

Il y a vraiment quelque chose de triste dans ce Tales of Xillia 2. Certes, il y a de quoi faire puisque le jeu est prévu pour ne jamais laisser de vrai temps mort au joueur, et le système de combat globalement bien exploité dans les affrontements tendus vient rehausser le niveau d’une aventure qui, sans lui, friserait le néant absolu. Mais en choisissant de recycler avec un cynisme flagrant l’univers du premier, ce second épisode ne ressemble finalement qu’à un vieil ouvrage rapiécé tant bien que mal, plus qu’à un jeu savamment élaboré. Avec lui, Bandai Namco semble s’acheminer vers une génération de jeux faits à la chaine sans prise de risque, à petit budget mais grosse rentabilité. Si certains fans s’en satisferont, peut-être devraient-ils se montrer plus exigeants et critiques avec cette série qu’ils affectionnent tant. Ne serait-ce que parce qu’on pourrait encore tomber plus bas.

Notes

[1] Les mécaniques en question se rapprochent de certains agissements des développeurs de free-to-play, notamment de la ludification.

[2] Pensons au film Transformers 3 pour lequel Mickael Bay réutilise directement plusieurs plans de son précédent The Island pour les besoins d’une scène d’action.

[3] Dès 1987, Dragon Quest II, suite directe du premier épisode de la franchise, en incluait la carte complète — bien qu’un brin simplifiée — comme simple partie de son univers bien plus étendu.

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