12. Poisson frais

Octodad : Dadliest Catch

Ça me court sur le tentacule

À la faveur de la sortie du jeu sur PS4 (arrivé sur PC fin janvier), voici déterrée une pièce de l’émouvante correspondance qu’entretenait la femme du poulpe de Young Horses avec sa mère. Rédaction pratiquée à l’encre de seiche...

Chère Maman,

Je sais que cette lettre te surprendra, tant le fil de nos rapports s’est étiolé depuis maintenant plusieurs années. Mais j’ai besoin de me confier, et je suis heureuse d’imaginer que tu pourras être une fois encore le réceptacle attentif de mes questionnements enfouis (© Kaamelott).

Octy m’inquiète.

Je vois en cet instant ton visage s’assombrir, et le souvenir de tes innombrables recommandations refait surface dans mon esprit. Je n’ai pas oublié le jour de nos noces, voilà maintenant huit ans. Je me souviens du regard atterré que tu m’as jeté depuis le premier rang de la chapelle quand, me rejoignant à l’autel, Octy a minutieusement pulvérisé la double rangée de petites colonnes qui décorait l’allée centrale. Sans pratiquement s’en rendre compte. J’ai vu tes larmes quand il s’est étalé comme une bouse devant le prêtre. Et je n’ai pas oublié papa, qui se demandait inlassablement d’où venait cette persistante odeur de poisson alors qu’il n’y avait que de la viande au repas. J’ai bien conscience que mon choix n’était pas le vôtre, mais Octy, je vous le jure, a depuis tout ce temps été un mari aimant et un père formidable. Singulier, mais formidable.

Ce mélange de maladresse érigée en vertu cardinale et de bonne volonté touchante fait de lui un homme unique. Coûteux et désarmant aussi. Il fallait le voir préparer le café ce matin. Trois heures d’efforts, 15 paquets étalés dans la cuisine, mais un acharnement et une combativité de chaque instant. Sans oublier ce regard chargé d’affection quand il m’a tendu la tasse (à moitié déversée sur le lino) avant de partir au jardin dans un triple lutz déguingandé dont lui seul a le secret.

Bien sûr, certains moments peuvent être un peu embarrassants. Au barbecue du we dernier, il a tenté de faire avaler un steak crû à Tommy et a involontairement collé une tarte à Stacey en lui servant son burger (elle a des traces rouges qui ressemblent à des ventouses sur la joue, il faudra que je la conduise chez le dermato). J’ai également préféré rentrer les enfants lorsqu’il a passé la tondeuse : voir l’engin voler de droite à gauche avait quelque chose d’inquiétant, même si son bras semblait ferme. Je me dis régulièrement qu’il y a au-dessus de lui un marionnettiste qui rit comme une baleine en tirant les ficelles de sa gaucherie. Et c’est dans ce quotidien décalé et ubuesque que je m’épanouis pleinement.

Cette semaine cependant, quelque chose s’est produit. J’ai organisé une sortie en famille au centre océanographique. Nous n’y étions jamais allés et je pensais faire plaisir, mais rien ne s’est déroulé comme je l’escomptais. J’avais bien noté que le projet n’emballait pas Octy, mais les petits insistaient.

Pour la première fois en huit ans, j’ai vu la peur dans son regard. Pour la première fois en huit ans, j’ai senti sa joie de vivre s’évanouir sitôt les portes du centre franchies. L’endroit ne manque pourtant pas d’attrait. Une flopée de mini-jeux, des activités pédagogiques interactives, une pieuvre gigantesque transformée en parcours d’escalade, et de nombreux scientifiques prêts à répondre à nos questions. C’est d’ailleurs eux qu’Octy semblait avoir le plus de réticences à approcher. Il a passé l’après-midi à soigneusement les esquiver.

J’ai réalisé un peu tard que ce qui a trait à la vie sous-marine le plonge dans un état de malaise profond. C’est toute l’ambiance de notre petite virée qui a alors basculé vers une dramatisation outrancière et, je ne te le cache pas, vers une atmosphère nettement moins plaisante. Son style pataud, tellement harmonieux dans notre quotidien middle-class, a soudain semblé totalement inadapté aux enjeux du lieu. J’ai honte de le confesser, mais Octy m’a agacée. Le facétieux marionnettiste que je mentionnais plus haut paraissait d’un coup avoir perdu tout plaisir à manier son pantin, trop occupé à éviter que l’acte le plus anodin ne se transforme en torture redondante et punitive.

Pour ne rien arranger, il a fallu que nous tombions sur ce sinistre cuisinier du sushi bar, Fujimoto. Un triste sire tourmenté, qui m’a importunée un long moment avec des élucubrations délirantes sur la vraie nature d’Octy. D’après lui, j’ai épousé un poulpe. Le saké ne sert manifestement pas qu’à agrémenter les plats dans son restaurant. Quand j’y repense, cette rencontre était tout à fait dans l’esprit du reste de cette séquence : pénible, malvenue, décevante.

Dieu merci, ceci ne s’étalait que sur une après-midi, et le calvaire ne s’est pas prolongé plus que de raison, mais je garde de ces moments un goût amer. L’impression d’un gâchis et d’un acte manqué. J’ai été le témoin d’un implacable constat : l’originalité n’est pas un ressort suffisant pour susciter le bonheur dans n’importe quel contexte. Je saurai m’en souvenir.

J’aimerais te dire que ma relation avec Octy n’en pâtira pas, mais le doute m’a gagné. Tu sais à quel point je suis exigeante. Je m’en remets à ta sagacité et à la pertinence de ton conseil.

Ta fille qui t’aime

Scarlet

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