18. Développeuses

Axelle Ziegler, programmeuse

Certains entrent dans l’industrie du jeu vidéo par vocation, d’autres y arrivent presque par hasard, par les rencontres et la convergence de centres d’intérêt. C’est le cas d’Axelle Ziegler, qui après un cursus en mathématiques et en informatique théorique, a su faire profiter le studio Ankama de ses connaissances atypiques. Avant de filer vers d’autres horizons.

Prédire la trajectoire d’une fusée

Les mathématiques, ça ne parle pas à tout le monde. Mais Axelle prend le temps de dévoiler avec pédagogie la beauté de cette discipline qui l’a amenée à travailler dans le jeu vidéo : les mathématiques ne sont finalement qu’un outil de raisonnement logique, qui permet de décrire des phénomènes ou des systèmes réels. On peut ainsi prédire avec les mêmes outils la trajectoire d’une fusée (les joueurs de Kerbal Space Program apprécieront), le temps qu’il faudra pour farmer un équipement, ou la rotation d’un objet en 3D. Ce qui intéresse Axelle, ce sont ces définitions structurelles élégantes, qu’on retrouve dans la conception et la programmation d’un jeu vidéo.

Comme la recherche mathématique est davantage orientée sur les purs calculs que sur cet aspect "déduction", Axelle se porte rapidement sur l’informatique théorique. Elle y explore divers sujets comme la linguistique informatique (il est question de traduction automatique) ou le calcul des processus (qui concerne l’exécution en parallèle de plusieurs programmes). Deux champs de recherche au nom poétique, qui lui seront bien utiles par la suite. Pour parfaire son bagage, elle rejoint une entreprise informatique pour tester des champs d’application, et mettre "les mains dans le cambouis" comme elle dit.

Très vite, et surtout par hasard, elle tombe sur une jeune équipe de créateurs de jeux, les gars d’Ankama. Axelle joue, beaucoup, mais n’imagine pas en faire son métier. Pourtant, elle se rend compte en discutant avec eux qu’elle à des choses à proposer. Elle passe un entretien la semaine suivante et est immédiatement recrutée, initialement pour faire des expériences au sein du MMO alors en développement, Wakfu, en s’appuyant sur ses connaissances théoriques : imaginer des bots capables de discuter avec des joueurs, ou encore des systèmes d’intelligence artificielle innovants permettant aux mobs de s’organiser entre eux.

De la recherche théorique à la pratique partagée

Finalement affectée à la production de Wakfu « pour dépanner et pour découvrir un peu le code avant de travailler sur les sujets de R&D », elle y restera avec plaisir : « Je ne regrette pas une seule seconde mon bagage et ma formation théorique, ça me donne toujours une bonne capacité pour abstraire les problèmes, et finalement j’ai ’rattrapé’ assez vite le niveau en développement. Paradoxalement, je suis assez convaincue que programmeur c’est avant tout un métier d’autodidacte et de passionné. D’ailleurs ce que je teste chez un jeune diplômé, ce sont avant tout ses connaissances ’générales’, sa curiosité et son intérêt pour le métier, plus que le nombre de langages qu’il a appris à l’école. »

Sur le jeu, Axelle s’occupe essentiellement de gameplay : système de magie, de combat, de quêtes. Au bout de quelques mois, à la faveur de réorganisations dans l’équipe de production, elle devient lead développeuse, avec la volonté de permettre à chacun dans l’équipe d’exprimer son potentiel sur des tâches adaptées, afin que tous gardent leur motivation sur la production. Par exemple en constituant temporairement des "binômes" de personnes complémentaires — par expérience ou par domaine — pour leur confier la responsabilité d’une tâche particulière nécessaire à la production comme la réalisation de l’écosystème, ou du moteur de rendu des effets des sorts.

Au delà des aspects humains, c’est une activité technique qui demande de solides connaissances : il faut pouvoir discuter avec les leaders techniques de chaque domaine, savoir s’assurer que les choix techniques sont bons ou remis en question suffisamment tôt, et proposer des solutions qui conviennent à tout le monde, y compris aux référents d’autres domaines comme les graphistes ou les game designers. C’est aussi dans ses attributions de participer à l’élaboration et au suivi des méthodes de développement, de la qualité du code, des outils de production et de déploiement. Et c’est ce qu’elle fait, durant plusieurs années, sur plusieurs projets différents au sein de l’entreprise. Mais le challenge l’appelle !

Axelle quitte finalement Ankama et rejoint alors une société d’amis - hors du secteur des jeux vidéo. "J’avais envie d’être responsable de mes décisions et de leurs conséquences et de mettre en œuvre mes idées." Le secteur du jeu vidéo est en crise : créer une boite de jeux avec un enfant à charge semble déraisonnablement risqué sans un projet qui marche dans les cartons, et peu de studios locaux embauchent dans le domaine. Qu’à cela ne tienne, Axelle fera du développement sur commande, tout en travaillant sur une nouvelle offre en matière de traitement de données.

Quitter l’industrie, oui, mais garder le jeu

De son ancienne activité dans les jeux vidéo, elle retiendra l’aspect collaboratif entre les métiers, et le fait de prioriser au final l’expérience utilisateur, l’ergonomie et la qualité de finition. Mais en a-t’elle pour autant terminé avec la création de jeux ? Rien n’est exclu : "Le scénario le plus évident serait que mes enfants me demandent de faire un jeu avec eux, mais faire une jam avec des gens que j’aime bien ça marcherait aussi." et plus tard, "il y a d’anciens collègues avec qui je rêve de faire un truc un jour, peut-être que l’opportunité se présentera."

En attendant, Axelle joue toujours : elle espère voir de beaux projets emprunter la voie ouverte par les rogue-likes, joue à Minecraft et Kerbal Space Program avec son fils, cherche des pépites sur les jeux mobiles et attends des jeux éducatifs vraiment bien faits, finis et ambitieux - un mix de vulgarisation scientifique et de jeu social - "spontanément, je suis assez attirée par le discours de quelqu’un comme Jane McGonigal par exemple". Expliquer et transmettre, voilà bien deux aspects qui reviennent dans son discours.

Il existe une philosophie qui lui parle beaucoup, celle du "Software Craftsmanship" : le métier de développeur y est davantage vu comme une discipline artisanale basée sur le compagnonnage - dans laquelle l’important est la fierté dans la qualité de son travail et les échanges et transmissions de connaissances - que comme une discipline industrielle se basant sur des processus et des méthodes reproductibles.

Elle participe d’ailleurs à des Coding Goûters, ces après-midi de découverte du code avec les enfants, où "c’est l’occasion de voir qu’un peu tout peut être tourné comme un jeu. Je suis du genre à apprendre aux enfants comment marche un moteur de voiture. Je pense que comme on est entourés d’ordis de toute façon, avoir une idée de comment ça raisonne, de ce qu’on peut faire avec, et de ce qu’il y a ’sous le capot’ c’est enrichissant".

Il y a 7 Messages de forum pour "Axelle Ziegler, programmeuse"
  • sseb22 Le 20 octobre 2014 à 18:07

    Finalement, combien de temps aura-t-elle travaillé dans le jeu vidéo ?

  • Ebene Zolli Le 20 octobre 2014 à 18:42

    @Sseb22 : Cinq ans. :)

  • Boud Le 20 octobre 2014 à 20:18

    Tiens mamzelle Ebene tu écris pour Merlanfrit maintenant ? Ca fait plaisir ! Très intéressant ce portrait, tu en prévois une série ici comme sur ton blog perso à l’époque ?

    Content de voir que ta plume reprends du service en tout cas (j’avais malheureusement un peu perdu de vue ce que tu faisais)

    Sioux :)

  • Axlez Le 20 octobre 2014 à 21:47

    5 ans chez Ankama, j’essaie de garder un pied dedans la, pour continuer le feuilleton de ma vie pro :)

  • cKei Le 21 octobre 2014 à 11:46

    Au risque de me répéter, je trouve ces petites pastilles très intéressantes en tant qu’instantanés de la diversité (et donc richesse) des acteurs de l’industrie. :)

    Où l’on voit qu’il n’y a pas forcément besoin d’une spécialisation ciblée pour se lancer et apporter son point de vue sur la création de jeu, et ça c’est cool.

  • Bengali Le 21 octobre 2014 à 14:00

    Artisans du 8ème jour (non croyant ici) : je ne peux que vous remercier. Je vous aime !

  • Ebene Le 21 octobre 2014 à 18:42

    Hello Boud ! Ce n’est pas vraiment une reprise de service, je fais des interviews-portraits de pros du JV depuis plusieurs années sur un autre site. Merlanfrit m’a simplement invitée pour 3 portraits sur cette série ci. :)

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