Démarrer une partie de Final Fantasy IX en 2013, c’est un peu chercher les embrouilles : en comparaison avec l’ère 16-bits, les jeux PSone n’ont pas forcément bien vieilli. Notamment à cause de combats aléatoires qui se font aujourd’hui de plus en plus rares, alors qu’ils ont été un élément essentiel du jeu de rôle japonais, permettant de séparer clairement dungeon-RPG et action-RPG où les ennemis sont visibles avec le J-RPG “classique”, Dragon Quest et Final Fantasy en chefs de file.
En regardant rapidement la liste des RPG japonais sortis ces dernières années, on voit clairement la quasi-disparition [1] de ces combats aléatoires, ceux qui arrivent sans prévenir. Final Fantasy XIII, Dark Souls, Star Ocean 4 ou les derniers Tales of, font tous apparaître les ennemis sur le champ de bataille. On peut penser qu’il s’agit d’une broutille, d’un élément de gameplay peu important, mais c’est en fait tout l’inverse : cela modifie totalement l’équilibre du jeu ainsi que la façon de jouer.
C’est tout le gameplay qui est perturbé dans Final Fantasy IX (sorti en 2001 en Europe) : il ne s’agit plus de faire des combats au besoin, en allant attaquer les ennemis, il s’agit d’être capable de faire le plus de combats possibles, sans mourir, sans tomber à court de potions ou de points de magie. Si l’on prend un donjon classique de Tales of Vesperia, le joueur devra aller d’un point A à un point B en résolvant une énigme ; les chemins et les ennemis sont visibles, notés, déclarés, et il est difficile — mais pas impossible — de se faire surprendre. Il y a bien sûr des scripts ou des évènements, mais de manière générale un joueur fera que les combats nécessaires pour atteindre le point B. Le level design oblige rarement le joueur à revenir sur ses pas et à affronter d’anciens ennemis, réapparus comme par magie. Ces deux disciplines que sont le level design et le game design cherchent donc à concentrer l’aventure sur l’exploration et à pousser le joueur à avancer.
Le joueur peut même choisir ses ennemis : privilégier tel adversaire car il possède un objet important, en éviter un autre car trop puissant ou trop difficile à tuer. Le nettoyage du niveau demande alors une stratégie d’évitement et d’optimisation des ennemis, un gameplay nouveau peut naître. Dans Blue Dragon (Mistwalker, Xbox, 2006), le joueur peut déclarer un combat en sélectionnant plusieurs ennemis qui s’affronteront entre eux, laissant au joueur la possibilité de minimiser les risques et d’empocher un bonus de points d’expérience. Dans Final Fantasy XIII ou dans The Last Story, les ennemis sont des éléments de level design ; uniques et peu nombreux, ils servent à amener le personnage jusqu’au niveau voulu par les développeurs, ni plus, ni moins [2]. Dans Persona 3, le joueur peut envoyer ses alliés fouiller le niveau, histoire d’accélérer la recherche de nouveaux objets ainsi que de dynamiser le grinding (répéter des combats pour monter de niveau et être suffisamment puissants), monnaie courante du genre et de la série. Dernier exemple, le plus intéressant lorsqu’il s’agit de combats non-aléatoires, Xenoblade Chronicles offre au joueur la possibilité d’affronter des ennemis de tous niveaux, certains trop faibles, d’autres trop forts, pour ajouter aux combats un challenge extrême ou un lieu pour farmer des objets et des ingrédients, à la manière d’un MMORPG. Libre aux aventuriers téméraires d’aller affronter une bête surpuissante.
Pour Final Fantasy IX, tout cela est différent. Lorsque le joueur entre dans un donjon, il fait face à un décor vide et doit le traverser ; dès qu’il peut bouger, il se mettra à prier intérieurement. Quelques pas, et l’écran se met à tourner, la musique démarre et le sort de l’équipe est scellé. Le combat aléatoire n’est pas un système positif, c’est un système contraignant, qui force à se battre, qui force à aller le plus vite possible du point A au point B. Dans les premiers Final Fantasy — les combats aléatoires ayant disparus après Final Fantasy X, sorti en 2001 au Japon —, les donjons étaient des labyrinthes dont l’issue n’était quasiment jamais visible : le point de vue graphique, l’angle de vue, ne permettaient pas de voir la sortie ou, au contraire, de la voir sans comprendre comment y parvenir. On prenait le chemin de droite et on se retrouvait face à un coffre ou à un cul-de-sac. RPG oblige, chaque combat reste toujours bénéfique pour l’équipe, les personnages montent de niveau, ils apprennent de nouvelles compétences, ils gagnent des objets ; mais dans Final Fantasy, les points de magie, les fameux MP, sont peu nombreux et nécessitent soit du repos soit une potion d’éther pour se régénérer. Sans magie, difficile de se soigner correctement et donc de survivre longtemps ; le prix de chaque combat est une lente descente aux Enfers.
Le rythme du jeu en est modifié. Blessée et au bout du rouleau, l’équipe ne pourra pas simplement faire demi-tour et retourner en ville pour se soigner ; sur le chemin il y aura d’autres ennemis, d’autres combats. Il s’agit de prendre des risques et de mettre le joueur face à des choix stratégies : attaquer, se replier, fuir, utiliser une potion, se soigner... Utiliser son mage blanc [3] c’est regagner des points de vie mais perdre de la magie ; utiliser ses potions c’est risquer d’arriver à sec au pire moment, quand le mage blanc est KO. Les développeurs vont parfois jusqu’à mettre en place des dispositifs sadiques, imposer aux joueurs de revenir sur leurs pas, de faire des allers-retours dans un donjon voire sur la carte du monde. Au début de Final Fantasy II, on vous ordonne de partir vers le sud pour votre mission ; aventurez-vous au nord et vous prendrez une raclée mémorable au premier combat aléatoire venu, les ennemis ayant des dizaines de niveau de plus que vous. Impossible de les voir sur la carte, impossible de prévoir le combat, aucune indication visuelle ou textuelle ne vous indique que vous allez faire face à des ennemis surpuissants qui vous tueront en un coup.
Le combat aléatoire met aussi les nerfs à l’épreuve : votre équipe sort en piteux état d’un combat et vous voyez au loin un point de sauvegarde — dans le cas de Final Fantasy IX un Mog mignon comme tout — où vous pourrez restaurer votre santé. Sauf que voilà, il y des chances qu’un combat se déclenche et que vous preniez un game over, à deux pas de votre salut. Se déplacer devient alors pour le joueur un moment de suspens intense : va-t-il y avoir un combat ? Vais-je atteindre la sortie ? Vais-je pouvoir tranquillement ouvrir ce coffre ? Ce suspens ne dure pas toujours et certains joueurs — beaucoup de joueurs — sont agacés par ces combats qui apparaissent brutalement, sans prévenir. Il ne fait aucun de doute que le combat aléatoire est un élément de gameplay qui divise les joueurs. Derrière ces moments agaçants, horripilants au bout de quarante heures, se cache de simples chiffres, tirés après chaque combat ou en arrivant dans une nouvelle zone. Ce hasard est ce qu’il y avait de plus “japonais” dans les RPG et avec le temps, cet élément de gameplay a disparu.
Les règles de ces combats aléatoires sont en fait assez simple et il s’agit avant tout de probabilité ; il n’y a pas de script qui fait qu’un combat se déclenche alors que vous alliez ouvrir la porte, c’est juste du hasard. Tout joueur devient superstitieux lorsqu’il joue à un Final Fantasy. Pour le premier épisode de la série, le jeu tire aléatoirement un nombre entre 50 et 255, retire à chaque pas 5 points en donjon et 6 sur la carte du monde ; lorsque ce compteur arrive à 0, un combat commence. Il y a donc une chance qu’un combat début après 9 ou 10 pas. Pour Final Fantasy II, ce compteur est sauvegardé au cas où le joueur relancerait sa sauvegarde pour éviter un combat. Pour Final Fantasy VI, le “lancer de dé” est fait à chaque pas, pour le X, c’est une probabilité constante durant tout le jeu, qu’importe la zone, là où certains épisodes modifient les chances selon le lieu, pour complexifier ou simplifier un donjon.
Les répercussions ne sont pas uniquement ludiques : en abandonnant le combat aléatoire, les JRPG ont fait une croix sur une certaine façon de construire des univers. Dans Final Fantasy X, le monde mis en place se veut réaliste et crédible (malgré les combats aléatoires). Dans Final Fantasy IX, sans doute l’épisode le plus old school depuis Final Fantasy V, l’existence des combats aléatoires fonctionne de paire avec les scènes absurdes et peu crédibles. Un personnage entre dans une cave et dit “c’est calme ici” avant de faire trois pas et de déclencher un combat face à un immense arbre enragé. La mise en place d’une scène, la création d’un moment bien à part, le combat, avec sa musique, ses menus, son rythme propre, est une idée ni meilleure ni pire que des ennemis que l’on voit comme dans Final Fantasy XII ou Xenoblade Chronicles ; il s’agit simplement d’une autre façon de voir le jeu de rôle. On repense à la représentation de ces combats, qu’ils deviennent des pièces de théâtre dans Paper Mario 2 (Nintendo Intelligent System, Gamecube, 2004) — avec un public à satisfaire —, ou le fruit de l’imagination débordante des enfants dans Costume Quest — où les héros se transforment en gigantesques combattants.
Combat aléatoire ou pas, Final Fantasy IX reste gentiment attachant, petit bijou, vieux et daté, avec ses décors pré-calculés et sa traduction française étrange. Le tout renvoie aux heures plus joyeuses de Squaresoft. Pour son dernier projet en temps que producer [4], Hironobu Sakaguchi délivre sans doute ce qu’il sait faire le mieux : du JRPG classique, un peu coincé dans le temps mais implacablement charmant, bourré de défauts et de qualités. Ses jeux suivants, Blue Dragon, ASH, Lost Odyssey et puis The Last Story, portent en eux cette âme, quelque part entre tradition et modernité [5]. Le combat aléatoire a parfois disparu, a parfois retrouvé sa place, mais il ne doit jamais être mis de côté parce qu’il est plus contraignant. Il s’agit d’un élément de gameplay passionnant, que le jeu vidéo plus actuel n’a pas encore eu la chance d’étudier et d’innover.
Notes
[1] Certaines séries toutefois s’y accrochent : les jeux Pokémon, Lost Odyssey, Etrian Odyssey...
[2] Dans Final Fantasy XIII, les développeurs vont même jusqu’à bloquer le passage de niveau, histoire de totalement maîtriser la progression du personnage... Ce point résume tristement la linéarité de la première partie du jeu.
[3] Dans Final Fantasy, les mages blancs ont généralement un rôle de soigneur, Aerith de Final Fantasy VII étant sans doute la plus connue.
[4] Un rôle qui, malgré son nom, est plus important que celui de executive producer qu’il a endossé sur les Final Fantasy précédents et suivants
[5] J’en parlais l’année dernière à l’occasion de la sortie de The Last Story...
Vos commentaires
2goldfish # Le 21 mars 2013 à 12:44
Très bon article. Le lien avec le leveling est effectivement essentiel : Le premier JRPG aux combats non aléatoires auquel j’ai joué, c’était Chrono Trigger, mais si les ennemi étaient visibles, ils étaient souvent assez difficiles à éviter, et il était surtout vite handicapant de trop les éviter sans quoi on arrivait devant un boss avec un niveau bien trop bas.
Dans sa suite Chrono Cross, il me semble que les combats étaient beaucoup plus faciles à éviter, et la niveau n’étant pas lié à ces combats on pouvait sans trop de domage choisir de les éviter. On gagnait quand même du loot et d’autres bonus, et ce système reste dans ma mémoire comme l’un des plus agréables à jouer (surtout que le jeu nous faisait souvent revisiter les mêmes lieux). C’est le principe de la carotte plutôt que du bâton.
Franchement, le combat aléatoire est souvent punitif, et pousse au grinding. Tous les FF auquel j’ai joué m’ont poussé à transformer mon équipe en monstres de puissance en consacrant quelques heures régulièrement au grinding, afin de ne plus me soucier de ces combats aléatoires relous.
Bulbi # Le 21 mars 2013 à 13:00
Dans le cadre des vieux FF, cette mécanique a, je crois, permis a rendre la difficulté caduque. Durant la trame principale, il n’est rien de plus important que d’avoir constamment un stock conséquent de potion, qui sont toujours bon marché et toujours adaptées au budget du joueur. Ce n’est pas tant la stratégie durant un combat qui compte que cet aspect marathon ou l’on attend la fin du donjon pour pouvoir se restaurer.
Chloé # Le 21 mars 2013 à 13:11
Ah oui, ces moments stressants où tu pries pour ne pas avoir un combat car t’en as marre/t’es short sur tes HP ... et que tu espères pouvoir la faire à l’envers au jeu en ne bougeant pas, ou en t’arrêtant soudainement (sauf que non).
Par contre sur les Final Fantasy, qui restent assez simples quand même (sauf les tout premiers), le combat aléatoire est plus chiant que punitif, vu que tu as généralement avant le boss un point de sauvegarde qui permet de regénérer HP/MP grâce à une tente (et de facon gratos depuis FFX).Et vu que les combats sont assez faciles en général, on peut traverser les donjons en ne sollicitant pas trop ses magots.
Pis le pire dans les combats aléatoires, c’est quand même la musique quand elle est foirée ...
Chloé # Le 21 mars 2013 à 13:15
Une précision quand même : je me suis arrachée les cheveux sur le FFIV original quand on doit traverser le Mount Ordeal car on n’a dans son équipe que deux magots (dont un blanc) et un Cecil dont les attaques sont nulles face aux démons. Donc obligé d’utiliser à fond les magots, dont le taux de MP est faible ... Autant dire que j’ai poussé beaucoup de cris devant ma console quand mon écran se mettait à faire "piout piout !"
(et comme le dit Bulbi, la priorité absolue dans les FF anciens, c’est de se faire un joli stock de potions avant de partir à l’aventure !)
André Balso # Le 21 mars 2013 à 13:43
Je pense que le côté "frustrant" - pour beaucoup - ne vient pas tant de l’aspect aléatoire qu’induit immanquablement ce type de gameplay. Après tout, un joueur est confronté sans cesse à des éléments qui ne sont qu’aléas, sans quoi il n’y aurait pas de jeu. Même l’aspect répétitif n’est que rarement un obstacle (surtout pour les joueurs de RPG ;). Par contre, à mon sens, outre les questions (et réponses) données dans l’article, le gameplay dit "du combat aléatoire" pose vraiment la question de ce qui est montré ou pas. Et questionne presque le jeu vidéo dans son ensemble. Parce que je pense que la plus grande frustration tient en réalité à ça : m’est imposé (très régulièrement !) quelque chose qui ne m’est jamais montré, jusqu’à ce que je n’ai d’autre choix que de l’affronter (dans tous les sens du terme). Or c’est aussi ce qui est fascinant, finalement : faire d’un élément de gameplay aussi important (la possibilité et la fréquence des combats dans le RPG) quelque chose qui est "là", mais qui reste invisible !
Anthony Jauneaud # Le 21 mars 2013 à 13:52
Personnellement j’adore les combats aléatoires mais je comprends tout à fait qu’on puisse trouver ça désagréable. En fait, cela dépend quand même globalement de leur fréquence. Ceux de Pokémon par exemple sont vite gonflants — là dans FFIX ça reste très agréable.
Oui et non... Même avec une quantité extraordinaire de potions, tu te retrouves parfois perdu, à tourner en rond et à gâcher de l’argent et des MP. Généralement les objets high level dans les FF sont trop chers ou pas assez puissants pour t’en sortir, surtout que les ennemis vont te balancer sur la gueule des pluies d’altérations.
Anthony Jauneaud # Le 21 mars 2013 à 13:58
Je pense que c’est ce que j’aime le plus dans les RPG japonais en fait, affronter des obstacles qui sont, potentiellement, insurmontables et devoir utiliser le système à mon avantage pour réussir malgré tout. Je suis obligé de citer FFV, FFXII (mes deux Final Fantasy préférés) et FFXIII, dans lesquels les systèmes sont passionnants parce qu’ils permettent de transformer ses personnages en programmes, en machines à tuer spécifiquement pour certains boss ou certaines situations.
Ekyr # Le 21 mars 2013 à 14:08
Ce stress permanent était quand même un des beaux moments des vieux RPGs. Le "Oh bordel bordel, vite, un savepoint, faut que je trouve le chemin le plus court pour sortir de la salle, pas de combat pas de comb AAAAAAAAAH pas lui pas lui pas lui !", ultra chiant sur le moment, ça me fait des bons souvenirs.
Les combats aléatoires, c’était aussi la quête pour LE monstre qui donnait tel objet mais ne poppait jamais, la surprise du monstre bidon façon pot magique, ou le syndrome de l’aller retour jusqu’au savepoint.
Avoir des mécaniques différentes ne peut être qu’une bonne chose, mais ça manque de jeu utilisant cette mécanique exigeante (et désuette). Ni no Kuni le fait je crois.
Damien # Le 21 mars 2013 à 14:31
Non mais, une nouvelle fois, quel article exceptionnel dans lequel je me reconnais tant. Ce site est clairement un bol d’air frais pour tout gamer avisé à la fois ouvert sur les productions actuelles et nostalgiques des sensations d’antan.
Oui je parle de sensations, car ce sont elles qui ont changé. J’apprécie le dynamisme et le visuel d’un FFXIII mais je dois avouer que la satisfaction d’un donjon hardcore reste imbattable pour moi, pour lequel le choix des armes, des rôles et la gestion du stock de potions étaient déterminants.
Le vrai problème est en effet l’équilibre entre un parcours du jeu qui reste toujours excitant (via son scénario, ses rebondissements etc.) et la pression épique des combats (via la stratégie, la difficulté etc.). L’équilibre parfait n’est pas atteignable puisque chaque joueur est unique. Certains privilégieront un plongeon dans la narration, et c’est l’histoire qui primera. D’autres y ajouteront une conscience presque maladive d’une pratique parfaite du jeu, faisant de chaque combat une démonstration des mécaniques poussées du jeu.
Un RPG trop calibré "grand public" aura tendance à frustrer le joueur aguerri puisque son équipe sera rapidement beaucoup trop fatale pour la trame principale du jeu, les combats devenant inintéressants et aucunement stratégiques. Le genre de situation où on peut écraser un ennemi avec des coups d’épée alors qu’il était sensé posséder une lourde défense et être sensible à la magie. Il y aura bien quelques quêtes annexes pour compenser ce gâchis du game design, mais à part dans certains titres comme FFVII, ces missions supplémentaires sont souvent peu intéressantes.
Une solution évidente serait un jeu dont la difficulté serait proportionnelle au niveau de l’équipe. Seul problème : le joueur ne ressent plus la jouissance de posséder une équipe monstrueuse qu’il aura longuement boostée. Ce principe est donc réservé à des jeux où la quête de puissance prime sur le scénario et qui s’éloigne donc du grand public...
Au milieu de ces considérations de bistrot vidéoludique, l’aspect aléatoire des combats est en effet un symptôme clé pour catégoriser rapidement un RPG. Le tant décrié FFXIII va même plus loin puisqu’il n’y a plus de points de magie et que les points de santé sont automatiquement regagnés après chaque combat. La plus populaire série de RPG a donc fait un choix osé mais trop minimalisme selon moi. Il existe forcément une solution pour proposer un système de combat innovant sans être aussi froid et lassant.
La tentative FFXII (jeu qui a d’ailleurs terriblement mal vieilli graphiquement, ça pique et le pré-calculé de la grande époque survit tellement mieux) était d’ailleurs très intéressante. Si les fans de la première heure furent choqué par tant d’automatisme, le système de jeu s’apparentait à de la programmation informatique avec des conditions "if". Selon moi, ces gambits étaient franchement hors de portée pour de nombreux joueurs, les combats bien mous et les invocations assez pathétiques. J’ai néanmoins apprécié l’ambiance unique de ce titre et l’exploration qu’il proposait en dépit d’un scénario relégué parfois au second plan et d’un côté MMO assez irritant pour un puriste dans mon genre (ouais ! vive Dragon Quest VIII).
Je finirai ce billet par un rêve de joueur, l’esquisse d’un système de jeu qui déchire :
1) Des personnages caricaturaux physiquement et dans les techniques qui utilisent. Fini les jeux récents dans lesquels les personnages peuvent être bons en tout. Il faudra compter sur des capacités radicalement opposées et les combiner pour se sortir des situations. Chaque personnage aura donc son utilité et son heure de gloire.
2) Une collecte d’équipement permanente au sein de zones non obligatoires. Fini les jeux dans lesquelles les meilleures armes s’obtiennent à la fin, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus personne à zigouiller. Le joueur courageux saura qu’en s’écartant du chemin tracé il pourra mettre la main sur des équipements vraiment utiles, et cela tout au long du jeu. Ces équipements doivent être bien visibles à l’écran pendant les combats.
3) Des combats pseudos aléatoires. Fini les jeux dans lesquels les ennemis errent comme des glands dans la zone parcourue. Le joueur traversera des couloirs antiques, des forêts et des prairies, et les ennemis surgiront du décor de façon charismatique et surprenante. Un mur qui se brise et un colosse qui en sort. Un lapin cybernétique surgissant d’un buisson. Un Midgar Zolom qui brise la croute terrestre pour nous prendre à revers. Oui, cela demande un effort de développement, mais cela permet de bien justifier les combats et de créer une ambiance forte dans les quêtes. On peut imaginer que certains ennemis restent visibles en permanence mais que l’effet de surprise soit constant.
4) Une gestion souple mais réelle de l’inventaire. Fini des jeux dans lesquels on ne dépense pas son argent pour des objets inutiles et dans lesquels on garde des matériaux absurdes pour réaliser des armes nulles plusieurs dizaines d’heures de jeu plus tard. Faire le tour des boutiques, combiner des armes pour ensuite les revendre, prendre des risques et faire des combats pour l’argent. Sans aller jusqu’à l’aspect survie de certains Dragon Quest, cette dimension essentielle du jeu de rôle doit être réintégrée en douceur, car elle est profondément immersive. D’une manière identique, le craft d’équipements à la Dragon Quest VIII me semble très pertinent et on peut l’imaginer dans une version simplifiée.
5) Une vraie personnalisation des compétences des personnages. Fini les jeux trop automatisés dans lesquels on pose la manette. Il s’agit ici de sélectionner un ensemble de capacités propres à chaque personnage selon des contraintes. A la manière des matérias, on remplit des slots de compétences qui dépendent de l’évolution ou de l’équipement du personnage. Ce choix renforce l’attachement éprouvé pour ces guerriers et empêchent l’aspect trop générique des combats. Le joueur choisit les magies et coups spéciaux qu’il souhaite obtenir. Le chemin n’est plus aussi déterministe et la sensation de posséder une équipe unique est bien là. Je plaide également pour le retour du concept de limite break sous la forme de vengeance du personnage suite aux coups qu’il a encaissés. Qui ne se souvient pas d’un bon Omnislash ou d’une contre-taillade ? Qui se souvient de la pseudo attaque spéciale de Lightning ?
6) Des combats pseudo-automatisés et pseudo au tour-par-tour. Je ne suis pas contre une gestion macroscopique du combat, mais elle doit être plus vivante, plus vibrante. On peut ainsi imaginer qu’on choisit le comportement des personnages pour un round. Un round est constitué de plusieurs échanges de coups. Ainsi, on conserve la dimension stratégique et la surprise sans non plus appuyer sur "attaquer" comme un robot. Cette approche permet aussi d’imposer des angles de caméra pendant les assauts pour profiter du design et des animations de chaque personnage.
7) Des boss tout simplement épiques. Selon moi, rien de tel qu’un boss subtilement scénarisé et à phases multiples. Au système de combat précédemment décrit s’ajouteraient des ordres de déplacements des personnages spécifiques au boss battle. Se cacher derrière des arbres avant une super attaque, détruire une grue pour écraser un méga-mutant, trancher des cordages pour faire tomber des barils d’eaux sur un démon de feu... voilà autant d’idées qui pourraient faire de chaque combat un grand moment épique, parfois à la limite du God of War :)
Voilà, j’arrête de m’enflammer, mais c’est juste l’état dans lequel vos articles me mettent.
Damien Valentini
(bientôt la reprise des articles sur carapacebleue.wordpress.com)
gimond # Le 21 mars 2013 à 14:58
Super article.
Je me souviens dans FFVIII d’une légère variation dans les combats aléatoires. Le niveau des monstres était proportionnel au niveau du joueur, du coup le grinding n’apportait pas grand chose et il y avait une capacité au 3/4 du jeu qui permettait de réduire de moitié puis de carrément désactiver les combats aléatoires.
Le craft du même jeu par contre nécessitait des objets spécifiques donnés par des monstres spécifiques, ce qui peut vite devenir frustrant car il faut non seulement se souvenir de la zone dans laquelle on rencontrait ces monstres mais en plus prier pour tomber sur le bon.
Dizwix # Le 21 mars 2013 à 15:19
Très bon article même si je pense qu’un cas a été oublié : le combat non-aléatoire mais qu’on ne peut toutefois pas éviter.
Je pense notamment à Earthbound où la plupart des ennemis se déplacent plus vite que vous.
On arrive souvent à des situations où on croise un ennemi qu’on ne veut pas affronter et, apeuré, on tourne les talons pour s’enfuir jusqu’au moment où on trouve un autre ennemi sur le passage ce qui provoque le déclenchement d’un combat avec les deux mobs.
Finalement, même le game design se met au service d’une leçon de vie (parmi tant d’autres) transmise par Earthbound : il vaut mieux affronter ses peurs que de les fuir.
On se trouve donc dans un cas de "semi-aléatoirité" : les mobs apparaissent aléatoirement sur l’écran (à noter qu’ils n’apparaissent pas directement en face de vous, mais plutôt hors de l’écran en cours) mais à partir du moment où un ennemi vous voit, il est difficile d’éviter l’affrontement.
Evidemment, si Earthbound était un JRPG comme les autres, ça se saurait...
Strife # Le 22 mars 2013 à 19:43
A mon sens FFIX n’est pas un très bon exemple car il est dans l’optique d’accessibilité de la série au plus grand nombre. Les combats aléatoires sont trop aisés pour créer une réelle tension et ne servent finalement qu’un grinding qui permet de les expédier encore plus vite. A part à certains endroits assez rares, il est dur de taper un Game Over sur un combat aléatoire comme ça pouvait être le cas dans un FFIII par exemple.
La désuétude de cette mécanique de jeu vient à mon avis de là, du retrait de cette tension pour ne plus proposer que du grinding. Vu qu’on évite maintenant de proposer un développement complèxe des compétences des personnages (la personnalisation zero pour FFXIII où il suffit de refaire quelques combats pour atteindre le niveau max et remplir à fond tous ses arbres de compétences avant la prochaine zone, par exemple) le grinding lui-même n’a plus d’intérêt, et de pair la dernière justification pour des combats aléatoires.
Ensuite je trouve qu’il y’a un lèger couac quand tu parles de l’écran de combat :
Le cas FFXII mis à part, généralement la visibilité des ennemis sur la map ne se fait pas au détriment de la mise en place de l’écran spécifique aux combats, avec ces éléments propres que tu cites.
Après, je pense que tu voulais parler en particulier de l’irruption aléatoire de ce fameux setting, mais ce n’est pas très clair.
Pour ma part je suis en train d’explorer la piste de combats non aléatoires et tous en rapports avec la trame du jeu. Quasiment pas de combats non scénarisés donc, ce qui permettrait d’une part de centrer les donjons sur l’exploration et les énigmes et d’autre part de contrôler exactement la progression du joueur pour proposer des combats requièrant de la tactique et une exploitation obligatoire des capacités de chaque membre de l’équipe. Ainsi on évite l’ennui du grinding, et l’ennui qui s’ensuit de plier les combats en n’utilisant que l’attaque de base ou une routine unique qui viendrait à bout de quasiment tout. Les niveaux et équipements récoltés dans les quêtes optionnelles récompenseraient le joueur explorateur en lui offrant un panel de choix supplémentaire en combat plutôt que d’activer un pseudo easy mode grâce au grinding. Le challenge du game design serait alors d’accorder liberté et personnalisation au joueur dans des limites bien cadrées.
Ceci dit, il est sûrement encore des choses qui peuvent être faites pour justifier et remettre au goût du jour les rencontres aléatoires. Je pense que cela requiert autant - si ce n’est plus - d’une certaine exigence et rigueur à mettre cette mécanique en oeuvre que d’un besoin d’idées nouvelles.
Enfin, ne négligeons pas le RPG occidental qui tire aussi parti, à sa façon, de cette mécanique dans les déplacements entre les zones et lors des phases de repos, c’est à dire aux endroits qui permettent de tirer le plus de tension de cette mécanique : Partir pour une destination dangereuse et dépenser trop de ressources en chemin oblige à revoir son plan de progression ; revenir exsangue d’une quête et faire la mauvaise rencontre peut sceller le destin de nombreux groupes d’aventurier ; de même qu’à bout de force, poser le camp et voir son repos nécessaire foutu en l’air par une bande de kobolds voyant en ces explorateurs épuisés une manne de revenus facile.
Mathieu [ZP/GP] # Le 23 mars 2013 à 11:50
Excellent billet qui s’intéresse au rôle du combat aléatoire dans les jeux de rôle. Il y aurait toute une typologie à créer à partir de la façon dont ces jeux gèrent ces rencontres, et ce que cela influence sur l’ensemble de l’esthétique d’un jeu vidéo. Final Fantasy IX est en tous cas une excellente représentation, je me souviens qu’à l’époque ces combats m’avaient profondément agacés, je les trouvais bien plus fréquents dans les autres épisodes de la série, mais peut-être n’était-ce qu’une impression.
En revanche, je connais peu les jeux de rôle "à l’occidentale", mais je me suis laissé dire qu’ils étaient réfractaires à ce genre de choses en général... Est-ce vrai ?
BlackLabel # Le 23 mars 2013 à 13:25
Anthony Jauneaud :"le combat, avec sa musique, ses menus, son rythme propre, est une idée ni meilleure ni pire que des ennemis que l’on voit comme dans Final Fantasy XII ou Xenoblade Chronicles ; il s’agit simplement d’une autre façon de voir le jeu de rôle."
Je ne suis pas trop d’accord avec ça.
Le combat aléatoire, ça trahit beaucoup plus l’aspect "jeu vidéo". Les ennemis sur le parcours, évitables ou non, au moins on les voit, ça densifie l’aventure, c’est plus crédible.
Après je peux me tromper, mais selon moi le combat aléatoire c’est moins un choix de game-design qu’une conséquence des limites du hardware. Comme les décors pré-calculés sur PS1 des Final Fantasy (et autres J-RPGs), ou de Resident Evil. C’est-à-dire que faute de pouvoir représenter les choses comme les devs le souhaiteraient, ils optent pour des idées bâtardes. Ils font avec les moyens du bord, en somme.
Après, malgré les archaïsmes, ce n’est pas forcément une fatalité, car je trouve qu’au temps où les jeux étaient limités par le hardware, les devs étaient plus créatifs puisqu’ils devaient constamment trouver un moyen de contourner ces limites.
Il y a quelque chose de profondément magnifique dans un Vagrant Story à voir de la 3D tremblotante, des textures pixelisées, et une vision artistique qui transcende un aspect ingrat seulement en surface, ou dans la mise en scène maîtrisée et expressive des cut-scenes de Final Fantasy Tactics.
Aujourd’hui la beauté s’arrête trop souvent à l’aspect technique, si on peut appeler ça de la beauté...
Gilles Delouse # Le 25 mars 2013 à 12:13
FF VIII (le meilleur de la série, évidemment) avait réussi cet équilibre. La montée en puissance se faisait par l’acquisition de magies de plus en plus puissantes, qui permettaient de surpasser très vite les premiers ennemis, mais aussi via les invocs qui au fur et à mesure créaient des synergies vraiment impressionantes, amplifiées par des animations épiques (et bluffantes pour l’époque).
Le côté "survival" induit par la pénurie de MP était par contre beaucoup moins présent si je me souviens bien. Il n’y a pas de MP, mais un stock de magies volées, qu’un minimum de grinding permettait de monter au maximum. Le seul risque qu’induisait l’utilisation de magie était la diminution de certaines caractéristiques associées, mais ça ne jouait pas beaucoup....
Reste que tout de même, chaque combat était un risque de Game Over, notamment sur la fin du jeu.
Strife # Le 29 mars 2013 à 12:10
En même temps pour peu qu’on ait farmé les magies et monté les armes au max FFVIII devient relativement aisé quel que soit le niveau.
Il souffre aussi d’une grosse tare par rapport à son système d’ennemis au niveau du groupe : On ne peut pas virer Squall du groupe. Ce qui veut dire que si on fait exprès de ne pas prendre de niveaux on se retrouvera fatalement avec un gros écart entre le personnage principal et le reste de l’équipe. Et un des boss finaux requiert d’utiliser tout le roster, ce qui peut empêcher de finir le jeu. Au final il vaut mieux donc monter toute l’équipe au niveau max.
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