Passé bien vite du feu des projecteurs à celui, nourri, de ses détracteurs — dont les critiques sont parfois justifiées —, catastrophe industrielle et produit d’une industrie vidéoludique sans égards pour ses salariés, L.A. Noire n’en demeure pas moins l’un des titres narratifs les plus intéressants de ces dernières années.
Avec un peu de recul, le destin de L.A. Noire est archétypal des conditions de production et de réception dans ce nouvel Hollywood mondialisé qu’est l’industrie vidéoludique. En sept ans de développement, le prometteur projet est passé entre les mains de deux des principaux nababs (Sony puis Rockstar), il a connu les lumières de la rampe lors des avant-premières, un lancement enthousiaste, et très vite le désenchantement du public. Et voilà qu’on apprend que le réalisateur visionnaire s’est comporté en vedette tyrannique, que la production lui a retiré toute sa confiance, et que les petites mains de la Team Bondi ont été abusées. Malgré des ventes plus que correctes, le développeur est aujourd’hui en liquidation judiciaire. Manque seulement à l’appel une pincée de souffre, une histoire de drogue, la révélation d’orgies, et la parabole, des sommets aux tréfonds, serait complète.
Si l’on se voit mal excuser le traitement honteux réservé par les dirigeants de Bondi aux employés du studio, le jeu en lui-même mérite qu’on lui prête attention. Incontestablement mal ficelé – un signe de plus des difficultés de production –, trop ambitieux, parfois déroutant, L.A. Noire n’en demeure pas moins un formidable exemple de narration vidéoludique. Il ne paraît pas opportun de le comparer aux GTA, comme des joueurs déçus ont pu le faire un peu vite. A l’instar d’un autre grand blessé, le très sous-estimé Mafia II, L.A. Noire, malgré les similitudes superficielles avec la série phare de Rockstar, n’est pas un jeu d’action ouvert ; c’est une expérience beaucoup plus concentrée que propose Team Bondi, s’inscrivant dans la tradition du jeu d’aventure. Ne boudons pas notre plaisir de voir, après le controversé Heavy Rain, un jeu essentiellement narratif produit avec un budget plus que conséquent (pour ne pas dire exubérant). Pour autant, il ne faudrait pas réduire l’intérêt de L.A. Noire à de simples avancées techniques. La reproduction à l’identique du Los Angeles de 1947, la remarquable motion capture sont avant tout des moyens donnant consistance à l’expérience narrative.
Que retenir dès lors de ce jeu bourré jusqu’à la gueule d’hubris et de qualités ? Peut-être d’abord ce singulier effet de distanciation, qui tend vers la négation du joueur pour mieux régler le diaphragme sur Cole Phelps, l’avatar émancipé. Mais aussi la manière de nous confronter frontalement à la mort, en mettant « un visage, un corps, un nom, une histoire ou une émotion sur chaque cadavre qui balise le trajet du joueur. » Ou bien, l’utilisation – que L.A. Noire partage avec Heavy Rain, Deadly Premonition ou Alan Wake — de la schizophrénie du héros pour engager une relation avec le joueur, ce dernier tenant le rôle d’alter-ego et de psychiatre. Enfin, L.A. Noire mobilise une poétique de l’espace, qui non seulement donne consistance à une ambiance, mais permet aussi d’affirmer l’indépendance du jeu vidéo par rapport au cinéma, ou de matérialiser les thèmes politiques et psychologiques de l’intrigue.
Astre noir
- Espace noir, 1 (L.A. Noire) Par Martin Lefebvre
- Espace noir, 2 (L.A. Noire) Par Martin Lefebvre
- Espace noir, 3 (L.A. Noire) Par Martin Lefebvre
- Neither enemy, nor friend (L.A. Noire) Par André Balso
- Passer aux aveux (L.A. Noire) Par Martin Lefebvre
- Le Héros et son double - schizophrénie et narrative design (L.A. Noire, Alan Wake, Heavy Rain, Deadly Premonition) Par Sachka Duval
- La négation du joueur (L.A. Noire) Par Harold Jouannet
Vos commentaires
sabrdage # Le 20 octobre 2011 à 12:59
Avec le recul, je ne retiendrais que deux aspects de ce jeu sympathique. D’une part les dialogues, agréables et soignés, qui sont magnifiquement portés par la fameuse motion scan, surtout qu’ils tranchent avec la quasi totalité des autres jeux (qui semblent s’adresser uniquement à des pré-ados).
D’autre part la représentation d’épinal très documentée de la ville, des intérieurs, des voitures (si seulement ce jeu pouvait remettre certain designs de carrosserie à la mode !), des vêtements, object etc...
Le hic c’est que le jeu ne sort jamais de la référence polie (supposément exhaustive) au film noir et que l’aspect enquête est vraiment léger/gadget (un comble).
Reste un jeu redondant mais agréable pour les raisons su-cités, finalement cette myriade d’article me fait penser que le jeu vidéo doit être dans une période de vache maigre : )
Martin Lefebvre # Le 20 octobre 2011 à 13:26
Evidemment, on te répondra que L.A. Noire vaut selon nous le détour, ce que le dossier essaye de prouver. Je ne pense pas que le JV soit dans une période de vaches maigres, et nous parlerons de plein d’autres jeux qui nous enthousiasment pour des raisons totalement différentes (Dark Souls, Xenoblade, la scène indépendante...).
Il me semble qu’en tant que jeu narratif, LA fait beaucoup de choses très intéressantes, et d’ailleurs les amateurs de jeu d’aventure ont l’air de l’avoir apprécié. Emily Short qui est une des figues clefs du jeu textuel a écrit un beau papier sur Gamasutra, que j’aurais dû prendre le temps de linker : http://gamasutra.com/view/news/3738...
Il y a vraiment selon moi des choses à creuser dans l’open world narratif, comme le font des titres finalement assez mal reçus comme Mafia II ou Deadly Premonition. Je suis vraiment curieux de voir comment cette tendance va évoluer, en espérant que les éditeurs ne soient pas trop frileux.
sabrdage # Le 20 octobre 2011 à 22:49
bah moi je parlerai plutôt d’un jeu pour trentenaire pépère, prêt à s’immerger dans une histoire un peu crédible et très bien présentée, mais qui n’a absolument pas envie de se prendre la tête avec la manette, surtout que sa journée a été suffisamment stressante comme ça, et puis c’est chouette on est un peu moins passif que devant une série, et on peut flâner (une très noble activité d’ailleurs), même les courses poursuites ne demandent pas d’être rapide ! Si on le voit comme un jeu d’aventure (les amateurs de jeu d’aventure l’on apprécié ??) il faut admettre que les mécaniques du jeu ne poussent jamais à la réflexion, on réussit en moyenne les interrogatoires à 50%, ce qui ne change quasiment rien, pas grave on sera pas assez masochiste pour refaire l’enquête une deuxième fois, d’autant qu’on ne vivrait quasiment rien de plus que ce qu’on a déjà vu. Le jeu est certes intéressant (un intellectuel peut rendre n’importe quoi intéressant, c’est son job héhé...) et agréable mais c’est quand même dommage qu’il ne soit pas très intéressant à jouer (c’est pas sensé être le plus important pour un jeu !?).
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