Surgelé

Yakuza 3

Après-midi de chien à Okinawa

C’est officiel : grâce à un partenariat entre Sega et Sony, Yakuza V sortira en Europe, à la plus grande joie des fans occidentaux de Kiryū Kazuma et de ses compagnons.

Grande série réac’, Yakuza a a au moins le mérite de s’assumer telle : ses affranchis vieillissants qui discutent de l’époque où l’honneur avait un sens en matant des petites pépées dans un bar à whisky, ses bandits en semi-retraite qui peinent à combiner leur virilité avec leur rôle de père adoptif, sont des figures machistes pas toujours très sympathiques si l’on y regarde de près, mais l’écriture, aussi efficace dans le mélodrame que dans la comédie, et surtout la fabuleuse mise en scène confèrent à ces tatoués une réelle épaisseur humaine. A la frontière de la série TV, du RPG en monde ouvert, du film de genre et du beat’em up, Yakuza fait tout simplement partie des réalisations les plus essentielles du jeu vidéo nippon de ces dernières années.

Pour fêter le retour parmi nous de ces chiens fous rétrogrades, je ressors de mes cartons un billet écrit en 2011 et consacré à Yakuza 3.

Okinawa, noyade de soleil, le blanc écrasant des plages, le couvercle bleu du ciel. Je suis trop jeune encore pour jouer les vieux singes kitaniens qui retombent en enfance au plus grand plaisir des Kikujiro : pas facile d’assumer sa paternité au jour le jour. Alors se retrouver avec neuf orphelins sur les bras, je vous raconte pas. Il y a des jours où les envies d’ailleurs me démangent trop pour que j’y résiste bien longtemps. Un chien fou ne se range jamais tout à fait. Je sais bien que je devrais parler à Shiro qui est fuyant depuis quelques jours… Une peine de cœur sans doute, ou alors une mauvaise note… Ca attendra. Trop besoin d’air, je longe la plage jusqu’au monorail, et je m’en vais en ville.

C’est pas parce que je suis rangé, et que l’on m’a émasculé en version européenne, que je ne suis plus un affranchi. Ex-yakuza, ça tient de l’oxymore. Je reste un chien enragé, à peine assagi par l’âge. A moins que vous ne trouviez un moyen d’effacer les souvenirs et les tatouages qui me collent au dos. Je dois avoir une aura : j’attire les embrouilles. D’abord, je sauve un caniche enlevé par l’amant jaloux de sa maîtresse. Me demandez pas. Un caïd du coin de rue, genre peroxydé et boutonneux, me cherche des noises. J’ai beau lui expliquer, il ne comprend qu’après que je lui ai claqué la tronche contre le mur. En voyant ses deux compères faisant tapis sur la chaussée, il réalise à qui il a affaire, il bée et m’offre 1000 yens. Ca fera l’affaire. Une petite affaire, la liasse de billets avec laquelle j’ai débuté la partie me brûle les poches. Je traverse le boulevard. Le centre est petit, écrasé de chaleur comme partout ici. Naha joue à la grande ville avec ses vitrines tatouées d’idéogrammes qui dansent au Soleil.

L’Aquasky est le seul rade ouvert à cette heure brûlante. La clim’ est glacée, du verre et du béton, c’est trop propre pour être honnête. D’ailleurs, c’est un repère pour les escrocs au billard, et le patron a une combine avec les fléchettes. Au bar, on m’offre la carte des whiskys. On n’abreuve pas les types de mon genre à l’eau douce. Je commande la bouteille la plus chère, évidemment, c’est comme ça qu’on m’a appris qu’un bonhomme se comporte, à Tokyo. Glenfiddich 30 ans d’âge, breuvage de pacha. Une grosse poignée de billets et un sourire en coin pour le barman. Le bar prend la texture ronde et moelleuse du Single Malt. La bouteille disparaît, je sors : sur ma gauche une petite icône indique que je suis bien. Il fait trente-cinq degrés à l’ombre, les merdes vont pleuvoir.

Un gominé me gueule dessus parce que je pue l’alcool. Je le ratatine. Trois escrocs en costard essayent de me faire le coup de la bousculade. L’un d’eux se plaint : je l’aurais blessé. Je lui démontre ce qu’est une vraie blessure, leçon qui me rapporte une liasse de billets et un paquet d’XP. Quatre petites frappes m’entourent. Ils m’ont sans doute pris pour un touriste. L’erreur est humaine, comme la douleur d’ailleurs. Je leur fait une visite guidée du trottoir, je leur offre un vélo de location en travers de la tronche, je les emmène vers les étoiles.

J’ai tout de même pris quelques gnons dans la bagarre. Il commence à faire faim, et je suis au marché couvert, espérant qu’un peu d’ombre me rendra les idées claires. Les étals colorés me rappellent que je ne suis presque plus au Japon, mais dans une espèce de Chine méditerranéenne, épicée, délavée de lumière. Je me baffre de nouilles locales, 450 yens, 37 XP. Je repars d’un pas hasardeux, d’un souffle malté je fais s’évanouir un gang de punks des rues qui me prenaient pour leur assistante sociale. Petite ruelle que je ne jurerais pas être capable de retrouver. Un vieux bonhomme me hèle. Il m’a reconnu, je suis un joueur qui n’a pas froid aux yeux. Je me demande s’il ne va pas me parler de films de samouraï et me proposer des rencontres très bushido, mais il m’introduit dans une salle de jeu obscure, sortie d’un jidai-geki des années 50 : tatamis et lambris, joueurs affairés. J’achète pour 5000 yens de jetons, que je perds aussi sec dans une partie de dès avant d’avoir compris les règles. Banzaï.

Une fois à l’air libre — qu’il fait chaud, même le thé glacé à 300 yens n’y fait rien — je casse encore un ou deux crânes, je brise une paire de phalanges, et je suis prêt à rentrer. Un détour par la pharmacie pour acheter un remède à la gueule de bois qui me guette. Face au monorail (nous les Japonais, nous sommes tellement futuristes), j’avise un prêteur sur gage. Il a du matériel de première classe : ceinture magique en peau de tigre, batte de baseball renforcée, breloque de protection… J’achète un talisman supposé me garantir des balles. J’ai la tête solide, mais sait-on jamais.

La tronche de travers, je compte les écorchures. L’apprenti yakuza que j’ai gifflé jusqu’à ce qu’il devienne rouge cerise m’a usé les jointures. Je me sens à la fois léger et un peu trop vieux pour ces conneries. A la maison je retrouve Shiro, que je finis, après une petite enquête, par faire parler : il se fait taper à l’école par un petit caïd. Les gosses de nos jours. Il va falloir que je règle ça. A Okinawa ça veut sans doute dire que je vais devoir jouer au golf avec un conseiller municipal dans le cadre sublime d’un club privé. Le ciel bleu c’est pas une vie pour les chiens des rues dans mon genre.

Il y a 4 Messages de forum pour "Après-midi de chien à Okinawa"
  • Hell Pé Le 8 décembre 2014 à 19:19

    C’est officiel : grâce à un partenariat entre Sega et Sony, Yakuza V sortira en Europe

    Du coup, ça commence à faire beaucoup de Yakuza. Le(s)quel(s) nous conseillerais-tu, Martin ?

  • Martin Lefebvre Le 8 décembre 2014 à 20:49

    Les deux premiers ont pas mal vieilli je pense (enfin je n’ai essayé que le 1, jamais trouvé le 2). J’ai un petit faible pour le 3 avec son côté Kikujiro, et ça te permettra d’enchaîner sur le 4 si tu accroches.

  • Nano Le 8 décembre 2014 à 22:39

    Sans hésitation je dirais le 4.
    Il y a toute la proposition du 3 sans les longueurs, une technique plus fignolée et une narration croisée entre quatre gueules cassées avec un grand Final franchement digne de ce nom.

  • Harold Jouannet Le 12 décembre 2014 à 15:11

    Je cède à la tentation, je prends le 4. Je l’avais zappé, justement parce que le 3 m’avait un peu soulé, après la grande réussite des deux premiers. Avec le temps, j’espère que la "formule" me semblera moins usée, et j’ai hâte de voir le scénario à 4 persos.

Laisser un commentaire :

Qui êtes-vous ? (optionnel)
Ajoutez votre commentaire ici

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom

© Merlanfrit.net | À propos | web design : Abel Poucet