Il hésite, titube quelques instants sur le tronc vert, pose un pied d’un pas mal assuré, se rapprochant dangereusement des mille mètres de vide. Déséquilibré, il pose in extremis une main par terre, puis l’autre. Il se hisse ainsi à nouveau au point d’équilibre, puis continue son ascension à quatre pattes. C’est plus sûr.
Il faut toujours s’adapter à de nouvelles commandes lorsqu’on attaque un jeu. Bien sûr, les développeurs tentent généralement de rendre l’apprentissage fluide, de manière à permettre l’immersion la plus rapide possible. À moins que la difficulté de la prise en main ne fasse partie de la blague : c’est l’infâme QWOP, parodie de jeu de sport [1]. L’impossibilité flagrante de contrôler séparément les cuisses et les mollets a fait le succès de ce clumsimulator.
Un robot bien puéril
Bien moins terrible que ça, Grow Home m’a tout de même fait rentrer dans la peau — enfin, les circuits — d’un robot particulièrement pataud. Jusqu’au bout des quelques heures qu’il faut pour atteindre son vaisseau spatial, je ne me suis jamais senti stable sur ses pattes en guimauve ; heureusement que ses mains préhensiles peuvent s’aggriper à tout. Oh, tant que le sol est horizontal, ça va encore... mais la promenade se passe la plupart du temps sur la forme vaguement cylindrique d’une plante gigantesque. En fait, les seuls moments où je me suis senti à l’aise étaient lors de la chute libre qui finit par arriver, et où la seule option est d’ouvrir la fleur-parachute.
BUD, le robot maladroit, inspire immédiatement de l’empathie. Ce n’est pas une surprise ni un scoop : BUD symbolise l’enfant en bas âge, celui qui découvre le monde. Babillage, mouvements maladroits, hypercéphalie : symptômes qu’il partage d’ailleurs avec E.T. l’extraterrestre, auquel le titre fait un clin d’oeil (phone home). Le monde est composé de couleurs primaires pétantes, de petites fleurs et de bulles ; lorsque BUD est cabossé, l’ordinateur toujours présent pour le reconstituer s’appelle MOM. Il n’y pas de méchant, on a même le droit de tirer les poils des moutons. Un jeu pour les enfants, parce qu’à propos d’eux, contrairement à un Among the Sleep, qui utilise la syntaxe de l’enfance à l’usage des grands.
Doit-on en vouloir aux concepteurs ? D’habitude, je trouve le recours au kawaï un peu facile. Muni de gros yeux, le personnage est plus attachant, ça marche à tous les coups. La différence ici est que l’infantilisation du personnage donne son sens au jeu. On peut le voir comme une parodie ; je pense au contraire que Grow Home est assez premier degré. Une idée simple, qui ne va certes pas très loin, mais suffit à remplir les quelques heures de jeu. En dirigeant la croissance des bourgeons, le joueur emmène BUD sur un chemin sinueux qu’il crée lui-même. On y avance, on régresse parfois, pour prendre un autre embranchement. Pratiquement la définition de l’apprentissage.
Home Creed
Je sais bien que ce n’est pas développé par le même studio, mais je ne peux m’empêcher de penser à l’autre jeu de grimpette produit par Ubisoft, l’inévitable Assassin’s Creed — à considérer comme un unique titre, les différences d’un numéro à l’autre étant minimes.
Tout sépare les deux œuvres, mais dans les deux cas, le cœur du gameplay reste la mobilité verticale. Soyons honnête : dans Assassin’s Creed, on pourrait retirer la baston, les trucs à collectionner, le scénario et les aventures de Desmond. Tant qu’on ne touche pas à la promenade semi-historique sur les toits, l’essentiel est conservé. Sur les murs qui le permettent, l’assassin-baroudeur se hisse avec agilité et les mouvements d’un félin. Même les versions jeunes d’Ezio ou de Connor ont une assurance parfaite, adulte, dans leurs mouvements. Ce superpouvoir fait le charme du personnage, mais aussi prive le joueur du sentiment de faire quelque chose de difficile.
Les balancements toujours erratiques de BUD, eux, nous rappellent que la phase d’apprentissage est loin d’être terminée. BUD ne se prend pas pour un cador, on a peine à croire qu’il puisse monter plus que quelques mètres. Mais pas après pas, une main après l’autre, il progresse doucement, emprunte une feuille, redescend trop bas, remonte lentement. Emprunte les courbes de la plante qui croît en même temps que la maîtrise — relative — du joueur. Et finalement parvient à rejoindre la stratosphère de sa mini-planète, là où l’assassin du jour ne dépasse pas le clocher du village.
Oui, c’est un peu de la triche de comparer une série qui se déroule en épisodes d’une quarantaine d’heures chacun, avec une expérience simpliste qui se boucle en dix fois moins de temps. Et je continue à apprécier les pantoufles que me tend régulièrement la série de l’Assassin. Mais le fait est là : avec Grow Home, j’ai retrouvé la joie des premières heures à bondir avec Altaïr, qui ne s’est jamais vraiment reproduite. Il aurait été dommage de faire durer le plaisir plus longtemps : par nature, l’enfance est éphémère. À côté des grosses machineries rodées, la petite expérimentation a su me transmettre son message.
Notes
[1] cf. GAMES #9, p.78.
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