Assez peu renommé en France, l’Anglais Antony Johnston est connu des amateurs de comics pour sa série Wasteland et ses travaux avec Alan Moore (The Courtyard, notamment). Il a par ailleurs participé à l’écriture des BD et jeux Dead Space, sujet dont il a accepté de parler avec Merlanfrit.
(L’entretien en version anglaise)
Nous aimerions tout d’abord éclaircir un mystère : selon votre page Wikipédia, vous auriez travaillé sur le premier Dead Space mais pour être honnête, je ne me souviens pas avoir vu votre nom au générique… Est-ce vrai ?
Oui et en effet, je n’apparais que dans les remerciements. Les génériques de jeux vidéo constituent un sujet épineux. Personne dans cette industrie n’en est satisfait, pour une raison ou une autre. Et les auteurs n’y sont pas souvent à leur place. Heureusement, plusieurs compagnies sont en train de changer leur attitude sur la question et commencent à donner plus de considération aux auteurs. D’ailleurs, EA fait partie de ceux qui ont amorcé le mouvement il y a quelques années, justement en réaction à certains commentaires autour de Dead Space. Mais cela prend du temps et nous devons encore batailler.
Alors qu’avez-vous fait exactement sur Dead Space ?
J’ai écrit le script. Warren Ellis et Rick Remender avaient travaillé sur le jeu avant moi, à développer l’univers et l’intrigue, en collaboration avec les producteurs. J’ai ensuite écrit le script du jeu, puis j’ai aidé à assurer la cohérence entre le jeu et ses dérivés comme la BD, le film d’animation…
Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans l’industrie du jeu vidéo ?
Dead Space a été ma clé d’entrée. EA voulait faire un prologue en BD et Warren m’a recommandé pour l’écrire. J’ai eu plusieurs discussions avec les producteurs du jeu et il nous est vite apparu que nous avions la même approche de l’horreur et des jeux, avec plusieurs goûts communs. J’ai donc accepté. Et alors que j’avais écrit la moitié de la BD, ils m’ont demandé si je voulais aussi écrire le jeu. Je n’ai pas hésité longtemps. Je joue depuis que je suis gosse et j’ai souvent été désespéré par le niveau d’écriture des jeux vidéo. Il me semblait donc naturel d’essayer par moi-même.
Aviez-vous beaucoup de liberté sur l’écriture de la BD ?
Ben Templesmith (le dessinateur) et moi-même avons eu beaucoup de liberté, oui. Nous avions juste pour contrainte de faire un prologue au jeu car EA ne voulait pas gâcher la surprise. Mais personne ne nous a dit précisément ce que nous devions raconter. J’ai suggéré une histoire sur la colonie d’Aegis VII (la planète forée par le vaisseau sur lequel se déroule le jeu - NdA). C’est ce qui m’a semblé le plus pertinent car c’est ici que le fameux Monolithe dont il est question dans l’intrigue a été découvert. Dans un sens, c’est donc là que l’histoire commence réellement, même si Aegis VII est finalement peu exploitée dans le jeu. Et puis de cette façon, je pouvais facilement créer de nouveaux personnages et situations sans craindre d’incohérences avec le jeu final.
Cette BD est ensuite apparue en version animée sur Xbox LIVE. Aviez-vous cette donnée en tête lors de l’écriture ?
Non, je n’en savais rien avant de commencer et à vrai dire, je ne m’en suis pas soucié par la suite. J’ai essayé de faire une bonne BD, point barre. Je ne voulais pas que des contraintes d’animation influencent ma façon d’écrire ce qui, à la base, devait être publié sur papier. Ce travail supplémentaire était du ressort de quelqu’un d’autre.
Prendre en compte l’animation, le doublage, doit tout de même changer l’écriture, non ?
Oui, c’est très différent lorsqu’on sait que des comédiens vont jouer les dialogues, et que de nombreuses personnes vont travailler à l’animation, au montage… C’est une autre forme d’écriture, qui nécessite une certaine expérience.
Vous avez ensuite travaillé sur le jeu Wii Dead Space Extraction. Quelles sont les différences entre l’écriture d’une BD et celle d’un jeu ?
Il y a beaucoup de différences mais aussi pas mal de similitudes. La principale différence est évidemment l’interactivité, qui implique deux choses : d’abord, les décisions du joueur peuvent affecter la narration ; ensuite, la plupart des joueurs n’accorderont pas toute leur attention à l’écriture, contrairement à ce qu’ils feraient devant un film, un livre ou une BD. Pour ce qui est des similitudes, elles se situent au niveau des savoir-faire mis en œuvre. Les dialogues doivent être courts et percutants, il faut garder à l’esprit qu’ils seront accompagnés d’éléments visuels et enfin, la représentation de l’histoire sera celle d’un artiste graphique. Tous ces éléments se retrouvent dans la BD, et je pense que c’est pour cette raison que les auteurs de BD sont de plus en plus nombreux à travailler dans les jeux vidéo.
Pour finir, vous avez travaillé sur Dead Space Ignition…
Pour finir, c’est vite dit ! (sourire) J’ai aussi travaillé sur le Dead Space sorti sur portables, qui a gagné pas mal de prix. J’ai également écrit d’autres jeux que les Dead Space : Binary Domain de Sega, qui sort bientôt, j’ai participé au nouvel X-COM et je travaille sur des jeux encore secrets…
Oh, pardon. Pour en revenir à Ignition, comment était-ce de travailler sur une BD interactive à base de "Oh-mon-Dieu-encore-une-porte-à-débloquer" ?
Ce n’était pas si difficile. Comme je le disais, je suis joueur depuis longtemps et mes premiers jobs d’écriture portaient sur des jeux de rôle traditionnels. Du coup, j’ai écrit cette histoire "progression-puzzle-progression-puzzle" assez naturellement. Une fois les personnages et l’intrigue établis, il suffisait d’imaginer les défis et situations permettant de placer les mini-jeux. Après, je sais qu’Ignition n’a pas été très bien accueilli mais si j’ai bien compris, c’est le décalage entre horreur et mini-jeux casual qui a posé problème. Je reste fier de l’histoire, certaines personnes m’ont dit l’avoir beaucoup appréciée sans pour autant avoir accroché à la partie jouable. Peut-être que ça aurait mieux marché sur téléphones portables, comme un jeu d’objet caché, ou quelque chose du genre…
Que pensez-vous des BD interactives en général ?
Et bien, tout dépend de ce que l’on entend par là. Il n’y a pas énormément de BD interactives comme Ignition, avec une BD statique et des mini-jeux insérés. Il y a les BD dans lesquelles il faut parfois choisir la direction de l’intrigue, je pense que celles-ci ont du potentiel mais il n’y en a pas tant que ça. Et puis, la plupart des gens imaginent les BD interactives comme de simples BD animées, à la façon de la BD Dead Space dont nous parlions, qui n’a rien d’interactif. Le principal problème, je pense, est que les BD animées ou interactives donnent l’impression de n’être ni l’une ni l’autre. Au lieu de prendre ce qu’il y a de mieux dans les différents médias, elles ne rendent justice ni à la BD, ni à l’animation, ni au jeu vidéo. Si quelqu’un arrivait à résoudre cette équation, nous aurions peut-être quelque chose de complètement nouveau entre les mains.
Sauf problème de générique, vous n’avez pas participé à Dead Space 2. Qu’en avez-vous pensé ?
En fait, j’ai participé à la préproduction et j’ai eu le plaisir de voir quelques unes de mes idées dans le jeu final. J’ai aimé, l’histoire était bonne. Très différente du premier jeu, avec plus de personnages, Isaac qui parle et globalement plus d’action mais Jeremy Bernstein (scénariste de Dead Space 2) et les équipes d’EA ont fait le maximum pour obtenir un jeu aussi effrayant, malgré ce changement de style.
A quoi jouez-vous, je veux dire à part Dead Space…
Je ne joue pas autant que je le voudrais car je suis trop occupé ! Mais je joue autant que possible. J’adore les jeux narratifs, comme vous pouvez vous en douter : Myst, Silent Hill, Uncharted, les classiques comme Loom ou Monkey Island… Et je pense que Red Dead Redemption est le meilleur jeu open world qu’on ait vu. Cela dit, et cela surprend souvent les gens, je suis aussi un amoureux des jeux de course arcade comme Burnout, Split/Second, WipeOut, SSX… D’ailleurs, j’attends le nouvel SSX avec impatience car j’ai longtemps espéré un nouveau titre de cette série. Vivement que je puisse y jouer !
Des regrets au sujet de votre travail sur Dead Space ?
Non, je suis très fier de tout ce que j’ai fait sur Dead Space. Oui, même Ignition. "Non, je ne regrette rien" (en français dans le texte) comme disait Édith Piaf…
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