Il y a bientôt huit ans, Martin Lefebvre pronostiquait dans nos colonnes la mort imminente du CRPG. Une affirmation aussi provocante que définitive pourrait prêter à moquerie à l’aune des sorties qui se sont succédées depuis. Et pourtant, début 2021, force est de reconnaître la pertinence de son constat : si le genre n’est pas encore enterré, c’est parce qu’il est devenu zombie.
Cet article révèle quelques éléments vagues de l’intrigue de Cyberpunk 2077, soyez en averti.
Comment qualifier autrement cette marée de produits sans saveur qui se succèdent au gré des financements kickstarter ? Ce business model surfant sur la nostalgie et les noms de développeurs à la gloire fanée bien plus que sur l’innovation ? Suites et reboots viennent s’échouer sur nos écrans tandis que le nombre d’univers originaux se compte sur les doigts d’une main. Peut-être serait-il temps de se rendre à l’évidence : il n’est pas de genre plus imperméable aux évolutions du médium, plus désuet dans son game design, plus passéiste que le CRPG. En quelques mots : un genre fait par et pour de vieux cons.
Le constat est d’autant plus amer que la décennie écoulée a été riche en surprises pour tout le reste de la production vidéoludique. Mais pas pour le RPG occidental, qui aligne vaniteusement dix ans d’espérances déçues et de promesses non tenues. Trop peu de titres nous accrochés jusqu’au bout de leur récit, combinant les ingrédients qu’on attend d’un bon RPG : une expérience engageante, une aventure épique, des personnages attachants et du roleplay.
Se trouvera-t-il quelqu’un dans l’assemblée pour prendre sérieusement la défense du soporifique Pathfinder : Kingmaker ? De Pillars of Eternity, qui pastiche sans entrain une licence cryogénisée depuis vingt ans ? Qui pourrait citer un arc narratif de Tyranny, un personnage marquant de Wasteland 2 ? Si quelques rares titres tirent leur épingle du jeu – à ce qu’il paraît, Dragon Age Inquisition était mieux que pas mal, enfin bon, ça date de 2014 les gars – c’est quand même sérieusement la dèche. Au point que l’ensemble de la critique s’extasie d’une seule voix devant Disco Elysium, production lettonne certes originale mais un peu trop verbeuse pour son propre bien. Ou que Fallout New Vegas, un titre de 2010, reste considéré par certains comme le nec plus ultra en termes d’émergence et de roleplay. Pour ma part, en dix ans, seul Shadowrun Dragonfall ne m’a jamais donné l’impression de perdre mon temps.
De cette débandade surnage depuis 2015 le fier et indéboulonnable Witcher III. Le seul qui ait pu prétendre sortir de la niche, capable de conquérir puristes et grand public, sauf chez Merlanfrit où l’on est définitivement jamais contents. Un tel coup d’éclat a propulsé CD Projekt porte-étendard du jeu de rôle, voire des gamers dans leur ensemble, au point que chaque pet lâché par le studio sur twitter pendant les cinq années qui ont suivi était attendu comme le messie. Mais ça, c’était avant Cyberpunk 2077, dont la sortie ratée a marqué le studio du sceau de l’infamie. Ultime trahison, CD Projekt Red ne parle plus à son sujet de RPG, lui préférant le terme d’"action-aventure en monde ouvert", comme si l’étiquette ne faisait plus rêver personne. L’histoire pourrait s’arrêter là, le cercueil du jeu de rôle occidental n’attendant plus que son dernier clou.
On nous cache des choses
En annonçant la mort programmée du CRPG, Martin Lefebvre constatait surtout l’inévitable dissolution de ce dernier dans le bain de la production AAA. La tendance ne s’est pas affaiblie depuis et le genre s’est réduit à un ensemble de mécaniques qu’on trouve désormais cuisiné à toutes les sauces. Plus un jeu ne sort sans son arbre de compétence, version dégénérée des traditionnelles feuilles de personnages transformées en machine à grind. Cyberpunk 2077 pourrait donner à première vue l’impression de suivre le mouvement et pourtant ce n’est pas le cas. Car CD Projekt Red nage à contre-courant et dilue des mécaniques AAA dans un authentique jeu de rôle, dans une tentative sincère de faire évoluer le genre.
Le contrat est à moitié rempli, produisant un un objet hybride aux gunfights mous, GTA-like à la conduite foireuse, immersive sim pour les nuls à l’infiltration un peu naze. Et alors, vous voulez qu’on compare le tour par tour de Wasteland 3 à celui d’XCOM 2 ? La gestion de royaume de Pathfinder : Kingmaker à n’importe quel City Builder ? (ou même à Reigns, tiens, ce serait marrant). Les CRPG ont toujours moins bien fait que la concurrence, et c’est normal. Là où le reste de la production peut se concentrer sur une boucle de gameplay (sauter, tirer, conduire), chaque jeu de rôle se doit de jongler avec plusieurs propositions pour que le joueur puisse exercer son sacro-saint choix. Et puis il y a l’écriture aux ramification multiples qui doit faire cauchemarder plus d’un développeur. Il faut comparer ce qui peut l’être. A ce petit jeu il n’y a pas photo : le gameplay de Cyberpunk 2077 est plus fin que tout ce qu’a pondu Bethesda en 15 ans.
Si quelques rares pans du jeu surprennent par leur immobilisme – le système de loot hors d’âge, par exemple – la première qualité de Cyberpunk 2077 est d’articuler les deux écoles du RPG occidental : la tradition Fallout période Interplay, avec son gameplay punitif où les faiblesses du joueur sont partie prenante de la narration (à l’image de son iconique dumb mode). Et les systèmes plus permissifs d’un Fallout période Bethesda, fantasmes de puissance au service du joueur. [1] Si celui-ci n’est jamais bloqué par les faiblesses de son personnage dans Cyberpunk 2077 – AAA oblige, faudrait pas frustrer ce p’tit chou – tout n’est pas possible pour autant. A un moment des choix doivent bien être faits.
La grande force – et principal problème – du titre de CD Projekt c’est que ceux-ci sont indolores. La faute à un système de progression privilégiant une évolution sans à-coups plutôt que des ruptures marquantes. On se perd dans les attributs, compétences, armes et augmentations corporelles d’autant que les changements paraissent souvent peu affriolants : qui aurait envie d’augmenter ses dommages de fusil à pompe de 3% ? Mais ce système a l’avantage de pousser le joueur à adopter un style de jeu sans même s’en rendre compte. De le guider vers le hacking, par exemple, le persuader qu’il n’y a que cela qui vaille, que c’est la bonne manière de jouer : on pousse les ennemis au suicide ou à la psychose dans une débauche d’animations sadiques. Et puis un matin, avalant son café, ledit joueur manque de s’étrangler en entendant l’équipe de silence on joue se plaindre d’avoir traversé Cyberpunk 2077 le fusil à pompe à la main parce que « tu peux pas vraiment transformer une situation rien qu’en piratant des mecs », tu comprends.
C’est dans ce genre de révélations cocasses qu’apparaît l’éclatant succès de CD Projekt Red. Car le studio manipule le joueur, lui cache les conséquences de certains de ses choix pour ne pas rompre l’immersion. Il dissimule les options de dialogues liées aux points de départ (street Kid, Nomad ou Corpo) que celui-ci n’a pas choisi, mais aussi celles qui ne correspondent pas aux compétences de son personnage. Si ce dernier est une quiche en intelligence ou en sang froid, alors Cyberpunk 2077 lui masquera les dialogues liés à des scores de haut niveau dans ces compétences, n’affichant que ceux qui lui sont accessibles, ou juste hors de portée. Dans ces conditions, impossible de percevoir ce qui nous échappe. L’histoire qu’on suit devient la seule qui soit.
Le prix à payer
Les grincheux objecteront que ces dialogues n’impactent le récit qu’à la marge, et encore. Ce n’est pas faux : particulièrement dirigiste dans sa conception du jeu de rôle, CD Projekt n’a pas grand intérêt à lâcher la bride au joueur. L’exploration se résume à passer de marqueurs de quête en donjons en suivant la ligne pointillée qui est désormais la marque de fabrique du studio.
La comparaison avec Fallout New Vegas est sans appel, le titre d’Obsidian s’amusant à multiplier les approches, embranchements et choix moraux pour chaque quête. Mais New Vegas souffre de deux travers handicapants : son protagoniste et sa trame principale, qu’on serait bien en mal de résumer même après plusieurs arpentages du Wasteland. C’est le prix à payer d’un récit certes riche en mécaniques, mais forcément moins fluide et puissant qu’une histoire linéaire beaucoup plus maîtrisée. Jamais New Vegas ne parvient à nous embarquer aussi bien que Cyberpunk 2077 lorsqu’il plonge V, notre protagoniste, jusqu’au cou dans les embrouilles aux côtés de Jackie, Panam ou Judy.
Aux zélotes du player agency qui s’insurgeront de voir CD Projekt Red préférer l’émotion à la liberté du joueur, il serait temps de rappeler que celui-ci n’a jamais complètement blanc-seing dans un CRPG. Arrive toujours un moment où le développeur reprend la main. C’est donc d’une différence de degré dont on parle : un RPG peut être plus ou moins directif, ce n’est pas un problème en soi, tout dépend de ce qui en est fait. Si c’est le prix à payer pour ne pas se retrouver aux commandes d’une coquille vide de plus, mais pour faire exister un être humain avec une histoire, un caractère et une voix, alors ainsi soit-il. C’est même rafraîchissant de voir une telle efficacité dans l’écriture, loin des tartinades de dialogues auxquelles les jeux de rôle nous ont habitués à force de prendre Planetscape Torment pour unique horizon. Cyberpunk 2077 préfère lorgner vers Firewatch, qui avait bien compris que la sobriété d’un système de dialogue permet d’en soigner l’interprétation.
Le jeu de CD Projekt donne l’impression de plonger dans un bon livre de Science-Fiction dont la trame serait largement écrite, mais les contours du héros encore flous. C’est au joueur de leur donner forme, et c’est là que vient se loger un roleplay aussi riche qu’il est contrôlé. On peut alors regretter les choix du studio, ou au contraire en admirer la cohérence. Si celui-ci se désintéresse de l’exploration après avoir dessiné une ville aussi démesurée, si le joueur n’a pas de contrôle sur le récit, c’est parce que Night City n’est qu’un écrin dans lequel vient se loger son histoire, un hors-champs venant dessiner un futur cauchemardesque dont le cours ne peut être dévié.
Cyberpunk 2077 décrit un univers où la destruction du QG d’une transnationale à l’aide d’une ogive nucléaire n’a laissé aucune trace : poursuivant son développement tentaculaire, la société s’est contentée de reconstruire le bâtiment à l’identique histoire d’effacer l’affront. V et le joueur font preuve d’orgueil en espérant bousculer une ville qui se nourrit de petites mains dans leur genre. Toutes leurs tentatives pour faire dérailler la machine se soldent par l’échec : les structures de pouvoir sont trop stables, la corruption trop profondément ancrée. Night City est immuable.
On se casse
Un tel discours pourrait relever d’une posture cynique parée de nihilisme. C’est d’ailleurs un des nombreux reproches adressés au jeu à sa sortie – au delà des bugs en pagaille, du gameplay en demi-teinte et du crunch qu’ont subi les développeurs – celui d’être une œuvre creuse, faussement transgressive et révolutionnaire, incapable de représenter correctement minorités et transidentité, figée dans un imaginaire de cyberrock-à-papa.
CD Projekt Red s’est tiré une balle dans le pied en situant son jeu dans une uchronie plutôt que dans la continuité de notre société. Le monde de Night City ayant divergé du nôtre au tournant des années 2000, il ressasse des images clichés et rate en beauté le futur cyberflippant que nous préparent pourtant les GAFAM avec leur capitalisme de surveillance. Plus triste encore, Cyberpunk 2077 sent trop souvent l’impensé sexiste, celui qui passait encore il y a dix ans mais fait maintenant grincer les dents et qui consiste à affubler les personnages féminins d’un décolleté ouvert sur petit haut moulant sans penser à mal, juste parce c’est « plus cool, voyons ».
Le joueur hétérosexuel adulte est alors pris d’un doute. Son attachement aux personnages de Judy et Panam tient-il à leur écriture, ou parce quelqu’un les a dessinés pour les lui rendre désirable ? Les aurait-il autant appréciées s’il avait été une femme ? Puis viennent les moments de franc embarras, les scènes de sexes vulgaires (pas toutes, heureusement) ou les flash-back aux commandes de Johnny Silverhand, grands moments de régression vidéoludique autant dans leur design que leur écriture. [2]
Et c’est profondément rageant. Car sous son enveloppe tonitruante et vaniteuse, Cyberpunk 2077 sait être sensible, comme lors de cette scène en compagnie d’une poupée prostitué dont on attend le pire (encore du sexe pour ado frustré) et qui se transforme en séance de thérapie. Savez-vous que le jeu de CD Projekt parvient à raconter une histoire d’entraide féminine ? Confrontées à un monde qui les prend pour des proies ou des hystériques, V, Judy, Evelyn et Panam n’ont d’autre choix que de se serrer les coudes. Il y a de la sororité dans Cyberpunk 2077, à condition d’opter pour une V de sexe féminin. Et après cela, il y en a encore pour prétendre que le choix du sexe du protagoniste ne change rien ?
Ce que les critiques qualifiant Cyberpunk 2077 de creux, vain ou cynique nous auront surtout appris, c’est que l’âme de celui-ci n’était pas là où chacun l’attendait. On ne la trouvera pas dans les thématiques abordées habituellement par le genre. Les questions transhumanistes soulevées par les modifications corporelles sont écartées d’un revers de la main, le joueur étant projeté dans un monde où ces technologies sont si banalisées qu’elles apparaissent aussi transparentes aux habitants de Night City que la réfrigération pour nous, invisibles comme l’eau du bocal. L’âme de Cyberpunk 2077 ne se loge pas non plus dans une réflexion philosophique qui reste en surface, effleurant la barque de Thésée pour nous parler d’identité. Mais son manque de profondeur ne l’empêche pas d’être puissant. Et loin de l’expérience révolutionnaire attendue, CD Projekt semble surtout passionné par des histoires à taille humaine. Celles de deux êtres qui apprennent à mourir, de personnages féminins aux prises avec un capitalisme patriarcal, d’un monde où seule la marge permet de s’épanouir. Des récits auxquels chaque joueur et joueuse occidental devrait pouvoir s’identifier, alors que chaque jour des multinationales étendent leur emprise sur notre futur et que seules les ZAD semblent encore porteuses d’un avenir.
Malgré ses défauts, Cyberpunk 2077 est un grand jeu de rôle humaniste. Si nombre de critiques semblent l’avoir perçu dans l’écriture de ses personnages, c’est sa structure qui le démontre le mieux : traversez-le en ligne droite, sans vous arrêter pour donner un coup de main, partager une bière, admirer le paysage et vous aurez la fin de connard individualiste que vous méritez. Prenez le temps du détour, attachez-vous à ceux qui vous accompagnent. Partagez leurs émotions, leurs souvenirs, leurs désirs et peut-être serez-vous récompensé d’un happy end, ou de ce qui s’en approche le plus dans ce monde stérile. Au travers de son jeu, CD Projekt Red fait l’apologie de l’entraide et traite ses personnages en êtres humains. J’aimerais bien voir d’autres CRPG en faire autant, tiens.
Notes
[1] Ces différences de philosophie sont impeccablement résumées par Errand Signal.
[2] La rock-star baise comme un dieu, abat une vingtaine de gardes lors d’une descente dans le labo secret d’une méga-corporation, ressort intact et revient six mois plus tard à la sortie d’un concert pour finir le travail à l’aide d’une bombe nucléaire. Allez me faire croire que cela n’a pas été écrit par un stagiaire en pleine crise de virilité.
Vos commentaires
Hydra # Le 17 février 2021 à 13:33
Le CRPG n’est pas mort à l’instar de beaucoup de genre devenus niche il est devenu quelque chose que le joueur type contemporain à de la peine a appréhender, trop habitué à la satisfaction instantanée, volontiers papillonneur, trop préoccupé ou flemmard, il se goinfre de ce qui excite sa nostalgie avant de passer à autre chose. Par là je n’accuse personne, il s’agit plutôt d’un triste état des lieux des conditions matérielles de la vie dans nôtre société où tout est fais pour que l’on passe à autre chose, tant nôtre attention est sans cesse inondée de requêtes, un peu comme les coups de fils de Cyberpunk.
Il faudrait peut-être interroger le thème de l’heroic fantasy qui en temps de déprime ne nous offre qu’un échappatoire, parfois un peu réactionnaire, là où la SF permet d’explorer ces futurs dont on nous prive. Hélas Cyberpunk restera un de ces futurs, ancré dans sa décennie, il est fait pour le joueur contemporain bourré de cet imaginaire en néon imbibé de vapourwave et de nostalgie, on y papillonne un moment, puis on passe à autre chose.
Cela dit, merci de ne justement pas passer à autre chose et de creuser le sujet, mais par pitié arrêtez avec ce ton condescendent et ses jugements d’autorité vis à vis des niches, souvent dernier bastion de résistance d’une certaine vision du jeu vidéo dans le cadre d’une industrie qui standardise trop et pernicieusement habitue le joueur à ne plus sortir de ses zones de confort. Car oui il y aura toujours des francs tireurs pour faire l’éloge du "mauvais goût" face à l’hégémonie des bonnes notes et des avis de presse trop subjectifs.
Mari # Le 17 février 2021 à 14:28
Tout d’abord merci encore pour ce deuxième écrit mesuré, loin du bruit et de la fureur suscités par la sortie de ce titre. C’est toujours un immense plaisir que de lire Merlanfrit et cette cadence de publication plus soutenue ces derniers temps est tout à fait bienvenue. Vous avez encore un lectorat fidèle et enthousiaste, je tenais à le préciser !
Pour ce qui est de Cyberpunk, vous touchez du doigt ce qui fait la particularité et tout l’intérêt de cette oeuvre. Vous évoquez l’importance des ingrédients clés d’un RPG et effectivement le jeu semble correspondre à tous ces critères. Loin de toute analyse fine ou d’une attention trop poussée sur ses défauts et/ou ses qualités, je trouve que ce CP77 dispose d’une personnalité, d’un caractère voire d’un charisme - faute de mots plus appropriés - que l’on retrouve désormais bien peu dans la production AAA occidentale. Cette personnalité se dégage de multiples piliers du jeu, que ce soit son univers, sa mise en scène, sa bande-son furieuse, et, comme vous le dites, ses personnages. A ce titre, et pour rebondir sur votre critique, leur érotisation (ou plutôt leur désirabilité, qui ne tombe pas dans le vulgaire) participe à mon sens de la réussite de leur caractérisation. Vous pointez très justement le doute quant à la raison profonde de l’attachement que l’on peut éprouver par rapport au casting (attirance purement physique ou non), mais c’est un doute profondément humain et une question non résolue qui irrigue nos relations dans la vie de tous les jours, et qui ont effectivement été abandonnés par la production occidentale ces dernières années au profit d’un lissage, ou plutôt d’une désexualisation presque totale des avatars face aux accusations de male gaze (en partie à raison, mais ici j’estime que nous restons dans le désir ambigu plutôt qu’en une nudité ou un appel aux bas instincts trop frontal, comme on pouvait le retrouver dans les premiers The Witcher).
Enfin, je souhaiterais revenir sur le sujet des thématiques abordées (ou plutôt non abordées) qui comme vous le notez suscitent de nombreuses critiques. Je ne pense pas qu’une oeuvre de fiction, quelle qu’elle soit, devrait être assignée à traiter de problématiques particulières et imposées en raison de son genre ou de son univers. Oui, Cyberpunk se désintéresse de certaines des plus grandes inquiétudes technologiques ou sociétales contemporaines (ou ne les traite qu’à distance) mais c’est aussi pour s’inscrire plus avant dans la filiation du cyberpunk littéraire des origines, qui tout compte fait n’avait jamais forcément franchi les frontières du media papier, et ce afin de proposer, peut être plus qu’un hommage appuyé, une relecture moderne de ces histoires qui traitaient avant tout de l’oppression pernicieuse d’une société qui étendait inexorablement ses tentacules jusque dans les corps et la physicalité des individus (et à ce titre le body awareness du jeu est tout à fait remarquable) - ce qui en fait peut être la distinction la plus prégnante avec le traitement actuel du genre, qui se concentre plutôt sur le contrôle des esprits et les usages malfaisants de la donnée, d’où les critiques récurrentes sur le fait que ce ne soit pas l’un des points principaux traités par CDProjekt. Individus malmenés qui, en s’unissant et en retissant des liens humains, pouvaient peut être ne plus sauver le monde mais tout du moins se sauver eux même.
Bref, nous avons affaire à une aventure pétrie de contradiction mais sans doute plus riche en interprétations que l’on ne saurait le croire au premier abord. Et je pense d’ailleurs qu’elle s’offrira à plusieurs relectures aux yeux des joueurs/euses dans quelques mois/années, une fois que la surface tapageuse du titre et ses limites évidentes auront été digérées et acceptées. Merlanfrit nous offre déjà quelques pistes, et je vous en remercie encore.
Uncle Bob # Le 20 février 2021 à 10:48
J’ai d’abord cru que ce jeu était un foutage de gueule : un échec à peu près complet en fait.
Puis j’ai lu vos articles et je me suis aperçu que, puisque j’avais joué comme un con, le jeu ne m’avait jamais offert que sa bête part !
Alors j’ai recommencé, mais cette fois-ci en jouant intelligemment : j’ai mis de côté ce qui n’allait pas, ou plutôt j’ai pris ce qui n’allait pas, ou considérais comme tel, pour partie intégrante du jeu : je me suis alors aperçu que j’étais passé à côté de l’essentiel, sans doute aveuglé par des années d’attentes AAA : car le jeu est finalement un éloge de l’imperfection et c’est au final dans ses zones d’ombres qu’il est le plus lumineux. De ce point de vue, le fond et la forme s’accordent harmonieusement et Cyberpunk 2077, loin d’être comme tous ces jeux qui cherchent à exprimer une pseudo perfection aussi mal définie dans son contenu qu’impossible à atteindre, exprime le CRPG dans ce qu’il peut avoir de plus mûr et d’original.
Merci à vous d’avoir corrigé ma représentation du jeu !
Et merci à Martin pour ses éclairantes prophéties !
Efelle # Le 20 février 2021 à 12:59
L’écriture permet en effet de passer outre les bugs...
Les moments de grâce liés à la narration ne manquent pas.
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