10. Fonds marins

The Witcher 2 : Assassins of Kings

A bout de souffle

Loin de moi l’idée de jeter la pierre au jeu formidable qu’est probablement The Witcher 2. La somme de travail qu’il représente, le soin apporté à sa réalisation imposent le respect. Mais il s’est passé quelque chose de bizarre. Je l’ai commencé plein d’enthousiasme, il ne m’a pas réellement déçu, mais j’y ai joué sans envie. Pour le finir avec un soulagement coupable. Comment en est on arrivé là ?

Dans quel autre jeu parlerait-on de « colique » ?

Un amour d’univers

Les histoires alambiquées m’ennuient assez vite. Comme un jeune élève dispersé je décroche vite, je regarde ailleurs quand il y a plus de deux noms propres dans une séquence, et en quelques minutes je ne sais plus où j’en suis. Il y a donc un pan entier des qualités probables de The Witcher 2 qui m’échappent, je dois l’admettre. Heureusement qu’il y a autre chose que ce scénario touffu.

L’univers de The Witcher c’est une certaine patte, avec une bonne dose de délicieux mauvais goût. Le sexe , le vrai, pas le cul hypocrite où l’on garde ses habits (Dragon Age : Origins), l’alcool (qui s’est toutefois raréfié depuis le premier volet, mais qu’on retrouve lors des grandes occasions : prélude à un rapport sexuel, toast d’adieu avec l’ennemi poursuivi depuis le début de la partie…), les dialogues fleuris… The Witcher 2 aime bien se rouler dans la fange et ça tombe bien, moi aussi. Qu’un jeu de grande ambition commerciale ose ce qu’il ose dans le registre rabelaisien et scatophile sans pour autant donner dans la grosse farce systématique, cela force le respect et la sympathie.

Evidemment le jeu a bien d’autres atouts que cette charmante crudité. Dans la lignée du premier volet ses personnages restent forts et attachants, qu’il s’agisse de Zoltan Chivay, Jaskier, Triss Merigold, voire Vernon Roche.

Jaskier, l’ineffable.

Peut-être - probablement - grâce à son origine littéraire, The Witcher 2 offre des caractères qui ont une épaisseur. Foltest, même s’il quitte assez vite la scène, en impose davantage que tout un panthéon de rois aussi fades, vides que convenus dans l’histoire du jeu de rôle vidéo occidental.

Les personnages ont de la gueule, mais pas qu’eux. Le décor est lui-même souvent très réussi. Qui s’est promené dans le camp kaedwenien une nuit sous la pluie saura de quoi on parle : cette atmosphère si humaine avec de pauvres soldats qui se réchauffent autour du feu, tandis que d’autres optent pour une ébriété continue (Odriiiin !) ou une logorrhée mystique. Un autre fume la pipe (une transgression à l’hygiène et au bon goût de plus), des gestes simples mais si parlants. Là où tant de jeux évoquent une fantasy de pacotille usée jusqu’à la corde, tendance plastique et carton-pâte, The Witcher 2 invoque la boue, nous ferait presque sentir l’odeur de la pisse, le goût de la rouille et du sang.

Le camp kaedwenien : on croirait sentir le froid et l’humidité…

Passé à la vitesse supérieure quant aux moyens mis en œuvre par rapport au premier épisode, il est ainsi excellent lorsqu’il s’agit de transmettre des sensations, voire des sentiments variés : qu’il s’agisse d’instants de volupté avec Triss (la scène de la baignade est d’ailleurs en contradiction avec l’esthétique globale du jeu, avec ses airs de téléfilm érotique dans un cadre d’une magnificence incongrue) ou de moments angoissants comme lorsqu’on rejoue cette bataille au milieu de fantômes à l’humanité résiduelle et pathétique. Fortes sensations visuelles, mais aussi auditives comme lors de la « Bataille éternelle » : des soupirs mêlés à la musique évoquent une résurgence de l’inoubliable bande originale de Goblin pour le Suspiria de Dario Argento. Rien à dire sur les designs de monstres non plus, des abominables insectoïdes à l’aspect improbable du général-monstre Vandergrift, sorte de golem de bric et de broc, grotesque et terrible.

The Witcher 2 ravit les sens. Mais qu’en est-il du plaisir de jouer ?

Vandergrift, informe et magnifique.

Est-ce moi, est-ce lui ?

Le problème est qu’en effet on n’est pas là que pour se promener et admirer l’environnement, ni pour reluquer les nudités féminines suggestives complaisamment offertes. Il faut bien jouer. Et le jeu s’avère effroyablement paresseux sur certaines quêtes qu’on ne voudrait plus voir (les bagarres, les dés, les contrats sur les monstres). Pire, certains pans entiers du jeu sont totalement dénués d’intérêt comme le système d’artisanat.

Les objets. L’un des aspects les plus discutables du jeu, entre artisanat raté et tentation de jeu-monde.

Les embranchements scénaristiques, aux conséquences paraît-il considérables, sont finalement trop mis en valeur : le jeu se vend lui-même, et semble davantage concerné par le souci d’exposer son mérite que de donner du plaisir au joueur. Comme si cette fameuse rejouabilité, devenue un critère incontournable d’évaluation d’un jeu, passait avant même le plaisir d’une "simple" partie. Cette indispensable exploration des possibles pour apprécier pleinement le jeu rompt pourtant avec le flow de l’aventure puisque le joueur est invité à faire des allers-retours réguliers dans les entrailles du logiciel, ou bien à se souvenir des moments proposant une alternative pour y revenir ultérieurement… On a ainsi une dérive viciée de l’idée de choix : du choix expressif synonyme de liberté, qui permet de définir qui est son personnage en sacrifiant une chose à une autre, on est passé à de l’exploration de structure ludique. Le plaisir peut se trouver dans les deux cas, mais il n’est clairement pas le même…

Attention… Choix !

L’autre grand problème du jeu est assez classique, c’est la coexistence de la quête principale, urgente et capitale, avec tout un tas de quêtes secondaires mesquines voire ridicules. Comment peut-on perdre son temps à défier une foule de clampins aux dés ou au bras de fer quand on porte sur ses épaules la destinée d’un monde qui se joue de façon imminente ? Comme si le jeu lui-même reconnaissait la vanité de cette cohabitation improbable entre passe-temps puérils et urgence géopolitique, on sent un net essoufflement de l’activité secondaire au troisième chapitre. The Witcher 2 semble prématurément épuisé, arrivant dans la dernière ligne droite à bout de souffle. Et l’impression de se faire plus nette alors : ce jeu illustre peut-être la fin d’une lignée, témoin de l’usure d’une mécanique ludique qui a fait son temps [1]. Une usure certes relative à l’âge du joueur aussi, qui est plus vite las tandis que les années passent.

Une race finissante ?

Malgré la richesse, malgré la qualité, il m’a été impossible de réellement profiter du jeu. Le fait que cette expérience tombe sur un aussi beau jeu que The Witcher 2 est un symptôme. Désormais un cap est passé, une formule ne fonctionne plus. Les absurdités que sont le journal de quêtes, qui place d’emblée le joueur dans la peau d’un déficient mémoriel, ou le système d’expérience, qui voit un guerrier déjà accompli progresser de façon impressionnante en l’espace de quelques jours, ne pourront tenir éternellement.

Geralt de Riv, niveau 1 ?

Qu’est-ce que sera le jeu de rôle de demain ? Idéalement, un vrai jeu de rôle est une sorte de miroir de l’envie d’être autrement du joueur, qui lui renvoie ce qu’il veut incarner dans un cadre différent de la vraie vie. Or ce qui nous est proposé aujourd’hui relève davantage du tableau déjà brossé, dans lequel on tente tant bien que mal de mettre un peu de soi (Mass Effect, The Witcher, donc). Quelle différence fondamentale avec un GTA doté de niveaux d’expérience et d’un inventaire ? On n’y joue pas vraiment un rôle élaboré par soi-même, mais on interprète une variation d’un personnage. Les jeux-miroirs existent, mais leur reflet est si faible qu’on le perçoit à peine : un héros des Elder Scrolls n’a pas de personnalité, n’est pas incarné et ses choix ne parviennent pas à le faire vivre. Le personnage joueur y est un fantôme, et il est d’ailleurs choquant de voir combien même les PNJ les plus ternes autour de lui donnent l’impression d’exister davantage…

Une personnalisation touchante et dérisoire de Geralt : la coupe de cheveux…

Créer un vrai jeu de rôle vivant, capable aussi bien d’absorber le joueur que de lui permettre de réellement, pleinement s’exprimer n’est certainement pas impossible. Mais au regard de cette ambition gigantesque tout reste encore à faire. Il n’est même pas certain que cela se fasse dans le cadre du jeu de rôle traditionnel. Un univers vivant et réactif, surprenant, ne peut être élaboré à partir de scripts et de dialogues conventionnels, aussi brillants soient-ils. On a eu l’impression de beaucoup progresser le jour où les PNJ ont commencé à être un peu autonomes (c’est-à-dire grosso modo en se promenant en journée et allant au lit la nuit venue). Et si une partie de la réponse rejoignait les mécanismes en progressive sophistication des Sims ?

Le journal de quêtes : un outil qui semble aller de soi. Pour toujours ?

Peut-être qu’il faut choisir entre un scénario d’urgence et la possibilité de cueillir des champignons pour les vendre au village. Le scénario n’est-il pas, finalement, qu’une survivance obsolète du jeu de rôle « papier », où le maître de jeu devait canaliser ses joueurs pour rester maître ? L’informatisation n’est-elle pas l’occasion de s’affranchir du « fil conducteur », et de laisser le joueur se créer son destin, de prendre le temps de savoir qui il veut être ? Cueilleur de champignon, assassin de roi... Pour de vrai, avec une réelle créativité, pas par quelques grand choix d’embranchements réalisés à une poignée de moments décisifs. Les Elder Scrolls avec leur monde ouvert ont montré la voie mais ne parviennent pas encore à réaliser ce dessein. Le jeu reste sclérosé par une quête principale (souvent médiocre de surcroît), par des quêtes secondaires qu’on remplit scrupuleusement comme autant de cases à cocher, vidant ainsi le monde de sa substance. Tant que le joueur ne pourra exister pour lui même et jouera pour « accomplir la mission », toutes les expériences se ressembleront. Et ce malgré les 2, 4, 8 ou 16 fins différentes…

Triss, encore Safe for work.

Quelle sera la révolution du jeu de rôle ? Un héros qui vieillit et peut enfin « décroître » ? Une mort qui ne serait plus fatalement un échec à effacer par un quickload ? L’intégration de l’échec, du loupé dans le jeu ? Un monde avec des choses à faire, mais sans « quête » ? Plus que tout autre genre, le jeu de rôle informatique semble avoir une marge de raffinement illimitée, voire la possibilité d’être modifié de fond en comble par un pionnier encore à venir. Tout simplement parce qu’il aspire profondément, plus que tout autre, à une ambition prométhéenne : proposer un monde parallèle.

Il y a 14 Messages de forum pour "A bout de souffle"
  • Corentin Le 11 décembre 2013 à 11:46

    Il n’est pas impossible que j’exagère un peu, mais j’aurais tendance à dire que c’est justement pour ça que Daggerfall est le seul bon Elder Scrolls, voire le seul bon jeu de rôle informatique, à défaut d’être le plus amusant.

    J’avais très superficiellement abordé le sujet dans un papier qui n’avait sinon pas grand-chose à voir : http://zqsd.fr/elder-scrolls-et-per...

  • Impe Le 11 décembre 2013 à 11:52

    Perso je suis pas vraiment d’accord avec tout ce qui est dit.
    Par exemple pour les choix, plus loin au début l’auteur de l’article dit qu’il y a trop de choix avant de dire qu’on ne met pas assez de soi dans le jeu, alors que justement dans ce type de jeu, c’est par les choix que passe la personnalité du joueur.
    Et dire que le jeu pousse à refaire certains passages pour voir les différences entre les choix c’est juste ne pas comprendre l’intérêt de ces choix ou ce qu’est un jeu de rôle.

    Et critiquer un jeu comme The Witcher 2 en disant ne pas aimer les scénarios intéressants... Mais bon, c’est bien de l’assumer au moins.

  • jaunmakenro Le 11 décembre 2013 à 11:52

    La réponse (ou une partie) pourrais être le mode aventure de Dwarf Fortress : un monde d’une richesse infinie, pas vraiment de quête, une liberté totale à l’opposé du roguelike et du RPG classique... (couloir/porte/monstre)

  • kakiharaa Le 11 décembre 2013 à 12:03

    Merci pour cet article !
    C’est triste, mais les types de jeux qui m’ont donné mes plus grandes joies ne fonctionnent plus du tout sur moi aujourd’hui...
    Maintenant, la prise en compte du temps et la possibilité de l’échec me semblent indispensables pour donner de la substance à un jeu. En plus, ces mécanismes existent déjà (par exemple dans les rogue-likes avec ce prodige qu’est la génération aléatoire de nivaux). Il ne reste plus qu’à les adapter dans un RPG, et cela passera en partie par une modification des exigences des joueurs, donc aussi par des articles critiques tels que ceux de merlanfrit.

  • Jérôme Izard Le 11 décembre 2013 à 12:11

    Cher Impe,

    Ces choix ne sont pas vraiment constitutifs du personnage, car Geralt reste lui-même. Qu’il opte pour Iorveth ou pour Vernon ça reste un brave type désabusé. Un excellent personnage, certes, mais déjà écrit, et il n’appartient pas au joueur de le définir. Je ne dis pas qu’il y a trop de choix, mais qu’ils ne contribuent pas à créer le personnage. Ils sont l’occasion d’explorer différentes facettes du jeu, et je trouve que c’est une forme de dérive de l’idée de choix.
    Sinon j’ai rien contre les scénarios intéressants, j’ai simplement trouvé celui de The Witcher 2 un peu trop obscur pour moi, avec des allusions à plein de choses, plein d’évènements capitaux qui sont évoquées de façon superficielle. Mais je ne crois pas être le seul puisqu’on parle souvent de l’intérêt de lire les bouquins pour s’y retrouver.
    Enfin je tiens à rappeler que j’aime malgré tout beaucoup cet univers, à défaut d’aimer le jeu. Ma critique n’est pas du tout destinée à casser le truc, elle est aussi - peut-être surtout - un questionnement sur mon expérience de vieux joueur et les raisons de mon insatisfaction.

    Pour la génération aléatoire je ne crois pas un instant à quelque chose d’intéressant pour des jeux de rôle, car ça écarte la notion d’intention qui est essentielle. Je crois qu’il est très important qu’un concepteur agence son univers, qu’il ait ses raisons pour placer objets, monstres et évènements. Le faire de façon aléatoire, même avec des formules, c’est un peu tuer l’idée de cohérence d’un univers, la folie raisonnée que seul un homme peut produire. Ou alors s’il veut créer un outil qui le produise de façon aléatoire les efforts seront tels qu’il passera beaucoup plus de temps à créer l’outil qu’à créer directement un monde.
    Enfin c’est mon idée vite fait, je ne suis pas le mieux placé pour émettre un avis définitif sur la question.

  • Remy Le 11 décembre 2013 à 12:14

    Se baser sur un jeu assez spécifique dont on n’adhère pas aux bases pour en conclure que le jeu de rôle en général est en bout de course, c’est très fort.

  • Jérôme Izard Le 11 décembre 2013 à 12:27

    Les bases de The Witcher 2 que je me permets de remettre en cause ne sont justement pas vraiment spécifiques : la linéarité se retrouve dans beaucoup de jeux de rôle, les quêtes à la con sont un pilier universel de même que l’aspect "monde à consommer". Et la marotte embranchements / rejouabilité c’est aussi un truc qu’on trouve ailleurs.
    Ce qui est spécifique à The Witcher 2 (le décors, l’esprit, l’ambiance) c’est plutôt ce que j’aime en fait.

  • cKei Le 11 décembre 2013 à 15:13

    Je rejoins la partie de l’article traitant de l’appellation "jeu de rôles", elle n’est effectivement plus vraiment d’actualité (l’a-t-elle jamais été ?) pour la plupart des jeux qu’on y classe.

    Mais ce n’est finalement qu’une histoire de titre.

    Voilà des années que j’enchaine les parties de RPG divers et variés (JRPG principalement) et le fait est que ce qui m’attire principalement dans le genre, c’est plus les nombreuses variétés de gameplay et l’évolution de personnage que de véritablement incarner un personnage que je modèlerais à mon goût.
    J’ai une manière de les consommer qui se rapproche plus de l’apprentissage successif de plusieurs jeux de société complexes (comme les échecs) que du jeu de rôles sur table.

    Du coup, ce que tu décris me passe allégrement au dessus de la tête, à la limite tous ces choix de game design peuvent être justifiés du moment qu’ils assurent du côté ludique (ou autre chacun ses préférences).

  • Alex Dlmr Le 11 décembre 2013 à 16:09

    Aussi imparfait soit-il, State of Decay me semble plutôt intéressant, eu égard aux questions soulevées ici.
    C’est encore loin d’être une vraie réponse (tout au plus un embryon) ; et je ne suis même pas certain que la volonté de ses créateurs allait en ce sens, puisqu’il s’agissait à la base d’un projet de MMO, converti ensuite un peu hâtivement en sandbox offline.
    D’où, d’ailleurs, le sentiment frustrant de se retrouver face à une esquisse de ce que le jeu aurait pu vraiment devenir avec un peu plus de temps.
    Mais il n’empêche.

    Une bonne partie du gameplay repose sur des choix essentiels pour maximiser les chances de continuer l’aventure dans de bonnes conditions : vais-je aller aider mon médecin en vadrouille à se tirer d’une horde de zombies, ou chopper les rations de bouffe qu’il manque à mon groupe pour que tout le monde puisse manger ce soir ? Choix qui, en principe, s’excluent les uns les autres (fenêtre de temps limité pour accomplir les missions, qui se déclenchent souvent en même temps), et dont il faut ensuite assumer les conséquences parfois radicalement différentes (en laissant crever un tel, des membres de notre groupe ou des autres groupes gérés par l’ordi’ pourront être moins bien disposés à notre égard etc.).
    Bon, ça, c’est la théorie. Car en pratique, l’équilibrage est un peu bancal, et il reste donc assez facile de faire toutes les missions malgré le temps limité... et donc de ne pas avoir à choisir.
    De même, les conséquences des choix sont parfois plus triviales / faciles à gérer que ce à quoi on aurait pu s’attendre.
    Il n’en reste pas moins que la plupart de ces situations censées donner lieu à des dilemmes cornéliens ont le mérite d’être en grande partie générées spontanément, au gré des occupations auxquelles vaquent librement les PNJ de notre équipe quand on le les dirige pas, et du rythme auquel s’épuisent nos ressources. Ces situations ne relèvent pas d’événements précisément scriptés pour se déclencher à tel moment.
    Et s’il y a bien quelques éléments de contexte ou d’histoire concernant les persos, on sent qu’ils sont juste là afin de fournir le strict minimum pour que les joueurs s’en emparent et se racontent leur histoire avec, sans trop se sentir contraint par ce qui a déjà été défini. Un peu comme les toiles de certains peintres, qui laissent une grande place à la construction par le spectateur.
    On peut donc tout à fait jouer tel perso’ comme un individualiste sans pitié ou au contraire un indécrottable altruiste, sans que cela n’entre en conflit avec le background figé par les designers ; et avec même, en prime, des réactions un tantinet différentes de la part des autres PNJs selon l’attitude adoptée.
    Quant au concept de quête principale, bien qu’il soit présent, il est très effacé et réduit au strict minimum : ses missions sont peu nombreuses et guère différentes du coeur du jeu et des missions aléatoires ; mais surtout, leur enjeu est rarement d’un ordre d’importance très supérieur (au même titre que dans les missions aléatoires, il s’agit avant tout de rencontrer d’autres survivants, cette fois-ci un peu moins génériques certes, et d’acquérir des ressources assez standards).
    A vrai dire, la caractéristique qui distingue le plus ces missions de la quête principale - et qui fait clairement tâche - c’est que ce sont les seules missions qui ne sont pas assujetties à une contrainte temporelle.
    C’est d’autant plus con que par conséquent les PNJs qui y sont associés (et qui sont souvent les mieux développés) deviennent les moins crédibles, car eux peuvent rester des jours / semaines à attendre qu’on aille déclencher la mission, là où les autres doivent continuer de vaquer à leurs occupations pour survivre.

    Bref, il me semble que certaines idées que State of Decay est allé piocher ailleurs (en s’inspirant de la manière dont certains jeux en ligne essaient de maintenir l’impression d’un monde persistant crédible) gagneraient vraiment à être creusées davantage.
    Plus globalement, il est aussi probable que le genre du jeu de survie entendu au sens large (et dans lequel j’inclue donc aussi Dwarf Fortress cité plus haut), favorise la réflexion autour des suites de choix intéressants, pour reprendre l’expression de Sid Meier.

  • Guylain Delmas Le 11 décembre 2013 à 17:53

    Même si j’ai beaucoup d’affection pour The Witcher 1 et 2, je comprends tout à fait le ressenti. Malgré la volonté de CD Project de permettre aux joueurs de façonner "leur" Geralt, on se trouve fatalement face au problème récurrent des adaptations de livres ou films : travailler à partir d’un personnage prédéfini, qui ne pourra être repris en main qu’à la marge par le joueur.

    Ensuite clairement le genre RPG manque de mécanismes permettant au scénario développé d’être à la fois plus ouvert, plus "narratif" et plus taillé sur mesure pour le joueur (ça fait justement partie des sujets que je traite en recherche). La tentative d’ouverture par l’ajout de quêtes secondaires se traduit souvent par de violentes cassures de rythme (et encore The Witcher 2 n’est rien sur ce point face à certains J-RPG comme Xenoblade Chronicles par exemple) et l’ensemble a toujours un peu de mal à fonctionner.

    Le gros point fort de The Witcher reste quand même, au-delà de la notion de jouabilité, d’avoir tout de même la présence et mise en scène de choix lourds de conséquences. L’embranchement scénaristique principal, et les résultantes des différents choix, y compris ceux faits dans le premier épisode, permet au joueur, à défaut de personnaliser le héros, de personnaliser son récit.
    Reste à voir ce que va donner sur ce point le 3me opus, déjà annoncé en open-world. A mon avis il reste encore une carte à jouer pour ce genre.

  • Alex Dlmr Le 11 décembre 2013 à 20:55

    En grossissant un peu le tableau, l’idéal vers lequel tendre pour faire avancer le genre, ce serait peut-être de concentrer les efforts d’écriture presque uniquement sur les PNJ ; lesquels, il me semble, gagnent toujours à être travaillés car ils constituent les supports contre lesquels le joueur va construire son personnage (que ce soit en opposition ou en soutien à ces derniers).
    L’environnement aussi, comme il a déjà été dit ici, est intéressant à travailler car il offre un canevas sur lequel peindre, sans forcément être trop "enfermant".

    A l’inverse, autant que possible, il faudrait laisser le personnage du joueur relativement vierge de toute définition préalable (puisque chacun le construira en creux via ses interactions avec des PNJ riches).
    Idem pour l’histoire : pour peu qu’il y ait des PNJ intéressants, avec des motivations propres et une autonomie pour les poursuivre selon leur gré, alors il suffirait d’un système de génération à la State of Decay (en plus élaboré) pour faire émerger des missions en fonction du contexte.
    Par exemple : j’ai refusé d’accompagner le PNJ X dans telle mission pour aller récupérer des ressources, car j’avais mieux à faire / trouvait ça suicidaire et le lui ait dit ; PNJ X est conscient que seul, il n’a aucune chance, mais un autre PNJ (Y) fait pression sur lui depuis longtemps, sans que je le sache, pour qu’il lui ramène ces ressources.
    Du coup PNJ X y va quand même ; et sa soeur, PNJ X2 (avec laquelle j’avais commencé à développer des affinités) me l’apprend et me supplie d’aller l’aider. Comme j’aime bien PNJ X2 / veut conserver mes bons points de relation avec elle pour plus tard, je vais à la recherche de PNJ X. Et là, je tombe dans un des lieux possibles où il a pu aller se fourvoyer (le lieu dépendant de la ressource qu’il cherchait).
    Si par hasard, j’avais buté PNJ Y ; ou filé au préalable des ressources à PNJ X pour une tout autre raison, je n’aurais jamais eu cet enchaînement (et je n’aurais pas même eu la moindre idée qu’il puisse advenir).

    Plus simple à dire qu’à coder, c’est certain !
    Mais ça me semble un assez bon miroir du jeu de rôle qui se joue au quotidien dans notre vie personnelle : on rencontre des gens qui se sont définis sans nous, et qui existent avec leur complexité ; on doit ensuite composer avec (en les prenant comme modèles, ou comme contre-exemples ; en faisant des choses avec eux, contre eux, ou alors en cherchant simplement à les éviter) ; et c’est via ce processus qu’on laisse notre empreinte dans le monde, et aussi qu’on se retrouve transformé / influencé pour aboutir à qui on est.

    Tout ça demandera clairement de passer infiniment plus de temps à sophistiquer les routines de comportement des PNJ* qu’on ne le fait dans n’importe quel jeu actuel.
    Sans compter que ça risque sans doute d’être un peu générique au début, le temps que le système se perfectionne pour prendre en compte le plus de paramètres possibles dans la génération des situations.
    Mais si on veut que, dans le jeu vidéo aussi, les petits histoires retrouvent leur juste valeur face à la grande histoire (celle des quêtes scénarisées à l’avance), je vois mal comment on ne pourra pas en passer par là.

    * : je n’ose pas employer le terme d’IA, tant tout ça reste fortement lié à des schémas décisionnels somme toute assez classiques.

  • Pedrof Le 16 décembre 2013 à 19:40

    Que penses-tu de The Walking Dead du point de vue des choix ? C’est pareil non ?

    "On n’y joue pas vraiment un rôle élaboré par soi-même, mais on interprète une variation d’un personnage."

  • nash06 Le 6 janvier 2014 à 01:11

    Bonjour à tous.

    J’arrive un peu après la bataille certes (je suis tomber là-dessus par hasard en essayant de trouver des conseils pour venir à bout de Vandergrift dans l’Acte 2... Je n’y arrive pas et je n’ai pas spécialement envie de faire le combat 20 ou 30 fois pour trouver l’astuce.)

    Bref, pour parler du problème du "journal des quêtes", des problèmes de comptabilité entre les quêtes principales et secondaires, il y a bien une solution tout bête et élégante qui me vient à l’esprit, et je m’étonne qu’encore peu de jeux l’aient mise en oeuvre (peut-être est-ce très compliqué ?). Tout simplement, je pense que ça apporterait un vrai plus de mettre en l’écoulement du temps. Par exemple, pour reprendre l’exemple que je viens de quitter : faire en sorte qu’on n’ait que 1 ou 2 jours (en temps in game) pour trouver les objets à apporter pour sauver Saskia. Pendant ces 2 jours, libre à nous d’aller faire des quêtes secondaires à droite et à gauche, mais si on dépasse le temps imparti, elle meurt et hop la partie est perdue...

    Plus généralement, il y a quelque chose qui m’est venu à l’esprit quand je jouais à Morrowind. On sentait que le monde évoluait, mais cette évolution était conditionnée à la progression du joueur, pour ne pas le dépasser. Quelque chose d’intéressant serait de rendre cette évolution indépendante de la progression du joueur (par exemple (je ne parle plus de Morrowind, mais d’un jeu imaginaire), un mal se répand sur la terre... et les légions du chaos vont déferler et une bonne centaine d’ennemis infernaux viendront attaquer toutes les villes au 50e jour (environ, avec un peu de random, c’est toujours plus plaisant). Et là, soit on a réussi pendant ces 50 jours à faire progresser le personnage, découvrir comment lutter contre ces ennemis, se trouver des alliés, ..., soit non et c’est dommage parce qu’on a perdu :)

    Vraiment, un truc comme ça permettrait de réconcilier le concept de liberté avec celui de réalisme. On aurait en permanence des choix importants à faire : aller faire cette quête pour trouver cet objet quitte à perdre un jour en route ou faire la "quête principale" quitte à regretter par la suite de na pas avoir récupéré cet objet ?

  • Tiaw Le 6 janvier 2014 à 11:05

    C’est justement le système de quête de Dead Rising. On avait un chronomètre à coté de chacune de celle-ci nous donnant un temps imparti pour celles-ci.
    Quant à la quête principal si l’on ne la faisait pas à temps, on avait une longue succession de quête échouées affichées mais ça n’arrêtait pas le jeu.
    Même le fait de ne pas aller sur le toit du centre commercial le 3e jour pour repartir en hélico n’empêchait pas le jeu pour autant de continuer.

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